Manœuvres autour de Taïwan : quels sont les objectifs de la Chine ?

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00:00 Stéphane Corkuf, merci de répondre à ces quelques questions.
00:02 Vous êtes spécialiste du monde chinois, maître de conférence à Sciences Po Lyon.
00:07 Vous avez notamment dirigé le dossier Pékin-Taïwan, la guerre des deux Chines, qui a été publié
00:12 dans la revue Historia.
00:13 Alors ces manœuvres, on le disait, sont une réponse à la rencontre entre la présidente
00:18 Tsai et McCarthy.
00:19 Elles sont néanmoins plus limitées que les dernières en août, quand Nancy Pelosi s'était
00:24 elle-même déplacée sur Taïwan.
00:27 L'objectif c'est quoi ? Simuler un encerclement total de l'île, montrer que la Chine est
00:33 capable d'isoler et d'envahir Taïwan ?
00:35 Alors peut-être juste avant de répondre, je voudrais dire que les manœuvres ne sont
00:41 peut-être pas si moins importantes qu'on ne le dit par rapport à celle de l'été
00:46 dernier.
00:47 Parce qu'elles gagnent en qualité.
00:48 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, enfin ces trois derniers jours, les Chinois ont testé
00:52 leur capacité d'envoyer des missiles sur Taïwan, non pas depuis le continent, sur
00:59 des zones qui sont déjà identifiées, où ils sont dans des silos, ou sur des rampes
01:04 mobiles, mais où on sait en gros où ils sont et qu'on peut donc bombarder.
01:07 C'est pour ça que la France a démantelé les missiles du plateau d'Albion pour les
01:11 remplacer par des missiles embarqués sur des sous-marins nucléaires lanceurs d'engin.
01:15 Ce que la Chine est en train de faire.
01:18 Et ce qu'elle a fait là, ces trois jours, c'est de tester sa capacité de les envoyer
01:22 à partir d'un porte-avions, et non pas depuis le continent.
01:33 Donc en fait il y a une montée en valeur qui est très importante et qui passe un petit
01:36 peu inaperçue, même s'il y avait plus de déploiements de bâtiments en fait dans le
01:43 détroit, et il y avait un encerclement assez massif.
01:48 On a en plus vu le porte-avions Shantung.
01:50 Donc je ne comprends pas pourquoi les analystes parlent d'essais qui sont moins effrayants.
02:02 Parce qu'il n'y a pas eu de missiles qui ont été envoyés.
02:04 Voilà, c'est ça, exactement.
02:06 Alors pour ce qui est de la question que vous me posez, quel est l'objectif ?
02:11 Le premier, je dirais, c'est une réaction mécanique, inévitable, à la logique dans
02:19 laquelle la Chine populaire s'est enfermée finalement dès 1949, en ne reconnaissant
02:24 pas que la République de Chine, qui l'a précédée sur le continent, existe toujours.
02:28 Ça aurait été beaucoup plus simple pour elle de gérer deux Chines, comme il y a eu
02:32 deux Vietnam, deux Corées, deux Allemagnes et l'ONU.
02:34 Elle ne l'a pas fait.
02:35 Et là, elle ne peut pas changer de point de vue.
02:38 Donc elle est obligée, dès que Taïwan fait un pas en avant, ou que les Américains
02:43 font un pas vers Taïwan, de protester.
02:45 Et elle ne le fait que par des essais militaires.
02:48 Mais là derrière, évidemment, il y a d'autres objectifs.
02:50 Et ça, sur un plan plus militaire, plus stratégique, on peut le comprendre assez vite.
02:54 Elle s'exerce, elle met les alliés de Taïwan à l'épreuve.
03:02 Et on a vu d'ailleurs que ça a fonctionné avec les déclarations d'Emmanuel Macron,
03:07 qui est quand même le président d'un pays qui est dans le bloc occidental, emmené
03:10 par les États-Unis.
03:11 Et puis, elle exerce également ses moyens de surveillance pour voir comment les Taïwanais
03:19 réagissent.
03:20 Mais ce qu'elle sait aussi, c'est qu'à chaque fois qu'elle fait des essais militaires
03:25 dans le Détroit, elle augmente la préparation taïwanaise et elle pousse les alliances autour
03:32 de Taïwan à se renforcer.
03:34 Et là, depuis trois ans, Taïwan est sur le pied de guerre H24, tout simplement.
03:39 Quelle est la probabilité aujourd'hui que la Chine mette ses menaces à exécution
03:44 et qu'elle lance réellement les hostilités ?
03:45 C'est une question extraordinairement difficile et personne n'a la réponse.
03:49 Je ne vais pas vous donner la réponse.
03:51 Mais est-ce qu'elle en a les capacités ?
03:54 Elle en aura bientôt les capacités.
03:56 Sans doute pas encore aujourd'hui.
03:57 Si elle attaquait Taïwan, elle aurait beaucoup de mal.
04:00 Elle aura bientôt des capacités bien plus efficaces.
04:04 Mais en fait, là, c'est une question purement militaire et stratégique.
04:10 Mais il y a la dimension géopolitique plus large à prendre en compte.
04:13 Et ce qui bloque cette possibilité pour la Chine d'envahir Taïwan, d'annexer Taïwan,
04:21 puisque c'est un État souverain, il faut bien parler d'annexion, c'est en fait la
04:24 réponse qu'on lui fera.
04:26 Celle des Taïwanais, bien sûr.
04:27 Celle des Américains, évidemment.
04:29 Et celle, plus généralement, des pays qui ne veulent pas que cette île soit envahie
04:35 parce que c'est un État démocratique et qu'en plus, sur un plan économique, on en
04:38 dépend énormément.
04:39 Et c'est pour ça que la réponse que je pourrais vous donner à votre question, c'est
04:42 quelles que soient ses capacités à envahir et quelles que soient ses capacités à réussir,
04:49 et c'est loin d'être gagné, ce qui la bloquera, la dissuadera d'investir, c'est
04:55 l'attitude que nous avons aujourd'hui pour lui dire ne commettez pas le pas.
05:00 Parlons-en avec cette interview d'Emmanuel Macron dans Les Echos.
05:06 Le président qui prend ses distances d'une confrontation entre blocs, entre Américains
05:10 et Chinois.
05:11 Il propose en quelque sorte une troisième voie.
05:14 Il appelle l'Union européenne à ne pas être suiviste des États-Unis ou de la Chine.
05:18 Le pire, la pire des choses, dit-il, serait de penser que nous, Européens, devrions être
05:22 suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise.
05:28 Le rythme américain, Stéphane Courcuf, ça sous-entend quoi ? Que les Américains font
05:32 sciemment monter des enchères dans la région et qu'ils ont une part de responsabilité
05:36 dans la crise ?
05:37 Il sous-entend en tout cas cela.
05:39 Je me suis interrogé énormément sur les propos du président que je trouve aberrants.
05:44 Je ne sais pas comment les qualifier.
05:46 Est-ce que c'est un manque cruel de lucidité ? Est-ce que c'est de l'escapisme ? Je pense
05:51 en tout cas que ces déclarations sont catastrophiques dans la mesure où la seule chose qui peut
05:57 décider éventuellement la Chine à ne pas attaquer, c'est qu'elle sache qu'on sera
06:02 là pour répondre.
06:03 Il aurait dû dire à la Chine quelque chose de plus efficace.
06:06 C'est un peu prétentieux de dire ce que le président aurait dit, mais enfin, le détroit
06:11 de Taïwan, je m'y connais un petit peu.
06:12 Il aurait pu dire quelque chose comme "nous sommes amis de la Chine, mais personne ne
06:16 veut d'un tel conflit qui serait dramatique".
06:19 Et il faut bien savoir qu'avec notre système d'alliance et notre ancrage dans le monde
06:23 occidental, si la Chine attaquait Taïwan, nous ne pourrions pas être de son côté.
06:28 A minima, il aurait pu ne rien dire.
06:31 Donc on peut s'interroger sur les causes qui lui ont fait dire cela.
06:36 Et le monde entier est en train de commenter, on le voit sur les réseaux sociaux, dans
06:40 les journaux.
06:41 Il revient de Pékin, il a rencontré le président.
06:43 Oui, certes, d'autant plus.
06:47 Mais les analystes se posent la question de savoir comment comprendre la position d'Emmanuel
06:53 Macron qui a essayé jusqu'au bout le dialogue et la paix avec Vladimir Poutine et qui passe
06:59 à Pékin, refuse de parler de Taïwan et l'annonce avant, en fait je pense qu'ils
07:03 en ont parlé à porte fermée, et puis il fait une déclaration comme ça.
07:09 Alors, il y a plusieurs possibilités.
07:10 La première, il veut se donner une posture en politique étrangère de pacifiste dans
07:17 un monde qui va très mal pour une opinion française qui est très chauffée à blanc
07:21 pour des raisons de politique intérieure et qui ne connaît pas le dossier taïwanais.
07:26 Ça ne mange pas de pain, il a dit.
07:27 Mais le problème c'est que tout le monde n'est pas ignorant de la politique internationale
07:31 en France et beaucoup déjà commencent à critiquer.
07:34 Il y a une deuxième raison possible, et là je m'en inquiète puisque c'est la
07:38 façon dont les Chinois et Xi Jinping en particulier de procéder, c'est d'avoir
07:44 préalablement, soit avant qu'Emmanuel Macron parte à Pékin, soit quand il était là-bas,
07:49 demandé à Emmanuel Macron de faire une telle déclaration en échange de la signature de
07:55 contrat.
07:56 Ça c'est tout à fait possible.
07:57 On n'aura jamais la preuve évidemment, mais l'incohérence parfaite de cette déclaration
08:02 qui n'était pas utile et qui sera très dommageable à la politique française ne
08:07 fait que poser des questions sur pourquoi.
08:10 Et on n'aura pas la réponse.
08:13 Merci en tout cas Stéphane Courcuf pour votre analyse en direct sur France 24.
08:17 Je rappelle entre autres que vous êtes maître de conférence à Sciences Po Lyon et je renvoie
08:21 donc à la revue Historia puisque vous avez signé le dossier Pékin-Taiwan, la guerre
08:25 des deux Chines dans cette revue d'histoire.

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