Yvane Jacob nous raconte les couturières d'Auschwitz.
Retrouvez "Mes aïeux quelle époque !" sur : http://www.europe1.fr/emissions/mes-aieux-quelle-epoque
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00:00 Europain, historiquement vôtre, avec Stéphane Bern.
00:03 Mes aïeux, quelle époque, mes aïeux, quelle époque...
00:05 Oui, mes aïeux, quelle époque, une époque et même plusieurs qu'on vous raconte chaque jour pendant deux heures.
00:09 Toujours avec Jean-Luc Lemoyne, David Cassel-Lopez qu'on retrouve dans un instant,
00:13 et maintenant avec vous, Yvan Jacob, notre journaliste à la mode.
00:16 Ça s'est passé dans le passé, on remonte en pleine guerre mondiale, en 1943 précisément,
00:21 dans l'horreur des camps de concentration où des couturières déportées ont été contraintes de faire de la haute couture.
00:28 Oui, est-ce que vous savez qui a prononcé cette phrase ?
00:32 "La mode est le seul et unique pouvoir le plus fort de tous."
00:36 Je l'ignore.
00:37 C'est Adolf Hitler qui a dit ça.
00:39 Alors, moi j'ai un petit peu travaillé sur le rapport du Troisième Reich aux vêtements et à la mode.
00:44 Vous le savez aussi, beaucoup de gens savent que l'apparence était un élément important de la propagande nazie,
00:49 qu'ils étaient bien habillés, mais je ne connaissais pas cette phrase.
00:51 Je l'ai lue dans un livre exceptionnel écrit par une historienne de la mode anglaise qui s'appelle Lucy Hadlington.
00:57 Son titre, c'est "Les couturières d'Auschwitz" et il raconte l'histoire invraisemblable de l'atelier de haute couture
01:02 installé dans le plus grand camp d'extermination de la Deuxième Guerre mondiale.
01:06 Alors, un atelier de haute couture à Auschwitz, ça semble complètement absurde, évidemment, et pourtant ça a existé.
01:12 D'abord, il faut savoir qu'avant la guerre et avant la prise de pouvoir par Hitler en 1933,
01:17 l'industrie textile allemande repose en grande partie sur la population juive.
01:21 85% des grands magasins et des chaînes de négoces appartiennent à des juifs allemands.
01:26 Berlin est un grand centre de la mode et du prêt-à-porter féminin avant l'heure.
01:30 Ça va être complètement détruit par les Allemands.
01:33 Il y avait un quartier qui est un peu l'équivalent du Sentier à Paris et qui faisait de Berlin une capitale de la mode.
01:38 Et ça va être vraiment écrasé par les Allemands.
01:40 - Mais les nazis se mêlaient vraiment de la mode ?
01:42 - Oui, Stéphane. Pour les nazis, la mode étrangère et notamment la mode parisienne, qui domine la scène européenne à ce moment-là,
01:47 est associée à la décadence, à la perversion de la société moderne.
01:52 La mode produite par les juifs est donc à bannir.
01:55 D'ailleurs, une bonne femme arienne, c'est une femme qui ne porte pas de talons, pas de maquillage,
01:59 mais de solides tabliers bavarois.
02:01 C'est pas complètement une blague, il y a vraiment une exaltation des costumes traditionnels et régionaux.
02:06 Ce qui est paradoxal, c'est que beaucoup des femmes des dignitaires nazis étaient friandes des beaux vêtements produits par les juifs.
02:12 Amy Gering, par exemple, regrettait que les magasins juifs soient boycottés.
02:15 Magda Goebbels regrettait la fermeture de son salon de couture préféré.
02:19 Elle disait "Nous savons pourtant qu'avec les juifs, c'est aussi l'élégance qui disparaît de Berlin".
02:24 Et bien après la mise en place des lois anti-juives,
02:27 beaucoup de ces femmes continuent de faire travailler en cachette leurs couturières juives.
02:31 Elles vont même dans les ghettos, passer leurs commandes et faire leurs essayages auprès de ces couturières.
02:36 Mais il y en a une qui va aller beaucoup plus loin, c'est Edwige Oes, la femme du commandant du camp d'Auschwitz.
02:41 Et c'est elle qui va créer un atelier de haute couture à Auschwitz.
02:43 Oui, l'histoire est vraiment incroyable.
02:45 Frau Oes a à son service une jeune déportée qui s'appelle Martha, dans sa villa aux abords du camp.
02:50 Martha s'occupe du ménage et des enfants.
02:52 Et un jour, Edwige lance "J'ai besoin de quelqu'un qui sache travailler la fourrure".
02:57 Martha répond qu'elle sait le faire, c'est son métier avant la guerre.
03:00 Et Edwige Oes est si satisfaite du résultat
03:03 qu'elle fait installer un petit studio de couture dans les combles de sa villa.
03:06 Mais il y a tellement de demandes de la part des femmes SS
03:10 et des femmes des responsables nazis qui vivent à Auschwitz
03:12 que Edwige Oes a l'idée de créer un vrai salon de couture.
03:15 On est en 1943, l'atelier ouvre dans le bâtiment administratif du camp,
03:20 un immeuble de 5 étages qui abrite aussi un salon de coiffure et un institut de beauté.
03:24 Mais c'est un salon qui fonctionne réellement comme une maison de couture ?
03:27 Exactement. Les clientes arrivent, discutent avec Martha,
03:31 qui a été affectée à la direction du salon.
03:33 Elles choisissent dans des magazines de mode les modèles qui leur plaisent,
03:36 des manteaux, des robes du jour ou de soirée, de la lingerie.
03:40 Les couturières réalisent tout de A à Z, depuis le dessin du modèle,
03:43 la conception du patron, le choix du tissu, jusqu'à la réalisation d'une toile.
03:47 Elles font les essayages avec les femmes, le montage de la robe évidemment,
03:51 tout comme dans un studio de haute couture, avec les mêmes exigences,
03:54 sauf qu'elles sont là à manier de la soie délicatement,
03:57 à quelques mètres vraiment des chambres à gaz.
03:59 C'est l'autre aspect hallucinant de cet endroit,
04:01 ils ne subissent aucune des pénuries qui touchent l'Europe en guerre,
04:04 on trouve tout à Auschwitz, volets dans les bagages des déportés,
04:07 du tissu bien sûr, y compris de la soie, du satin, etc.
04:11 Mais aussi du fil, des ciseaux, des mètres rubans,
04:13 même des fermetures éclairs, des boutons pression, des épaulettes,
04:16 y a absolument tout.
04:17 Rapidement, une vingtaine de couturières travaillent dans l'atelier
04:21 et répondent aux demandes des SS présentes à Auschwitz,
04:24 mais aussi à des commandes qui viennent de tout le Reich.
04:27 Alors le délai à peu près pour une robe, c'est de 6 mois à Berlin.
04:31 En expliquant qu'il y a trop de commandes et pas assez de main d'œuvre,
04:34 Martha réussit à faire "embaucher" d'autres déportés dans l'atelier,
04:38 parce que les conditions y sont bien meilleures évidemment que dans le camp.
04:41 Alors Martha fait venir Irene, par exemple, qui est une amie d'enfance,
04:45 Irène fait venir Bracha, qui fait venir sa sœur, Katka, etc.
04:48 Y en a une trentaine au final.
04:50 Ces femmes, elles ont survécu.
04:52 Par leur talent de couturière, elles ont pu échapper à la mort
04:55 et raconter cette histoire qui est encore assez méconnue.
04:58 - Incroyable.
04:59 Mes aïeux qu'à l'époque, merci beaucoup Yvan.
05:02 Et pour vous, chers auditeurs qui souhaiteraient en savoir davantage,
05:04 on ne peut que vous recommander donc le livre de Lucy Aldington,
05:08 "Les couturières d'Auschwitz", paru dans la collection "Histoire",
05:10 des éditions Payot.
05:12 Dans un instant, c'est le début de la fin, ou le début tout court,
05:14 avant de partir en remonte aux origines,
05:16 avec David Castello-Lopez et ses croisières.