À l'occasion de la sortie du film de Frédéric Tellier "L'Abbé Pierre - Une vie de combats", Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française, qui incarne l'Abbé Pierre, Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre et Annie Porte, sauvée par l'Abbé Pierre en 1951, étaient les invités de France Inter, mercredi 8 novembre.
Tous trois racontent avoir été très émus par le film. "C'est bouleversant et d'une actualité incroyable", témoigne Christophe Robert.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
Tous trois racontent avoir été très émus par le film. "C'est bouleversant et d'une actualité incroyable", témoigne Christophe Robert.
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00:00 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
00:06 Et à l'occasion de la sortie en salle aujourd'hui du film « L'Abbé Pierre, une vie de combat
00:11 au pluriel » de Frédéric Tellier, nous vous proposons ce matin avec Léa Salamé
00:16 une table ronde pour évoquer ce grand homme du XXème siècle, cette immense figure de
00:20 la lutte contre la pauvreté, fondateur de la communauté Emmaüs, décédée en 2007.
00:26 Pour en parler Léa, nous sommes avec…
00:29 Celui qui interprète de manière époustouflante l'Abbé Pierre dans le film, Benjamin Lavergne,
00:33 sociétaire de la comédie française.
00:34 Bonjour à vous et merci d'être là !
00:35 Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre, bonjour à vous
00:40 et merci d'être là.
00:41 Et puis Annie Porte, l'Abbé Pierre vous a sauvé la vie.
00:44 Vous nous direz comment ? Vous avez été le premier bébé Emmaüs en 1954.
00:49 C'est une histoire que vous aviez racontée dans « Mon père de cœur, l'Abbé Pierre
00:53 » paru chez J.C.
00:54 Lattès en 2008.
00:55 Soyez les bienvenus, ce film permettra à ceux qui l'ont connu de redécouvrir une
01:00 silhouette, le timbre d'une voix, la colère d'un homme qui marqua son siècle.
01:05 Et à ceux qui ne le connaissent pas, les moins de 20 ans pour le dire vite, de découvrir
01:09 un héros français, un bourgeois qui a abandonné la richesse pour se battre pour les plus pauvres.
01:14 Benjamin Lavergne, ce qui marque dans le film, c'est que l'Abbé Pierre a eu plusieurs
01:19 vies.
01:20 Le film devait s'appeler « Les onze vies de l'Abbé Pierre ». Qu'est-ce que vous
01:23 avez découvert de lui que vous ne saviez pas ?
01:25 Ben c'est onze vies.
01:28 Après on peut s'amuser à les compter mais il est multiple cet homme, il est surprenant.
01:33 Et moi il m'a bouleversé aussi par cette capacité à se réinventer tout au long de
01:38 sa vie.
01:39 Je ne savais pas qu'il avait sauvé des juifs à 3000 mètres d'altitude, qu'il
01:43 les avait fait passer en Suisse et qu'il était un grand grand héros de la résistance.
01:47 Qu'il avait eu un courage inouï.
01:49 Et je ne savais pas beaucoup de choses, qu'il avait partagé sa vie avec une femme pendant
01:54 40 ans.
01:55 C'est une grande histoire d'amour.
01:56 Amour platonique.
01:57 Vous dites une grande histoire d'amour platonique sans consommation.
02:01 Oui, bien sûr, vous avez raison de le préciser.
02:03 Mais c'est quand même une grande fidélité, une admiration réciproque.
02:07 Et ils étaient même en colocation de 1949 jusqu'à la mort de Lucie.
02:11 Donc ils étaient inséparables.
02:13 Inséparables puisque dans la mort, Lucie Koutaz, ils sont enterrés côte à côte
02:17 dans un petit cimetière de Normandie.
02:18 Christophe Robert, on imagine que vous connaissiez déjà très bien la vie de l'abbé Pierre.
02:21 Vous l'avez rencontré sur la fin de sa vie, les dernières années, vous l'avez connu.
02:24 Est-ce que vous avez découvert des choses en voyant le film ? Qu'est-ce qui vous a
02:28 le plus marqué, surpris, frappé ?
02:29 Alors, j'ai d'abord été très bouleversé par le film, pour vous dire sincèrement.
02:36 C'est-à-dire que l'incarnation de l'abbé Pierre par Benjamin, c'est fulgurant.
02:41 C'est-à-dire qu'au moment où on arrive à l'époque où moi je l'ai connu, c'est-à-dire
02:44 vers 2003, 2002, 2004, ça m'a fait un choc.
02:47 Je me suis dit "Waouh, il est là".
02:49 Donc, ça m'a bouleversé.
02:51 Parce qu'il fait toute sa vie, c'est-à-dire que le maquillage a permis de le faire passer
02:56 de 20 ans à 94.
02:57 Exactement.
02:58 Et ça, c'est très touchant.
02:59 Après, moi je connaissais bien l'histoire de résistants, de députés, le combat qu'il
03:04 a mené sans relâche pendant 60 ans contre toutes les exclusions pour la paix dans le
03:08 monde.
03:09 Je savais aussi qu'il avait des fragilités, mais j'ai découvert encore plus ses fragilités
03:14 tout au long de ce film.
03:15 C'est-à-dire qu'on voit le doute sans arrêt.
03:18 On voit à quel point il est insatisfait, à quel point c'est jamais assez.
03:21 Je l'avais entendu dire quand on venait lui apporter des éclairages sur ce que nous faisions,
03:26 le mouvement Emmaüs, la fondation Abbé Pierre pour les mal logés.
03:29 Ils disent "oui, ça c'est bien, mais et les autres ?" Et les autres, ils étaient
03:32 toujours insatisfaits.
03:33 Mais par contre, les fragilités personnelles.
03:35 Et moi je trouve que c'est très encourageant.
03:37 Parce que vous savez, tous ceux qui combattent contre les exclusions, tous les jours ils
03:40 sont fatigués.
03:41 Parce que quand il faut, vous avez deux réponses à apporter à 100 personnes qui sont dans
03:44 la galère.
03:45 C'est dur quand vous êtes travailleur social, quand vous êtes responsable d'une association.
03:48 Et du coup, se dire que, voilà, ce doute, cette impossibilité de répondre à tout
03:55 le monde, eh bien il ne lui a pas enlevé cette force de conviction pendant 60 ans.
03:59 Et moi ça m'a donné beaucoup de force.
04:00 On voit son épuisement physique aussi à plusieurs moments.
04:03 Absolument.
04:04 Y compris avec une question de médicaments à un moment, parce qu'il tient avec des
04:07 médicaments.
04:08 Les amphétamines.
04:09 Exactement.
04:10 Et on voit à quel point finalement, presque il se détruit.
04:11 Et heureusement, heureusement, qu'il a une psychotase qui est...
04:14 Qui est là à ces moments-là pour lui dire "mais mon père, là vous allez basculer".
04:18 Elle va le contrôler toute sa vie.
04:20 L'usicutase qui est incarnée aussi de manière prodigieuse par Emmanuel Bercot, je le précise.
04:24 Mais c'est vrai que pour nous qui ne connaissions pas aussi bien que vous l'abbé Pierre, on
04:27 découvre effectivement sa vie de résistance, le fait qu'il est sauvé des juifs, le fait
04:30 aussi qu'il ait connu l'amour pendant la guerre.
04:34 L'amour d'une femme.
04:35 Il dit d'ailleurs ensuite "toute ma vie, je sais que je souffrirai de ne pas avoir la
04:41 tendresse d'une femme".
04:42 Il aimait les femmes.
04:43 Mais les femmes l'aimaient.
04:44 Cette espèce d'empêchement pour sa foi d'aller vers les femmes, ça aussi on le découvre.
04:50 Il y a des choses plus polémiques aussi avec son amitié avec Roger Garody.
04:54 On va y venir.
04:55 Mais vous Annie Porte, vous qui l'avez connue, est-ce que vous avez reconnu dans le film
04:59 l'homme que vous aviez connu jeune, qui vous a sauvé la vie ? Vous êtes née dans une
05:03 maison en dur comme on disait, qui a été construite par l'abbé Pierre Anneuil-sur-Marne
05:08 et les compagnons en Bolle Parisienne.
05:10 Vos parents et votre frère avaient jusque-là vécu huit mois sous une bâche sur un terrain
05:14 insalubre.
05:15 Est-ce qu'il y a des choses de l'homme que vous avez retrouvées dans le film ?
05:18 Pour moi, j'étais très émue de se faire ce film et puis que Benjamin, il a joué ce
05:28 rôle.
05:29 Moi, j'étais vraiment… c'était beaucoup d'émotion et c'était vraiment l'homme
05:35 que j'ai connu.
05:37 Vous avez vu l'abbé Pierre ?
05:39 J'ai vu l'abbé Pierre sur l'écran.
05:41 C'était incroyable.
05:42 Les mains de Benjamin ?
05:43 Oui, parce qu'à chaque fois quand on voyait l'abbé Pierre, on s'en laissait toujours,
05:52 on était toujours heureux de se retrouver.
05:54 Et puis, on se prenait les mains.
05:57 Et moi, le jour où j'ai vu Benjamin, on m'a présenté sur le tournage, j'ai pris
06:03 ses mains.
06:04 J'étais complètement grimée.
06:07 J'étais 90 ans.
06:09 J'ai dit « c'est les mains de l'abbé Pierre ».
06:11 Alors, je me suis dit « moi, j'étais perdue là ».
06:12 Et moi, j'en rajoutais une couche, je faisais « oh Annie, qu'est-ce que je suis content
06:16 de te retrouver ».
06:17 Je voyais l'effet que ça produisait.
06:20 C'est là aussi la magie du cinéma.
06:21 C'était fantastique.
06:22 Racontez-nous votre histoire en deux mots, juste pourquoi l'abbé Pierre vous a sauvé.
06:26 Il y avait eu une intercassée avec mes parents à l'époque parce qu'on vivait chez les
06:31 parents paternels.
06:32 Mes parents se sont retrouvés sous une toile de tente à 150 mètres de chez les grands-parents.
06:40 Ils ont mis une petite canadienne, une petite bâche.
06:44 C'était vraiment une petite bâche.
06:45 Il y avait mon frère à l'époque qui avait deux ans.
06:48 C'est le prêtre du Péreux.
06:52 Pour lui, c'était insoutenable de voir cette famille sous cette toile de tente.
06:56 Il a prévenu l'abbé Pierre.
06:57 L'abbé Pierre est venu avec les compagnons.
07:01 C'est comme ça qu'on s'est retrouvés dans une maison.
07:04 L'abbé Pierre a tout fait.
07:05 Comme il avait gagné une émission qui est tout double, cet argent a servi pour acheter
07:13 le terrain.
07:14 C'est là qu'on a construit la toute première maison qui fut pour mes parents.
07:18 Et sinon, vous en seriez peut-être mort de froid.
07:20 Je n'aurais peut-être pas vu le jour.
07:23 C'est grâce à lui que je suis en vie.
07:25 C'était avant le fameux appel de 1954.
07:32 Appel dix ans après la fin de la guerre.
07:38 Un hiver terrible.
07:39 Et ce jeune abbé qui convainc Radio-Luxembourg, l'ancêtre de RTL, de lui permettre de lancer
07:47 un message.
07:48 Mes amis, au secours.
07:50 Une femme vient de mourir, gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard
07:57 Sébastopol.
07:58 Elle serrait sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée.
08:05 Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, à la rue, sans
08:11 toit, sans pain, plus d'un presque nu.
08:14 Je vous en supplie, aimons-nous assez, tout de suite, pour faire cela.
08:19 Que tant de douleurs nous aient rendu cette chose merveilleuse, l'âme commune de la France.
08:26 Merci, merci.
08:27 C'est une archive de nos confrères de RTL.
08:30 Christophe Robert, cet appel a provoqué un tournant.
08:33 C'est l'insurrection de la bonté.
08:35 L'appel va rapporter des centaines de millions de francs.
08:38 Charlie Chaplin donnera deux millions de francs lui-même.
08:41 C'est inédit, cet élan de solidarité.
08:44 Il y en aura d'autres où aucun n'atteindra l'ampleur de celui de 54.
08:50 Oui, c'est impressionnant cet épisode.
08:53 Parce que, au fond, les compagnons découvrent une femme morte.
08:58 Ils étaient en train de marauder pour apporter un peu de sous pour essayer d'orienter les
09:03 personnes vers des solutions plus dignes.
09:05 Et à ce moment-là, ils se disent « mais c'est pas possible ». Ils discutent avec
09:08 un copain journaliste.
09:09 Ils viennent jusqu'à RTL, Radio Luxembourg de l'époque.
09:13 Et en fait, l'abbé Pierre lui-même ne s'attendait pas du tout à un élan comme
09:17 ça.
09:18 C'est-à-dire qu'il voulait alerter.
09:19 Et c'est le début de cette logique qui consiste à dire « nous on fait, nous, l'abbé
09:25 Pierre avec les compagnons, on apporte des solutions, on tend la main, on soutient, mais
09:29 on s'en sortira pas.
09:30 On s'en sortira pas s'il n'y a pas la puissance publique ». Et moi, quand j'ai
09:33 vu le film, j'ai pensé à une phrase.
09:34 Je me suis dit « mais… ». Et cet appel qui a suscité autant de générosité, c'est
09:39 un pays qui s'est soulevé.
09:40 Mais derrière, ça a été aussi les politiques qui ont été interpellés.
09:43 Il a demandé de l'argent pour pouvoir construire des cités d'urgence.
09:47 Il s'est battu au Parlement.
09:49 Il a ouvert le métro.
09:50 Il a ouvert le métro.
09:51 Bref.
09:52 Donc en fait, c'est toute la société qui s'est mobilisée à un moment.
09:56 Et moi, en sortant du film, je me suis dit une chose, en voyant ce parcours de 60 ans,
10:00 ce combat, cet appel de 54, c'est qu'en fait, il y a ceux qui peuvent être aidés
10:05 par leur famille dans la vie quand ils ont un coup dur.
10:07 Et puis il y a ceux qui ne peuvent pas.
10:08 Et du coup, c'est là où la puissance publique, l'État, finalement, c'est la famille
10:11 de ceux qui n'en ont pas.
10:12 Et c'est là que l'abbé Pierre nous a ouvert les yeux en disant « n'attendez
10:16 pas tout de l'État, faites-vous-même ! Nous, on va faire nous-mêmes ! Nous, les
10:19 compagnons ! Nous, l'abbé Pierre ! Tout le mouvement Emmaüs aujourd'hui, la fondation
10:22 abbé Pierre ! ». Mais s'il n'y a pas une puissance publique qui vient donner
10:26 les conditions dignes à chacun d'entre nous, les conditions minimales, eh bien, on
10:30 ne va pas s'en sortir.
10:31 Et là, c'est une magnifique interpellation de la société sur la solidarité globalement
10:36 et qui encore aujourd'hui résonne en nous très fort.
10:39 De l'hiver 54 avec cet appel sur Radio Luxembourg jusqu'à toutes ces prises de positions
10:43 médiatiques, il savait utiliser les médias comme personne.
10:46 C'est ça aussi qu'on voit dans le film et qu'on découvre.
10:49 Il savait employer le langage cru, le langage cash qui va retenir.
10:53 Bien avant les réseaux sociaux, les gens allaient retenir ces coups de colère, ils
10:57 savaient les faire.
10:58 Il y a un moment très vieux, un journaliste qui lui demande « mais pourquoi il est toujours
11:02 là en train de travailler dans la rue ? ». Et il répond au journaliste « eh bien, sans
11:05 le phénomène, sans le mythe Abbé Pierre, sans moi, il n'y aurait pas de caméra ici ».
11:09 Et ça, c'est très juste.
11:11 Oui, c'est assez irrésistible.
11:13 Il avait une plume, mais il était aussi un grand improvisateur.
11:16 Apparemment, il grattait cet appel de 54, il l'a gratté en 10 minutes, juste avant,
11:20 comme ça.
11:21 Et c'est ce qui fait sa grande puissance.
11:24 C'est sa magie.
11:25 C'est son charme aussi.
11:26 C'est sa verve, ses réquisitoires, ses fulgurances.
11:30 Et je pense qu'il aimait ça.
11:31 C'était un grand acteur, il y prenait beaucoup de plaisir.
11:33 Et c'était un ambitieux.
11:35 Vous dites, vous, Benjamin, dans le dossier de presse, vous dites qu'il se rêvait Napoléon
11:39 Saint-François d'Assise.
11:40 Il voulait « bigger than life », il voulait un grand destin.
11:43 J'adore ça, qu'en fait, il ait un énorme égo aussi.
11:45 Et que sans ça, il n'aurait pas pu accomplir tout ce qu'il a fait.
11:48 Et donc, quand il est rongé en disant « mais c'est de l'orgueil, ça le rendait malade
11:51 », il dit « pourquoi j'ai cet instinct de domination ? ». Il dit ça, « instinct
11:54 de domination ». Et en même temps, il avait la carrure d'un chef, et donc il fallait
11:59 qu'il l'obéisse à sa vocation, à son destin, à quelque chose qui était avant
12:03 lui, comme s'il avait… comme un super-héros qui dit « un grand pouvoir implique des
12:08 grandes responsabilités ».
12:09 Sur cet aspect de la personnalité de l'abbé Pierre, Christophe Robert ?
12:12 Oui, je pense qu'il aimait séduire.
12:14 C'est un tribun.
12:18 Et je pense quand même qu'il avait aussi compris que les médias étaient le moyen
12:23 de rendre visible ce que les gens ne voient pas.
12:25 Tout le monde ne voit pas la souffrance d'une famille sous une toile de tente.
12:29 Il faut avoir envie de regarder.
12:30 Et donc il s'en est d'abord servi de manière un peu utilitariste, en disant « on n'agira
12:35 bien que sur ce que l'on connaît, ce que l'on voit ». Donc il voulait rendre visible.
12:38 Après, cette dimension de tribun, elle est impressionnante.
12:43 Le choix du mot.
12:44 Et vous savez, pour rendre accessible cette complexité qu'est la pauvreté, le mal-logement,
12:50 les exclusions, c'est pas facile.
12:51 Mais quand l'abbé Pierre nous dit « la misère ne se gère pas, elle se combat », ça
12:55 veut dire que les petites mesurettes qui pourraient donner le sentiment qu'on agit pour protéger
13:00 les plus fragiles, et bien c'est pas suffisant.
13:02 Parce que tant qu'il y a comme aujourd'hui 2800 enfants à la rue, on ne peut pas accepter.
13:06 Il dit que ce qui le marque, c'est pas une question de charité, c'est une question
13:11 de justice.
13:12 Complètement.
13:13 Et ça c'est la continuité de son combat pendant ce temps-là.
13:15 On va parler d'un mot de la pauvreté aussi d'aujourd'hui, puisqu'on vous a invité
13:18 pour savoir qu'est-ce qui reste de l'abbé Pierre, de ses colères, de ses fulgurances.
13:21 Et bien il reste la pauvreté malheureusement qui est loin d'être éradiquée.
13:24 On combat toujours.
13:25 Mais juste un mot Annie, sur l'homme que vous avez connu, sur ce que dit Benjamin.
13:28 C'est-à-dire à la fois un homme ambitieux qui a un énorme égo, et un homme qui a tellement
13:32 de doutes, de fragilités, de fragilités physiques.
13:35 Le film commence où il se fait virer de l'ordre des Capucins parce que juste il est malade
13:39 tout le temps et il ne peut pas supporter.
13:40 Il ne supporte pas ce corps qui va lui faire souffrir toute sa vie.
13:43 Donc ce mélange chez cet homme d'hyperpuissance et d'immense fragilité.
13:49 Vous l'avez vu, vous l'avez ressenti quand vous le voyez ?
13:50 Parce que j'ai passé pas mal de temps avec lui.
13:53 Et un jour je me trouvais à Esteville et il était épuisé, fatigué.
13:58 Et subitement il y a un coup de téléphone et un appel.
14:04 Je l'ai vu rebondir, retrouver de l'énergie.
14:10 Et puis il avait ses chaussures qu'il n'attachait jamais.
14:15 Il disait "mais Godillot, je ne les attache jamais".
14:17 Et je l'ai vu rebondir.
14:19 Mais où est-ce qu'il va chercher cette énergie ?
14:21 Il y a un hélicoptère qui venait le chercher et il marchait.
14:25 Moi je courais derrière lui, mais lui il marchait à grands pas.
14:27 Moi j'étais obligée.
14:28 Je ne sais pas où il se trouvait.
14:29 - Il allait très bien en fait.
14:30 - Deux minutes avant il était vraiment très mal.
14:35 Mais où est-ce qu'il avait été cherché ?
14:36 C'est incroyable.
14:37 Il m'a surprise plusieurs fois comme ça.
14:41 - Allez, on va passer au standard.
14:43 Bonjour Angelo !
14:44 - Bonjour François Mitterre.
14:45 - Bonjour François Mitterre pour la énième fois avec plaisir.
14:48 - Le plaisir est mutuel.
14:50 On vous écoute.
14:51 - Alors bon, c'est difficile tellement ce film est bouleversant par son interprétation,
14:58 par les choses que j'ai apprises et par la manière dont il s'inscrit dans l'aujourd'hui.
15:03 Ça m'a fait penser à tellement de trucs.
15:05 C'est arrivé comme une avalanche.
15:07 Je pensais par exemple à l'antisémitisme, à ce personnage qui a été accusé vite
15:15 fait.
15:16 Je pensais aussi à la franchise du doute.
15:19 Et ça fait référence aux hommes politiques que je peux écouter sur votre chaîne des
15:24 fois qui eux ne doutent jamais, sont même prêts à mentir pour que leur vie dépasse,
15:27 etc.
15:28 Tout parti confondu.
15:29 Et lui il est là avec ses doutes, il avance.
15:32 Et je pensais aussi à tous ces gens qui disent que être croyant, être dans la religion,
15:38 ça empêche d'avancer.
15:39 Pour moi, ce film est merveilleux.
15:41 Il casse plein d'a priori.
15:43 Je ne savais pas qu'il avait été député.
15:47 Je ne savais pas.
15:48 Mais surtout, la grosse souffrance, c'est de se dire quand même, on n'a pas beaucoup
15:54 avancé.
15:55 Il y a encore des gens qui meurent dans la rue.
15:57 J'ai adoré les petits clins d'œil à l'aspect contemporain.
16:00 Il y a un moment, il parle des immigrés.
16:03 Il dit est-ce qu'on va interdire nos frontières ? Alors que la misère, c'est la misère.
16:07 Et aujourd'hui, on en est là dans des réflexions encore plus profondes.
16:11 Il faut qu'on sache et qu'on se répète que nous, la France et bien d'autres pays
16:17 occidentaux, nous sommes responsables en partie des déficits liés au climat.
16:22 Et nous allons fermer nos frontières.
16:24 C'est les seules réponses qu'on a.
16:25 Je suis bouleversé par ce film.
16:28 Et on l'entend.
16:29 Et on l'entend Angelo.
16:32 Merci d'avoir partagé ce sentiment, ces sentiments, après avoir vu le film.
16:40 Qui veut répondre ? Un mot ? Christophe Robert ?
16:43 Oui, je pense que ce que dit Angelo est juste.
16:47 C'est bouleversant.
16:48 C'est d'une actualité incroyable.
16:51 Mais vous savez, c'est un peu comme l'amour.
16:54 C'est quelque chose qui traverse les décennies, qui traverse les siècles.
16:57 Les relations amoureuses, la question du partage, de la solidarité, de la main tendue, de la
17:03 façon dont on considère l'autre avec ses différences.
17:05 Est-ce que l'autre avec ses différences est le problème ? Est-ce ce qui fait peur ?
17:10 Ou est-ce que c'est la solution ou c'est la richesse ?
17:12 On peut le voir de deux manières.
17:14 La différence, ça peut être effectivement quelque chose qui nous effraie, parce que
17:18 ce n'est pas comme nous.
17:19 Mais si on fait un pas vers l'autre, c'est ça que l'abbé Pierre nous invite à faire.
17:24 On va s'apercevoir qu'en fait, c'est une diversité culturelle qui va créer une
17:28 richesse commune incroyable.
17:29 Et donc ça a été un défenseur de la paix, mais jusqu'à l'ONU.
17:33 Il a fait le tour du monde pour ce message de paix.
17:37 Et on voit bien qu'ailleurs, la question de la paix et la question des solidarités
17:41 sont complètement liées.
17:42 Parce que c'est le regard qu'on porte sur l'autre.
17:45 Vous savez, les personnes sans domicile, souvent, évidemment, la première chose qu'on
17:48 se dit, et il y a un problème quand même, on a doublé le nombre de personnes sans domicile
17:51 dans notre pays en dix ans.
17:53 Donc, il y a un problème.
17:54 Mais quand vous discutez avec des personnes à la rue, bien sûr qu'il faut d'abord
17:57 qu'elles aient un toit et à manger.
17:59 Mais souvent, elles vous disent, le plus dur, c'est qu'on ne me regarde plus.
18:03 Je n'existe pas.
18:04 Je suis invisible.
18:05 C'est comme si on mangeait en baie dans la rue.
18:07 Et en fait, cette humanité qui n'existe plus à ce moment-là, c'est la plus grosse
18:11 douleur.
18:12 Donc, je crois qu'il y a quelque chose de l'humanisme profond.
18:15 Il avait cette phrase très belle, ne ferme pas les yeux, ne baisse pas la tête et surtout
18:20 ne t'habitue jamais.
18:22 Et ça, c'est vrai que ça l'incarne.
18:25 On peut donner la kyrielle de chiffres terribles.
18:28 9 millions aujourd'hui de Français qui vivent dans la pauvreté, 15% de la population française,
18:33 1 Français sur 3 depuis l'inflation qui se prive d'un repas, 4 millions de mal logés.
18:38 Et puis ce chiffre qui nous a donné froid dans le dos, mais comme tout le monde, 2800
18:42 enfants aujourd'hui, en 2023, dorment dehors.
18:45 Oui, et encore, on parle de ceux qui appellent le 115, à qui on ne propose pas de solution
18:49 le soir venu pour dormir.
18:50 C'est-à-dire que c'est un indicateur qui se base sur qui appelle ce numéro d'urgence
18:55 aujourd'hui.
18:56 Donc c'est à peu près 6000 personnes par soir, dont 2800 enfants.
19:00 Et on passe les promesses de tous les politiques depuis 40 ans de Lionel Jospin à Nicolas
19:04 Sarkozy en passant par Emmanuel Macron, avec moi, il n'y aura plus une personne à la
19:08 SDF.
19:09 Oui, mais inversement, j'allais dire attention.
19:10 Vous savez, Angelo disait, ça n'a pas changé.
19:14 Il y a des choses qui ont changé depuis 1954.
19:16 La qualité des logements, le nombre de mètres carrés par ménage dans le logement.
19:20 Là où il y a un problème, et Angelo a raison, c'est qu'il y a encore des gens qui vivent
19:24 comme en 1954, dans les bidonvilles, les personnes à la rue.
19:27 Mais par exemple, sur l'hébergement d'urgence, on ne peut pas dormir tranquille, dirait l'abbé
19:31 Pierre, tant qu'il y a des enfants qui dorment à la rue, tant qu'il y a des personnes qui
19:34 dorment à la rue.
19:35 Et en même temps, les efforts des politiques publiques, il y a eu 40 000 places de plus
19:38 d'hébergement d'urgence.
19:39 Ça ne suffit pas, ça veut dire qu'on est encore en dessous de ce que nous devons faire.
19:43 On ne peut pas dire que rien n'a été fait.
19:45 Il dirait quoi aujourd'hui, Annie ? Il avait si bien connu l'abbé Pierre.
19:48 Il dirait quoi de la situation de la France en 2023 ?
19:51 L'abbé Pierre, il ferait encore son combat, il continuerait.
19:54 Pour lui, c'était servir, premier, le plus souffrant.
20:00 C'est ce qu'il disait toujours.
20:02 Hier encore, j'ai vu des gens dormir dans cette petite pelle de tente, dans la rue.
20:12 Je dis, ce n'est pas possible.
20:14 Je suis restée même un moment à discuter avec eux.
20:18 Mais j'étais vraiment encore choquée.
20:21 Maintenant, à l'heure actuelle, avec tous les moyens qu'on a, qu'on trouve encore
20:26 des gens dans la rue, ce n'est pas possible.
20:28 On a une question d'auditrice Elisabeth.
20:31 En ce moment, en France, personne n'est à la hauteur de l'abbé Pierre.
20:35 Personne ne prend la parole comme il l'a fait.
20:38 Et ce serait plus que nécessaire.
20:40 J'espère que ce film inspirera des gens.
20:43 Christophe Robert ?
20:45 Oui, c'est vrai.
20:46 Moi, je vais vous dire, dans l'expérience que j'ai de ce contact avec l'abbé Pierre,
20:51 il est mort le 22 janvier 2007.
20:52 En 2006, il y avait des parlementaires qui voulaient s'attaquer à la loi SRU.
20:57 Cette loi qui impose la construction de logements sociaux.
21:00 C'était son dernier combat public.
21:02 Il est monté au perchoir de l'Assemblée Nationale.
21:03 Il est allé à l'Assemblée Nationale.
21:05 En quelques semaines, c'était plié.
21:06 Nous, ça faisait des mois qu'on bataillait pour convaincre les sénateurs et les députés
21:09 de ne pas faire ça.
21:10 De ne pas affaiblir cette loi qui est une loi de la République.
21:13 La plus solidaire qu'on puisse connaître.
21:15 Et bien oui, aujourd'hui, il nous manque dans ces combats.
21:19 Parce que ça pesait.
21:20 Honnêtement, je l'ai vu, ça pesait.
21:22 Donc ça veut dire qu'il faut qu'on prenne tous le relais.
21:23 Vous, Annie, Benjamin, moi, il faut qu'on soit nombreux à demander autre chose.
21:30 Vous voyez ce que je veux dire ?
21:31 Évidemment qu'on ne peut pas supporter qu'il y ait des personnes à la rue.
21:33 Et d'ailleurs, la France ne supporte pas.
21:35 Nos concitoyens ne supportent pas.
21:36 Je crois que personne ne s'est habitué encore à ça.
21:39 Ce qui, dans d'autres pays, n'est pas forcément le cas.
21:41 Donc il faut continuer à ne pas s'habituer.
21:43 Je ne sais pas s'il y aura une figure qui pourra émerger à un moment ou à un autre.
21:47 Mais on a besoin.
21:48 On a besoin de ça.
21:49 Et aussi de lutter contre la fatalité.
21:52 La fatalité de la misère.
21:53 En fait, moi, je trouve que ce qui est fabuleux, pour moi, à titre personnel, d'avoir rencontré
21:57 cet homme et d'avoir fait ce film, c'est de susciter des élans d'engagement.
22:01 C'est donner du sens.
22:03 Tout le monde est là à dire, enfin tout le monde, beaucoup de gens aussi subissent
22:07 ces nouvelles atroces.
22:08 Et que ce modèle qu'ils disent, je continuerai à croire, même là où tout le monde perd
22:13 espoir, je continuerai à construire, là où les autres détruisent, je continuerai
22:16 à parler de paix, même au milieu d'une guerre.
22:18 D'avoir ce modèle, ce héros, ça suscite des engagements.
22:23 Et surtout, cette abnégation, cette résilience, qui malgré la tempête, d'ailleurs tout
22:27 type de tempête, on puisse continuer à se dire, mais en fait, c'est possible.
22:31 Il y a des choses, des initiatives.
22:32 Moi, je trouve ça fabuleux.
22:34 Et ça me fait penser à cette phrase de son meilleur ami qui lui répétait, qui s'appelle
22:38 David, qui lui disait « Chacun fait ce qu'il veut dans la vie, les uns la traînent dans
22:43 la boue, en quoi s'allie-t-il la nôtre ? Il nous montre comment on peut la rendre
22:47 ignoble, profitons de la leçon et faisons-la splendide ».
22:50 C'est de renaître dans le noir.
22:53 Merci à tous les trois.
22:54 Et vraiment, on n'a pas beaucoup de héros français aujourd'hui, en ce moment, on
22:58 en manque.
22:59 Allez voir ce film.
23:00 L'abbé Pierre Une vie de combat de Frédéric Tellier, c'est en salle aujourd'hui.
23:03 Merci Benjamin Lavergne, Christophe Robert et Annie Porte d'avoir été à notre micro.