L'Heure des Livres : Gérald Bronner

  • l’année dernière
Anne Fulda reçoit Gérald Bronner pour son livre «Les origines. Pourquoi devient-on qui l’on est ?» dans #HDLivres

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Transcript
00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Gérald Bruner.
00:02 Alors vous êtes sociologue, vous êtes également professeur à la Sorbonne et membre de l'Académie de médecine.
00:07 Vous avez déjà publié de nombreux essais, dont Apocalypse Cognitive.
00:11 Et là, vous venez de publier Les Origines, Pourquoi devient-on ? Qui l'on est ?
00:15 Et c'est un livre qui est publié dans la collection Les Grands Mots, aux éditions Autrement.
00:20 Alors c'est un livre qui mélange l'intime, les souvenirs, votre propre expérience personnelle, vos souvenirs.
00:29 Et l'étude sociologique, et partant de votre cas personnel, qui montre que finalement on peut être ce qu'on appelle aujourd'hui un transclasse heureux.
00:39 Alors justement, parlez-nous de vos origines justement, dont vous n'avez pas eu conscience pendant longtemps, ce que vous dites d'ailleurs.
00:46 Non, en effet, j'ai appris même tardivement que j'étais un transclasse.
00:49 Un transclasse, c'est quelqu'un qui passe d'une classe sociale à l'autre, si je puis dire.
00:52 Ça peut être ascendant ou descendant. Moi, je suis ascendant.
00:54 C'est-à-dire que je viens d'un milieu modeste. Ma mère a été longtemps femme de ménage.
00:59 J'ai grandi les premières années de ma vie en banlieue HLM, comme on dit.
01:03 Et en effet, on m'a proposé à l'occasion de cette collection de revenir non seulement sur mon parcours personnel,
01:08 puisque je suis maintenant professeur à la Sorbonne, donc on peut dire qu'en effet, je suis un nomade social.
01:14 Je préfère ce terme d'ailleurs au terme de transclasse.
01:16 Oui, parce que je reviens sans cesse à mes origines, dans ma famille, mes amis d'adolescence.
01:21 Je n'ai pas perdu, je n'ai pas coupé mes racines en gagnant des amis.
01:24 - Vous n'êtes pas renié ? - Non, non, du tout. Non seulement, je n'ai pas renié.
01:27 - Aux origines ? - Je n'ai pas renié. Je suis plutôt fier et heureux.
01:29 Parce que le sujet du livre, c'est... Parce que je suis sociologue des croyances.
01:32 Originellement, c'est ça qui m'intéresse. J'ai traité ce sujet comme une croyance.
01:36 Quelles sont les croyances qu'on se raconte par rapport à soi-même, en fait ?
01:40 Les fictions de soi-même. Et en effet, dans le polyèdre de notre personnalité,
01:45 c'est une situation très complexe. On peut éclairer une facette ou une autre.
01:49 Et moi, peut-être avec un peu de volontarisme, je préfère éclairer les facettes lumineuses
01:53 plutôt que les facettes douloureuses qui existent aussi de mon passé.
01:57 Bien sûr. Alors, surtout, vous vous posez comme finalement un élément, enfin pas un élément,
02:04 un produit de ce qu'on appelle la méritocratie.
02:08 Et c'est un terme qui est un peu récrié en ce moment,
02:11 comme si finalement, avoir gravi les échelons grâce à son travail,
02:17 ce n'était pas quelque chose d'aussi positif que ça.
02:19 C'est un sujet qui est central dans les démocraties contemporaines,
02:22 en particulier en France, parce que malgré tout, les statistiques sont difficiles sur ce sujet.
02:26 La France est un pays très reproducteur d'inégalités, en tout cas dans les pays de l'OCDE.
02:30 Et c'est vrai que la méritocratie fait des promesses.
02:32 C'est une fiction républicaine à laquelle je tiens, c'est vrai.
02:36 Mais elle fait des promesses qu'elle ne tient pas.
02:38 La plupart des enfants d'origine modeste ont objectivement moins de chances de réussir que les autres.
02:43 Quelles en sont les raisons ?
02:44 Justement, je détaille un peu ça dans mon livre, mais pas seulement parce que ce n'est pas le seul sujet.
02:50 Mais il est vrai que le problème de la méritocratie comme système
02:54 peut donner l'impression à ceux qui n'ont pas réussi et qui ont quand même travaillé,
02:57 qu'ils n'ont pas de mérite.
02:59 Donc, ça crée toute une série de nos concitoyens qui se sentent humiliés
03:02 parce qu'ils ne se sont pas regardés.
03:04 Alors moi, j'ai la chance de faire partie de ceux.
03:07 Et je dis bien la chance parce qu'il faut de la chance aussi.
03:09 Il y a du hasard dans la vie.
03:11 Et c'est ce que je raconte.
03:12 Ce n'est pas seulement vos origines sociales, c'est les rencontres,
03:14 c'est les amis, ce qu'on appelle les pères, P-A-I-R-S.
03:18 C'est toute une série de choses.
03:20 Et je pense qu'arriver à une forme de sérénité,
03:24 peut-être de sagesse, je ne sais pas,
03:26 c'est rendre toute sa part que l'on doit au hasard dans son parcours,
03:30 même quand il a été couronné de succès pour certains d'entre nous.
03:34 Alors, il y a quelque chose contre lequel vous vous élevez,
03:36 c'est ce que vous appelez le discours doloriste.
03:39 Oui.
03:40 Alors, parlez-nous justement de ce discours doloriste.
03:42 Oui, parce que justement, l'objet de mon livre,
03:45 c'est de tenter de se rencontrer soi-même, comme on essaye tous de le faire.
03:49 On n'y arrive jamais tout à fait.
03:50 Mais par contre, il y a des grandes erreurs, à mon avis, à évider.
03:52 La grande erreur qui illustre le dolorisme, entre autres,
03:56 c'est de rapporter toute sa personnalité à une seule variable.
03:59 J'aurais subi un traumatisme dans mon enfance, une humiliation particulière, etc.
04:04 qui expliquerait le tout de ma personnalité,
04:06 ce que je n'arrive pas à comprendre dans mon présent.
04:08 C'est normal de regarder le passé pour essayer de comprendre.
04:11 Généralement, nous regardons le passé pour demander des comptes.
04:13 Et c'est exactement ce que fait le dolorisme,
04:15 sous la plume d'ailleurs tout à fait respectable de grands auteurs.
04:19 Les prix Nobel de littérature.
04:21 Annie Ernaux, Édouard Louis et beaucoup d'autres.
04:23 Et ce qui m'a frappé, c'est que pendant longtemps,
04:25 les transclasses, les nomades sociaux étaient plutôt fiers.
04:28 Ils étaient reconnaissants, notamment vers la République.
04:30 On en trouve plein de récits tout au long du 19e siècle et du 20e siècle.
04:34 Mais là, il y a une nouvelle mode narrative.
04:36 C'est presque une obsession qui pointe la honte.
04:38 Ces gens ont honte de leurs origines, mais ils ont honte d'avoir eu honte.
04:42 Donc, c'est une honte redoublée, retriplée.
04:45 Et je ne juge pas leurs affects.
04:46 Je ne suis pas là pour ça, ni leur qualité littéraire,
04:48 mais en tant qu'objet sociologique, je trouve ça intéressant.
04:51 Oui, c'est une sorte de longue plainte qui n'en finit pas.
04:54 Mais comment, comment contrer et répondre justement à cette tendance
04:58 qui se développe depuis quelque temps ?
05:01 D'abord, en prenant acte du fait que depuis que j'ai sorti ce livre,
05:04 et c'est récent, il y a à peine 10 jours, 15 jours,
05:07 eh bien, j'ai reçu des dizaines, peut-être même des centaines de messages
05:12 de gens qui se reconnaissent être transclasses, qui me disent merci,
05:16 qui ont l'impression qu'ils respirent de nouveau de l'oxygène.
05:20 Pour eux, j'ai mis des mots sur leur parcours personnel,
05:24 même si je ne suis pas du tout un porte-parole de qui que ce soit.
05:26 Et donc, déjà, répondre en écrivant un livre, c'est ce que j'ai fait.
05:30 Mais c'est vrai que le dolorisme et beaucoup d'autres récits
05:33 savonnent la pente de ce qu'on appelle le biais d'autocomplaisance.
05:36 Et c'est ça qu'il faut éviter, c'est-à-dire cette capacité que nous avons tous
05:39 à nous applaudir nous-mêmes pour nos réussites
05:42 et à penser que nos échecs sont dus à la méchanceté des autres
05:44 ou à quelques variables environnementales.
05:46 Ça peut être vrai, d'ailleurs, dans certains cas,
05:48 mais ce n'est pas comme ça qu'on se rencontre soi-même
05:50 et qu'on fait la paix avec soi-même.
05:51 En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire ce livre,
05:54 Les Origines, pourquoi devient-on qui l'on est ?
05:56 C'est donc paru aux éditions Autrement.
05:59 Merci beaucoup, Gérald Bonheur.
06:00 Merci.
06:02 [Musique]
06:05 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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