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Quentin Tarantino, réalisateur, est l'invité exceptionnel du Grand entretien de France Inter pour son nouveau livre "Cinéma spéculations" (Flammarion). Il évoque les grands films qui ont marqué sa vie et donne son regard sur l'évolution du Cinéma. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-30-mars-2023-9237933

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00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons un invité exceptionnel dans le grand entretien ce matin,
00:05 celui qui en neuf films, de Réservoir Dog à Once Upon a Time in Hollywood, de Pulp
00:11 Fiction à Django Unchained, a profondément marqué l'histoire du cinéma mondial.
00:17 Quentin Tarantino, qui était hier de passage à Paris pour la sortie de son nouveau livre
00:22 « Cinéma spéculation » chez Flammarion, un livre drôle, érudit, d'une culture
00:28 infinie, dans lequel il revient sur les films des années 70 qui l'ont le plus marqué,
00:33 l'Inspecteur Harry, Délivrance, Taxi Driver, mais aussi Rocky pour citer les plus connus.
00:39 Cinéma spéculation est aussi un livre très personnel, autobiographique, où Tarantino
00:45 se souvient du gamin qu'il était et que ses parents amenaient au cinéma voir des
00:50 films de grands.
00:51 La citation en exergue du livre « Je voulais écrire sur le cinéma et j'ai fini par
00:57 vous raconter l'histoire de ma vie ». Question, le cinéma et vous, est-ce donc une seule
01:02 et même chose, Quentin Tarantino ?
01:04 « En quelque sorte, oui.
01:06 À vrai dire, je ne voyais pas les choses comme ça, mais à la réflexion, oui.
01:11 »
01:12 La dimension autobiographique du livre et de ce premier chapitre, le premier chapitre
01:16 du livre qui parle de votre enfance, Little Q regarde des grands films, le petit Quentin
01:21 regardait des grands films, où vous racontez que vous avez découvert le cinéma très
01:24 jeune, à 7 ou 8 ans à peine, quand votre mère vous emmenait voir des films au cinéma
01:29 à Los Angeles, mais pas des dessins animés.
01:31 Vous alliez voir des films d'adultes avec elle.
01:34 Vous avez vu le parrain, Mâche ou encore l'inspecteur Harry quand vous aviez 10 ans
01:37 à peine, même parfois à 7 ou 8 ans.
01:39 C'est jeune, c'est fou.
01:41 Et votre mère avait deux règles pour vous emmener au cinéma.
01:43 La première règle, « Fais pas chier ». La deuxième règle, « Pas de questions idiotes
01:47 ». Et c'était ça, c'était votre école de cinéma.
01:50 Il y avait des films pour enfants de Disney que je voulais voir, des Doctor Who, des films
01:58 comme ça, certes.
01:59 Et de temps en temps, je suis allé voir des films pour enfants.
02:03 Mais bien souvent, lorsque mes parents allaient au cinéma, ma mère et mon beau-père, c'était
02:10 la grande soirée de sortie, si vous voulez.
02:13 Ils auraient pu faire appel à une babysitter, une voisine qui aurait pu s'occuper de moi,
02:19 mais ça ne les gênait pas de m'emmener.
02:21 Donc, on sortait pour la soirée.
02:24 Parfois, ils sortaient avec un autre couple et moi, je faisais partie de la partie.
02:32 Donc, ça n'aurait pas marché si j'avais été vraiment pénible.
02:36 La plupart des enfants sont assez égocentrés, en fait.
02:41 Il faut s'occuper de eux sans arrêt, moi, moi, moi, etc.
02:44 Mais donc, ma mère m'a clairement expliqué, là, on est entre adultes et si tu veux être
02:51 avec nous, il ne faut pas que tu fasses chier.
02:53 Point final.
02:54 Bon, c'est devenu très clair.
02:55 Son mot du septème a dit.
02:57 Et moi, en fait, je savais tout à fait que je voulais aller avec eux.
03:00 Et vous dites que votre bonheur absolu, c'était aussi les discussions après le film, dans
03:07 la voiture, quand votre mère et son amoureux analysaient ce que vous veniez de voir au
03:14 cinéma.
03:15 Et c'est de là aussi, peut-être que vient votre propre plaisir de parler des films,
03:22 votre propre plaisir d'écrire sur les films.
03:25 Oui, probablement.
03:26 Si je parlais de cinéma avec un autre gamin de mon âge à l'école, ça aurait été
03:37 une conversation assez banale.
03:39 Ça, c'était chouette.
03:40 Ça, c'était génial.
03:41 Ça, c'était drôle.
03:42 Ça, ça n'était pas.
03:43 Mais c'était quand même très intéressant.
03:46 Ça faisait partie de cette expérience cinématographique.
03:50 C'était donc ces petits trajets en voiture.
03:52 On rentrait à la maison.
03:54 Moi, j'étais sur le siège arrière et les adultes devant me parlaient du film.
03:59 C'était une analyse.
04:00 Donc, je les écoutais et moi-même, au bout d'un moment, je commençais à mettre mon
04:05 grain de sel.
04:06 Et mon point de vue les intéressait d'une certaine façon.
04:09 Donc, c'était une espèce de collectif, une dynamique de conversation.
04:13 Et parfois, les conversations étaient si intéressantes qu'une fois on est arrivé
04:17 à la maison, on continuait à en parler, même le lendemain parfois.
04:21 Mais enfin, vous avez quand même vu à 8 ou à 10 ans des scènes d'une violence folle.
04:25 Vous avez vu la Horte Sauvage qui est un western qui avait choqué l'Amérique par sa violence.
04:29 Vous avez vu Des Livrances de John Borman qui a traumatisé une génération entière
04:32 d'adultes avec cette scène de viol homosexuel.
04:35 Cette violence-là, la sexualité, elle reste ? Elle marque un enfant de 8 ou 10 ans quand
04:40 il voit ces scènes-là ? Elle conditionne aussi sa vision du monde, non ?
04:44 En réalité, vous parlez de ces deux films et je les ai vus en double séance.
04:50 Après avoir vu la Horte Sauvage, il égorge le personnage d'Angel Dorge.
05:00 Pour moi, c'était bon, on égorge quelqu'un, il y a le sang qui gicle en 3D, moi j'avais
05:07 jamais rien vu de tel dans ma vie.
05:10 Donc ça, c'était une expérience incroyable.
05:12 Cela dit, cette scène de viol homosexuel dans Des Livrances, ça c'était terrifiant,
05:25 très terrifiant.
05:27 Néanmoins, moi je n'ai pas compris qu'il s'agissait d'un viol, je ne savais pas ce
05:31 que c'était le viol à l'époque.
05:33 Je ne savais même pas que la sodomie était possible, je ne savais pas tout ça.
05:38 Mais moi, ce que j'ai vu, c'était un homme en train de se faire humilier.
05:43 Ce que j'ai vu, c'est des méchants en train d'humilier ce personnage.
05:50 Ils étaient en train de le casser.
05:53 Et on sait ce que c'est quand on est gamin dans un cours de récréation, de se faire
05:56 emmerder par les autres.
05:57 Et d'une certaine façon, j'avais raison.
05:59 C'était ça, c'était ça le but.
06:01 C'était l'humiliation, c'était bel et bien le fait de dominer cet homme.
06:08 Donc bien que je n'ai pas tout saisi, j'ai compris, si vous voulez.
06:12 Sur le fait de voir des films d'adultes, entre guillemets, votre mère assumait, et
06:18 elle assumait pleinement.
06:19 Elle disait qu'en tant qu'argentineau, je suis plus inquiète quand tu regardes les
06:24 infos à la télé.
06:25 Un film, au fond, ça ne peut pas faire de mal.
06:28 Oui, c'est ce qu'elle a dit, en effet.
06:32 C'était un point de vue particulièrement pragmatique.
06:36 Donc là, nous, nous sommes dans les années 70.
06:39 Au début des années 70, on parlait beaucoup de Charles Manson, Charles Manson, Charles
06:48 Manson.
06:49 J'entendais ça à la télé sans arrêt.
06:50 Et moi, j'ai demandé à mon beau-père, qui c'est Charles Manson ? Et mon beau-père
06:53 m'a dit, oh, t'inquiète pas, t'inquiète pas, t'as pas besoin de savoir, c'est pas
06:55 grave.
06:56 Donc, je comprenais ce que disait ma mère.
06:59 Bon, c'est un film, c'est un autre genre de film, c'est un divertissement, ça te
07:03 plaît ou ça te plaît pas, voilà.
07:04 Oui, enfin, c'est pas ce que pensaient les parents de vos copains, qui à un moment
07:08 disaient à vos copains, il faut pas que tu vois le petit Quentin parce qu'il raconte
07:12 des trucs.
07:13 Vous rentrez à la récréation et vous racontez les films que vous aviez vus et vous fanfaronniez
07:18 sur ça.
07:19 Et les parents de vos copains s'inquiétaient, on les comprend un peu, non ?
07:23 En réalité, ce que vous dites, ça s'applique à plein d'autres situations.
07:29 Prenez un enfant qui a accès aux fruits défendus, ou à des choses interdites, et que cet enfant
07:36 commence à partager ses connaissances.
07:38 Bon, ça, c'est pas bien, on est d'accord.
07:41 Mais il y avait quand même une limite que fixait ma mère.
07:47 Par exemple, quand L'Exorciste est sorti, elle a pas voulu que je vois ce film.
07:54 Donc, lorsque L'Exorciste est sorti, on parlait sans arrêt du fait que quelqu'un a vu L'Exorciste
08:04 et que ça a détruit leur vie.
08:06 Donc, c'était très difficile de faire face à ça.
08:10 Donc, ce film a fait beaucoup de bruit.
08:14 Sinon, il y a le Frankenstein d'Andy Warhol.
08:18 Mais la limite, donc, pour revenir à ça, la limite que fixait ma mère, c'est qu'elle
08:23 est sortie un jour et elle a vu un film d'action.
08:26 Bon.
08:27 Et elle a raconté qu'elle avait vu ce film et moi, j'ai dit, moi, je vous renseignez
08:34 parce que j'avais vu les annonces à la télé.
08:36 Elle m'a dit, non, non, non, je veux pas que tu vois ça.
08:38 C'est la première fois qu'elle disait ça.
08:39 Et moi, j'ai dit, ah bon, pourquoi ?
08:40 Et bien, elle m'a dit, eh bien, voilà, c'est parce que le film est très violent.
08:46 Bon, c'est pas forcément ça le problème, mais de toute façon, tu ne saisirais pas l'histoire.
08:52 Etant donné que tu ne pourrais pas saisir l'histoire, tu ne verrais que de la violence
08:56 pour voir de la violence.
08:58 Et c'est pour ça que je veux pas que tu vois ce film.
09:00 Donc, c'est une logique qui tient la route, quand même.
09:03 En revanche, Quentin Tarantino, le grand traumatisme de votre jeunesse, tient en un titre, c'est
09:09 Bambi, le dessin animé de Disney.
09:12 Dites-nous pourquoi Bambi vous a à ce point traumatisé ?
09:16 Je ne suis pas le seul à avoir été traumatisé par cette incendie de forêt, la mort de la mère de Bambi.
09:27 Bon, tout dépend de l'âge avec lequel on voit ça.
09:29 Si vous voyez ça à l'âge de 7 ou 8 ans, c'est un film, bon, on sait contextualiser la chose.
09:36 Mais si vous voyez ça à l'âge de 4 ou 5 ans, c'est très traumatisant.
09:41 Un traumatisme que se trimballent encore tous les gens de ma génération.
09:46 Bref.
09:47 Et en réalité, ça nous ramène à ce que disait ma mère à propos du contexte.
09:53 Si je comprenais mieux ce à quoi je devais m'attendre, du point de vue de la dramaturgie de Bambi, j'aurais été plus préparé.
10:03 Mais dans les pubs à la télé pour Bambi, on ne parlait jamais de ce passage-là.
10:08 On parlait de Bambi, machin, c'était tout mignon et prime sautier, très bien.
10:13 Et moi, je me disais, ah chouette, je vais aller voir un joli petit dessin animé avec une Bambi et un petit lapin, et voilà.
10:19 Bon, c'est quand même pas traumatisant quand on le présente comme ça.
10:23 Les années 70 étaient incroyablement libres du point de vue de la sexualité, c'est ce qu'on voit dans le film.
10:29 C'est ça aussi que vous aimiez, ce cinéma-là, où tout était permis ?
10:33 Aujourd'hui, oui.
10:37 J'aime beaucoup cette liberté d'expression.
10:40 À l'époque ? Non. Quand j'étais gamin et que je voyais quelque chose d'assez érotique, ça ne m'intéressait pas du tout.
10:53 Je suis gamin, ça ne m'intéresse pas, moi, tout ça, je m'en fous, moi.
10:57 Quand j'étais gamin, voir un film érotique à l'âge de 7 ans, tout ça, ça me passe par-dessus la tête.
11:05 C'est ennuyeux, c'est emmerdant à mourir, moi, je veux que ça passe à autre chose.
11:09 Aujourd'hui, j'aime bien des films comme ça, "Carnal Knowledge", par exemple, j'aime bien, maintenant je comprends tout, c'est bien.
11:14 Mais ce livre, "Quentin Tarantino", c'est aussi le cinéma que vous avez aimé.
11:18 On vous donne un réalisateur, parce que vous parlez de plein de réalisateurs et de plein de films dans ce cinéma des années 70 que vous avez adoré.
11:24 On va vous donner avec Nicolas un nom de réalisateur ou un nom de film, et vous nous dites pourquoi il est dans votre livre, en bien ou en mal.
11:30 Parce que vous avez la dent dure, parfois.
11:32 On commence par "Taxi Driver", Martin Scorsese.
11:35 Le film vous a fasciné, mais vous parlez aussi de l'hypocrisie de Scorsese quand les gens sont sortis choqués par les scènes de violence.
11:41 Là, vous dites, il a été hypocrite.
11:43 Chacun sait que j'adore "Taxi Driver", ça fait 30 ans qu'on sait ça, hein, bon, très bien.
11:55 Il faut que j'ai quelque chose à dire à propos du film.
12:01 Donc, je parle du film, et puis, pour moi, c'est un bon sujet de conversation.
12:07 Je ne crois pas que Scorsese se distingue des autres dans mon esprit, parce que c'est quand même ça, la réaction standard de la plupart des réalisateurs qui font des films dits violents.
12:23 Et lorsqu'un journaliste évoque cela, généralement, le réalisateur en question fait machine à l'air.
12:33 Sam Peckinpah dit la même chose que Scorsese, mais il dit ça à propos de "La Horte Sauvage".
12:39 James Cameron a dit la même chose. Il y a plein de gens qui ont dit la même chose.
12:45 Moi, je m'inscris en faux. Moi, je suis l'une des seules personnes à ma connaissance qui dit les choses comme elles sont.
12:55 James Cameron a dit qu'il participait à une table ronde avec d'autres réalisateurs qui avaient fait des films violents.
13:01 Et ils se disent "Oh oui, je crois que dans la société d'aujourd'hui..." Et au bout du compte, Paul Verhoeven, on lui parle de Robocop, et lui dit "Ah, c'est chouette, ça fait le public".
13:15 Moi, j'aime bien que le sang gicle, c'est comme un film japonais, il faut que ce soit extrême, outré.
13:23 Et James Cameron dit "Mais c'est moi qui aurais dû dire ça, attendez, pourquoi j'ai pas dit ça moi ?"
13:29 Les autres films, "L'inspecteur Harry", "Clint Eastwood", je cite vos mots, Quentin Tarantino,
13:35 "L'inspecteur Harry" n'est pas un film raciste, ni tout à fait le film fasciste que les critiques de l'époque y ont vu,
13:43 c'est un film réactionnaire, agressivement réactionnaire. Que voulez-vous dire ?
13:51 "L'inspecteur Harry", c'est un film qui s'adressait à un public un peu plus âgé. Ce public un peu plus âgé était troublé, dérangé par la contre-culture.
14:03 Aux Etats-Unis, à cette époque, là on est en 69, 70, 71.
14:12 Par conséquent, c'était à ce public-là que s'adressait ce film.
14:19 Et dans une certaine façon, ça leur donnait raison.
14:25 Quand ils regardaient par la fenêtre, ils ne voyaient pas l'Amérique de leur enfance.
14:30 Donc, de cette façon-là, "L'inspecteur Harry" c'était divertissant.
14:40 Mais évidemment, il y a une dimension supplémentaire, parce que c'était quand même un grand succès.
14:44 Les gens qui se plaignaient de "L'inspecteur Harry", c'était des critiques.
14:48 Moi, ce qui m'a intéressé dans mon analyse, c'est que les critiques ont omis quelque chose.
14:57 C'est la réaction du public.
15:01 En creux, dans "L'inspecteur Harry", il y a en fait une demande, un appel pour de nouvelles lois face au serial killer.
15:14 Par exemple, on se disait, en regardant le film, qu'on était impuissants.
15:20 Et ça a bien vieilli d'ailleurs, parce que la législation s'est adaptée pour faire face à des crimes horribles.
15:29 Quand on regarde "L'inspecteur Harry", on se dit "mais qu'est-ce qu'ils foutent les flics ?"
15:37 "Wilbrand, Manhunter, Willey, pourquoi il n'y a pas toute une tasse-force pour arrêter le...
15:43 Il n'y a que deux flics qui courent après ce gars, qui est en train de terroriser toute la ville.
15:49 Et il y a un gars, c'est un flic débutant, c'est quoi ce bordel ? Ça ne marche pas.
15:53 Alors, il faut quand même lui prendre la vie dure, non ?
15:57 Il n'y a pas que des films d'auteurs dans votre panthéon, il y a aussi des films très populaires.
16:01 "Rocky", par exemple.
16:02 "Silver Sur Salone", vous écrivez "quand "Rocky" est sorti, c'est pratiquement devenu mon film préféré de tous les temps".
16:08 Ah ouais ?
16:09 Bon, j'avais 16 ans, 15-16 ans.
16:14 Dans "Rocky", il y a beaucoup de puissance.
16:24 C'est un film très puissant.
16:27 Il y a une culmination, une apogée extraordinaire.
16:32 Là, j'étais complètement avec le reste du public.
16:42 Tout le monde souffrait pendant tout le match de boxe.
16:46 On aimait bien "Rocky", donc on ne voulait pas qu'il se fasse casser la gueule.
16:52 Mais je voulais également rendre hommage à la performance de Sylvester Stallone, à son charme.
17:03 Parce que c'est quand même un acteur formidable qui joue un crétin.
17:07 Mais en plus de cela, et ce qui m'a marqué particulièrement, c'est l'histoire de Stallone.
17:15 Stallone lui-même.
17:20 C'est aussi important que l'histoire de "Rocky", aussi important que le film lui-même.
17:25 Un type qu'on n'a jamais vraiment pris au sérieux comme comédien,
17:29 il écrit un scénario génial et il dit qu'il veut jouer dans le film.
17:35 Et puis, ça se passe comme ça.
17:37 Bon, ça, c'est une histoire géniale en soi.
17:40 Quelle inspiration !
17:42 Voilà un type qui voulait faire du cinéma.
17:44 Quelle histoire personnelle géniale.
17:46 D'ailleurs, je crois que c'est vraiment la meilleure histoire du cinéma qu'on puisse avoir.
17:50 Petit sujet délicat, Quentin Tarantino.
17:53 Pour les Français qui espéraient un hommage à notre cinéma, c'est raté.
17:58 Notamment pour les fans de François Truffaut, dont vous dites qu'il a un côté amateur et empoté.
18:05 C'est dur, ça.
18:07 Peut-être que c'est dur, mais c'est mon opinion et je l'assume.
18:14 Moi aussi, je suis critique.
18:16 Il y a des choses que j'aime, il y a des choses que je n'aime pas.
18:19 Il n'y a rien à sauver chez François Truffaut ?
18:22 Et d'ailleurs, sachez que j'ai lu la traduction des ouvrages de Truffaut.
18:34 J'ai lu les critiques de ses films.
18:37 Truffaut a lui aussi ses propres goûts.
18:42 Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas.
18:44 Et d'ailleurs, moi, je pense que je suis moins dur avec Truffaut que Truffaut ne l'est avec John Huston.
18:53 Mais il n'y a rien à sauver chez Truffaut ?
18:55 Non, non, non, je n'ai pas dit ça.
18:58 Non, non, non, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, Léa.
19:02 Il y a quand même le film "Adèle H".
19:06 Ce n'est pas un film extraordinairement génial, mais ce n'est quand même pas le travail d'un minable amateur.
19:11 Une autre icône que vous avez égratignée dans le livre, c'est Alfred Hitchcock.
19:15 Il est surcoté à vos yeux, Alfred Hitchcock ?
19:18 Non, je ne dirais pas qu'il est surcoté.
19:21 Hitchcock, c'est un formidable réalisateur.
19:26 Et c'est le réalisateur le plus célèbre qui ait jamais existé.
19:31 Et c'est justifié.
19:34 Moi, je n'ai jamais vraiment été 100% fan d'Hitchcock.
19:37 À mon avis, il était piégé dans une époque où il ne pouvait pas faire ce qu'il voulait.
19:41 Les gens sont complémentaires de ses films des années 50.
19:46 À mon avis, c'est les films des années 50 où il est le plus piégé.
19:50 Moi, les films d'Hitchcock que j'aime le plus, c'est les films des années 30.
19:53 Ça, c'est génial.
19:55 Au fond, à vous lire, Quentin Tarantino, pour vous, le cinéma que vous aimez s'arrête à la fin des années 70.
20:01 Vous êtes très dur avec les années 80.
20:04 Une décennie, je vous cite, où les personnages principaux, complexes et compliqués des années 70 passaient complètement à la trappe.
20:13 Les personnages complexes ne sont pas nécessairement sympathiques.
20:16 Les gens intéressants ne sont pas toujours agréables.
20:19 Mais dans le Hollywood des années 80, ce qui comptait le plus était que tout soit agréable.
20:25 Il a tout dit.
20:27 Je suis d'accord avec ce que j'ai écrit.
20:32 C'est une décennie d'ennui pour le cinéma.
20:35 Les années 80, c'est une décennie du politiquement correct.
20:42 Ça existait dans les années 50, mais c'était mis en application par la loi.
20:50 Mais dans les années 80, surtout après les années 70, ce qu'il y avait de décourageant, de désagréable,
20:59 c'était que la censure était infligée par les studios, pas par la loi.
21:05 C'était de l'auto-censure.
21:07 Les studios ont infligé cette censure et ensuite les réalisateurs se sont censurés aussi.
21:13 Parce que quand on vous dit "non, non, non, ça va être un problème, ça, la presse va réagir très mal" et ainsi de suite,
21:20 qu'est-ce qu'on fait quand on est réalisateur ?
21:22 On se censure soi-même.
21:24 Parce que ça ne vaut pas la peine de se battre.
21:27 Les années 80, vous ne les épargnez pas, c'est les années du politiquement correct, comme vous dites.
21:32 Mais vous dites "après est venu les années 90".
21:34 Et les années 90, c'était Paul Verhoeven, c'était le renouveau du cinéma, vous citez ça.
21:39 Et vous faites le parallèle avec aujourd'hui.
21:41 Vous dites "malheureusement, on est revenu un peu aux années 80".
21:44 C'est-à-dire à quoi ?
21:45 Un cinéma, à vos yeux, inintéressant, superficiel, aseptisé, politiquement correct ?
21:50 Vous avez l'impression qu'on est revenu à ça et qu'il va falloir attendre 10 ans
21:53 pour de nouveau avoir un cinéma vivant et excitant ?
21:57 À vrai dire, oui, je crois que c'est ça le schéma du cinéma.
22:08 Mais revenons à ce qu'on disait sur les années 80.
22:10 Quand je vous parle des années 80, je ne vous parle pas de la Terre, de la planète.
22:16 Je vous parle de Hollywood et des États-Unis.
22:19 D'ailleurs, dans plein de pays, ce n'était pas la même situation.
22:23 Même en Angleterre, ce n'était pas la même chose qu'aux États-Unis.
22:27 C'était les films hollywoodiens.
22:30 Almodovar fait bien ce qu'il veut.
22:33 Pas de censure de ce côté-là, c'était chouette.
22:37 Et dans les années 50, il y a des films qu'on ne pouvait pas faire.
22:43 Il y avait des Godard, des Bergman.
22:47 Il y avait quand même des idées intéressantes de la part de ces réalisateurs.
22:52 On allait voir un film de Pedro Almodovar.
23:02 On allait voir ça dans un petit cinéma de quartier d'arrêt d'essai,
23:04 et pas dans un grand cinéma hollywoodien.
23:12 Je vais vous donner mon avis.
23:16 Aujourd'hui, c'est tellement nul ce qui se passe que les années 80, c'était génial.
23:23 Les années 80, c'était pas si mal, finalement.
23:28 Mais c'est comme ça, c'est cyclique à Hollywood.
23:34 C'était une sorte de pendule, ça va, ça vient, et ainsi de suite.
23:38 Il y a eu le cinéma des années 30, puis ensuite, gros changement.
23:47 Après le cinéma, avec tout ce que ça a impliqué comme censure.
23:53 Après, il y a eu les films noirs, les films policiers.
23:57 Puis après, le cycle arrive dans les années 50, les années 60.
24:02 Et en raison de cela, il faut qu'il y ait un retour.
24:07 On arrive dans les années 70.
24:09 Action, réaction, action, réaction.
24:12 C'est ça, Hollywood.
24:14 À mon avis, les choses vont changer.
24:16 Pour le meilleur, il faut attendre.
24:19 Pourquoi vous les trouvez si désespérantes que ça, les années 2010, 2020 ?
24:25 Le cinéma d'aujourd'hui, il n'y a rien que vous sauvez dans ce que vous voyez aujourd'hui ?
24:30 Non, je ne dis pas qu'il faut tout jeter.
24:34 D'ailleurs, on pourrait dire, et je le dis lorsque je parle de certains films des années 80,
24:43 on pourrait dire que lors d'une décennie que l'on considère comme une terre abandonnée avec rien qui se passe,
24:52 il y a quand même quelques films qui traversent le plafond de verre,
24:59 qui ne se conforment pas à la norme.
25:01 Ce sont des films encore plus précieux, des films qui ont encore plus d'impact.
25:05 Le dernier film qui vous a plu, récemment, que vous avez vu, "Babylone", "The Fable Mans",
25:11 ce sont des films qui regardent Hollywood d'avant.
25:14 Non, je ne veux pas parler d'un film, que ce soit bien ou mal.
25:20 Non, je ne veux pas critiquer à qui que ce soit, ni je ne veux pas non plus tresser des lauriers à qui que ce soit.
25:25 Vous avez dit que vous arrêtiez, Quentin Tarantino, de tourner à 60 ans.
25:29 Les 60 ans, vous les avez.
25:31 Depuis cette semaine ?
25:32 Depuis cette semaine, oui.
25:33 Le prochain film sera vraiment le dernier ?
25:35 Mon prochain film sera mon dernier film.
25:38 Oui.
25:41 Et après, ce sera quoi ?
25:42 Des livres, des pièces, du théâtre, de la télé aussi, mais le cinéma, je l'entends.
25:51 Voilà, j'arrête.
25:52 Vous avez eu 60 ans cette semaine.
25:54 L'âge rend-il sage ?
25:56 J'espère bien.
25:58 J'espère bien, mais c'est pour ma femme.
26:00 C'est une question qu'il faudrait poser à mon épouse.
26:02 Merci.
26:03 Merci, Quentin Tarantino.
26:05 Merci beaucoup.
26:06 Merci.
26:07 Merci beaucoup.
26:08 Merci beaucoup.
26:09 Merci encore, Quentin Tarantino.
26:10 Cinéma spéculation chez Flammarion.
26:13 Merci à Xavier Combe pour la traduction de cet entretien.
26:17 Prise de son, Johanna Gabric et Marc Garvenes.
26:20 Réalisation, Mao de Butler.

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