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Joryss a été placé de foyers en foyers, de familles d'accueil en familles d'accueil. Entre abus sexuels, violences physiques et verbales, il nous raconte son enfance, dont il a su se remettre, non pas sans séquelles.
Transcription
00:00 J'avais l'impression que je ne pouvais rien faire.
00:01 Qu'on me contrôlait ma vie, j'étais comme un espèce de pantin.
00:04 J'ai été placé en famille d'accueil d'urgence
00:06 parce que dans ma famille, il y avait beaucoup de violence physique.
00:09 J'étais un peu l'enfant de trop.
00:10 Et je suis resté pendant cinq ans
00:13 chez une famille d'accueil qui a été vraiment extrêmement gentille avec moi.
00:17 C'était un peu comme une deuxième mère, quelque part.
00:20 Et un jour, Accueil Famille, le service à la protection à l'enfance,
00:23 a décidé de m'enlever de cette famille d'accueil
00:26 parce que j'étais trop attaché.
00:27 Et donc, du jour au lendemain, comme ça, on m'a dit
00:29 "Du coup, tu pars en colo, tu reviendras."
00:31 Mais finalement, je ne suis jamais revenu.
00:32 En fait, cette séparation, je l'ai vécue comme une trahison.
00:35 J'étais trop révolté.
00:36 Quand je suis parti, j'avais sept ans.
00:38 J'étais dans un foyer et je voyais tous ces enfants qui étaient un peu perdus,
00:41 qui me faisaient un peu mal au corps.
00:42 Il n'y avait pas vraiment de suivi de l'enfant.
00:44 Je n'étais même pas à l'école.
00:45 On ne m'avait pas scolarisé parce qu'il n'y avait pas assez de place.
00:48 Alors du coup, qu'est-ce que je fais ?
00:50 Et j'y suis resté peut-être quatre, cinq mois, en fait,
00:53 où j'ai été abusé sexuellement par un des moniteurs,
00:58 je pourrais dire.
00:59 En fait, j'étais dans la chambre.
01:00 Il commence à baisser mon pantalon.
01:02 Et moi, je ne comprenais pas.
01:04 Je dirais que quand tu as sept ans, tu conscientises un petit peu ce qui se passe,
01:07 mais pas vraiment.
01:08 Tu as un peu l'innocence qui est là.
01:11 Alors du coup, tu ne sais pas si c'est juste,
01:12 tu ne sais pas si c'est grave.
01:14 Et en fait, tu t'en rends compte juste vraiment après.
01:16 Du coup, je n'étais pas vraiment à l'aise.
01:18 Il fallait qu'on trouve vraiment une famille d'accueil très rapidement.
01:21 Et on a trouvé une famille d'accueil,
01:22 qui au début s'est très, très, très bien passée.
01:24 Mais le problème, c'est qu'ils avaient ce truc de l'enfant hétéro,
01:28 l'enfant qui va jouer au foot, future playboy, tout ça,
01:30 ce que je n'étais absolument pas.
01:31 Je jouais au Barbie, enfin rien à voir.
01:33 Moi, j'avais besoin d'être aimé.
01:35 Donc, j'étais prêt à tout, faire tout ce qu'on me demandait de faire.
01:37 Et en fait, au fur et à mesure du temps,
01:40 ils ont compris que ce n'était pas du tout mon truc.
01:42 Elle, déjà, son comportement ne changeait pas vis-à-vis de moi,
01:44 mais déjà, elle buvait de l'alcool, tout ça.
01:46 C'était dur.
01:47 Et en plus, je l'aimais en fait.
01:49 Même si elle commençait à boire,
01:51 elle commençait à avoir un peu de violence verbale,
01:53 puis après, ça a été vraiment de la violence physique et tout.
01:56 J'avais besoin d'aimer les gens.
01:57 En fait, ça a commencé petit à petit.
01:58 Il n'y a pas d'événement déclencheur,
02:00 c'est vraiment genre petite insulte.
02:02 Et puis vraiment, ça commence à monter crescendo.
02:04 Les insultes qu'elle me sortait, c'était genre "Grosse merde,
02:07 tu n'y arriveras jamais", "Là, tu ne sers à rien".
02:11 Je me rappelle d'une fois, j'avais envie de boire.
02:13 Je lui dis "Excuse-moi, est-ce que je peux boire de l'eau ?"
02:16 Et elle me dit "Non, tu as tant d'attraitables".
02:18 Son mari, au bout d'un moment, il a dit "Bon, j'avoue, là,
02:21 tu as abusé un peu".
02:22 Elle a rempli la carafe d'eau, donc en verre,
02:25 et elle me l'a lancée dessus.
02:27 Ouais, elle me l'a lancée dessus.
02:28 Ça m'est arrivé plusieurs fois où elle me déshabille
02:30 carrément dans la douche, douche froide.
02:33 Là, je l'ai vraiment dit.
02:34 Le système ASE, Accueil Famille, ils ne m'ont pas cru du tout.
02:36 Mais genre vraiment pas du tout.
02:37 Parce qu'elle, quand elle est arrivée, c'est "Ouais, non, super, j'aurai".
02:40 Ça se passe très très bien et tout,
02:41 mais par contre, il y a des vrais problèmes,
02:42 il y a des vrais troubles.
02:43 Là, j'étais vraiment en colère.
02:44 J'avais peut-être 10 ans et je suis arrivé,
02:46 je me suis pointé un jour et j'ai dit "Écoutez,
02:47 ce n'est pas parce qu'on est reconnu en tant que famille d'accueil
02:49 qu'on n'a pas des défauts".
02:51 Mais c'est un truc de dingue, mais personne ne me croyait.
02:53 Mais vraiment, personne ne me croyait.
02:55 J'étais seul à me dire "On me frappe, on m'insulte".
02:59 Et du coup, je commençais à péter des crises et tout ça.
03:01 Enfin, j'étais vraiment pas bien, quoi.
03:03 Et en fait, on a décrété qu'on allait mettre dans un ITEP.
03:07 Un ITEP, c'est là où on a les enfants qui ont des problèmes perturbateurs.
03:12 Là, je pense qu'à ce moment-là, j'étais vraiment pas bien.
03:14 Le plus dur, c'est qu'on n'a pas de famille,
03:17 on n'a pas d'amis, on n'a personne.
03:20 Et on doit trouver une solution.
03:21 On fait quoi ? Je me sors, je fugue.
03:24 J'ai jamais eu de pensée suicidaire, mais je me suis dit "Je fais quoi ?"
03:28 Donc, j'ai passé peut-être trois ans chez eux.
03:30 Et alors là, violence physique, à part parce que j'étais gay.
03:33 Donc, tous les jours, j'arrivais avec une boule au ventre,
03:36 parce que c'était vraiment des malades.
03:37 C'était "Va sucer ma bite", des trucs comme ça tous les jours.
03:41 À chaque fois que je me levais le matin,
03:42 j'en avais marre de me lever avec une boule au ventre,
03:44 de me dire "Je vais dans ce centre-là, en plus de ça à côté,
03:46 j'allais au collège, j'avais l'impression d'appartenir à personne."
03:49 C'était très bizarre, la violence physique.
03:51 Quand je suis arrivé, parce qu'il y avait des grands,
03:53 j'étais dans un service où il y avait des gens qui avaient genre 15 ans.
03:56 Moi, j'étais plus petit, donc j'enchaînais.
03:58 Je suis sorti de cet établissement et on m'a dit "Mais j'ai aussi ce..."
04:02 Je suis sûr qu'il y a un truc.
04:03 Il y a quelque chose, en fait.
04:05 Et j'étais en mode "Mais il n'y a rien du tout."
04:07 Enfin, genre tout va bien.
04:08 Et en fait, on m'a dit "On te tira dans une SECPA."
04:11 "Secution d'enseignement général professionnel adapté."
04:13 Et là, à ce moment-là, quand on m'a annoncé ça, j'ai pleuré.
04:16 J'ai pleuré parce que j'étais en mode "Putain, c'est fini."
04:20 J'avais l'impression que ça ne s'arrêtait jamais, en fait.
04:22 J'avais l'impression que je ne pouvais rien faire.
04:25 Qu'on contrôlait ma vie, j'étais comme un espèce de pantin.
04:28 C'est quand que vous avez décidé à m'écouter, genre.
04:30 Ça a duré plus longtemps, le harcèlement,
04:31 parce qu'en fait, on m'attendait dehors au collège
04:35 et on me frappait, en fait.
04:37 Et puis, j'essayais de passer le plus souvent mes récrés aux toilettes.
04:41 Des fois, je ne mangeais pas, genre.
04:42 J'avais trop peur de rentrer dans la cantine, genre.
04:44 Donc, après ces années-là, j'étais chez une femme d'accueil
04:48 avec qui, au début, ça a été compliqué.
04:50 Elle était veuve.
04:51 Je veux dire, je n'étais pas facile.
04:52 Je venais d'avoir tout ce background.
04:53 Je pense que c'était important qu'elle puisse m'écouter.
04:56 Je pense qu'à ce moment-là, elle, elle ne pouvait peut-être pas.
04:59 Il y avait quand même aussi un jeune homme qui était très macho.
05:03 Parce que voilà, j'étais gay.
05:04 J'étais très efféminé.
05:05 Je ne l'assumais pas encore parce que voilà, j'avais peur,
05:08 mais je ne pouvais pas faire ce que je voulais.
05:10 Et donc, du coup, je ne me sentais pas libre.
05:11 Quand il est parti, il y avait vraiment un truc qui...
05:14 Parce qu'il est parti au bout de deux ans, je ne sais plus.
05:15 Ça m'a vraiment fait du bien.
05:17 Et en fait, j'ai commencé à ce moment-là à apprendre,
05:20 à connaître la femme d'accueil dans laquelle j'étais.
05:22 Ça, c'est un petit peu mieux passé.
05:24 Après, il y a toujours des moments où ça se passe...
05:25 C'était très compliqué quand même.
05:28 C'est ce que j'avais besoin de m'exprimer.
05:29 Depuis tout petit, j'ai toujours rêvé d'être à Paris.
05:32 Quand j'étais dans ma toute première femme d'accueil,
05:33 je priais devant la salle de bain en mode,
05:35 "Je veux aller à Paris, j'espère qu'un jour je serai à Paris."
05:37 Je suis allé dans un lycée professionnel de mode.
05:40 Donc, j'ai fait mon stage à Paris.
05:42 J'ai fait une rencontre superbe, je vous en parlerai après.
05:44 Là, j'ai vécu comme un espèce de rêve
05:46 où j'avais l'impression d'être moi-même et c'était incroyable.
05:49 Cette puissance de se dire, "Tu peux arriver à faire des choses.
05:51 Tu es capable, mon gars."
05:53 Après, le rêve, c'est cendrillon.
05:55 Après, tu reviens dans la campagne et tout.
05:57 Elle m'a dit une phrase que je n'ai pas pu supporter.
06:00 Elle m'a dit, "Ecoute, tu iras là où on te dira d'aller,
06:02 tu feras ce qu'on te dira de faire."
06:04 J'avais connu cette liberté.
06:05 Le fait qu'on me renferme comme ça, ce n'était pas possible.
06:07 Et en fait, à ce moment-là, j'ai tellement pété les plombs
06:10 qu'elle m'a menacé d'appeler la police.
06:13 Et j'ai dit, "Non, non, ce n'est pas possible."
06:15 Et en fait, elle allait vers la fenêtre.
06:17 Avec ma main, je traverse la vitre.
06:20 Et en fait, là, j'ai encore le petit truc.
06:25 On a pleuré ensemble.
06:26 C'est-à-dire qu'à la fin, on se détestait,
06:28 mais c'était tellement un moment hyper fort.
06:30 Elle m'a pris dans ses bras.
06:31 Elle m'a dit, "OK, je vais te piquer l'ambulance
06:32 parce qu'il y avait du sang partout."
06:33 Et donc après, elle m'a dit, "Écoute, ce n'est pas possible.
06:36 Je ne peux pas te garder.
06:37 On va se tuer."
06:38 Et donc après, je suis allé chez une femme d'accueil relais.
06:41 Le temps de m'installer à Toulouse, dans un appartement,
06:44 de voir la suite pour moi.
06:46 Et après, je suis arrivé à Paris.
06:47 Et en fait, la personne que j'avais rencontrée en stage à Paris,
06:51 on a ce projet d'adoption, qu'il devienne mon père.
06:55 Parce qu'il a été là,
06:56 et ça fait maintenant trois ans qu'on a ce projet-là.
06:59 Les séquelles de ce que j'ai vécu,
07:01 c'est la peur de l'abandon, la peur de l'engagement,
07:04 la peur de ne pas réussir, la peur d'être seul par moment,
07:08 la peur de ne pas être compris.
07:09 Mais ça va beaucoup mieux.
07:10 Mais c'est quand même, au niveau relationnel, amour,
07:14 je n'y arrive pas du tout.
07:16 Je ne veux pas appartenir à quelqu'un.
07:19 Et je ne veux pas que cette personne m'appartienne.
07:21 Enfin, voilà.
07:22 J'ai l'impression de ne pas le mériter, en fait.
07:25 Je ne sais pas, je n'ai pas l'impression d'être compatible avec le couple,
07:27 ou j'ai l'impression que j'aurais toujours des problèmes avec ça,
07:30 que je ne suis pas assez comme si pour une personne,
07:32 je ne suis pas assez comme ça pour une autre personne.
07:33 Enfin bref.
07:34 Donc, pas de couple, pas de risque.
07:36 Pour l'instant, je pense que c'est bien que je puisse me protéger de ces choses-là.
07:39 Peut-être le temps que je guérisse ou un truc comme ça,
07:41 et après revenir dans le game, genre un game de l'amour.
07:44 Je suis très reconnaissant de tout ce qu'on a pu faire pour moi.
07:46 Vraiment, je ne regrette absolument rien.
07:48 Si c'était à refaire, je ne le referais pas.
07:50 Clairement, c'est vraiment un truc en plus.
07:53 Et je suis très content.
07:55 [SILENCE]
08:00 Merci à tous !

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