Jeanne Herry, réalisatrice, est l'invitée de 7h50, pour le film "Je verrai toujours vos visages". Un film sur la "justice restaurative", qui consiste à faire se rencontrer des victimes avec des auteurs d'infractions. Plus d'informations : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-27-mars-2023-3794846
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00:00 Il est 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est réalisatrice.
00:04 Et bonjour Jeanne Hery.
00:05 Bonjour.
00:06 Merci d'être avec nous ce matin.
00:07 Amis auditeurs, vous en avez sans doute assez de cette époque clivée, clivante, électrique
00:12 et stressante.
00:13 Vous êtes peut-être désespérés aussi sur la nature humaine.
00:16 Et bien allez au cinéma mercredi prochain voir « Je verrai toujours vos visages », un
00:21 film sur la justice restaurative, cette pratique méconnue en France qui consiste à faire
00:26 se rencontrer des victimes de vols, de viols, de braquages avec des agresseurs.
00:32 C'est un film sur le dialogue, la puissance réparatrice des mots.
00:35 On en sort apaisé le beau moqueur parce que c'est un film, corrigez-moi si j'ai tort,
00:40 qui est profondément optimiste Jeanne Hery.
00:43 C'est un film qui est résolument du côté de la lumière.
00:46 Oui c'est vrai résolument.
00:47 C'est un film qui me ressemble un peu forcément parce que c'est un film à la première personne.
00:52 Moi j'ai la chance d'avoir été assez peu éprouvée par la vie, par le monde.
00:58 Je vis une vie de privilégiée depuis toujours.
01:01 Pour autant je ne suis pas imperméable au monde, au bouleversement, à la douleur, à
01:06 la souffrance des autres.
01:07 Mais je reste quand même moi-même plutôt optimiste.
01:11 Je suis quelqu'un de positif et c'est vrai que ça fait trois ans, vous l'avez dit,
01:16 que j'ai trouvé refuge dans la justice restaurative.
01:18 C'est un endroit où on se parle, où on s'écoute et où on se répare par le collectif
01:23 et le dialogue.
01:24 Et pas dans des dispositifs qui sont fantasmés, qui sont bison-ours, qui sont utopistes.
01:29 C'est des dispositifs concrets.
01:31 Alors je voudrais faire un test autour de la table.
01:32 Est-ce que l'un de vous trois, Dominique, Yael ou Nicolas, vous avez déjà entendu
01:36 parler de la justice restaurative ?
01:38 Pas du tout.
01:39 Ça me dit quelque chose, oui.
01:40 Moi j'en avais jamais entendu parler et vous dites d'ailleurs que c'est une pratique
01:44 qui est très largement méconnue en France.
01:46 Elle est arrivée en France il y a moins de dix ans.
01:48 C'est Christiane Teubira, garde des Sceaux, qui l'avait importée du Québec.
01:51 Et donc l'idée c'est ça, c'est faire se rencontrer des victimes avec des agresseurs.
01:57 Pas forcément leurs agresseurs, ça peut être leurs agresseurs, mais par exemple ça
02:00 peut être un groupe de parole avec ce qu'on voit par exemple et on suit dans le film,
02:05 une retraitée qui s'est fait agresser avec un vol à l'arraché particulièrement violent,
02:09 une caissière qui a été braquée, un chef d'entreprise qui a été braqué, qui a tout
02:12 perdu ensuite avec trois détenus qui sont des braqueurs.
02:16 Pas leurs braqueurs, mais des braqueurs.
02:17 Je voulais savoir comment vous êtes arrivée, vous, comment vous vous êtes intéressée
02:21 à la justice restaurative ?
02:22 Après Pupi, mon précédent film, je ne savais pas exactement quoi écrire, je n'avais pas
02:26 vraiment d'histoire dans mes tiroirs.
02:27 Donc je suis allée farfouiner du côté du milieu judiciaire qui me passionne depuis
02:31 que je suis enfant et je suis tombée par le biais d'un podcast sur la justice restaurative.
02:35 Qui vous passionne depuis que vous êtes enfant.
02:37 C'est vrai que gamine, vous aviez vu une femme de 60 ans quand vous sortiez de votre
02:40 collège.
02:41 C'est vrai.
02:42 Vous avez été à la prison, rencontré celui qui avait assassiné sa fille.
02:45 Oui, on m'avait dit de loin, regarde cette femme, sa fille s'est faite assassiner.
02:49 Elle est devenue visiteuse de prison de l'assassin de sa fille.
02:52 Ça m'avait grandement interpellée à l'époque.
02:55 Et je pense, je suis sûre même que quand j'ai entendu ce podcast, ça a fait écho.
02:59 Et j'ai voulu aller explorer ces dispositifs en général, parce qu'ils sont pétris évidemment
03:05 d'enjeux, d'intensité, de densité.
03:08 Moi, je fais du cinéma.
03:09 Je recherche évidemment des terrains de jeu propices à écrire un scénario riche pour
03:15 des acteurs, pour des grands acteurs.
03:16 Et là, j'avais vraiment de quoi faire.
03:19 C'est ce que j'allais vous dire.
03:20 Parce que finalement, c'est quelque chose de hautement cinématographique.
03:24 On est scotché pendant deux heures à vos acteurs.
03:27 Et aussi, il y a une tension, il y a un suspense.
03:29 C'est-à-dire qu'on veut savoir, on suit le processus avec les médiateurs jusqu'à
03:33 la rencontre.
03:34 Et ensuite, on voit si la rencontre fait advenir quelque chose de bon, de meilleur ou pas.
03:38 Ou si ça ne marche pas.
03:39 Et c'est ça qu'on voit sur plusieurs cas.
03:41 Et on voit que les victimes sont réparées, qu'elles reprennent confiance en elles.
03:46 Les agresseurs, à l'issue de ce débat, de ces rencontres, comprennent leurs actes.
03:51 Par exemple, Leila Bekti, qui joue cette caissière traumatisée depuis qu'elle a été braquée
03:55 il y a trois ans dans son supermarché.
03:57 Depuis, elle est dépressive, elle a peur de tout.
03:59 Elle a peur d'aller voir le spectacle de ses enfants.
04:01 Elle prend des calmants pour ça.
04:03 Et le fait de rencontrer des braqueurs, de parler avec eux, ça va la débloquer.
04:07 D'ailleurs, elle dit aux braqueurs avec qui elle va parler, ça fait trois ans que je
04:10 suis suivie par un psy et là, en trois heures, tu m'as débloquée.
04:12 Oui, c'est vrai que c'est une justice qui travaille à la réparation psychique de ceux
04:19 qui ont été abîmés par une infraction, que ce soit des auteurs, des victimes ou même
04:22 le lien social en général.
04:23 Et ça fait tomber les fantasmes.
04:26 On va dire qu'on progresse dans la compréhension des autres et de nous-mêmes.
04:30 C'est juste reprendre confiance en soi, reprendre confiance dans les autres en général, par
04:35 le dialogue et ça, c'est des mécanismes qui sont hyper puissants.
04:39 Oui, Miu Miu, votre mère, Janeri, livre une prestation bouleversante.
04:44 Une retraitée qui a subi un vol à l'arraché ultra-violent.
04:46 Elle a été tabassée par celui qui a volé son sac.
04:48 Elle ne comprend pas pourquoi elle n'a pas lâché ce sac et il l'a traîné en scooter.
04:52 Et depuis sept ans, elle n'ose plus du tout sortir.
04:54 Elle s'est repliée totalement sur elle-même.
04:56 En fait, on n'imagine pas les répercussions que peuvent avoir ce type de crime qu'on
05:00 considère comme étant un petit peu banal finalement.
05:02 Or, ce type de crime peut avoir sur certaines victimes des répercussions épouvantables.
05:07 Et on l'écoute.
05:08 On l'écoute ce moment où elle parle avec les autres.
05:10 Je suis là parce que je veux comprendre cette violence.
05:12 Je ne comprends pas cette violence.
05:16 Je ne comprends plus la jeunesse.
05:18 La violence partout, la violence dans les paroles.
05:20 J'ai l'impression de venir d'une autre planète.
05:22 Je ne veux plus avoir peur.
05:24 Je veux que ça soit derrière moi.
05:27 Je ne comprends plus la violence.
05:30 - Notre société est particulièrement violente.
05:32 Il y a de la violence partout en politique.
05:34 On le voit depuis deux mois.
05:35 Mais partout, sur les réseaux sociaux, dans nos rapports, dans la rue, partout.
05:40 C'est aussi quelque chose qui vous intéressait ?
05:42 - Ça ne m'intéresse pas.
05:44 Ça me blesse.
05:45 Je trouve ça difficile à vivre en fait.
05:48 Donc, c'est vrai que moi, je me tiens beaucoup à l'écart des réseaux sociaux.
05:51 J'ai la chance de pouvoir le faire.
05:53 Je le fais.
05:54 Mais par contre, la brutalité, oui, ce manque de dialogue, cette polarisation, vous en
05:58 parliez dans votre introduction, c'est très juste.
06:00 Moi, je m'y retrouve tout à fait.
06:02 Ce clivage dans les débats, cette valorisation du clash, ce manque de dialogue, de compréhension,
06:08 de nuances, moi, je le trouve ça très compliqué à vivre.
06:11 Et pas du tout agréable.
06:13 Je trouve ça décourageant.
06:14 Et c'est vrai que là, ça gronde.
06:17 Ça gronde drôlement à l'extérieur.
06:18 - Et c'est pour ça que vous dites, une de vos médiatrices à la fin du film dit,
06:21 la justice restaurative, c'est tout ce que notre époque déteste.
06:24 C'est se parler calmement.
06:26 C'est écouter.
06:27 - C'est le temps long aussi.
06:29 Écouter, prendre le temps d'écouter.
06:31 C'est vachement difficile.
06:33 C'est pour ça que là, on met un bâton de parole.
06:35 C'est pour ça qu'on prépare les gens.
06:36 Parce qu'en fait, c'est tellement pas facile de ne pas couper la parole, de ne pas disqualifier
06:41 tout de suite les arguments des autres.
06:42 Là, il faut choisir son clan.
06:45 On a l'impression.
06:46 Moi, je n'ai pas envie de choisir de camp.
06:47 En fait, je sais que la réalité, la puissance, c'est du côté de la nuance.
06:51 Ce n'est pas du côté de la radicalité.
06:53 Enfin, je le pense vraiment.
06:54 Donc, c'est vrai que ça va à l'encontre de beaucoup de choses.
06:59 Et moi, je pense qu'il y a des choses qui sont incompressibles dans la vie.
07:02 Le temps court, c'est super.
07:03 Le temps bref, c'est super.
07:05 Mais tout ne peut pas marcher par le temps bref, par les petites phrases courtes.
07:08 On a besoin de reprendre du temps.
07:10 - Et c'est ce que font vos médiateurs.
07:11 On suit vos médiateurs, joués d'ailleurs formidablement par Élodie Bouchèze, Jean-Pierre
07:17 Daroussin ou Souleyane Brahim de la comédie française.
07:19 On leur apprend l'écoute spécifique des médiateurs.
07:23 C'est comme un psy, mais ce n'est pas exactement comme un psy.
07:26 Ce n'est pas exactement ça.
07:28 Ils doivent empêcher leurs émotions d'advenir pour que l'autre puisse parler.
07:32 Ils doivent se mettre en… - En mode avion.
07:35 C'est-à-dire qu'en mode avion, on reçoit toutes les informations.
07:38 On n'est pas idiot, on n'est pas sur le côté, on n'est pas neutre, on n'est
07:41 pas endormi.
07:42 Mais on laisse la place à l'autre.
07:43 On en fera quelque chose plus tard de ces informations.
07:45 C'est vrai que pour adopter cette posture si spécifique des animateurs de justice restaurative,
07:52 c'est parce que j'ai suivi quelques formations.
07:53 - Vous avez fait trois formations, vous vous êtes documentée.
07:55 C'est un film où vous êtes plongée dans cet univers-là.
07:58 - Oui, vraiment documentée.
07:59 Parce que je sais que c'est ça qui libère l'imaginaire.
08:01 Pour moi, c'est ancré dans le réel.
08:04 Pour autant, c'est quand même la force de la fiction, la puissance, le souffle du romanesque
08:09 que je vais chercher toujours.
08:11 Mais c'est vrai que cette posture est hyper spécifique.
08:15 Elle n'est pas facile à attraper.
08:16 Mais une fois qu'on y est, on s'y sent bien.
08:19 Et c'est surtout que ça laisse la place aux autres.
08:21 - Je veux citer tous les acteurs de votre film.
08:23 - Allez-y.
08:24 - Je ne le fais jamais, mais là, honnêtement, vous avez réussi à chacun d'entre eux, les
08:28 très connus, les moins connus, etc. à leur faire faire une prestation qui est incroyable.
08:32 Gilles Lelouch, Adalex Arscopoulos, Leila Bektir, Elodie Bouchez, Jean-Pierre Daroussin,
08:36 les trois de la comédie française, Julien Bryan, Biram Ba, Denis Podalides, Fred Testo,
08:41 Dali Ben Sala ou encore Miu Miu, votre mère, que vous faites en femme fragile.
08:45 Vous dites que vous aimez bien.
08:46 - Oui, oui.
08:47 - Parce qu'elle est forte en vrai.
08:48 - Elle est forte et fragile, mais c'est vrai qu'elle est si belle dans les personnages
08:53 à fleurs de peau, comme ça, moi, je la trouve très, très bouleversante.
08:56 - Ils sont tous vraiment très, très bons.
08:59 Grande prestation d'acteurs.
09:01 « Je verrai toujours vos visages ». Très beau titre mystérieux qui fait penser à
09:05 Lévinas qui disait « le visage, c'est ce qui nous interdit de tuer ».
09:08 - Oh, c'est vachement beau.
09:09 Je ne connaissais pas, c'est vrai.
09:11 - Voilà.
09:12 « Je verrai toujours vos visages ». Merci, Jeannery.
09:15 Ce film est formidable.
09:17 On est loin, loin, loin du quotidien en ce moment.
09:22 Allez-y.
09:23 On en sort, on se dit « tiens, en fait, on peut peut-être se réparer un peu ».