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En immersion dans le métier d'enseignante contractuelle durant 6 mois, la journaliste Anna Benjamin témoigne et combat les préjugés sur le métier de professeur.
Retrouvez le livre Prof, publié aux éditions de la Goutte d'or, en librairie

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Transcription
00:00 C'est un collègue qui va me dire ça trois jours après mon arrivée.
00:02 Il dit "si, t'es prof, mais t'es aussi psy, assistante sociale et flic".
00:07 J'ai commencé mon immersion dans le métier de prof en septembre 2021.
00:12 Comment je suis devenue contractuelle ?
00:13 En fait, j'ai simplement envoyé un dossier de candidature
00:16 sur les sites de plusieurs académies,
00:19 en l'occurrence dans les Hauts-de-France et en Ile-de-France.
00:21 Une fois que mon dossier a été retenu, j'ai passé des entretiens.
00:25 Ces entretiens, ils durent 30 minutes.
00:27 C'est une espèce d'entretien d'embauche.
00:29 Trois jours après, sans formation, je me suis retrouvée enseignée devant six classes.
00:32 Donc, j'ai été nommée dans deux établissements.
00:35 Le premier pendant un mois dans un collège que je dirais plutôt favorisé.
00:38 Ensuite, pendant cinq mois dans un collège donc CRED+,
00:41 d'éducation prioritaire.
00:42 C'est un des 362 collèges défavorisés.
00:45 Donc, je savais que dès ma première heure de cours,
00:47 il fallait que j'arrive avec des cours prêts.
00:50 J'ai un peu improvisé, en fait.
00:51 Un ami d'une amie m'a aussi envoyé des cours.
00:54 Le dossier, il s'appelait "Kits de survie".
00:57 Donc là, j'ai pioché des leçons dans les manuels.
00:59 Je me suis servi des activités que des collègues me prêtaient.
01:03 Très souvent, je me suis retrouvée un peu seule pour faire ces choix.
01:05 Vous avez le doute de "Est-ce que mon cours, il était bon ?
01:08 Est-ce que mon évaluation, elle n'était pas trop dure ?
01:10 Mais pourquoi cet élève, il n'y arrive pas ?
01:12 Est-ce que c'est parce que j'explique mal ?"
01:13 À part les élèves, il n'y a personne qui vous dit que vous faites du bon travail.
01:18 Ma première peur avant ma première heure de cours,
01:20 c'était vraiment de me retrouver devant les élèves.
01:22 J'avais un profond sentiment de non-légitimité d'être là, en fait.
01:26 Dans mes classes, il y avait des élèves au niveau scolaire très hétérogène.
01:29 À la fois, je devais faire cours à Moussa, qui avait que des 5/20,
01:32 et à la fois à Quinn, qui enchaînait les 20/20.
01:34 Je me suis rendue compte, au bout de 4 mois,
01:37 alors que je lui faisais des cours de géographie,
01:38 qu'un 3e ne savait pas différencier l'Est de l'Ouest,
01:41 ce qui aurait pu me faire pleurer dans cette immersion.
01:44 C'est parfois, en fait, ma difficulté à gérer mes classes et à gérer mes émotions.
01:49 Je pense à cette anecdote.
01:51 J'arrive pas à gérer ma 3e lors d'un cours.
01:54 Et là, je me retrouve derrière mon bureau,
01:56 et je le déchire, mon cours, en mille morceaux,
01:59 en leur disant "Vous voyez ce que vous êtes en train de faire à mon travail ?"
02:02 Plusieurs fois, je me fais ce qu'on appelle "bordéliser".
02:05 C'est des élèves qui s'interpellent d'un bout à l'autre de la classe,
02:08 c'est des élèves qui se mettent pas au travail,
02:10 c'est des élèves qui se lèvent.
02:11 Quand on débute en tant que jeune prof, ce qui est difficile, c'est la gestion de classe.
02:15 Je pense à ce collègue qui me dit "C'est ce qui fait que tu dors pas la nuit,
02:18 que tu rentres chez toi l'estomac noué, que t'as les mains moites."
02:21 Après, moi, j'ai été que prof pendant six mois.
02:23 Je pense que le plus difficile, en réalité, dans ce métier, c'est de durer.
02:26 Il y a quelque chose qui, par contre, j'ai retrouvé sur les deux collèges,
02:30 c'est à la fois la dégradation salariale du métier de prof,
02:35 j'avais énormément de collègues qui multipliaient les heures sup
02:39 pour pouvoir avoir des salaires corrects,
02:41 et aussi l'attachement qu'ils pouvaient avoir à leurs élèves, à leur métier,
02:46 un métier qu'ils faisaient souvent par passion,
02:47 et en parallèle, le sentiment de non-reconnaissance
02:50 qu'ils pouvaient ressentir de la part de l'institution ou de la société.
02:52 En fait, c'est ça, un peu ce cocktail-là, qui créait énormément de mal-être.
02:56 Je pense à cette collègue qui faisait quatre heures de trajet aller-retour,
03:00 je l'ai vue deux fois pleurer.
03:01 Une première fois, dans la salle des profs,
03:03 parce qu'elle arrivait pas à gérer sa classe de 6e,
03:06 et une fois, quand elle est partie, son dernier jour de prof dans le collège,
03:10 où elle avait les larmes aux yeux et elle me dit
03:12 "Mais en fait, c'est pour eux qu'on reste, parce qu'on s'attache trop."
03:15 Qu'est-ce que je réponds aux gens qui pensent que les profs ne foutent rien ?
03:19 Je pense que j'ai vraiment découvert, pour le coup,
03:20 toutes les tâches invisibles que font les profs.
03:23 Alors oui, on a 18 heures de cours, mais les cours, on les prépare,
03:27 on rentre à la maison avec des copies, on appelle les parents,
03:29 on monte des dossiers, on va à des réunions.
03:31 C'est une vraie charge mentale, en fait.
03:32 Bien évidemment, on travaille souvent le week-end.
03:34 Ça arrive de travailler pendant les vacances,
03:37 parce que pendant les vacances, on a souvent des copies à corriger,
03:39 on prépare souvent des cours.
03:40 Moi, dans mon cas, par exemple, quand j'avais une heure de cours à préparer,
03:44 je mettais quatre heures à la préparer
03:47 et une heure à me la mettre en bouche
03:49 pour avoir l'air le plus naturel possible devant les élèves.
03:52 J'avais des collègues qui disaient "Je suis fracassée, je suis épuisée",
03:57 qui passaient un week-end sur deux à préparer des cours,
03:59 et vraiment, ils ne faisaient que travailler, en fait.
04:02 Pratiquement, ils me le disaient tous.
04:04 Quand j'ai commencé, je ne faisais que travailler pendant cinq ans, en fait.
04:07 Pour moi, cette immersion, ça a vraiment été un défi, bien évidemment.
04:10 J'avais deux cerveaux, en fait.
04:11 J'avais à la fois le cerveau de prof qui répondait aux questions des élèves.
04:16 Parfois, vous ne savez pas où ça va vous mener.
04:18 Je pensais à cet élève qui, un jour, en plein cours, me dit
04:22 pourquoi le racisme, ça existe, en fait.
04:24 Donc j'avais ce cerveau-là,
04:25 et en même temps, j'avais le cerveau de journaliste
04:27 qui analysait tout ce qu'elle vivait.
04:30 *BIP*

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