L'interview d'actualité - Ludovic Franceschet

  • l’année dernière
Alors que la grève se poursuit et même s’amplifie dans certaines villes et notamment dans capitale devenue une poubelle à ciel ouvert, l’un de ses fonctionnaires s’est fait remarquer sur TikTok. Il s’agit de Ludovic Franceschet qui se mobilise depuis trois semaines contre la réforme des retraites. En effet, si jusqu’ici les éboueurs pouvaient initialement partir à la retraite à 57 ans sous l’égide d’un régime spécial, cela risque de ne plus être le cas. Dans son set de mesures, le gouvernement a décidé de prolonger de deux ans le départ à la retraite de ces derniers. Pourquoi les éboueurs refusent-ils catégoriquement ces deux années de travail supplémentaire ? La réponse avec Ludovic Franceschet qui publie « Plus tard, tu seras éboueur » aux éditions City. 

Category

📺
TV
Transcription
00:00 Il est 8h11, place à l'interview d'actualité alors que la grève des éboueurs se poursuit et même s'amplifie dans certaines villes, notamment à Paris.
00:05 Julia, vous recevez l'un d'entre eux qui s'est notamment fait remarquer sur TikTok, il s'appelle Ludovic Franséchet. Bonjour et bienvenue à vous.
00:12 Bonjour Ludovic Franséchet, merci d'être avec nous ce matin. Alors on va parler de la grève des éboueurs puisque depuis trois semaines
00:18 les éboueurs sont en grève contre la réforme des retraites. Alors jusqu'alors un éboueur
00:23 partait à la retraite à 57 ans car vous avez un régime spécial mais avec cette réforme
00:27 votre départ à la retraite va donc être prolongé de deux ans, ça veut dire que vous partiriez à la retraite à 59 ans.
00:33 Pourquoi vous n'acceptez pas ces deux années supplémentaires de travail ?
00:36 Alors bonjour, je tenais à préciser que je parle en mon nom et
00:40 en fait sur le papier on part à 59 ans, c'est sur le papier
00:43 mais la plupart d'entre nous on a des carrières hachées donc du coup on partira à 62, 64 et même plus. Dans votre cas ?
00:49 67 mois. 67 ans. Alors 67 ans quand on connaît la pénibilité de votre travail
00:55 effectivement ça paraît énorme. Selon une étude parue en 2006
00:59 les éboueurs ont une espérance de vie de trois ans de moins qu'un agent territorial
01:03 exerçant un autre métier. Expliquez-nous qu'est-ce qui rend le métier
01:07 d'éboueur si pénible au quotidien ? Alors il faut prendre l'exemple d'un ripper qui est derrière le camion.
01:13 Un ripper c'est les messieurs qu'on voit ? Voilà exactement c'est celui qui collecte les poubelles
01:18 et c'est très très compliqué parce qu'il y a les ports de charges lourdes, il y a les gros bacs de 600 litres,
01:23 il respire aussi des produits toxiques,
01:25 il y a le stress qu'il y a autour de nous, là il y a les pistes cyclables, les vélos,
01:29 les bus qui nous frôlent les oreilles, il y a tout ce stress qu'il y a dans une rue.
01:32 D'accord et puis ces gestes j'imagine répétitifs, je crois que vous-même vous avez une tendinite c'est ça ?
01:37 Non exactement on a toujours les mêmes gestes et oui ça fait maintenant trois ans que j'ai tendinite mais attention
01:41 je me plains pas moi j'aime mon métier, je suis le plus heureux du monde et je continuerai de le pratiquer.
01:45 D'accord en tout cas c'est un métier pénible et à cette pénibilité donc physique on comprend, s'ajoute vous dites une souffrance psychologique
01:52 liée au mépris de votre métier, ça se traduit comment au quotidien ?
01:56 En fait c'est les gens, moi je me rappelle la première année
01:59 je passe dans le coin d'une rue, on me crache dessus, sale fonctionnaire, t'es payé à rien foutre, ramasse la merde etc.
02:04 et voilà c'est ce genre de comportement où on est confronté
02:08 heureusement pas régulièrement mais ça arrive.
02:10 Ça arrive c'est à dire que ce sont des métiers qui ne sont pas assez respectés.
02:14 Vous dites que les gens ne vous voient pas, que vous faites partie de ces professions dites invisibles.
02:19 Pourtant on est en jaune.
02:20 Pourtant on vous voit de loin normalement mais peut-être que les gens n'ont pas envie de vous voir, c'est quoi le problème ?
02:25 Et surtout pourquoi vous faites greffe ?
02:27 Est-ce que c'est justement pour que cette profession invisible soit enfin vue par le plus grand nombre et considérée ?
02:34 Alors là on ne nous voit pas mais maintenant on sait qu'on existe en tout cas parce que sur les trottoirs ça se ressent et ça se voit.
02:39 C'est malheureux parce qu'il faut un mouvement de greffe pour visibiliser les invisibles et c'est malheureux d'en arriver là.
02:47 Moi de voir tout ça, ça me perturbe mais on n'a pas le choix.
02:50 Ça vous perturbe justement de voir toutes ces ordures sur les trottoirs parisiens ?
02:53 Qu'est-ce que vous vous dites quand vous voyez ça ?
02:55 Bien sûr que ça me perturbe mais on n'a pas le choix, c'est notre moyen de pression.
02:58 On veut faire greffe donc du coup on ne ramasse pas les déchets.
03:00 Moi le premier, je fais greffe en Dansey donc il y a des jours où je fais greffe, des jours où non.
03:04 Et pourquoi justement vous ne faites pas greffe tout le temps ?
03:07 Parce qu'on n'est pas d'accord avec les deux ans qu'on prend à travailler.
03:10 En plus c'est pas possible, tous les métiers pénibles, c'est très compliqué, je parle de tous les métiers pénibles.
03:14 Il n'y a pas que le nôtre.
03:16 Mais surtout à chaque fois que vous faites greffe, évidemment vous n'êtes pas payé.
03:19 Ça représente combien par jour ?
03:21 75 euros à peu près.
03:22 Que vous perdez par jour ?
03:24 Parce que c'est combien le salaire d'un éboueur ?
03:26 Entre 1 500 et 1 700 euros, mon dernier salaire, moi je parle en net, il est à 1 730.
03:30 Donc là le prochain mois j'aurai à peu près 300, peut-être à 350 euros en moins.
03:36 Puisque vous avez fait à peu près 5 jours de greffe, pour vous ça devrait vraiment être revalorisé le travail d'un éboueur en termes de salaire ?
03:42 Bien évidemment, mais tous les métiers pénibles, tous les métiers pénibles, je dis bien, dans la santé c'est pareil,
03:48 il y a le port de malade, c'est très compliqué.
03:52 Alors seulement 5 à 6 % d'entre vous sont en greffe, comment vous expliquez que finalement il n'y ait pas plus d'éboueurs en greffe ?
03:59 C'est un problème d'argent justement ?
04:01 Exactement, c'est le côté financier.
04:03 On n'est pas d'accord à travailler deux ans, mais qui peut être d'accord avec cette réforme ?
04:07 C'est pas possible de travailler deux ans en plus, quand est-ce qu'on va profiter de notre vie ?
04:10 Pour vous c'est ça le sujet, c'est la pénibilité au travail ?
04:15 Et quand on a beaucoup travaillé de manière pénible comme ça de nombreuses années, il faut pouvoir en profiter plus tôt ?
04:20 Bien sûr, bien évidemment, on ne va pas notre famille, on est toujours toujours toujours au travail, tout le temps.
04:26 Donc à un moment donné, il faut... Et puis aussi pour faire du bon travail, il faut être en bonne santé.
04:32 Donc aller aussi loin, on ne sera pas aussi performant que ce que l'on est maintenant.
04:35 Et pourtant vous l'aimez votre métier.
04:37 Je l'aime mon métier et je le ferai jusqu'au bout, dans tous les cas.
04:40 Vous le ferez, mais vous voulez quand même éviter ces années qui peuvent être délétères pour votre santé, on l'a compris.
04:45 Alors vous l'avez vu, certains éboueurs du secteur privé ont rejoint le mouvement depuis hier soir, pour une durée illimitée.
04:52 Enfin !
04:53 Enfin, oui, vous vous attendiez du renfort ?
04:55 Ben oui, il faut de toute façon, il y en a quelques-uns qui étaient déjà en grève, mais il en faut beaucoup plus,
04:59 parce que cette réforme elle concerne tout le monde, il n'y a pas que le public.
05:02 On crache sur le public, mais tout le monde en fait.
05:05 Exactement, et pour vous, ce mouvement de grève pourrait prendre fin à quelles conditions ?
05:10 Qu'est-ce qui ferait que vous arrêteriez justement de prendre des jours de faire la grève ?
05:15 Ben là, il faut ouvrir le dialogue et puis vraiment négocier sur cet âge de départ.
05:17 Ce n'est pas possible ça, vraiment pas.
05:19 C'est l'âge ?
05:20 Oui, oui, complètement.
05:21 D'aspect bloquant.
05:22 Alors vous êtes éboueur, mais vous êtes aussi une star des réseaux sociaux, notamment sur TikTok,
05:27 vous avez presque, presque 300 000 abonnés.
05:30 Vous partagez sur ce réseau votre quotidien d'éboueur.
05:33 C'était quoi l'idée ? C'était justement de rendre visible votre métier ?
05:38 C'était pour quoi cette surexposition sur les réseaux ?
05:41 En fait, c'était un jour, on nous a insulté derrière le canyon, au cul du canyon, pardon,
05:44 et du coup j'ai dit à mon collègue, ce n'est pas possible, il faut que je montre,
05:48 il faut que je montre mon métier pour que les gens changent.
05:50 Et j'ai fait une vidéo, donc avec des photos, un montage vidéo, etc.
05:54 Et elle a fait 345 000 vues.
05:58 J'ai été incroyable, j'ai eu peur, j'ai arrêté quelques temps.
06:01 Après, je suis allé voir un collègue et je lui ai dit,
06:03 tu crois que ce serait bien de montrer notre métier sur les réseaux ?
06:06 Il a dit, mais vas-y, fonce, tu seras le premier influenceur dans la propreté,
06:10 mais attention, moi je vais vous influencer à jeter à la poubelle, c'est tout, je ne vais rien vous vendre.
06:13 Oui, très bien, vous faites bien de le préciser, ils ne font pas tous ça les influenceurs.
06:18 Vous parliez justement de propreté, vous êtes très actif pour la défense de notre planète
06:22 et le ramassage des déchets.
06:24 Justement, quand ces poubelles débordent, on est à quasiment 10 000 tonnes d'ordures
06:30 et on déclenche les trottoirs, est-ce que ça vous fait mal au cœur, sincèrement,
06:33 vous qui êtes, parce qu'on peut avoir peur de la prolifération des rares,
06:37 est-ce que vous comprenez ces parisiens, à un moment donné,
06:39 qui se disent que ça devient délétère et dangereux pour notre santé ?
06:42 Bien sûr que je comprends les parisiens, et la propreté c'est vital.
06:45 Et bien évidemment, moi je prône une planète propre,
06:47 mais le conflit, à un moment donné, il va s'arrêter, parce qu'on aura trouvé,
06:51 j'espère en tout cas, qu'on va aller dans le bon sens,
06:54 et la propreté va reprendre ses droits,
06:57 et après il faudra continuer, il faudra arrêter toutes ces incivilités,
07:03 ça me met hors de moi à chaque fois.
07:05 Alors vous avez un beau projet concernant la propreté,
07:07 vous avez dit "je vais faire Paris-Marseille à pied",
07:09 justement pour sensibiliser au ramassage des déchets,
07:13 racontez-nous comment ça va se passer, c'est à partir de cet été, c'est ça ?
07:16 Alors exactement ça, on partira de Notre-Dame-de-Paris, le point zéro,
07:20 le 1er août, on va faire 800 km, pendant 53 jours,
07:25 on va passer dans 14 villes, grandes villes,
07:28 et on sera 5, avec le roussac, moi je suis avec un roussac,
07:34 et on va pincer les déchets qu'il y a au bord de route, ça va être incroyable.
07:37 Est-ce que je peux parler un tout petit peu d'une cagnotte que j'ai mis en ligne ?
07:41 Allez-y, on peut vous aider, c'est ça ?
07:43 Voilà exactement, toutes celles et ceux qui aiment ce projet Paris-Marseille,
07:46 vous pouvez nous aider sur mes profils, il y a une cagnotte qui s'appelle "Ulule",
07:50 vous cliquez dessus, et après vous pouvez faire des dons de 1 euro à ce que vous voulez,
07:55 ou si vous ne pouvez pas, partagez le lien, tout simplement, et ça va nous aider.
07:59 Et ça va vous aider à financer ce ramassage de Paris à Marseille.
08:02 Merci beaucoup Ludovic Franséchet, merci d'avoir été avec nous,
08:05 et merci pour votre témoignage, je rappelle votre TikTok, vous êtes très actif,
08:09 il vous manque quelques abonnés pour atteindre les 300 000,
08:12 donc voilà, c'est lancé LudovicCF-off, et votre livre, plus tard, "Tu seras éboueur",
08:19 et c'est par revue chez Last City, et vous avez une association aussi,
08:23 Ludovic Objectifs Planète Propre.
08:26 Pour le livre, je voudrais remercier Isabelle Millier.
08:28 Et bien c'est fait.
08:29 Vraiment.
08:30 Et moi je voudrais vous remercier Ludovic, merci d'avoir été avec nous.

Recommandations