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00:00 Nous allons bientôt manquer de l'eau.
00:02 Et c'est pourquoi je bois devant vous un verre d'eau précieuse.
00:07 Ce geste emblématique est resté dans les mémoires.
00:09 En 1974, René Dumont est le premier candidat écologiste à une présidentielle.
00:14 La voiture, ça pue, ça pollue, ça rend con.
00:17 Cet agronome eau en couleur formule un avertissement prophétique,
00:20 qu'il développe aussi dans un livre paru il y a un demi-siècle,
00:23 et qui résonne curieusement avec aujourd'hui, l'utopie ou la mort.
00:28 Reconnaissable à son pull rouge qu'il ne quitte pas,
00:31 René Dumont est à l'époque une des seules personnalités politiques à s'emparer de l'écologie.
00:35 Si nous continuons notre développement acharné,
00:38 notre pillage de tiers-monde, notre croissance sauvage,
00:41 c'est l'effondrement total de notre civilisation avant la fin de ce siècle.
00:46 Alors tout de même, ce sont nos enfants qui sont menacés.
00:48 En 1973, l'agronome propose une réforme de l'économie dans son livre au nom évocateur.
00:53 Impôts sur les matières premières pour inciter au recyclage,
00:55 désarmement mondial, limite au trajet en avion, réduction des gaz carboniques,
01:00 et en pleine époque du tout voiture, il veut taxer les véhicules individuels
01:03 au profit du transport collectif et leur interdire les centres-villes.
01:06 Dans ce livre, il expose sa vision globale, mais il restitue aussi son parcours de vie.
01:10 Un père ingénieur agricole et une mère prof de sciences
01:13 ne pouvaient donner lieu qu'à un savant doté du sens du terrain.
01:16 Il était très attaché, mais au sens charnel du terme,
01:20 à la terre, aux arbres, à l'herbe, aux animaux.
01:24 Devenu ingénieur agronome, il part en 1929 pour le Vietnam, à l'époque l'Indochine,
01:28 pour développer l'utilisation des engrais chimiques dans les rizières.
01:31 Ses trois années sont fondatrices puisqu'il en revient écœuré par le modèle agricole colonial.
01:35 Le pillage du tiers-monde par lequel nous avons développé notre civilisation actuelle
01:40 en sous-payant leurs matières premières doit prendre fin
01:42 parce qu'il a développé la famine dans le tiers-monde,
01:45 et cette famine est absolument inacceptable.
01:47 Sa notoriété devient internationale lorsqu'il donne des cours dans des universités d'Amérique du Nord
01:51 et lorsqu'il influence des chefs d'État, y compris des dictateurs comme Fidel Castro.
01:55 Quand il arrivait quelque part, où que ce soit dans le monde,
01:58 il savait ce qui avait poussé, il savait ce qui pouvait pousser,
02:02 et il savait ce qui ne pouvait pas pousser.
02:04 Il part en mission pour le gouvernement français au Rwanda, au Mali, à Madagascar.
02:09 Il observe les récoltes, discute avec des villageois, prend des notes,
02:12 est hébergé par des paysans.
02:14 Il est qualifié à la télévision d'arpenteur des savannes et des rivières.
02:17 Ça ne lui suffisait pas de lire des rapports, des bouquins, des trucs, il a lu.
02:20 Mais sa priorité était l'action, aller voir sur le terrain, voir, voir.
02:25 Il voulait voir de ses yeux.
02:26 Il se posait et il discutait avec les gens.
02:28 Et il regardait évidemment autour de lui les conditions agronomiques.
02:32 Un rapport au terrain qui lui permet de corriger sa vision de départ, tourné vers les rendements.
02:36 Il était un productiviste.
02:38 C'est ça qui est très étonnant dans son parcours,
02:41 c'est que son boulot, son obsession, c'était une véritable obsession personnelle,
02:46 c'était de nourrir les gens.
02:47 Et nourrir plus de gens suppose d'utiliser plus de ressources.
02:50 Mais en 1972 sort le fameux rapport Médose, qui calcule les limites de la croissance sur Terre.
02:55 Il avait vu la sécheresse, il avait vu le manque d'eau,
02:59 il avait vu des mers sans poissons, l'abattement des forêts, etc.
03:04 La rareté qui est arrivée dans les ressources.
03:07 Et il a fait un grand tournant écologique à l'aube de ses 70 ans.
03:12 Et ça a été un choc pour lui.
03:14 L'agronome au caractère affirmé n'hésite pas à dire ce qu'il pense, quitte à provoquer.
03:18 Même s'il se montre complaisant à l'égard de la Chine maoïste, souvent prise en exemple,
03:22 il est critique envers certains décideurs, notamment communistes.
03:25 Comme il disait lui-même, quand j'arrive, on vient me chercher avec les motards de la gendarmerie ou de la garde nationale,
03:31 mais quand je repars, 15 jours après, 3 semaines après, je prends l'autobus.
03:35 Parce qu'il ne se faisait pas que des amis dans les années des différents pouvoirs.
03:40 Ce livre va servir de programme à un événement plutôt inattendu.
03:44 Le jour de 74, il revient d'Algérie et un groupe de jeunes militants écolos l'attend à la sortie de l'aéroport d'Orly
03:50 pour le ramener à Paris, mais surtout pour lui proposer d'être le premier candidat écologiste à une présidentielle.
03:55 René Dumont embarque dans la Deux-Chevaux des jeunes militants et aussi dans le projet,
03:58 alors que le mot écologiste est encore nouveau.
04:01 Il fera à peine plus d'un pour cent, mais son but est surtout d'utiliser l'exposition médiatique
04:05 avec un sens de la formule bien allus.
04:07 La voiture, ça pue, ça pollue, ça rend con.
04:10 Il se déplace à vélo, son QG est installé sur un bateau mouche,
04:13 et quant à son pull rouge, il n'est pas un choix politique, mais un fait du hasard,
04:16 puisqu'il lui a été prêté par un technicien lors d'une de ses premières interviews.
04:20 Son discours, marginal mais sérieux, est écouté, mais pas encore cru.
04:24 Dans la décennie post-mai 68 et en pleine libération des modes de vie,
04:28 ses idées paraissent autoritaires, notamment sa proposition de réguler les naissances dans les pays riches.
04:32 Ce contexte en fait une sorte de cassandre écolo.
04:35 Il vaudrait mieux que la Terre soit encore habitable pour les arrières-petits-enfants de nos arrières-petits-enfants,
04:40 c'est-à-dire le sens de nos responsabilités vis-à-vis des générations futures.
04:44 [Musique]