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Alice Zeniter, romancière, scénariste et metteuse en scène, est l'invitée de 7h50 pour son premier film, Avant l’effondrement. Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 Il est 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est écrivaine et désormais réalisatrice.
00:05 Absolument, bonjour Alizé Nitter.
00:06 Bonjour.
00:07 Merci d'être avec nous ce matin.
00:08 Les auditeurs vous connaissent bien, vous aviez reçu le prix du livre Inter en 2013,
00:12 il y a 10 ans, tout juste pour « Sombre dimanche », puis le prix Goncourt des lycéens pour
00:16 « L'art de perdre » qui a été un best-seller.
00:19 On vous connaît aussi pour vos prises de position engagées dans le débat public.
00:22 Mais là, on vous découvre réalisatrice.
00:24 Avant l'effondrement, votre tout premier film, co-réalisé avec Benoît Volnaise,
00:28 sort mercredi prochain, avec comme personnage principal, présent dans presque tous les
00:32 plans, Nils Schneider, stupéfiant, troublant, en jeune directeur de campagne d'une candidate
00:37 aux législatives, qui se débat entre son ambition et ses angoisses personnelles.
00:41 Le film, votre film, est très ancré dans l'actualité.
00:44 Il y est question d'angoisse écologique, de révolution, de lutte sociale, de relations
00:48 entre les hommes et les femmes, de parentalité, de vieillesse.
00:51 Il embrasse tout, absolument tout, les thèmes de l'époque, tous les thèmes de votre
00:56 génération, de notre génération.
00:58 Oui, en fait, avec Benoît, ce qu'on a réalisé quand on a commencé à travailler
01:05 dessus, on voulait raconter les possibilités de faire face à un avenir bouché, un avenir
01:13 au mieux incertain, au pire, carrément menaçant ou hostile.
01:17 Et ce qu'on se disait en s'emparant de ce thème, c'est que quand on voit la génération
01:23 de la fille de Benoît, par exemple, elle, elle grandit avec une conscience que les
01:32 ressources du monde sont finies, qu'il y a une crise de la biodiversité, qu'il y
01:37 a cette menace du dérèglement écologique.
01:39 Alors que nous, les trentenaires, jeunes quarantenaires, on a grandi avec l'impression encore que
01:44 le monde était infini, qu'on pourrait aller découvrir des milliers d'espèces animales,
01:49 des pays différents, qu'on pourrait prendre l'avion tout le temps.
01:54 Il y avait encore cette construction de ce qu'allait être le futur et de ce qu'était
01:57 la planète.
01:58 Et c'est quand on est devenu...
01:59 Que le travail rendait heureux, que l'objectif était la réussite.
02:00 Bien sûr, que le travail nous permettrait de vivre mieux que nos parents, par exemple,
02:04 ce mythe-là avec lequel on a grandi.
02:06 Et puis quand on est arrivé à l'âge adulte, il a fallu qu'on se reconfigure.
02:09 Et nos personnages ont la même chose, en fait.
02:12 Ils sont obligés de se poser des questions sur leur manière de travailler, d'aimer,
02:15 de s'engager.
02:16 Ce qui marque avant tout dans votre film, et pendant tout le film, c'est qu'il fait
02:20 chaud.
02:21 Paris est écrasé sous une canicule brûlante.
02:24 On imagine qu'il fait 45 degrés.
02:26 On est en juin.
02:27 Tout le monde transpire.
02:28 C'est visible.
02:29 En permanence, tous vos personnages transpirent.
02:32 Et ils passent son temps à s'asperger d'eau ou à se poster devant des ventilateurs.
02:36 Vous avez voulu faire un film d'anticipation.
02:39 Vous vouliez montrer ce que sera Paris un mois de juin, dans 10 ans, en vrai.
02:44 Dans 15 ans, peut-être.
02:45 En réalité, les épisodes caniculaires, on en traverse de plus en plus.
02:51 Chaque année, il y en a un, deux, trois ces dernières années.
02:56 Et on avait justement envie de pouvoir montrer ça à l'écran en disant "ça n'appartient
03:00 pas au futur dystopique de Mad Max Fury Road".
03:03 C'est quelque chose qui est une partie de la vie parisienne.
03:07 Ça change aussi nos manières, par exemple, de louer des appartements.
03:10 On commence à se dire "ah mais en période caniculaire, est-ce que les fenêtres ne sont
03:12 pas trop grandes ? Est-ce que les murs ne sont pas trop sombres ?"
03:14 Et on voit ça dans votre film.
03:16 Et puis, c'est vrai que cinématographiquement, c'est aussi un plaisir.
03:20 Ça veut dire travailler sur une moiteur des pots, travailler sur des lumières différentes,
03:25 un rapport entre l'ombre et l'image brûlée par les excès de lumière.
03:29 Donc ça nous intéressait aussi.
03:31 On est donc en pleine campagne pour les législatives.
03:33 Niels Schneider, directeur de campagne d'une candidate écolo, reçoit une lettre anonyme
03:38 avec un test de grossesse positif et rien d'autre.
03:41 Ça va lui retourner la tête.
03:43 D'abord parce qu'il est potentiellement atteint d'une maladie génétique mortelle
03:47 et héréditaire, qu'il ne veut pas faire le test pour savoir s'il a ou pas sa mère
03:50 est morte de ça.
03:51 Et alors son incertitude existentielle est percutée par l'inquiétude générale du
03:55 chaos écologique qui vient.
03:57 En clair, sa vie personnelle et la planète sont menacées.
04:00 Et ça va tout bouleverser.
04:02 Ça va tout lui faire péter la tête.
04:04 À la fois son rapport à l'amour, à l'amitié, à ses relations sexuelles, à l'engagement
04:09 politique, à la vieillesse, à la paternité, à tout.
04:12 Vous avez voulu montrer comment cet homme implosait intérieurement sur un test de grossesse
04:18 et une canicule.
04:19 Mais c'est exactement ça.
04:20 Pour nous, on se disait que sa vie se démaille comme un tricot sur lequel on aurait un peu
04:26 tiré.
04:27 Et à partir du moment où lui commence à paniquer, à douter et à ce premier geste
04:34 de ne pas aller au travail un jour, on tire sur ce fil.
04:38 Et puis, si on n'est pas allé un jour au travail, alors pourquoi y retourner le lendemain,
04:42 le surlendemain ? Pourquoi ne pas tout abandonner ? Pourquoi ne pas lâcher la campagne ? Pourquoi
04:47 ne pas manquer à toutes les conventions sociales qui ordonnaient une vie ?
04:53 Et c'est vraiment ça, Tristan.
04:55 C'est un homme que cette crise existentielle met complètement à l'arrêt.
04:59 Ce qui permet aussi aux personnages autour de lui de prendre plus de place et d'occuper
05:05 et l'écran et le temps de discours.
05:07 Mais lui, en effet, il se part en cacahuètes.
05:10 Oui, il se part en cacahuètes.
05:12 Et alors, qu'est-ce que vous en pensez, vous, Alice Zéniter ? Est-ce que vous pensez que
05:15 la conscience du chaos à venir, c'est anesthésiant ou c'est galvanisant ?
05:19 Par exemple, on aurait envie, parce que la planète va exploser, de faire l'amour davantage.
05:25 Ça pose aussi ça comme question, le film.
05:28 Ou au contraire, de rester chez soi et de s'enfermer et d'attendre que le désastre
05:32 arrive.
05:33 En fait, je crois qu'on n'est pas tous égaux face à cette question-là.
05:38 C'est-à-dire qu'on a des réactions différentes.
05:40 On avait à cœur, Benoît et moi aussi, de montrer ça.
05:43 C'est-à-dire de se dire, ben oui, pour le coup, Tristan, vraiment, il y a une mise à
05:47 l'arrêt.
05:48 Il y a un tombé en panne qui se fait.
05:49 Fanny, sa meilleure amie, est colocataire.
05:52 En revanche, on voit que c'est quelque chose qui réagit.
05:54 La galvanise.
05:55 Voilà, en elle, tous les jours.
05:56 Elle doit vivre.
05:57 Oui, et puis dans la lutte.
05:59 Et puis dans le fait de, par l'enseignement, par la transmission, on va réussir à former
06:03 un mouvement.
06:04 Mais on est aussi très attaché à des personnages secondaires, comme le personnage de Perséphone,
06:09 qui est joué par Elsa Gage.
06:10 Et qui, finalement, face à cette angoisse, face à cette menace, a juste une envie, c'est
06:15 de boire des pintes dans les bars, en attendant de trouver un homme qui lui plaise et de manger
06:19 les cacahuètes qui traînent sur le comptoir.
06:20 Et de dire, cette réaction-là, elle est aussi tout à fait normale, tout à fait naturelle.
06:24 En fait, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas se saouler et faire l'amour ?
06:29 Voilà.
06:30 Et ça pose aussi, évidemment, la question de l'engagement politique, qui est le cœur
06:33 de votre film.
06:34 Il y a trois options, au fond, incarnées par trois personnages de votre film.
06:37 Niels Schneider, lui, il s'engage.
06:39 C'est un militant politique et il choisit l'engagement politique.
06:41 Sa meilleure copine, dont on parlait, elle est enseignante et elle, elle veut la révolution.
06:46 Et enfin, son ex a choisi de partir à la campagne en Bretagne et de vivre dans une
06:50 communauté écologique autonome.
06:52 Trois options.
06:53 L'engagement, la révolution, le repli sur soi.
06:55 Ce sont des options entre lesquelles vous hésitez, vous ?
06:58 Évidemment, en fait, moi, je me pose des questions qui sont partagées par certains
07:03 des personnages du film, à savoir, par exemple, est-ce que le temps des institutions politiques,
07:08 aujourd'hui, il peut encore être celui de la lutte contre la crise climatique ?
07:12 Ou en fait, est-ce qu'il n'est pas trop long ?
07:15 Et on le voit bien aujourd'hui, je ne sais pas, avec l'apparition, par exemple, dans
07:18 le discours d'Andreas Malm, du fait que le sabotage doit faire partie du catalogue des
07:23 actions politiques, que la notion de l'urgence, en fait, va venir parfois enlever une croyance
07:29 dans des institutions qui pouvaient être l'endroit de notre engagement habituel.
07:35 Et donc, moi, j'ai à la fois ce truc de me dire, mais non, mais il faut que ce soit
07:39 les institutions politiques.
07:40 C'est quelque chose qui m'intéresse, dont j'ai traité déjà dans "Comme un empire
07:43 dans un empire".
07:44 Donc, il y a un livre que j'ai écrit il y a quelques années.
07:46 Mais d'un autre côté, j'ai peur qu'elle soit trop lente.
07:49 Donc, par moment, je suis fanée.
07:51 Je me dis plus non, il faut qu'on lance une révolution parce que ce mode de vie de production
07:56 et d'élection, il n'est plus possible.
07:57 Et puis, par moment, je suis plutôt Pablo et je me dis, mais une révolution, mais avec
08:01 qui ? Et comment elle pourrait représenter et porter tous les idéaux politiques et d'égalité
08:07 qui sont les miens ?
08:08 Elle inclurait forcément des éléments désastreux.
08:11 Donc, en fait, autant se retirer et à petite échelle construire une forme de vie.
08:15 Voilà.
08:16 Essayer d'inventer dans ces petits collectifs des formes de vie qui nous ressemblent.
08:21 La séquence politique actuelle, celle des retraites, elle vous paraît de nature à
08:23 accentuer la défiance vis-à-vis des institutions.
08:25 Au contraire, ça peut stimuler des nouveaux engagements politiques.
08:28 Quel regard vous avez ?
08:29 J'aurais tendance à dire que les deux ne sont pas exclusifs.
08:33 Elle peut en effet susciter une méfiance à l'égard des institutions tout en donnant
08:40 la joie de participer à un mouvement social qui clairement a occupé la place et a dicté
08:46 le calendrier.
08:47 Et ça, ce n'est pas une petite joie.
08:48 C'est important.
08:49 Une des scènes capitales du film, c'est une scène de débat politique entre ces deux
08:53 femmes, entre la révolutionnaire et celle qui a choisi de se replier en Bretagne et
08:58 de vivre avec ce qu'elle produit dans sa ferme bretonne.
09:01 L'une la traite d'égoïste, l'autre lui dit « ta révolution, elle ne mène à rien
09:05 ». C'était important pour vous que ce soit deux femmes qui l'incarnent ? Expliquez-nous
09:09 pourquoi, expliquez-moi ce que c'est le test de Bechdel en quelques mots.
09:15 C'est un test créé par l'autrice de bande dessinée Alison Bechdel et qui contient
09:19 seulement trois critères.
09:21 Une œuvre doit contenir deux personnages de femmes qui sont nommées.
09:25 Elles ont un prénom et un nom.
09:28 Ces femmes ont une scène où elles parlent ensemble et elles parlent d'autre chose que
09:32 d'un homme.
09:33 Et il y a énormément d'œuvres avec lesquelles on a grandi qui ne passent pas du tout ce
09:38 test.
09:39 Et les femmes parlent des mecs.
09:40 Oui mais en fait il y a même des œuvres dans lesquelles il n'y a pas deux femmes
09:43 parfaitement nommées.
09:44 Prenez la trilogie originale de Star Wars, il y a une seule femme dans toute la galaxie.
09:47 C'est vrai, je n'avais pas vu ça comme ça mais vous avez raison.
09:51 L'idée d'avoir une scène dans laquelle non seulement elles parlent d'autre chose
09:54 que d'un homme mais en fait elles mettent en jeu le futur du pays, de la société,
09:59 de la planète.
10:00 Et puis cette scène est longue et elles ne sont pas interrompues par les hommes qui
10:04 sont autour.
10:05 C'était très important pour nous.
10:06 Avant l'effondrement, premier film engagé et poétique d'Alice Zénitert qu'on réalise
10:09 avec Benoît Vollnaet à voir au cinéma mercredi prochain.
10:12 Merci à vous.

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