Emmanuel de Waresquiel, historien, spécialiste de la Révolution française, est l'invité du Grand entretien de France Inter. Il nous livre son regard sur le moment social et politique que nous vivons actuellement en France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/paul-cuisset-createur-de-jeux-video-c-est-difficile-aujourd-hui-de-faire-quelque-chose-d-innovant-6321230
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00:00 Avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un historien spécialiste de la Révolution
00:04 française.
00:05 Dans le grand entretien du 7 9 30, son dernier livre « Tout est calme, seules les imaginations
00:10 travaillent », chronique d'histoire publiée chez Talendier.
00:13 Vos questions, réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:19 Emmanuel De Varesquiel, bonjour.
00:21 Et bienvenue à ce micro, ce n'est pas pour un livre que nous vous recevons aujourd'hui,
00:26 mais pour votre regard d'historien sur le moment que nous traversons.
00:30 Vous estimiez à notre micro, il y a quelque temps, qu'on ne peut être curieux du passé
00:35 sans être curieux du présent.
00:37 Ce sont vos mots.
00:38 Alors ça tombe bien.
00:40 Dites-nous pour commencer, tout simplement, comment vous voyez la période qui s'est
00:44 ouverte le 10 janvier dernier, avec la présentation de la réforme des retraites et la contestation
00:51 massive qu'elle a suscitée ? Quels sentiments vous ont traversé ? Avez-vous été étonné,
00:56 surpris, sidéré qu'une réforme au fond technique, paramétrique comme on dit, ait
01:02 suscité une telle crise ?
01:04 D'abord, je voulais quand même faire remarquer que vous avez remarqué que Paris est très
01:09 calme ce matin.
01:10 Il n'y a personne.
01:11 Et d'un propre.
01:12 Bon, ça n'empêche qu'on est en effet dans une situation qui au fond trouve ses racines
01:19 pour moi sous la Révolution française et qu'il faut peut-être observer sur le long
01:23 terme et qui relève à mon sens d'une ambiguïté de souveraineté que nous traînons depuis
01:30 1789.
01:31 89 en fait opère un renversement de souveraineté de la tête du roi à la tête de la nation.
01:39 Les députés du tiers état se constituent en assemblée nationale qui ont été convoqués
01:45 au sein des états généraux le 17 juin 1789.
01:48 Et en cela, ils séparent le roi de la nation.
01:52 Mais ça, si vous voulez, donc au nom de la nation, ça c'est le processus qui représente
01:58 une légitimité qui va devenir une légitimité de représentation ou une légitimité parlementaire
02:04 avec un système d'exercice du pouvoir et de cette souveraineté inventé par Sieyès
02:08 par délégation.
02:09 Et puis, vous avez une autre légitimité qui se met en place lorsque symboliquement le
02:14 peuple entre sur la scène de l'histoire et de la politique par la prise de la Bastille
02:20 le 14 juillet 1789.
02:22 Et au fond, toute l'histoire de la révolution et peut-être toute l'histoire de notre époque
02:26 contemporaine, c'est cette histoire d'un conflit de légitimité, d'une ambiguïté
02:30 de légitimité entre la légitimité de la nation d'un côté et la légitimité du
02:35 peuple de l'autre.
02:36 Et pour prolonger ce propos, entre d'un côté la légitimité des urnes et de l'autre
02:46 la légitimité de la rue.
02:48 Effectivement, et ça, c'est ce qu'on voit de manière aiguë, ce conflit, cette tension
02:52 entre ces deux légitimités depuis trois mois, depuis le début du conflit sur la réforme
02:56 des retraites.
02:57 Mais on va y venir évidemment et plus largement.
02:59 Mais deux questions.
03:00 D'abord, il vous a demandé, Nicolas Demorand, vous n'avez pas répondu.
03:03 Quel sentiment vous traverse quand vous voyez ce qui se passe aujourd'hui ? Et puis la
03:07 deuxième question, y a-t-il un moment, une attitude, une phrase, une déclaration, une
03:11 réaction que vous retenez de ces trois mois de conflit ?
03:14 Le sentiment qui m'étreint, c'est un sentiment de gâchis et de grande tristesse.
03:22 J'ai le sentiment qu'on est de plus en plus dans une sorte d'impasse.
03:26 Napoléon parlait de providence ou de fortune.
03:34 On est dans une situation, quand on la regarde sur le long terme, qui paraît quasiment insoluble.
03:42 C'est plutôt un sentiment de tristesse qui m'habite.
03:46 Insoluble, vous dites ?
03:48 Je trouve, oui.
03:50 Plus que dans d'autres crises récentes, plus que dans d'autres mobilisations contre
03:54 la réforme des retraits ?
03:55 On n'est pas dans une situation de crise démocratique.
03:58 On est plutôt dans la situation qui est celle d'une inadéquation entre l'organisation
04:02 des pouvoirs d'État d'un côté, entre les institutions d'un côté et de l'autre,
04:07 les évolutions et l'état de la société actuelle.
04:09 Une atomisation de la société et aussi peut-être du point de vue de la société, ce qui ne
04:14 correspond pas à l'exercice normal du gouvernement, à un rapport au temps, mais qui n'est pas
04:21 particulier à la France, qui touche toutes les démocraties.
04:24 Nous vivons dans un sentiment d'urgence qui fonctionne mal avec le temps long de la
04:31 politique.
04:32 Dans une certaine mesure, les politiques eux-mêmes se plient à ce sentiment d'urgence.
04:39 Ils tweet, ils sont dans l'instant.
04:42 Nous vivons dans une sorte de dictature de l'instant.
04:45 Les rapports que nous avons très longtemps entretenus, ces rapports de temps entre le
04:49 passé, le présent et l'avenir, sont comme court-circuités par le présent et par l'instant.
04:56 Alors, les moyens de communication contemporains, les réseaux sociaux atomisent d'autant
05:02 plus la société et y contribuent.
05:04 Vous savez, l'objet principal de l'historien, c'est le temps.
05:11 Il faut regarder les choses du côté du temps et de la perception que nous avons du temps
05:16 pour comprendre ce décalage qui existe entre, d'un côté, l'exercice du pouvoir et de
05:22 l'autre, l'état de la société.
05:23 Mais est-ce que ce rapport au temps ne rend pas, au fond, l'exercice du pouvoir quasiment
05:27 impossible aujourd'hui ? C'est-à-dire qu'il y a effectivement le temps long qui est celui
05:31 de la réforme, qui est celui de la gouvernance, qui est percuté par les réseaux sociaux,
05:35 par les instituts de sondage.
05:36 Et vous le dites vous-même, les hommes politiques, de plus en plus, sont totalement sensibles.
05:40 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, et on le sait, les hommes politiques, les dirigeants, même
05:44 Emmanuel Macron, regardent en permanence les réseaux sociaux.
05:47 Alors, qu'est-ce qu'il réagit ? Qu'est-ce qu'il ne fait pas réagir ? Il réagit en
05:49 fonction.
05:50 Même chose pour les sondages.
05:51 Est-ce que ça ne rend pas l'exercice du pouvoir impossible au XXIe siècle ?
05:55 J'espère qu'il ne le rend pas impossible, mais en tout cas difficile, compliqué et délicat.
05:59 Et peut-être que cette évolution et cette tendance vers des gouvernements autoritaires,
06:07 sinon autocratiques, s'explique-t-il par cette situation-là, précisément.
06:12 Mais est-ce que les institutions ne servent pas normalement à résoudre ce genre de paradoxe
06:18 ou de contradiction ? Les institutions, c'est le temps extrêmement long, c'est l'image
06:24 du marbre, gravé dans le marbre des institutions.
06:26 On peut dire que la Ve depuis 1958 a fait ses preuves et qu'elle contribue à une
06:33 certaine stabilité politique.
06:35 En même temps, elle est très symptomatique de ce fantasme français ou cette fascination
06:41 française pour le pouvoir d'incarnation.
06:43 Lorsqu'on est, je ne parle pas de la situation présente, mais lorsqu'en 1799 avec Bonaparte,
06:52 qu'en 1958 avec de Gaulle, on est dans une situation de crise, il y a une sorte de recours
06:59 à l'homme providentiel.
07:00 Le coup d'État de Brumaire en 1808, Bonaparte en 1999 et le retour au pouvoir du général
07:06 de Gaulle en 1958.
07:07 Avec, à chaque fois, il faut relire les correspondances de Bonaparte et de Talleyrand dans les mois
07:12 qui précèdent le coup d'État de Brumaire, avec cette volonté de mettre un terme au
07:18 désordre parlementaire et de recourir à un renforcement du pouvoir exécutif.
07:24 C'est exactement ce qui s'est passé avec les institutions de la Ve République en 1958.
07:28 Et c'est pour ça qu'on pose la question aujourd'hui.
07:31 Est-ce que ces institutions de la Ve République sont-elles à bout de souffle ? Est-ce que
07:35 justement cette constitution qui est faite pour donner un maximum de pouvoir à un homme,
07:40 un recours au moment de Gaulle et à un homme, aujourd'hui, est-ce que ça atteint ses limites ?
07:46 Est-ce qu'il faudrait ? Je ne sais pas.
07:48 Vous n'allez pas donner votre avis.
07:49 Mais est-ce qu'il faudrait plus de parlementarisme, par exemple, ou ce serait revenir au désordre
07:52 et au chaos ?
07:53 Le désir de démocratie qui s'exerce dans la société française et ce qui rend les
07:59 choses compliquées ne va pas sans une forme d'intolérance.
08:04 On a absolument les deux.
08:07 Et du point de vue des institutions, un assouplissement parlementaire, les institutions sont clairement
08:14 présidentielles.
08:15 Aujourd'hui, le 49-3 est un élément de ce déséquilibre.
08:24 Il est légal, mais il est de moins en moins considéré comme légitime.
08:28 C'est toute cette espèce de paradoxe entre la légitimité et la légalité.
08:33 Souvenez-vous de ce que rapporte Pierre Fitt des discours de De Gaulle à propos de 1940.
08:39 Lorsque l'égalité est défaillante, il faut recourir à l'intérêt supérieur du peuple.
08:44 On est à nouveau un peu dans cette situation-là.
08:48 Mais sur le 49-3 qui est effectivement légal, qui a été utilisé cent fois…
08:51 Et il est assorti en plus d'un vote de motion de censure.
08:54 Donc il ne peut pas être plus légal.
08:56 Oui, certes.
08:57 Mais en même temps, il semble insupportable aujourd'hui.
09:00 Quelle légitimité doit l'emporter ?
09:01 Je ne suis pas politologue et donc je ne répondrai pas à cette question.
09:07 Je peux essayer de vous donner des éléments d'appréciation par rapport au temps long
09:11 de l'histoire, par rapport à la Révolution, au XIXe siècle.
09:14 Mais vous dire quelle serait ma constitution idéale, je m'en garderais bien.
09:20 On sait que vous n'aimez pas comparer strictement les périodes, les unes avec les autres, le
09:29 présent avec d'autres moments historiques.
09:32 Mais est-ce que 2023 vous rappelle une autre époque de l'histoire de France ?
09:38 Toute notre histoire est tout de même une histoire de violence sociale.
09:45 Ce qui me frappe, c'est que la Révolution française introduit une confusion entre le
09:51 politique et le social.
09:52 On débat de la question des retraites et on en vient à contester la forme du gouvernement.
09:59 Mais ça, c'est particulier.
10:01 La Révolution 1989 est une révolution totalisante.
10:04 Je ne dis pas totalitaire, mais totalisante.
10:06 C'est-à-dire qu'elle confond le politique et le social.
10:09 Au fond, elle apparaît et elle se développe sur un fond de guerre civile.
10:14 Dans les mots, d'abord, en 1989, entre ce qu'on appelait les ordres privilégiés,
10:22 le clergé et la noblesse des États généraux, et la bourgeoisie, le tiers-État.
10:26 Et puis ensuite, avec un glissement progressif, et ça en dit long aussi, de la psyché française,
10:32 entre les riches et les pauvres.
10:33 Souvenez-vous quand même de cette lettre, absolument.
10:35 J'ai été le biographe de Fouché il y a quelques années, qui est le ministre de la
10:39 police de Napoléon, et qui a été un conventionnel, qui est conventionnel régicide, conventionnel
10:44 en mission pour rétablir la situation à Lyon.
10:47 Et avant d'arriver à Lyon, il est à Nevers, il écrit une lettre au comité de salut public,
10:52 dirigée par Robespierre à l'époque.
10:54 Et il dit à peu près ceci.
10:55 "Ici, nous nous honorons d'être pauvres et nous rougissons d'être riches.
11:00 Le clivage social en France, très très rapidement, à partir de 1992 et 1993, il tourne autour
11:07 de cette question, de ce mur de verre invisible entre les riches et les pauvres.
11:13 Et on y est encore aujourd'hui.
11:15 On est encore un peu là.
11:18 Et en même temps, à la recherche et à la poursuite d'une sorte d'égalité idéale,
11:23 on pose l'égalité de façon très très abstraite en 89.
11:27 De quelle égalité s'agit-il ? Est-ce que c'est une égalité civile ?
11:30 Oui, dans les droits.
11:31 Égalité politique, certainement pas.
11:34 Il faudra attendre quand même le suffrage universel, 48.
11:36 Et certainement pas une égalité sociale.
11:39 On a posé des idéaux, égalité, liberté, indivisibilité de la nation, tellement haut
11:47 qu'on continue encore aujourd'hui à courir après.
11:51 Ce sont ces abstractions de la Révolution française qui, à la fois, sont à l'honneur
11:55 de la Révolution, sont la grandeur de la Révolution et en même temps ont compliqué
12:01 terriblement la situation.
12:02 Emmanuel De Vareskel, on voulait vous faire réagir également à d'autres mots, d'autres
12:08 phrases qu'on a pu entendre.
12:09 Comme celle d'Emmanuel Macron quand il déclare que la foule qui manifeste n'a pas de légitimité
12:15 face au peuple qui s'exprime à travers ses élus.
12:18 « L'émeute ne l'emporte pas sur les représentants du peuple », dit-il encore.
12:23 Quand il parle des factieux, des factions, qu'il compare la situation française à
12:30 la prise du capital aux États-Unis, aux événements de Brasilia.
12:34 Comment recevez-vous le fait de ramener les manifestants à une foule sans légitimité ?
12:39 Est-ce pour le chef de l'État une manière de s'inscrire dans une tradition politique
12:44 conservatrice qui, depuis le XIXe siècle, ramène les manifestants à des émeutiers
12:50 au fond, voire à une foule sans conscience ni raison ?
12:54 Oui, en est-il conscient ? Mais notre président de la République reprend des catégories
12:59 qui traînent depuis 200 ans.
13:01 Cette distinction qu'on fait dans tous les discours politiques, je pense au discours
13:06 de Thiers, de Guizot, XIXe sous la monarchie du Lié, entre un peuple souverain qui est
13:15 regardé de façon positive et une foule.
13:18 Le peuple devient foule à partir du moment où il bascule du côté de l'irrationnel
13:25 et de la violence.
13:26 Mais ça, c'est un vieux moto des discours politiques qui traversent tout le XIXe et
13:35 le XXe siècle, autour de cette tradition française de la manifestation et de la grève.
13:40 D'abord des barricades, puis progressivement on est passé de la barricade à la manifestation.
13:44 Pour moi, il y a un tableau très symbolique que vous avez peut-être vu, qui se trouve
13:47 au musée d'Orsay, qui s'appelle « La Charge », et qui est un tableau peint en 1902 par
13:51 Devent-Baise, et qui représente dans une espèce de contre-plongée hallucinée et
13:55 nocturne, quelque part sur un boulevard parisien, une foule dans le bas du tableau, qui est
14:04 ceinturée par un cordon de policiers.
14:07 Et au centre du tableau, on a un espace éclairé et vide, qui est l'espace public.
14:12 Et toute l'histoire de France, c'est cette conquête de l'espace public par le peuple,
14:17 au fond.
14:18 La tradition française de la grève, vous l'analysiez dans votre ouvrage récent « Tout
14:21 est calme, seules les imaginations travaillent ». Dans un chapitre intitulé « En grève »,
14:25 vous écrivez « Il n'y a pas d'autre pays que le nôtre où la politique s'est
14:28 faite aussi souvent dans la rue et se mesure encore aujourd'hui, n'en déplaise à
14:32 Raymond Barre.
14:33 À la longueur de ces cortèges, nous sommes bien les seuls à ne pas nous étonner d'avoir
14:37 à vivre des semaines entières dans un pays totalement bloqué, à la grande stupeur de
14:41 nos voisins qui nous regardent.
14:43 C'est une spécificité française qui nous regarde alors comme on le ferait d'une
14:48 tribu aborigène au fond d'une savane exotique.
14:51 Oui, ça il ne faut peut-être pas le citer.
14:52 Je l'ai fait quand même.
14:53 Il y a pour vous une exception française à la grève, aux manifestations, il y a quelque
14:57 chose de très particulier.
14:58 Oui, et qui trouve son origine précisément dans ce conflit de pouvoir qu'on retrouve
15:05 entre les assemblées parlementaires de la Révolution et ce qu'on appelle les « journées
15:09 révolutionnaires ».
15:10 C'est-à-dire qu'au fond, le combustible même et la radicalisation dans un sens de
15:16 la Révolution française, elle s'explique par ce rapport de force qui a existé entre
15:21 ce qu'on appelle le peuple, mais qui en réalité étaient les activistes révolutionnaires
15:25 les sans-culottes des 48 sections parisiennes en 1793, de la Commune de Paris, des innombrables
15:31 comités de surveillance et révolutionnaires sur l'ensemble du territoire de la République.
15:36 D'un côté, qui marchent avec le canon sur la Convention pour obtenir des décrets
15:42 qu'ils attendent.
15:43 Le maximum des prix, la constitution d'une armée révolutionnaire, la loi sur les suspects
15:48 le 17 septembre 1793.
15:51 Et toute l'histoire de la Révolution et l'histoire de cet affrontement entre une démocratie
15:55 directe, ce qu'on appellerait, je risque presque un anachronique, ce qu'on appelle
16:00 aujourd'hui la démocratie directe, et d'autre part le pouvoir parlementaire.
16:03 On va passer au Standard d'Inter, où nous attend Michel, que je salue.
16:07 Bonjour, soyez le bienvenu Michel.
16:09 Oui, bonjour M.
16:10 Vereskel.
16:11 Bonjour Monsieur.
16:12 J'ai lu quelques-uns de vos livres, les biographies de Talran, Boucher, enfin bref, je suis un
16:18 de vos admirateurs.
16:19 Voilà, ma question, elle concerne, disons, l'attitude des Français envers les représentations,
16:27 les élus, les députés, tout ça, qui sont pas respectueuses.
16:32 Est-ce que ça ne vient pas de ce qu'a l'école ? On met plus en avant le 14 juillet que le
16:36 20 juin, le jour du serment du jeu de paume.
16:39 Merci, merci beaucoup Michel pour cette question.
16:45 Emmanuel de Vareskel vous répond.
16:47 Oui, je vous rappelle que notre fête du 14 juillet, notre fête nationale, ne renvoie
16:51 pas à la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, comme on le pense trop souvent, mais
16:56 à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, qui est la grande fête de l'unité
17:01 de la nation, de l'indivisibilité de la nation, avec toutes ces représentations des
17:06 gardes nationales, des départements, qui convergent vers Paris sur le Champ de Mars
17:11 et qui fêtent cette fédération française.
17:14 Et donc, on a eu tendance en effet, dans l'histoire, à occulter ce qui s'est passé avant, c'est-à-dire
17:24 ce renversement de souveraineté parlementaire entre le 17 et le 23 juin 1789, c'est tout
17:29 à fait exact.
17:30 Célébrez le serment du jeu de paume, est-ce que ça changerait l'imaginaire de la République ?
17:35 C'est la question que vous pose notre auditeur.
17:38 Au jeu de paume, les députés du tiers État, ils sont 450, ils se réfugient au jeu de
17:45 paume, comme vous le savez, parce que la grande salle commune des États généraux est fermée
17:50 par le roi.
17:51 Dans la perspective d'une séance royale, Louis XVI va essayer de reprendre la main
17:55 sur la Révolution.
17:56 Il sent que la situation lui échappe absolument.
17:58 Mais là aussi, avec des rapports de temps, le temps du roi est beaucoup plus lent que
18:02 le temps de la Révolution.
18:03 La Révolution va à la vitesse d'un TGV, pas le roi qui est pris dans cette lenteur
18:10 de l'étiquette qui est celle de Milan, de monarchie française.
18:14 Et au jeu de paume, les députés prêtent serment de ne jamais se séparer avant d'avoir
18:20 donné une constitution au pays.
18:23 Donc, d'assemblée nationale, ils deviennent assemblée constituante.
18:26 Et progressivement, cette assemblée va détenir tous les pouvoirs exécutifs, législatifs
18:33 et même judiciaires.
18:34 Un mot sur la violence.
18:36 On a déploré, on a regardé, on a vu des scènes de violence à la fois dans les cortèges
18:41 à la fin, pas au début, c'est très pacifique, mais les deux, trois dernières, il y a eu
18:45 des scènes de violence.
18:46 Et également à l'Assemblée nationale, on a entendu certains députés dire qu'on
18:50 n'a jamais vu un tel degré de violence.
18:52 Ça vous fait sourire, vous, l'historien ?
18:53 Sauf que sur le long terme, la violence a plutôt tendance à diminuer.
18:58 Des deux côtés d'ailleurs, que ce soit du côté de l'État et du côté des manifestants.
19:03 Il faut tout de même se souvenir de ce qu'a été la violence révolutionnaire, les violences
19:08 des grandes manifestations et des grandes grèves des années 1880, Fournil, etc.
19:12 Et puis, penser à 1934, penser à 1936, on est plutôt dans une situation…
19:19 On est soft, plutôt.
19:20 Les choses sur le très long terme, dans une situation de relatif apaisement par rapport
19:25 à ça.
19:26 Il n'empêche que la violence est constitutive en France de la politique.
19:30 La politique naît avec la Révolution en 1989.
19:34 Et souvenez-vous tout de même d'un des articles de la Constitution de l'an 1, qui
19:38 par ailleurs n'a jamais été appliqué, qui définit la violence comme légitime.
19:43 Et sur la violence, ou en tout cas l'examen très agité du texte à l'Assemblée Nationale,
19:53 où on a pu entendre des insultes, assassins lancés à Olivier Dussopt, l'obstruction
19:59 avec des milliers d'amendements déposés, les huées à la Première Ministre.
20:02 Cette turbulence-là, à l'Assemblée, vous en semblez particulièrement inédite, ou
20:09 c'est le théâtre parlementaire, comme il y en a eu tant d'épisodes dans l'histoire
20:13 française.
20:14 - Les débats de la Troisième République n'ont pas été particulièrement sereins.
20:17 Les noms d'oiseaux volaient quand même dans l'hémicycle.
20:21 En même temps, on aimerait en effet une forme de réserve de la part des hommes politiques
20:28 et des députés, une forme de courtoisie.
20:31 Mais ça c'est un vœu pieux.
20:32 - On va passer au standard, on nous attend Gérard.
20:35 Gérard, bonjour !
20:36 - Oui, bonjour !
20:37 - Bienvenue, on vous écoute Gérard !
20:40 - Eh bien, pour notre historien, la question est la suivante.
20:44 Au moment de la Révolution française, les constituants ne voulaient surtout pas de démocratie,
20:49 puisque la démocratie, la référence était Athènes.
20:51 La démocratie était directe ou elle ne l'était pas, avec un système de contrôle.
20:56 Donc ils ont opté pour un système représentatif, avec des représentants, ce qui n'a rien
21:01 à voir avec la démocratie.
21:03 Or, il y a eu une dérive sémantique du mot, qui fait que la population croit que nous
21:08 sommes dans un régime indépassable, qui est une démocratie.
21:11 Ce qui est faux.
21:13 Et donc, la solution, du coup, ça nous empêche de penser à une vraie démocratie, avec des
21:18 systèmes de contrôle.
21:19 Or, dans nos constitutions, depuis le début, depuis la Révolution française, et toujours
21:24 aujourd'hui, l'article 27, le mandat impératif est interdit, et le vote du Parlement, des
21:29 représentants, est personnel.
21:31 Donc, est-ce que vous ne pensez pas qu'il faudrait remettre, donner une part de droit,
21:36 un premier droit politique à la population, par exemple, avec un référendum d'initiative
21:40 citoyenne inscrit dans la Constitution, qui donnerait une part de souveraineté à la
21:45 population ?
21:46 Remettre un peu d'Athènes à Paris, merci Gérard.
21:49 Emmanuel Devaris, qu'elle vous répond.
21:50 Je vous dirais deux choses.
21:52 Bonjour, monsieur, d'abord.
21:53 La première, c'est que la démocratie peut s'exercer, elle peut être de nature différente,
22:01 elle peut s'exercer par des formes différentes, y compris par la forme parlementaire et représentative.
22:09 C'est une forme de la démocratie.
22:10 Ça, c'est un premier élément.
22:12 Le deuxième élément, c'est que, je pense à la Constitution de la Ve, il existe un
22:19 moyen législatif, précisément, de résoudre cette équation entre la nation, la représentation
22:26 nationale d'un côté, et d'autre part, le peuple.
22:29 C'est le référendum, c'est l'initiative référendaire, qu'on exerce d'ailleurs,
22:35 qu'on applique assez peu et dont on se garde terriblement en ce moment.
22:39 Mais peut-être, du côté du constituant, en 1958, le constituant a-t-il pensé que
22:47 le référendum était un moyen de résoudre cette équation impossible entre la nation
22:50 et le peuple ?
22:51 Depuis le Brexit, on s'en méfie encore plus du référendum.
22:55 Mais oui, je note précisément que les Anglais, qui n'ont pas du tout cette culture référendaire,
23:00 qui ont véritablement beaucoup plus que nous une culture parlementaire, ont usé du référendum
23:06 pour le Brexit, alors que depuis Chirac, nous nous en gardons bien.
23:09 Une dernière question de Joseph sur l'application d'Inter.
23:12 Les révolutions de notre histoire, nos manifestations aujourd'hui, ne sont-elles pas depuis toujours
23:17 un appel à un avenir meilleur, un mieux-être de la société auquel les pouvoirs, qu'ils
23:22 soient monarchiques ou parlementaires, ne savent pas répondre ?
23:24 Mais je suis tellement d'accord avec ça.
23:26 Nous sommes littéraires.
23:29 Tocqueville le dit à propos de la révolution de 1848, il y a dans chaque révolutionnaire
23:34 un homme de lettre qui sommeille.
23:36 Et nous ne sommes peut-être que les descendants indignes de la raison cartésienne.
23:49 Nous sommes pétris d'utopie.
23:52 Je parlais du tableau de Van Bees tout à l'heure.
23:55 L'autre tableau tellement allégorique de notre histoire, c'est la liberté guidant
23:59 le peuple de Delacroix.
24:01 « Les combattants de l'avenir », disait Victor Hugo dans Les Misérables en décrivant
24:07 la barricade de la rue de la Chambrerie en 1832.
24:10 Nous sommes littéralement pétris de rêve et d'utopie.
24:13 Et ça s'explique peut-être aussi, comme je l'ai dit tout à l'heure, par la façon
24:19 dont nous avons porté si haut ces notions de liberté et d'égalité.
24:22 - C'est notre force et notre faiblesse.
24:24 C'est vraiment ça.
24:25 - C'est un paradoxe.
24:26 - C'est le paradoxe français.
24:28 Merci Emmanuel Devaresquiel.
24:30 - Tout est calme, seules les imaginations, travaille votre dernier livre chez Talendier.