OUI, LE PEN A TORTURÉ EN ALGÉRIE, AU NOM DE LA FRANCE : ALAIN RUSCIO, JULIEN THÉRY

  • l’année dernière
Dans une émission historique récemment diffusée sur France Inter, un historien de la guerre d'Algérie pourtant reconnu pour le sérieux de ses travaux, Benjamin Stora, s'est laissé aller à déclarer que « Jean-Marie Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie »... avant de devoir rapidement se rétracter et démentir cette contre-vérité, face au scandale suscité auprès de celles et ceux qui ont enquêté et se sont battus naguère pour établir et faire connaître les faits.

Un si étonnante « erreur » sur un cas pourtant bien connu et emblématique, de la part d'un historien qui s'est rapproché du pouvoir, apparaît symptomatique du phénomène général de dé-diabolisation et de respectabilisation de l'extrême-droite en France ces dernières années. C'est l'occasion pour Julien Théry, avec son invité Alain Ruscio, historien de la décolonisation française et spécialiste, entre autres, du rôle de l'extrême droite pendant la Guerre d'Algérie, de revenir non seulement sur l'action de Jean-Marie Le Pen comme lieutenant du 1er Régiment étranger de parachustistes en 1956-1957 à Alger, mais aussi sur la progressive reconnaissance de son action de tortionnaire, jusqu'au livre publié à ce sujet par la journaliste du Monde Florence Beaugé en 2005 et l'échec final, la même année, de la procédure judiciaire en diffamation intentée par Jean-Marie Le Pen.
Alain Ruscio souligne aussi, au-delà du cas Le Pen et de l'usage systématique de la torture à l'instigation des gouvernements français pendant la grande répression d'Alger et tout au long de la guerre d'Algérie, que la torture pratiquée sur les « indigènes » était une méthode de domination et de maintien de l'ordre ordinaire dans les colonies françaises depuis le XIXe siècle. Son usage était inhérent au rapport de sujétion des colonisés avec les colonisateurs.

Sur la question, voir aussi notamment le dossier proposé par le site web Histoire coloniale et décoloniale (https://histoirecoloniale.net/-Le-Pen-et-la-torture-.html), le documentaire de José Bougarel "Le Pen et la torture, la question", librement accessible sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=HjeN9QONaMo) et l'épisode de La Grande H., l'émission d'histoire du Média, consacré aux travaux de l'historienne Raphaëlle Branche (Guerre d'Algérie : tortures et exécutions au nom de la France : https://www.youtube.com/watch?v=E-dLfJUHbto).
Transcript
00:00 Mais on s'autorise à penser dans les milieux autorisés.
00:05 Alors ça c'est un pas à un autre truc.
00:07 Les milieux autorisés, vous y êtes pas.
00:09 Bonjour à tous. Je reçois aujourd'hui l'historien Alain Russiot.
00:22 Oui, bonjour.
00:23 Bonjour Alain Russiot, spécialiste d'histoire de la colonisation française et de la décolonisation.
00:30 Récemment, en particulier ces dernières années, vous avez travaillé sur la guerre d'Algérie.
00:34 Du point de vue d'un côté de l'OAS, de l'extrême droite, des ultras d'Algérie, avec ce livre Nostalgierie.
00:40 Entre autres, l'interminable histoire de l'organisation de l'armée secrète.
00:44 L'OAS, vous avez travaillé aussi sur le rôle des communistes.
00:47 Bien sûr. Et sur d'autres forces politiques.
00:50 Sur d'autres forces politiques, oui. Et puis vous avez contribué, tout récemment, ça sort là, à un grand ouvrage qui va paraître chez Bouquin.
00:59 Un grand dictionnaire de la guerre d'Algérie qui a été dirigé par Tramor, Comoner, Wanassa, Siari, Tengour et Sylvie Ténault.
01:07 En rédigeant un certain nombre de notices.
01:10 Alors si j'ai voulu vous inviter aujourd'hui, c'est pour une raison toute particulière, un peu ponctuelle en quelque sorte.
01:18 À l'occasion d'une polémique liée à un podcast historique, à une émission historique retransmise par France Inter,
01:25 au cours de laquelle on a pu entendre récemment un historien, pourtant auteur d'une oeuvre importante,
01:32 mais qui semble avoir évolué ces dernières années, dire que Jean-Marie Le Pen, je cite,
01:37 "n'a sans doute pas pratiqué la torture pendant la guerre d'Algérie".
01:40 Il s'agit d'une émission consacrée à Jean-Marie Le Pen. C'est un portrait en plusieurs épisodes.
01:44 Ça s'appelle "Jean-Marie Le Pen, l'obsession nationale". Et on y entend donc ces mots.
01:49 Une sorte de blanchiment en quelque sorte de l'action de Jean-Marie Le Pen à cet égard en Algérie.
01:54 Comme l'a dit, ce sont les mots, un blanchiment de Florence Baugé, une historienne journaliste
02:00 qui a fait un livre d'histoire sur la question de Le Pen et la torture pendant la guerre d'Algérie.
02:05 C'est évidemment une contre-vérité. On va y revenir avec vous. C'est pour cela donc que je vous ai invité.
02:12 Il y a plein d'éléments qui permettent de savoir que Jean-Marie Le Pen a effectivement torturé.
02:16 D'ailleurs, il ne s'en est pas caché à l'époque. On va y revenir.
02:19 C'est important, me semble-t-il, du point de vue de la gauche aujourd'hui, du point de vue politique général aujourd'hui,
02:26 parce que ce blanchiment, en quelque sorte, participe d'une respectabilisation générale de Jean-Marie Le Pen,
02:35 du parti qu'il a fondé avec d'autres anciens collaborateurs ou partisans de l'Algérie française.
02:41 Au Média, on a toujours été préoccupé par ces affaires. Il y a eu une émission "La Grande H", avec Raphaël Branche, l'historienne.
02:49 Raphaël Branche, cette émission est toujours en ligne, bien sûr, sur YouTube, avec cette historienne donc,
02:55 qui a rédigé au début des années 2000 la première thèse d'histoire fondée sur des recherches scientifiques en archive
03:02 qui montrent que la torture a été pratiquée de façon massive, systématique en Algérie.
03:07 On voit bien qu'aujourd'hui, il y a des révisions de l'histoire, en quelque sorte, notamment autour de cette figure de Jean-Marie Le Pen,
03:15 et dire, mettre en doute le fait qu'il ait pratiqué la torture, ça participe évidemment de manière grossière de cette entreprise de respectabilisation.
03:25 – Oui, merci déjà de votre invitation. Merci de cette mise sous les projecteurs, grâce à l'actualité, effectivement, de la publication.
03:34 Donc, je rappelle, c'est le dictionnaire de la guerre d'Algérie, vous m'avez fait le plaisir de citer mon nom parmi les contributeurs,
03:40 mais je suis un modeste contributeur, nous sommes sans doute une centaine, peut-être quelque chose comme ça.
03:46 Moi, j'ai rédigé une douzaine de notices, parmi lesquelles, il se trouve que j'ai rédigé la notice concernant le parcours colonial,
03:54 algérien en particulier, bien sûr, de Jean-Marie Le Pen.
03:57 Mais lorsque vous invitez un historien, vous prenez un grand risque, c'est celui que nous tombons tous, d'ailleurs, dans notre péché mignon,
04:07 mais je crois que vous partagez également ce genre de choses, à savoir de remonter le temps.
04:11 Et je dois déjà évoquer ma surprise, je dirais presque mon effarement, lorsque j'ai entendu des débats parlant de la torture pendant la bataille d'Alger,
04:22 comme si cette torture avait été pratiquée, je dirais pas seulement, mais principalement dans la bataille d'Alger, lors de la bataille d'Alger.
04:30 Certes, ça a été un paroxysme, mais je dirais, sous une forme un petit peu peut-être provocatrice,
04:37 mais en tout cas basée sur des recherches historiques qui sont le fait de plusieurs dizaines de collègues,
04:43 je dirais que la torture en Algérie a existé depuis qu'il y avait des décolonisateurs et décolonisés, des indigènes et des policiers et des militaires.
04:58 – C'est-à-dire que ça remonte au 19e siècle, la conquête de l'Algérie.
05:01 – Ça remonte au 19e siècle. Il y a été lue des tortures à partir de...
05:06 dans les jours qui ont suivi le 14 juin 1830, le jour où le corps expéditionnaire français a débarqué à Sidi Fretch,
05:13 ou Sidi Ferouche, si elle est prononcée à la française, je n'en sais rien.
05:17 Ce qui est sûr, c'est qu'il y a beaucoup de traces. Je vais vous en citer quelques-unes.
05:21 En 1892, donc fin 19e, un malade assez célèbre qui s'appelait Karl Marx était donc très malade,
05:31 on était d'ailleurs à quelques mois avant sa mort, et les médecins lui préconisent d'aller prendre le soleil en Algérie.
05:38 Il va vivre quelques semaines à Alger. Il est reçu par un certain Albert Fermet,
05:42 qui était un militant qu'on dirait aujourd'hui... disons qu'il était dans la tendance blanquiste,
05:49 membre de la première internationale, blanquiste, etc.
05:54 Fermet dit la chose suivante à Marx, et là je me permets de lire mes notes.
05:59 Donc 1892, et Marx... - 1892, je pense.
06:02 - 92. - 92 ? Marx est mort en 83.
06:05 - 82, c'est vous qui avez raison. Marx est mort en 83. On est dans l'année du...
06:09 Malheureusement, on ne va pas parler de son décès. 82, vous avez évidemment raison.
06:15 8 avril 82, pour être précis. Marx écrit à Engels et rapporte les propos d'Albert Fermet.
06:22 On utilise, citation, "on utilise une sorte de torture pour extorquer les aveux aux Arabes".
06:28 1882. Je pense les années 1939. Un jeune journaliste qui s'appelait Albert Camus,
06:37 qui travaillait donc à l'époque pour Algiers Républicain, on peut discuter,
06:42 et je fais partie des gens qui ont un regard assez sévère parfois sur les engagements,
06:47 les non-engagements de Camus pendant la guerre d'Algérie.
06:50 Mais en 1939, il est ouvertement dans la critique, je dirais pas radicale,
06:55 anti-colonialiste, mais dans la critique des pratiques, en tout cas, de l'armée française.
06:59 Camus intitule un de ses articles, le 22 juin 1939 d'Algiers Républicain,
07:07 "Les tortures infligées par la sûreté". 22 juin 1939. Et le 25 juin, donc trois jours plus tard,
07:15 il parle des tortures d'une jeune détenue qui se prénommait Aïcha, citation de Camus.
07:21 Donc évidemment, tous ces textes, je les mets à la disposition des gens qui voudront bien m'interroger.
07:26 Citation, "Elle a été torturée pendant huit jours. Elle a été frappée, déshabillée,
07:31 au point qu'elle arrivait, qu'elle urinait à force de coup". 25 juin 1939.
07:35 On est donc 20 ans avant, 18 ans avant la bataille d'Algiers.
07:40 – Et bien avant l'insurrection, bien avant le début de la guerre de libération antérieure.
07:45 – Toujours avant l'insurrection, Claude Bourdet, 1951, dans le journal "L'Observateur",
07:50 qui s'appelait à l'époque "France Observateur", pour être plus précis.
07:53 – Donc encore trois ans avant le début de la guerre d'Algérie.
07:55 – Trois ans, voilà, exactement trois ans. On est en décembre 1951,
07:58 Claude Bourdet interroge, "Y a-t-il une gestapo algérienne ?"
08:02 – Sous-entendu de la part des colonisateurs. – Voilà, bien sûr.
08:05 Et donc c'est une dénonciation, mais il y a quand même à ce moment-là un point d'interrogation.
08:09 On franchira le pas à partir de novembre 1954.
08:12 – Par exemple, il donne le sentiment que finalement, c'est une pratique structurelle
08:15 de la part du pouvoir colonial sur les Indizen, pour maintenir l'ordre, quoi.
08:20 – Mais c'est un phénomène universel, c'est un phénomène universel.
08:24 Si vous permettez, je vous ai fait voyager un peu dans le temps,
08:27 je vais vous faire voyager un petit peu dans l'espace.
08:30 1935, en Indochine, André Violi, c'est André Hoss, c'est une journaliste très célèbre,
08:35 qui était du même calibre qu'Albert Londres par exemple,
08:37 aussi célèbre qu'Albert Londres à son époque.
08:39 André Violi va en Indochine, elle travaille pour le Petit Journal,
08:43 donc ce n'est pas un journal de… le Petit Parisien, pardon, je rectifie.
08:47 – Donc c'est une colonie française, je le rappelle,
08:49 qui correspond aux actuelles Vietnam, Cambodge et Laos.
08:53 – Exactement, vous avez raison de le préciser.
08:55 – On appelait ça l'Indochine.
08:56 – On appelait ça l'Indochine.
08:57 Donc André Violi dénonce dans son livre "SOS Indochine" publié chez Gallimard,
09:02 qui n'est pas non plus un éditeur d'extrême-gauche,
09:05 André Violi dénonce la torture à l'électricité.
09:08 Et il dit que c'est une colonie française,
09:10 c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:13 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:16 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:19 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:22 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:25 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:28 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:31 Et c'est une colonie française qui a été colonisée par les Vietnames.
09:34 Jules Ferry, qui est un des pères de la République,
09:37 et qui est un des pères de l'école pour tous,
09:40 a parlé des races inférieures et des races supérieures
09:43 dans un discours de juillet 1885.
09:45 Toutes ces choses-là,
09:47 et comment peut-on imaginer que des exécutants,
09:51 je dirais sans mépris,
09:53 mais des petits officiers ou sous-officiers,
09:56 des petits policiers de terrain,
09:58 imbus de leur supérieur terrestre,
10:01 constatant qu'il y a des résistances, qu'il y a des oppositions,
10:04 n'utilisent pas la torture. La torture a été utilisée.
10:07 Je ferme cette parenthèse historique, mais j'y tiens beaucoup,
10:10 parce qu'il n'y a aucune raison d'être étonné, hélas,
10:15 de l'utilisation de la torture pendant cet autre paroxysme
10:18 qui a été la guerre d'Algérie.
10:20 – Et c'est lié au fait, au fond, qu'il n'y a pas, finalement,
10:23 de statut de citoyenneté, de droit personnel des indigènes,
10:28 des colonisés, qui soit comparable au droit de citoyenneté
10:31 des colonisateurs, finalement.
10:33 – Voilà, tous les indigènes sont des sujets.
10:36 Aucun d'entre eux n'est citoyen.
10:38 Je rectifie, quelques-uns d'entre eux,
10:41 dans ce qu'on appelait les quatre communes du Sénégal,
10:43 ou quelques "évolués" ont eu accès à la citoyenneté.
10:48 En Algérie, les Juifs sont devenus citoyens
10:51 par le décret crémieux de 1870, mais bon, ce sont des exceptions.
10:55 – Et les autres, ils sont soumis aux codes de l'Indie.
10:57 Aux différents codes de l'indigénat.
10:59 – Ils sont soumis aux codes de l'indigénat,
11:01 ils sont soumis au règne du coup de pied aux fesses,
11:03 au règne du tutoiement, au règne des tâches les plus dégradantes
11:08 et les plus pénibles, et parfois au travail forcé.
11:12 Je pense qu'on ne s'éloigne pas du sujet.
11:16 Le travail forcé a été condamné par l'Organisation internationale du Travail,
11:21 qui avait eu son siège à Genève à l'époque,
11:23 en permanence pendant l'entre-deux-guerres.
11:26 Quels sont les deux seuls pays qui se sont opposés aux résolutions ?
11:29 C'est la France et le Portugal.
11:31 Voilà, deux pays qui se sont opposés et qui ont maintenu…
11:34 – Qui avaient de vastes colonies.
11:35 – Qui avaient de vastes colonies.
11:36 Le travail forcé a été légalement interdit en France
11:40 par la loi Oufoué de Boigny de 1946,
11:43 donc vous voyez, à l'aube de la 4ème République.
11:46 Donc tous ces éléments font qu'effectivement,
11:48 il y avait deux sociétés, comme disait Augustin Berc,
11:51 pour le père de Jacques Berc, disait cela pour la société algérienne,
11:55 il y avait une juxtaposition de deux humanités.
11:58 Une humanité qui dominait, une humanité qui était dominée.
12:01 – Quand vous citez le tutoiement des forces de l'ordre
12:04 ou du colon spontané à l'égard du colonisé,
12:07 comme emblème finalement de cette oppression,
12:10 de cette inégalité fondamentale et de toutes les violences qui vont avec,
12:14 ça fait aussi penser singulièrement à des situations contemporaines,
12:17 où certaines catégories de la population se trouvent spontanément tutoyées
12:20 par les forces de l'ordre, plus que d'autres.
12:22 – Bien sûr, je pense que c'est…
12:25 le fond de la pensée de ces gens qui utilisent le tutoiement,
12:28 c'est la notion de grands-enfants finalement.
12:31 On a face à soi des gens qui sont en évolution vers une vraie humanité
12:36 mais qui ne parviendront sans doute jamais.
12:39 – Et aujourd'hui ça renvoie aussi finalement à une situation post-coloniale,
12:43 en métropole, ou aux effets de long terme et aux permanences des effets
12:47 du rapport colonial, du rapport indigène-colonisé.
12:50 – Bien sûr, vous savez moi je travaille depuis très longtemps
12:53 sur les mentalités coloniales.
12:55 En 96 j'ai publié un livre qui s'appelle "Le credo de l'homme blanc"
12:58 aux éditions Complexe.
13:00 Dans ce credo de l'homme blanc, je décrivais un petit peu tous ces aspects,
13:04 je n'ai pas le temps de les développer aujourd'hui,
13:06 mais effectivement on retrouve, ne soyons pas caricaturaux,
13:11 je ne dis pas que la situation d'une partie de la société française aujourd'hui
13:15 est en situation coloniale, je ne le pense pas,
13:18 mais il y a quand même des aspects, des comportements,
13:22 des prises de distance, des mépris, le mépris colonial
13:26 qui subsistent dans la société française du 21ème siècle.
13:29 – Alors si on en revient à ce qui a déclenché finalement l'émission d'aujourd'hui,
13:34 même si on voit bien que c'est des questions générales qui sont en cause,
13:37 c'est-à-dire ce soudain blanchiment spontané de Jean-Marie Le Pen,
13:40 dont on savait très bien qu'il a torturé, comme je le disais tout à l'heure,
13:45 il s'en est vanté même à l'époque, on a de très nombreux témoignages en ce sens,
13:49 alors il n'y a pas de preuves écrites, quoique il y ait des rapports en fait,
13:52 qui avaient été publiés par Pierre Vidal-Naquet à l'époque,
13:55 des rapports officiels, enfin internes, à l'administration,
13:57 qui disent que le lieutenant Le Pen du 1er Régiment étranger de parasutistes,
14:02 parmi d'autres, le 1er REP, a torturé.
14:06 Qu'on se retrouve comme ça dans une émission très largement diffusée
14:09 sur France Inter, avec une sorte de dérapage comme ça et de falsification,
14:13 même si après, de la part du journaliste Philippe Collin,
14:16 et même de la part de l'historien en cause, face à la réaction de Florence Baugé notamment,
14:20 il y a eu rétro-pédalage, ils ont fini par admettre que,
14:24 en fait, il est plus que probable qu'il a torturé,
14:28 c'est symptomatique, disons, d'une extrême droitisation,
14:32 ou si on veut, d'un retour, d'une sorte de pétennisme profond,
14:37 puisque Le Pen est un représentant de cette tradition pétenniste française.
14:42 Dans le débat public, bien sûr, qui concerne Jean-Marie Le Pen lui-même,
14:46 mais surtout sa fille héritière et le parti qu'elle a repris,
14:51 dont tant de gens, finalement, en tout cas dans les classes dirigeantes,
14:55 voudraient en quelque sorte faire un partenaire,
14:57 ou en tout cas dont on reprend les propositions politiques dans une large mesure.
15:01 Revenons peut-être un petit peu, donc, cette fois-ci, sur le cas Le Pen,
15:05 sur, en particulier, son intervention au début de 1957 à Alger
15:10 au cours de ce mouvement de répression extrêmement intense dans Alger,
15:14 qu'on a appelé improprement, je crois, la bataille d'Alger,
15:16 qu'on doit plutôt appeler la grande répression d'Alger.
15:19 Oui, en fait, c'était une armée mobilisée, une armée, une police,
15:23 mais surtout une armée, sous les ordres du général Massu,
15:27 qui était mobilisée contre une population.
15:29 D'ailleurs, beaucoup de participants, même du côté militaire,
15:33 n'éprouvaient pas une particulière fierté.
15:36 Bijar, lui-même, dans ses mémoires, a dit que ce n'était pas une bataille.
15:39 C'était un travail de policier qui ne nous plaisait pas,
15:41 mais on nous l'avait demandé.
15:43 Et les autorités politiques, nous n'oublions jamais les autorités politiques.
15:47 C'est un gouvernement socialiste.
15:48 C'est un gouvernement socialiste.
15:49 Il faut quand même le rappeler, un dominant socialiste, c'est l'ASFIO, c'est Guy Mollet.
15:52 Ça n'est pas la droite.
15:53 Guy Mollet, qui est premier secrétaire de l'ASFIO,
15:55 et qui est effectivement président du Conseil à l'époque.
15:58 Max Lojeune, enfin, et puis Robert Lacoste,
16:02 qui est ministre de l'Algérie, qui, lui, réside sur place.
16:05 Donc tous ces gens-là sont des gens qui décident la répression,
16:10 ce qui n'enlève rien à la dénonciation que l'on doit faire,
16:14 également, de ce qui applique la répression.
16:16 En tout cas, cette bataille d'Alger n'a pas été une bataille d'Alger.
16:18 Ça a été, effectivement, une guerre à la population.
16:20 – Et il y a un enjeu politique, parce que c'est un moment
16:22 où le FLN s'apprête devant les institutions internationales,
16:26 devant l'ONU en particulier, à dénoncer la situation.
16:30 Et il a appelé, je crois, à une grande grève,
16:31 pour montrer que la population est de son côté.
16:33 – Qui était très suivie.
16:35 – C'est ça, on demande à l'armée française de faire de la politique
16:37 contre la population, pour conforter la position politique de la France à l'ONU.
16:41 C'est ça le contexte.
16:42 – Oui, le contexte, c'est ça.
16:43 – Et donc, pour ça, on va approuver, le pouvoir politique va approuver
16:46 des mesures mises en œuvre par Massu de répression ultra-violente
16:49 et de torture massive contre la population.
16:51 – Non pas approuver, mais… – Demander, en fait.
16:56 – Demander, ordonner, pratiquement, ordonner, inspirer.
16:59 Bon, donc, le lieutenant Jean-Marie Le Pen,
17:05 après d'ailleurs un court séjour en Indochine,
17:07 parce qu'il nous aura tout fait, cet homme,
17:11 donc il arrive en Indochine après l'idée de Bienfaud,
17:14 donc il n'a pas véritablement combattu.
17:16 – La grande défaite de 1954 qui signe la fin de la colonisation française.
17:19 – La grande défaite de 1954, tout à fait.
17:21 Donc d'ailleurs, entre parenthèses, regardez l'importance de ces guerres d'Indochine
17:26 sur laquelle peu de gens travaillent,
17:28 bien qu'il y ait une nouvelle génération qui travaille aujourd'hui,
17:31 je rectifie un petit peu, 7 mai 1954, Dien Bien Phu,
17:36 20 juillet 1954, les accords de Genève qui mettent fin à la guerre d'Indochine
17:41 et 1er novembre 1954, déclenchement de la guerre d'Algérie.
17:45 Il n'y a aucune conséquence dans l'histoire.
17:47 Les 100 jours, ce que j'ai appelé les 100 jours de l'Empire colonial,
17:50 entre juillet et novembre 1954, ce sont des jours de gestation,
17:54 de la prise de décision de la lutte armée de la part du FLN.
17:59 Je reviens donc à la bataille d'Alger, à la fausse bataille d'Alger.
18:04 Alors première surprise en écoutant effectivement cette émission sur France Inter,
18:10 c'est une approximation chronologique.
18:13 Pour moi, et je pense que la totalité des historiens connaissent ces dates,
18:19 Jean-Marie Le Pen a été en Algérie d'octobre 1956 à mai 1957.
18:25 Donc il est présent lors de la première phase de la bataille d'Alger.
18:29 Ça n'enlève rien de toute façon, puisque comme je viens de le démontrer,
18:34 la torture a été pratiquée pendant toute la guerre d'Algérie.
18:37 Donc déjà ça discrédite un premier argument qui serait un argument chronologique
18:42 qui dirait finalement il n'y était pas.
18:44 Mais si, on a torturé avant la bataille d'Alger,
18:46 on a torturé après la bataille d'Alger.
18:48 La différence, peut-être également connue par le film de Gillo Pontecorvo,
18:53 c'est que c'était manifeste, affirmé, proclamé,
18:59 et même l'objet de déclarations d'état-major de grande fierté.
19:06 On a ramené la paix à Alger et le FLN est mort.
19:11 En gros c'était le message, et effectivement le FLN a pris de grands coups.
19:16 Évidemment la population était là pour ensuite continuer le combat
19:20 et puis refaire naître des céludes du FLN.
19:23 – Mais Le Pen lui-même avait fait un aller-retour,
19:25 parce qu'il était député, il était député pougilliste.
19:28 – Bien sûr. – Il était à l'Assemblée nationale.
19:30 – Bien sûr, c'est un très jeune député.
19:31 – Le plus jeune, le plus jeune.
19:32 2 janvier 1956, élection législative anticipée d'ailleurs,
19:37 puisque Edgar Ford avait dissous l'Assemblée précédemment.
19:40 2 janvier 1956, il y a une vague,
19:43 alors on pense toujours au Front républicain qui remporte les élections,
19:47 donc Guy Mollet avec son allié Pierre Mendès-France,
19:50 le souverain du PCF qui arrive tout de suite derrière.
19:53 Mais on a un petit peu oublié cette vague du pougedisme
19:57 qui était l'équivalent de l'extrême-droite d'aujourd'hui,
19:59 une extrême-droite populiste, débagogue, etc.
20:02 Et Jean-Marie Le Pen avec son collègue de Marquet par exemple devient député.
20:07 Lui, il est le plus jeune député de France,
20:09 il rentre à l'Assemblée nationale et il va avoir des discours extrêmement violents
20:14 sur d'abord l'exigence de la répression.
20:19 Jean-Marie Le Pen va exiger que les condamnations à mort soient exécutées
20:25 en taxant la 4ème République qui pourtant a tué beaucoup d'Algériens,
20:30 a guillotiné beaucoup d'Algériens.
20:31 Je vous rappelle que sur les deux républiques,
20:33 d'après les statistiques y compris les travaux de notre collègue Sylvie Tenot,
20:38 il y a eu de l'ordre de 222 guillotinés pendant la guerre d'Algérie, 222.
20:43 De l'ordre de 200 en Algérie et plus d'une vingtaine en métropole.
20:47 Et on se souvient que François Mitterrand malheureusement...
20:49 Et François Mitterrand était ministre de l'Intérieur au début...
20:52 Etait à la manœuvre.
20:53 Et ensuite garde des Sceaux, oui, oui.
20:54 Donc il a eu deux postes, ministre de l'Intérieur sous le gouvernement Mendes
21:00 et garde des Sceaux sous le gouvernement Mollet.
21:02 Et on voit alors Le Pen à l'époque jeune député,
21:04 appelé aux exécutions systématiques.
21:06 Non seulement il l'appelle, mais il veut plus de sang.
21:09 Il veut plus de sang.
21:10 Il explique que les terroristes doivent être terrorisés en quelque sorte,
21:13 pour reprendre une expression qui a été faite par quelqu'un d'autre.
21:17 Donc voilà, il a cette...
21:20 Et en même temps, il explique des choses.
21:23 Par exemple, lorsque une partie de la société française en particulier
21:30 est autour d'une troisième gauche,
21:33 parce qu'il y a des choses assez un petit peu compliquées
21:36 que j'ai expliquées dans mon autre livre sur le rôle des communistes,
21:39 mais la troisième gauche est extrêmement active.
21:42 Jean-Paul Sartre est extrêmement actif.
21:44 Et Le Pen va dire la chose suivante.
21:48 "Donc, qui sont les responsables de la défaite française,
21:51 des difficultés de l'armée française ?
21:54 Ce ne sont pas les combattants algériens,
21:56 ce n'est pas la résistance du peuple algérien."
21:58 C'est, citation, "les politiciens pourris, les intellectuels apatrides".
22:01 Ça nous rappelle quelque chose.
22:03 - Il n'a pas dit "juifs", mais il le pense.
22:05 - Et voilà, sans doute...
22:07 D'ailleurs, il avait dit des choses à Mendes-France
22:09 sur la répulsion physique que Pierre Mendes-France déclenchait chez lui.
22:15 Répulsion physique, ça voulait dire quand même...
22:19 "T'as une sale tête, quoi, et je n'en dirai pas plus."
22:23 Donc, je poursuis la citation de...
22:26 C'est lors de la campagne de décembre 55, justement, celle qui...
22:30 - C'est une élection législative.
22:32 - C'est une élection législative.
22:34 Citation, "chaque fois qu'on reçoit un coup de pied dans les fesses,
22:37 il faut brosser le pantalon après.
22:39 La France est gouvernée par des pédérastes.
22:41 Sartre, Camus, Mauriac."
22:44 Voilà, donc il avait tout, homophobe, en plus.
22:47 - Qui avait en commun d'être, à des degrés divers,
22:49 des opposants à la répression d'Algérie.
22:51 - Oui, absolument.
22:52 À la répression, oui, pas à l'indépendance de l'Algérie.
22:55 C'était le cas de Sartre, c'était pas le cas de Camus,
22:58 c'était pas le cas de Mauriac.
23:00 Mais en tout cas, c'était des gens qui mettaient le cri protestataire.
23:03 Donc voilà le portrait de cet homme.
23:06 - Et alors, il a beau être député,
23:08 il décide de se réengager dans l'armée,
23:11 alors qu'il a le statut de député.
23:13 Donc il suspend sa participation à l'Assemblée nationale,
23:16 pour intégrer, réintégrer le 1er Régiment étranger parasutiste
23:20 et être à la manœuvre, comme lieutenant,
23:23 dans les opérations de répression à Alger.
23:26 On a toute une série de témoignages sur les crimes qu'il perpétue,
23:30 notamment à la ville d'Aderros, qui est un haut lieu de la torture à Alger.
23:33 - Bien sûr.
23:34 Alors, il part en Algérie au nom d'une certaine conception de la virilité.
23:40 Je reviens d'ailleurs, la France est gouvernée par des pédérastes,
23:43 des eunuques, enfin c'était un petit peu ça.
23:45 Moi, je suis un homme politique,
23:47 j'aurais pu rester seulement sur le siège de l'Assemblée
23:50 et protester contre la gauche,
23:53 mais je vais au bout de mes idées
23:55 parce que je suis un homme qui en a,
23:57 excusez-moi l'expression, c'est un petit peu sous-entendu là-dedans,
24:00 je suis un homme qui en a, il parle d'ailleurs avec deux marques.
24:02 - Une question de testostérone.
24:04 - Oui, voilà, il fait monter.
24:06 Et donc, il part en Algérie.
24:09 Très franchement, d'après les biographies,
24:12 il n'a pas fait énormément de terrain,
24:14 il n'a pas été dans le Djebel.
24:16 On peut par exemple le comparer à Bizarre,
24:18 pour qui j'ai nulle tendresse,
24:21 et dont j'ai brossé parfois des tableaux très accusateurs
24:24 et très documentés.
24:26 Mais Bizarre allait au terrain, allait sur le terrain,
24:29 il était à la tête de ses hommes.
24:31 A ma connaissance, Le Pen n'a pas été beaucoup sur le terrain,
24:33 mais il a fréquenté plus, vous l'avez dit, la Villa des Roses.
24:36 - C'est-à-dire un lieu de torture.
24:38 Il avait besoin, en étant en Algérie,
24:41 de se légitimer aux yeux de l'extrême droite,
24:43 de se relégitimer comme un dur,
24:46 comme un homme de terrain qui était capable de commettre des violences.
24:49 - Oui, voilà, c'est ça, je pense.
24:51 Et puis c'était également montré aux autres députés poujadistes
24:53 que lui, effectivement, allait plus loin,
24:55 alors que les autres étaient quand même, pour l'essentiel,
24:57 c'était souvent des petits commerçants,
24:59 c'était le public de Poujade.
25:01 - De Poujade, oui. C'est un électorat de petits commerçants.
25:03 - Voilà. Et donc, autre surprise,
25:07 j'en viens maintenant toujours à ma surprise
25:10 en écoutant l'émission de France Inter.
25:12 Autre surprise, c'est le fait que mes collègues
25:18 aient oublié les aveux de Le Pen,
25:22 pas sous forme d'aveu, mais sous forme de revendication.
25:25 Et je vais vous citer, en mai 1957,
25:28 une association anti-guerre qui s'appelait "Les Amis du droit"
25:31 organise une réunion de dénonciation des pratiques.
25:34 C'était une association qui n'était même pas forcément de gauche,
25:38 mais qui était une formation de gens
25:40 qui émettaient une protestation humaniste.
25:43 - Contre la torture pratiquée.
25:45 - Contre la torture, pardon, oui.
25:47 Donc, elle est interrompue par Le Pen,
25:50 et Le Pen dit la chose suivante,
25:52 évidemment, le texte s'est publié dans "Regards", juin 1957.
25:56 Citation de Le Pen.
25:58 "J'ai été officier de renseignement au 74 boulevard Galieny."
26:01 C'est l'adresse tristement célèbre de la Villa des Roses.
26:04 "J'y ai moi-même interrogé des gens,
26:06 je les ai interrogés le temps qu'il fallait,
26:09 qu'il fallait pas plus, pas plus de temps qu'il fallait,
26:12 mais pas moins, je travaillais 20 heures par jour."
26:15 Autre citation, évidemment, je l'ai perdue, je la retrouve.
26:19 Pierre-Henri Simon, dans "Le Monde",
26:22 se fait l'écho des propos de...
26:25 Donc, toujours en juin 1957.
26:27 Donc, il est rentré depuis...
26:29 - Juste après la grande répression de la Gé.
26:31 - Il est rentré depuis trois mois.
26:33 Donc, Pierre-Henri Simon cite Le Pen.
26:36 C'est pas Simon qui parle, c'est Le Pen.
26:39 Le Pen est de Marquet, son inter-ego.
26:42 - C'était une citation extraite du journal "Le Monde".
26:45 - Extrait du journal "Le Monde", juin 1957.
26:47 Je ne sais pas où ça vous êtes,
26:49 mais je pourrais retrouver facilement.
26:51 En tout cas, voilà un livre dont je conseille la lecture.
26:54 C'est un livre de 1985.
26:56 - Le livre d'Alain Rollat, "Les hommes de l'extrême droite".
26:59 - Voilà. 1985, il y a tout sur...
27:01 D'ailleurs, le titre du chapitre, c'est "Le torsionnaire".
27:04 "Le Pen torsionnaire".
27:06 Et donc, citation de Le Pen et de Marquet, de concert.
27:09 "Nous avons reçu une mission de police,
27:12 et nous l'avons accomplie selon l'impératif d'efficacité
27:15 qui exige les moyens illégaux.
27:18 Il peut y avoir encore des sentiments humains
27:21 dans la lutte contre le terrorisme.
27:23 Il n'y a plus de place pour les règles de la guerre classique,
27:26 encore moins pour celles de la légalité civile.
27:29 S'il faut user de violence pour découvrir un nid de bombes,
27:32 s'il faut torturer un homme pour en sauver 100,
27:35 la torture est inévitable.
27:37 Et donc, dans les conditions anormales où l'on demande d'agir,
27:40 elle est juste.
27:42 Le Pen et de Marquet emploient le verbe "torturer",
27:45 le mot "torture" dans cette déclaration.
27:48 Donc, ils revendiquent.
27:50 - Alors là, on retrouve le système de justification habituel
27:53 des torsionnaires, qui est toujours de dire
27:55 "mais ça va permettre de sauver des gens qui sont menacés
27:59 en permettant de prendre connaissance à temps d'attentats
28:02 qui sont préparés" ou des choses comme ça.
28:04 Tous les gens qui ont travaillé sérieusement sur la torture,
28:06 à commencer par Raphaël Branche pour la torture en Algérie,
28:08 ont démontré sans aucun équivoque possible
28:10 que la torture est inefficace et que ça n'est pas son objet,
28:13 son but, c'est de terroriser, c'est de déshumaniser l'ennemi
28:17 et de terroriser une population dans des contextes
28:20 de guerre asymétrique, où une population,
28:22 où un mouvement de résistance, infiltré de manière capillaire
28:26 dans la population, qui est présent dans la population,
28:30 s'oppose à des formes régulières.
28:33 - Si vous permettez, je salue effectivement au passage
28:37 le travail de Raphaël Branche.
28:39 - Oui, j'étais dans la salle le jour de sa soutenance,
28:41 c'était toujours très émouvant.
28:42 - C'était un événement, parce que la torture avait toujours été dénoncée,
28:45 mais il n'y avait jamais eu de travail.
28:47 On pensait que c'était impossible de faire une recherche historique
28:49 d'après les archives sur la question, et elle a démontré le contraire.
28:52 - Pierre Vidal-Naquel a couvert de sa grande autorité morale et historique
28:57 ce travail remarquable.
28:59 - Il était dans le jury, sachant qu'il avait été lui-même
29:01 acteur historique de la dénonciation de la torture dans les années 50-60.
29:04 - C'est une très belle histoire humaine.
29:06 Avant même Raphaël Branche, il y a un travail qui n'était
29:10 évidemment ni historique ni scientifique, mais que je me plais toujours à citer,
29:15 c'est le livre de Jules Roy, qui s'appelle "J'accuse le général Massieu".
29:19 Jules Roy, c'est très intéressant de voir l'évolution de cet homme,
29:23 et je le mets d'ailleurs en contraste avec l'évolution de Camus.
29:27 Jules Roy, qui était un fils de colon, de grand colon,
29:30 qui était né en Algérie, qui avait été pétenniste au début
29:33 de la Seconde Guerre mondiale et qui ensuite avait rallié la France libre,
29:36 qui était un homme vraiment qui était parti ensuite en Indochine,
29:39 où il avait déjà constaté l'usage de la torture, j'aurais pu le dire au passage.
29:43 Jules Roy écrit donc ce livre qui est une réponse à Massieu
29:47 qui s'appelle "La vraie bataille d'Alger".
29:50 Et donc Jules Roy dit exactement ce que vous venez de dire,
29:53 c'est-à-dire que non seulement c'est un crime moral,
29:57 et Jules Roy a fini sa carrière, il a démissionné de l'armée,
30:01 il était lieutenant colonel quand même, donc c'était quand même un officier supérieur.
30:04 Non seulement c'est un crime moral, mais c'est une pratique totalement inefficace
30:09 et qui soude finalement les populations colonisées derrière ces représentants,
30:15 en l'occurrence derrière le FLN. Donc je ferme cette parenthèse.
30:18 Au début des années 2000, il y a eu cette enquête de la journaliste du Monde,
30:22 Florence Baugé, très documentée auprès d'un Algérien
30:27 qui était enfant pendant la bataille d'Alger,
30:31 et qui a assisté à des séances de torture de son père chez lui
30:37 par Jean-Marie Le Pen et ses hommes.
30:40 Son père finalement a été assassiné par ces tortionnaires,
30:44 et en partant, donc cet homme s'appelait Ahmed Moulay,
30:48 en partant, Jean-Marie Le Pen a oublié son ceinturon, je crois, dans le couloir,
30:53 et le poignard qui s'y trouvait accroché avec son nom dessus.
30:57 On en a la photo de ce poignard.
31:00 Ce garçon, le fils d'Ahmed Moulay, avait conservé le poignard.
31:04 Il avait restitué, il a restitué le ceinturon.
31:07 Quand Le Pen et ses hommes sont revenus dans les jours suivants,
31:10 dans les jours suivants, pardon, pour chercher ce qu'ils avaient oublié,
31:13 ils ont récupéré le ceinturon, mais jamais le poignard parce qu'ils l'avaient caché.
31:17 Et cet Algérien a rencontré Florence Baugé,
31:21 et celle-ci a fait toute une enquête attestant, réattestant,
31:25 de manière irréfutable, que Jean-Marie Le Pen s'est livré à des tortures.
31:29 Jean-Marie Le Pen l'a attaqué en justice et il a fini par perdre.
31:32 De même qu'il a perdu aussi en dernière instance contre Michel Rocart,
31:36 qui avait rappelé, je crois en 1992, que Jean-Marie Le Pen avait torturé.
31:40 Donc voilà, c'était des choses qui étaient acquises et qui sont connues.
31:43 – Si vous permettez l'affiliation, le livre de Florence Baugé
31:47 a été véritablement un apogée pratiquement de la dénonciation de Le Pen.
31:54 C'est un livre que je salue au passage, je salue Florence Baugé au passage.
32:00 Il y avait déjà des éléments d'information.
32:04 Par exemple, un film de René Wautier.
32:07 René Wautier a fait un film en 1984 qui s'appelle "À propos de l'autre détail",
32:13 dans lequel on voit, il avait filmé, on ne lui avait pas proposé de le garder,
32:20 il avait filmé ce poignard.
32:22 Le livre d'Alain Rollat dont je viens de parler et le livre de Florence Baugé,
32:25 dont je cite le titre parce que franchement, c'est assez inacceptable
32:31 à la part d'un collègue d'avoir oublié ce livre majeur.
32:35 Donc "Florence Baugé 2005, Algérie, une guerre sans gloire, histoire d'une enquête".
32:40 Elle a fait une enquête, elle a fait une enquête qui est...
32:43 - C'est le débouché de ses articles dans "Le Monde" dont je parlais tout à l'heure.
32:46 - Voilà. - C'est ce livre.
32:48 - Florence Baugé a eu un rôle magnifique.
32:50 C'est elle également qui a fait parler Ossarès.
32:53 C'est elle qui a fait parler Massu, lorsque Massu a dit
32:56 "la torture en Algérie, on aurait pu faire autrement".
32:59 Bon, il était catholique et il se rapprochait de sa lutte finale.
33:05 Et donc, il a peut-être eu besoin de se confesser.
33:09 - Ossarès, je rappelle, qui était aussi un des maîtres d'oeuvre
33:12 de la torture systématique, qui lui a carrément revendiqué
33:16 non seulement la torture, mais les exécutions sommaires, peu avant sa mort.
33:20 C'est important de souligner aussi qu'après, Ossarès est allé faire de la pédagogie,
33:24 si j'ose dire, former des militaires à la guerre,
33:27 contre-révolutionnaires, contre les résistants, les mouvements de gauche,
33:31 en Amérique latine, auprès des militaires des dictatures d'Amérique latine
33:35 dans les années 60-70.
33:37 - L'exportation. - L'exportation, pardon.
33:40 - C'est exporté par lui à partir du vécu d'Algérie.
33:44 - Michel Aliamari avait dit la même chose pour la police française
33:48 qui aurait pu aider la police de Ben Ali en Tunisie.
33:51 Donc là aussi, il y a des permanences.
33:54 - Oui, il y a des échos.
33:57 Merci beaucoup Alain Russiot.
34:00 Je pense que c'était vraiment important de revenir là-dessus,
34:03 d'essayer de clarifier un peu ce qui commence à être brouillé,
34:06 voire falsifié.
34:08 On voit régulièrement aujourd'hui, bien sûr,
34:11 Marine Le Pen considérée comme une interlocutrice tout à fait respectable,
34:15 mais son père aussi, qui a plus de 90 ans,
34:18 qui est reçu chaque fois qu'un tome de ses mémoires sort,
34:21 par exemple par Léa Salamé sur France Inter,
34:24 et somme toute, finalement, de façon assez aimable,
34:27 qui fait l'objet d'une émission, d'un reportage dans l'émission d'Hanouna,
34:32 un peu comme si c'était le grand-père, voilà, un peu caractériel,
34:38 mais finalement, un peu bourru, pas antipathique.
34:42 Ce sont des éléments très importants qu'il faut rappeler aujourd'hui,
34:45 au moment où l'espace public français s'extrême-droitise.
34:49 - Eh oui, on est là pour résister.
34:52 - Merci beaucoup Alain Russiot.
34:54 Je recommande bien sûr tous vos livres,
34:57 et puis ce dictionnaire, ce grand dictionnaire de la guerre d'Algérie,
35:01 qui apparaît chez Bouquin, les jours qui viennent.
35:04 - Merci beaucoup.
35:05 - Merci.
35:07 Sous-titrage Société Radio-Canada
35:11 ...

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