Léa Salamé est journaliste, David est journaliste. Quand des journalistes s’interviewent entre eux, ils discutent de comment ils posent des questions, mais aussi de carbone, de prénoms, de courir avec une seule tong, ou de pourquoi on dit belle journée. Et aussi, brièvement, de nazis, évidemment.
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AmusantTranscription
00:00 Vous êtes venu par quel moyen de locomotion ?
00:01 Quel est votre rapport au carbone ?
00:02 Vous étiez cool au collège ?
00:04 Est-ce que vous avez été méchant ?
00:05 Vous vous souvenez où vous étiez le 11 septembre 2001 ?
00:06 Vous seriez entré dans la résistance en 1940, en 1942, en 1945 ou jamais ?
00:11 Vous êtes écolo vous !
00:13 Bonjour et bienvenue dans Smalltalk.
00:19 Moi je m'appelle David Castello-Lopez.
00:22 Smalltalk le principe c'est de...
00:23 Bonjour David !
00:24 Bonjour Léa.
00:25 Vous êtes d'origine espagnole ?
00:26 Je suis d'origine portugaise.
00:28 Castello-Lopez avec un S qui est la marque du Portugal et pas la marque de l'Espagne.
00:34 Le principe du podcast Smalltalk c'est très simple,
00:36 c'est je reçois des gens connus et je parle avec ces gens connus
00:40 de tout sauf de ce pourquoi ils sont connus.
00:42 Voilà.
00:43 Donc Léa Salamé bonjour une nouvelle fois.
00:45 Bonjour David.
00:46 Bonjour.
00:47 Alors je pense que vous êtes peut-être la 18ème, 19ème personne que je reçois dans ce podcast.
00:54 La seule que je vous voyais c'était François Hollande.
00:57 Mais quand j'ai préparé l'interview de vous,
01:01 et bien en fait le vouvoiement est venu spontanément.
01:04 Parce que je pense que vous m'en imposez en fait.
01:06 Ou parce que je suis une personne âgée.
01:07 [Rires]
01:09 Peut-être que vous pensez que j'ai l'âge de François Hollande.
01:12 Ce serait difficile de dire ça vu que je pense que vous êtes...
01:15 Oui vous êtes née la fin des années 70 et moi au début des années 80.
01:17 Donc bon ce serait un petit peu abusé de dire...
01:19 Mais oui c'est vrai.
01:20 C'est comme quand on est en 6ème et que les gens qui sont en 4ème c'est des...
01:25 Ah c'est des gens gigantesques.
01:27 C'est des vieux...
01:28 C'est un tout petit peu difficile de vous interviewer parce que...
01:31 Vous avez peur ?
01:32 C'est un petit peu comme si je faisais un tennis avec Federer.
01:35 Oh dis donc vous êtes gentil.
01:36 Oui je veux dire...
01:39 Est-ce que je vais poser les bonnes questions tout ça ?
01:41 Vous commencez par être gentil pour dire des horreurs après.
01:43 Ça c'est une technique.
01:44 Ça c'est ma technique.
01:45 Vous les connaissez.
01:47 Good cop, bad cop mais intégrée dans une seule personne.
01:49 Voilà.
01:50 Quand j'écrivais mes questions, à un moment je me suis dit...
01:53 Il faut que j'ai l'air intelligent dans les questions que je pose.
01:57 Puis après je me suis dit que le but d'une interview
01:59 c'était pas que l'intervieweur ait l'air intelligent.
02:02 Est-ce que ça vous est déjà arrivé à vos débuts de poser des questions
02:07 non pas parce que vous en attendiez une réponse bien
02:09 mais parce que vous vouliez que votre interlocuteur vous trouve super ?
02:13 Complètement.
02:14 Complètement.
02:15 Je pense même que c'est un des écueils les plus répandus chez les journalistes.
02:19 C'est qu'au début...
02:21 Alors il y a plusieurs écueils.
02:23 J'ai tout fait comme écueil.
02:25 Et beaucoup en fait.
02:26 Pas un peu.
02:27 J'ai pas juste flirté avec l'écueil.
02:29 J'ai bien défoncé la porte de l'écueil.
02:31 Le premier étant couper la parole systématiquement.
02:33 Et le deuxième étant de croire que ta question est plus importante
02:37 ou aussi importante que la réponse de l'interviewee.
02:40 Et donc je peux répondre oui, pendant longtemps j'ai pensé ça.
02:43 Mais je ne le pense plus du tout.
02:44 Mais au début, vous êtes tellement excité par l'idée
02:49 de commencer à mettre un micro sous la bouche de quelqu'un
02:52 que vous voulez absolument montrer que vous êtes plus malin que les autres,
02:55 que vous allez poser la question qui va le déstabiliser,
02:57 que vous allez obtenir le truc, machin.
02:59 Et donc à un moment, vous croyez que c'est plus important que la réponse.
03:03 Et assez vite, vous comprenez ça.
03:04 Je pense que l'expérience et l'âge et tout ça,
03:07 vous font dire que le plus important, évidemment, c'est pas la question,
03:10 mais c'est le moment.
03:11 C'est même pas la réponse, c'est le moment.
03:13 C'est à dire que peu importe la question, peu importe la réponse.
03:17 Il faut qu'il y ait un moment.
03:18 Il faut qu'on entende.
03:19 Moi, mon obsession le matin sur Inter, par exemple, c'est qu'il y ait un moment.
03:22 C'est pas d'aller chercher et déceler la vérité.
03:25 C'est qu'il y ait un moment, soit que l'auditeur soit surpris.
03:28 C'est à dire qu'il est là en train de manger son petit déjeuner,
03:30 en train d'écouter vaguement au fond France Inter
03:32 et il va s'approcher du transistor ou de l'appli
03:37 et écouter parce que tiens, c'est marrant.
03:40 François Hollande, on lui pose des questions différentes
03:43 ou il se passe un truc différent, où il répond différemment,
03:45 où il a l'air émervé, où il a l'air de se marrer.
03:47 En tout cas, il se passe un truc parce que je pense
03:49 et moi, je dis souvent ça à des jeunes journalistes,
03:50 je leur dis souvent, je vous montre en disant jeune journaliste,
03:52 alors que vous n'êtes plus si jeune.
03:54 Car je ne suis votre aînée que de deux ans.
03:56 Et non, je dis souvent aux jeunes journalistes,
03:59 tout le monde est capable de poser des questions.
04:00 En fait, ma mère, elle est capable de venir avec un micro
04:02 et poser des questions, en fait,
04:03 et peut-être même plus intelligente que les miennes.
04:05 Mais pour moi, un bon journaliste, c'est quelqu'un qui va faire un moment
04:10 où il va se passer un truc.
04:11 Et alors, est-ce qu'il y a des recettes pour créer ces moments ?
04:13 Non, je ne crois pas qu'il y ait des recettes.
04:16 Je pense que...
04:17 Ou alors je vais vous répondre une question,
04:18 je vais vous faire une réponse que vous n'allez pas aimer,
04:20 qui est le travail et qui est une réponse hyper chiante.
04:24 Mais la vérité...
04:25 Oui, c'est ça, c'est avoir...
04:26 Oui, mais c'est vrai, en fait.
04:28 C'est-à-dire que vous n'imaginez pas combien on bosse, en fait.
04:31 Combien on bosse, par exemple avec Nicolas Demorand,
04:32 tous les matins pour essayer d'assurer deux interviews.
04:35 Et parfois, on rate d'ailleurs.
04:36 Et parfois, on est à côté.
04:37 Mais c'est beaucoup de travail, parce que le travail, ça te permet quoi ?
04:41 Ça te permet de savoir ce que l'autre va répondre
04:43 et donc de préparer la parade, de préparer la réponse d'après
04:45 et la réponse d'après et la relance, etc.
04:47 Et c'est là où il se passe un truc.
04:49 Alors que si tu es collé à tes fiches
04:51 et que tu lis bêtement et que tu anonnes les questions que tu as écrites, etc.
04:55 Il ne se passera rien.
04:56 Et puis après, c'est le regard et le sourire.
04:58 Parfois, vous déstabilisez les hommes politiques par un regard
05:01 où vous marquez "moi, je suis très expressif parce que je suis libanaise".
05:03 Donc, ils voient chez moi où là, je me fais chier.
05:05 Ils voient chez moi où je ne suis pas d'accord.
05:08 Et parfois, d'ailleurs, ça leur dit "oui, mais Mme Salamé,
05:10 on voit bien que vous levez les yeux au ciel, etc."
05:12 Et l'expressivité est avant même le fond de la question
05:17 et quelque chose où il se passe quelque chose déjà par définition.
05:20 Et puis après, vous avez le décor, c'est à dire, par exemple, à la radio,
05:23 c'est un petit studio où on est proche les uns des autres.
05:25 Et là, il se passe quelque chose.
05:26 Vous êtes venue, on est ici, donc, dans les studios,
05:31 parce qu'il n'y en a pas, mais dans la cafétaria de Konbini.
05:33 C'est très joli, d'ailleurs.
05:35 Vous êtes venue par quel moyen de locomotion ?
05:37 Est-ce qu'il était carboné, décarboné ?
05:39 Oui, il était carboné.
05:40 Il était carboné ?
05:40 Enfin, je pense, je ne sais pas si c'était un hybride ou pas.
05:42 Je suis venue en taxi, c'est la vérité.
05:43 Vous avez un...
05:44 Je ne suis pas chauffeur, mais j'ai un taxi.
05:47 Quel est votre rapport au carbone ?
05:49 Ah oui, d'accord.
05:50 [Rires]
05:53 Quoi ?
05:53 Voilà, là, il y a un moment.
05:54 [Rires]
05:57 Mon rapport au carbone, je ne sais pas ce qu'il est,
06:00 parce que j'ai une voiture que je n'utilise pas à Paris,
06:03 mais que j'utilise le week-end, parce qu'on a des enfants
06:05 et donc, on essaye de bouger un peu le week-end,
06:07 que j'utilise surtout en vacances.
06:10 Eh bien, mon rapport au carbone,
06:11 c'est que j'ai une voiture qui roule à l'essence
06:13 et que je pense que dans les deux ans,
06:17 je vais passer à l'électrique.
06:19 Et je pense qu'on va tous vers ça.
06:21 J'attends juste qu'il y ait plus de bornes dans Paris
06:23 pour pouvoir recharger.
06:25 Pour que ce soit mieux.
06:25 Voilà, mon rapport au carbone.
06:27 Mon rapport au carbone,
06:28 ou plus largement, ma conversion à l'écologie,
06:30 c'était votre question.
06:30 On reste sur le carbone, absolument.
06:32 On peut passer trois heures sur le carbone,
06:34 je risque d'être un mauvais client.
06:35 Je ne suis pas Hugo Clément.
06:37 Et mon rapport à l'écologie,
06:40 c'est une conversion.
06:41 Je n'étais pas du tout écolo.
06:43 Et d'ailleurs, il y a eu un moment très fort
06:44 quand j'étais chroniqueuse sur On n'est pas couché,
06:46 il y a six ans avec Cyril Lion.
06:48 Il venait avec Anne-Arthus Bertrand
06:50 pour un livre ou un film, je ne me rappelle plus.
06:52 Et je me souviens que je l'avais critiqué en mode
06:56 "Oh là là, vous nous emmerdez.
06:57 Moi, quand je vous lis, quand je vous écoute,
06:58 j'ai envie de prendre un bain de trois heures.
07:00 J'ai envie de prendre l'avion
07:00 et j'ai envie de manger de la viande rouge
07:02 tellement vous êtes donneur de leçons, etc."
07:05 Et ça, c'était il y a six ans.
07:07 Vous voyez comme quoi,
07:08 même les cas désespérés ont une chance d'être sauvés.
07:12 Et je pense comme beaucoup de gens qui disaient
07:14 "Oh, ils nous emmerdent.
07:15 Ça commence à bien faire", comme disait Sarko, l'écologie.
07:18 Et je pense qu'à un moment, et moi, je l'ai eu,
07:21 vous avez la prise de conscience qui vous tombe dans la gueule
07:23 et vous vous dites "Non, en fait, là, c'est dangereux.
07:26 Ta petite attitude de dandy à la con,
07:30 ça va deux minutes."
07:31 Alors après, je ne suis pas une écologiste acharnée.
07:34 J'essaie de faire des efforts comme tout le monde,
07:36 mais je fais des efforts.
07:36 Ouais, enfin, je fais clairement des efforts.
07:38 Après, vous allez me dire,
07:39 c'est des petits efforts de rien du tout,
07:40 mais des trucs que je ne faisais pas il y a cinq ans.
07:42 C'est-à-dire que oui, je débranche le Wi-Fi.
07:44 Oui, je passe mon temps à aller fermer les lumières derrière les gosses.
07:46 Oui, je trie mes déchets.
07:49 Oui, je mange beaucoup moins de viande, mais beaucoup moins.
07:52 Pas végétarien, mais beaucoup moins de viande.
07:54 Voilà, enfin, et je vais aller bientôt.
07:56 Et on prend le train au maximum du maximum,
07:58 sauf quand on ne peut pas.
08:00 Bon, c'est des petits gestes, vous allez me dire, vous allez rire,
08:02 mais je ne le faisais pas.
08:04 Non, mais c'est une pente.
08:05 C'est une pente.
08:07 Vous êtes écolo, vous ?
08:09 Quel est votre rapport au carbone ?
08:11 Mon rapport au carbone, je pense que c'est un peu voisin.
08:14 Alors, je n'ai pas mon permis de conduire.
08:16 Et puis surtout, je suis entouré de gens
08:18 vraiment qui me jugent très, très, très fort et très bruyamment.
08:21 Parce que vous n'avez pas votre permis de conduire ?
08:23 Non, c'est plutôt quand je prends un avion, par exemple.
08:25 Et donc, j'ai des gens qui sont vraiment...
08:27 Ils ne sortent plus de France ou très, très peu.
08:29 Ou alors, quand ils sortent de France, ensuite,
08:30 ils ne mangent pas de viande pendant six mois.
08:32 Et vous comprenez ça ?
08:33 Vous comprenez le regard inquisiteur
08:36 de ceux qui vous regardent quand vous prenez l'avion ?
08:38 Je le comprends parce qu'en fait, comment dire, c'est dur.
08:41 Il n'y a pas grand-chose à leur répondre à part...
08:43 Oui, en fait, c'est mieux de ne pas prendre l'avion que de le prendre.
08:46 Donc, ils ont une action vertueuse.
08:48 Je suis moins vertueux que de ce point de vue-là.
08:50 C'est comme ça.
08:51 Et il n'y a pas grand-chose à répondre.
08:53 C'est juste qu'ils ont une influence sur moi.
08:56 Et quelques fois, je mens aussi.
08:57 Je dis que je n'ai pas pris l'avion.
08:59 Oui, vous avez raison.
08:59 Je pense qu'on va en arriver d'ici quelques années à mentir.
09:03 Oui, c'est pourquoi j'ai commencé.
09:04 Vous avez commencé avant moi.
09:06 Je dis encore la vérité, mais...
09:08 Léa, vous avez un autre prénom ?
09:11 Hala.
09:12 J'ai toujours mon prénom libanais, en fait.
09:14 Sur ma carte d'identité, il y a écrit Léa Hala.
09:16 Et comment est-ce que vous êtes passée de l'un à l'autre ?
09:19 En fait, j'ai inversé l'ordre.
09:21 Alors, le prénom, ça, c'est quelque chose qui touche à l'intime.
09:25 Le prénom, c'est...
09:27 Donc, mon premier prénom est mon prénom non libanais.
09:29 Parce que moi, je suis née à Beyrouth et je suis arrivée en France
09:31 quand j'avais cinq ans parce qu'il y avait la guerre civile au Liban.
09:33 Et donc, à l'origine, mon prénom, c'est Hala.
09:36 Or, Hala en français, quand je suis arrivée à l'école à Paris et tout ça,
09:41 on ne prononce pas le H.
09:42 Et donc, c'est traduit Hala.
09:44 Et quand j'étais petite à l'école, j'étais...
09:48 On se moquait de moi, on se moquait de mon prénom.
09:50 On disait "Ah, Hala, Hala Akbar, tes parents t'ont appelée Dieu, Hala est grand,
09:54 Hala Akbar, machin et tout ça."
09:57 Et ça me heurtait énormément parce que je voulais leur dire que non,
09:59 qu'en arabe, Allah, c'est Dieu.
10:02 Et moi, mon prénom, c'est Hala.
10:03 On est très, très loin.
10:04 Et qui veut dire "bienvenue" en libanais, qui est un prénom très usuel et très fréquent.
10:07 Mais comme ils n'arrivent pas à prononcer le H aspiré,
10:10 c'était une souffrance chez moi.
10:11 Et il se trouve que j'ai changé d'école entre le collège et le lycée.
10:14 Et j'ai dit à ma mère, à ma mère et pas à mon père, mais j'ai dit à ma mère,
10:18 je vais basculer à Léa.
10:21 Et ma mère me dit "Ah bon ?"
10:23 Je dis "Oui, tu vas inscrire à l'école Léa Hala et pas Hala Léa."
10:28 Et j'avais 13 ans ou 14 ans, je ne me rappelle plus.
10:32 Et j'ai mis du temps à le dire à mon père, à l'assumer,
10:35 parce que j'avais peur qu'il se dise que je n'assumais pas mon origine
10:39 ou mon arabité.
10:41 Et au fond, je ne l'assumais pas à 13-14 ans.
10:43 Il avait raison de sentir que...
10:45 Parce que je voulais être comme tout le monde à 13-14 ans.
10:46 Je voulais avoir une mère de la Creuse et un père de Bretagne.
10:50 Et je voulais en plus avoir les yeux bleus.
10:51 Et je me disais "Mais merde, on est différents."
10:53 Mon père, il avait parlé avec un accent, ma mère aussi, etc.
10:56 J'ai mis du temps, et c'est quelque chose que j'explique souvent,
11:00 j'ai mis du temps à accepter ma différence
11:03 et à comprendre que ma différence, ça allait être ma force.
11:05 Parce que clairement, mes origines libanaises, arméniennes, c'est ça ma force.
11:08 C'est ça qui fait que j'ai été, à mon avis, repérée après, plus tard,
11:11 et que j'ai fait la carrière que j'ai faite.
11:12 Croyez-moi, l'enfance décide.
11:15 Et dans mon cas, c'est l'enfance qui vient du Liban, de l'Orient,
11:18 de l'Orient compliqué, des tourments de l'Orient, de tout ce que vous voulez.
11:21 Mais c'est ça qui fait que je suis différente.
11:23 Mais quand vous avez 13 ou 14 ans, vous êtes juste une petite fille qui est moquée
11:27 et à qui on demande pourquoi tes parents t'ont appelée Dieu.
11:29 Et tu entends dans la salle de la cour de récréation "Alakbar".
11:33 Et c'est pas ton prénom.
11:34 Et donc voilà, j'ai changé ce prénom-là.
11:38 Et aujourd'hui, mon père pense que, heureusement que j'ai changé,
11:39 il voit ce que je veux dire.
11:40 Mais au moment où il l'a appris, il a dit "Mais pourquoi elle fait ça ?
11:44 Pourquoi elle l'assume pas ?"
11:45 Il a raison. Il a raison, chacun son histoire, après.
11:47 Alors, vous l'avez dit, vous êtes née à Bérout, en pleine guerre.
11:53 Oui, en pleine guerre.
11:54 Plein milieu, quoi.
11:55 D'ailleurs, une nuit de bombardement particulière,
11:58 c'était une nuit où ça tapait très fort.
12:00 Bérout était divisé en deux.
12:01 Les chrétiens étaient à l'est, les musulmans étaient à l'ouest de Bérout.
12:04 Et mon père, qui était un universitaire de gauche,
12:08 tenait à ce que, alors que nous étions chrétiens,
12:10 nous vivions à l'ouest, ou en tout cas dans le quartier Hamra,
12:13 qui est un des derniers quartiers mixtes,
12:17 où il y avait des chrétiens et des musulmans.
12:19 Et on avait notre maison, enfin notre appart,
12:23 qui était dans un immeuble qui se trouvait à trois ou quatre immeubles,
12:26 de là où se trouvait Yasser Arafat, qui avait fui Israël
12:30 et qui se réfugiait à Bérout.
12:31 Et les Israéliens, c'était au pire moment de la guerre
12:34 entre Israël et les Palestiniens, avant qu'en 82, Arafat quitte,
12:38 parce que les Israéliens vont rentrer dans Bérout pour essayer de le choper.
12:40 Et nous, son immeuble était à trois rues de nous,
12:43 même pas, à trois immeubles de nous, c'était vraiment juste à côté.
12:46 Et donc, je suis vraiment née dans un...
12:49 J'ai vraiment vécu les cinq premières années de ma vie
12:51 dans une guerre pile quasiment en ligne de démarcation.
12:54 D'ailleurs, mon père n'a pas pu venir pour mon accouchement,
12:57 pour mon avenu au monde, pour l'accouchement de ma mère,
12:59 c'est la meuf qui pense qu'elle s'auto-accouche,
13:02 parce qu'il ne pouvait pas passer la ligne de démarcation.
13:04 Et donc, ma mère a dû monter, par exemple, les quatre étages de la clinique
13:07 le jour où elle accouchait en perdant les os, sans l'ascenseur,
13:10 parce que ça tapait et il n'y avait pas d'électricité.
13:13 Donc, ces choses-là sont des choses qui m'ont marquée,
13:16 je pense, sans le savoir, évidemment, puisque je venais au monde.
13:19 Mais on se cachait dans les abris.
13:21 Enfin, je veux dire, oui, j'ai vécu ces choses-là et j'en ai parfaitement...
13:23 J'ai parfaitement le souci.
13:24 Pourquoi je déteste les feux d'artifice le 14 juillet,
13:26 que mes gosses adorent et on va voir le feu d'artifice.
13:28 Et à chaque fois, c'est un enfer pour moi, je me suis fait comme ça.
13:30 "Mais maman, pourquoi tu n'aimes pas ?"
13:31 "Bah, je n'aime pas parce que c'est exactement le même bruit que les bombes,
13:34 parce que ça fait...
13:35 C'est exactement ça, la bombe."
13:40 - C'est une sorte de PTSD, quoi.
13:42 Léger PTSD, quoi.
13:44 - Léger. - Léger, oui.
13:45 Pas autant que...
13:46 Votre plus ancien souvenir ?
13:51 - Eh bien, c'est la guerre. - C'est la guerre.
13:52 - C'est les bruits de la guerre.
13:54 C'est les bruits de la guerre et c'est les nuits
13:58 où je dormais dans la salle de bain, dans la baignoire avec ma sœur.
14:01 Ils nous installaient les matelas dans la baignoire
14:03 parce que la salle de bain était le seul endroit qui n'avait pas de vitre,
14:05 qui n'avait pas de fenêtre.
14:07 Et donc, ce qu'ils craignaient le plus dans nos chambres et tout ça,
14:10 c'était que la fenêtre pète parce que l'augue machin
14:13 et qu'on se prenne des éclats de verre.
14:16 Donc, c'est les nuits dans Beyrouth.
14:18 - Et à 5 ans, vous avez quitté Beyrouth.
14:21 - On a quitté Beyrouth.
14:23 Mon père a dit "C'est plus possible, je ne peux plus faire vivre ma famille."
14:26 Mais comme tous les Libanais de l'époque, on partait juste pour 6 mois.
14:29 D'ailleurs, je remercie la France parce que la France nous a inscrits,
14:33 ma sœur et moi, a accepté de nous inscrire dans l'école publique
14:37 et en même temps, a été inscrite à l'école libanaise
14:38 parce que dans l'idée de mes parents, on rentrait au Liban.
14:40 La guerre allait bientôt s'arrêter et on allait revivre au Liban.
14:43 Ils ne voulaient pas vivre en France.
14:44 Et puis, la guerre ne s'est pas arrêtée.
14:46 Et puis, on a fait d'abord quelques mois ici,
14:48 quelques mois, on est retourné à Beyrouth quand il y avait une accalmie.
14:50 On a fait un ou deux ans d'aller-retour.
14:52 Je pense que c'était CP-CE1, je pense, pour moi.
14:55 Et puis, on n'est plus parti, on n'est plus jamais retourné.
14:58 - Et vous y allez quand même quelque part ?
15:00 - Oui, j'y vais, je vais, je vais, au moins une fois par an.
15:02 C'est très important pour moi de retourner au Liban.
15:04 D'abord parce que j'y ai une grosse partie de ma famille
15:06 et puis parce que j'y ai la tombe de mes grands-parents
15:09 et notamment la tombe de ma grand-mère, la mère de mon père, qui est...
15:12 Alors, vous m'excuserez mon mysticisme, mais moi, pour moi, elle me protège
15:16 et ça m'est hyper important d'aller faire le point sur ma vie,
15:18 une fois par an, sur sa tombe, dans la montagne libanaise.
15:22 - Vous venez de le dire, mais vous êtes...
15:25 Croyez-nous, vous êtes chrétienne.
15:26 - Eh oui, je vais à la messe.
15:29 Je vais à la messe au minimum deux dimanches par mois,
15:32 quand je peux, trois dimanches, et par contre, je peux vraiment tous les dimanches.
15:36 J'y vais seule, puisque autour de moi, personne n'est vraiment pratiquant.
15:42 Si j'ai une petite Lilou qui vient parfois avec moi,
15:44 qui est une petite étudiante qui garde parfois les enfants
15:46 et qui est à l'hélicato et est croyante.
15:48 Mais sinon, j'y vais seule, près de l'église, à côté de chez moi.
15:52 Et voilà, c'est important pour moi.
15:54 J'y vais seule parce que mon compagnon est juif,
15:55 parce qu'autour de moi, personne n'y va.
15:58 Donc voilà, mais c'est important pour moi, je ne peux pas vous dire plus.
16:01 - Et d'ailleurs, vous avez étudié chez les jésuites.
16:05 Les jésuites, qui est une congrégation chrétienne,
16:10 qui en gros ont trusté l'enseignement de haut niveau à partir du 17e siècle
16:15 et jusqu'à aujourd'hui, où encore les écoles jésuites sont...
16:18 - Sont à très bon niveau. - ... très réputées.
16:20 Mais moi, j'ai coutume de dire, je suis restée à Franklin,
16:23 chez les jésuites, de la 6e à la 3e, avant de me faire virer pour indiscipline.
16:27 Et je pense que je n'ai jamais autant travaillé de ma vie que là.
16:30 Mais qu'ils vous forment l'esprit tellement fort et tellement bien
16:36 que...
16:40 que ensuite, ça te donne des bases pour toute la vie.
16:42 Donc voilà. Mais bon, après, c'est une discipline très dure
16:44 et moi, je n'ai pas supporté. Je ne supportais pas l'autorité, enfant.
16:47 Donc autant ma soeur, elle est restée, elle a fait jusqu'à la terminale,
16:49 moi, je suis partie.
16:50 - Et c'était quoi, la bêtise que vous aviez faite ?
16:53 - J'en ai fait beaucoup des conneries.
16:54 - Mais celle qui vous a fait virer ?
16:55 - Il m'avait...
16:58 Qu'est-ce qu'il... Il m'avait chopé mon cahier.
17:00 On avait fait un cahier où on se moquait des profs, des horreurs,
17:03 on disait des trucs sexuels qu'on ne comprenait même pas à 13 ans.
17:08 Et on était avec deux, trois copains.
17:09 On avait fait tout un cahier où on se moquait des profs.
17:13 J'ai...
17:16 En fait, j'ai commencé à vriller quand...
17:17 D'abord, j'avais du mal à l'autorité.
17:19 Ensuite, j'ai découvert les garçons.
17:20 Et donc, il fallait absolument plaire aux garçons, etc.
17:22 Donc, j'en rajoutais.
17:23 J'étais bonne en classe et j'entraînais les autres.
17:26 Et donc, je faisais des conneries.
17:27 Et donc, mes parents se faisaient convoquer tous les deux mois pour dire
17:29 "ben voilà, elle a encore dit, elle bavarde en classe, elle dit des conneries, elle sèche."
17:34 Elle...
17:36 Mais j'ai fait... J'ai eu une adolescence...
17:38 J'ai vraiment fait l'horreur à mes parents.
17:40 Non, mais je...
17:41 Je séchais la nuit, j'attendais qu'ils dorment
17:44 et je fuyais par la porte de service pour aller faire la fête.
17:47 J'ai fait les pires horreurs.
17:48 J'ai...
17:51 Ils ont pété les plombs avec moi, mes parents.
17:52 Mais bon, je trouve que c'est pas mal parce que
17:55 quand tu fais une crise d'adolescence très serrée sur deux, trois ans,
17:58 de 14 à 17 ans, après, c'est fini, c'est passé.
18:01 Mais elle était serrée chez moi.
18:03 Voilà.
18:03 - Quand j'imagine les Jésuites...
18:08 C'était à Paris, c'est ça ?
18:10 Et vous deviez pas être la chrétienne typique chez les Jésuites ?
18:14 - Si vous voulez me demander si j'avais senti une forme de racisme,
18:17 si on peut les dire, un peu.
18:18 Mais c'est là où j'ai changé le prénom.
18:20 Vous voyez, Allah, Alakbar, etc.
18:22 C'est là où je me suis sentie...
18:24 C'est marrant parce que c'est à la fois...
18:27 Comment vous dire ?
18:29 Oui.
18:30 Alors non...
18:32 Moi, j'ai pas souffert du racisme.
18:35 Il y a des gens qui vraiment souffrent du racisme,
18:36 donc je veux pas du tout être porte-parole de ça.
18:38 Mais en revanche, oui, j'ai senti des choses où...
18:41 C'est très étonnant parce que c'est des congrégations qui croient que
18:44 on est généreux avec l'autre et on est ouvert sur les autres
18:48 et il faut aller christianiser, etc., les contrer, etc.
18:52 Et en même temps, il y a une forme de supériorité.
18:55 Où forcément, nous, les chrétiens français,
18:58 on est sans doute mieux que le chrétien brésilien,
19:01 le chrétien asiatique ou le chrétien d'Orient.
19:05 Il y a une petite chose que tu sens,
19:07 où tu crois qu'ils sont un peu supérieurs.
19:09 Mais ça, je l'ai senti, ça n'a pas été dit.
19:12 Mais un jour, par exemple, je me souviens,
19:14 il y avait un autre Libanais dans ma classe
19:15 et au moment de donner les bulletins,
19:17 le préfet des études, parce que c'était ça,
19:18 il venait, c'était très à l'ancienne,
19:20 on venait, on donnait les notes et on engueulait devant les autres et tout ça.
19:23 Il s'était levé, il lui dit,
19:25 "Il faut que je vous parle en arabe pour que vous compreniez
19:26 qu'il va falloir vous mettre à travailler."
19:28 Vous voyez ?
19:29 Ce genre de petites choses.
19:30 Ou mes parents, quand ils se faisaient convoquer, par exemple,
19:32 on leur disait, "Votre fille est très orientale."
19:34 Et ma mère, un jour, elle leur avait dit,
19:38 quand elle m'avait inscrite dans une autre école,
19:39 puisqu'elle en avait ras le bol de se faire convoquer tous les quelques temps,
19:43 elle leur avait dit, "Oui, ma fille est orientale,
19:45 elle est fière de l'être et on est fiers d'être orientaux."
19:47 Et j'avais trouvé ça, alors que mon père disait,
19:50 "Oui, pardon, elle est orientale, pardon, elle est indisciplinée, etc."
19:53 Elle, elle a eu une espèce de mouvement en disant,
19:54 "Bah oui, elle est orientale et on vous emmerde."
19:57 Et c'est pas mal, ça.
19:59 - Vous diriez que vous étiez cool au collège ou pas ?
20:02 Dans le spectre du cool qui va de rien du tout
20:05 jusqu'à l'aristocratie du cool,
20:06 c'est-à-dire que ça arrive rarement après dans l'existence.
20:10 Il y a des espèces de roi et de princesse intouchables.
20:13 - Oui, non, moi, je n'étais pas roi ou princesse intouchable,
20:16 mais j'ai eu des moments de cool.
20:17 Je pense que moi, ça a été cyclotimique.
20:19 C'est-à-dire qu'il y a eu des moments,
20:21 quand je suis arrivée à l'école alsacienne,
20:23 parce qu'en l'occurrence, pardon, je suis caricaturale,
20:25 mais j'étais alsacienne quand j'ai quitté Franklin.
20:27 Là, j'étais cool parce que...
20:29 Là, j'ai eu quelques mois de coolitude parce que je venais d'ailleurs,
20:32 parce qu'elle avait vachement de caractère, etc.
20:35 Donc, j'ai été cool.
20:36 Et puis après, comme j'étais un peu peste,
20:38 j'ai été détestée à un moment.
20:40 Et puis ensuite, j'ai décidé d'être average, d'être normale
20:44 et d'avoir juste mes potes, etc.
20:45 Donc, ça aussi, il y a des moments où j'étais un peu chef de bande,
20:48 un peu...
20:50 Ouais, un peu chef.
20:51 Et puis, il y avait des moments où j'étais pas cool
20:54 et un peu pas cool du tout.
20:56 - Et généralement, quand on est cool au collège,
20:58 à un moment, ça veut dire qu'à un moment ou à un autre,
20:59 on a été méchant avec des gens qui ont été moins cool.
21:01 Est-ce que vous avez été méchante ?
21:02 - Oui, oui, je vous dis.
21:03 À mon arrivée à l'école alsacienne,
21:05 j'étais tellement dans la suffisance de moi-même
21:07 où j'étais cool, où je venais d'ailleurs.
21:09 Et moi, ils étaient vachement plus calmes,
21:12 ils faisaient pas de conneries.
21:13 Et moi, j'avais fait toutes mes conneries en troisième et tout.
21:15 Et donc, je me souviens, oui, oui,
21:16 j'ai eu ma petite moment du bris
21:18 où tu montes les uns contre les autres,
21:21 t'es un peu pestouille, etc.
21:22 Je suis pas très fière.
21:24 - Vous vous souvenez d'un moment
21:25 où vous avez été méchant avec quelqu'un particulièrement ou pas ?
21:28 - Ouais, je suis pas fière.
21:31 Je suis pas fière parce que je vous assure,
21:32 je m'en veux encore 35 ans après.
21:35 Enfin, 35 ans, 25 ans après.
21:39 J'avais une très bonne copine
21:43 qui se faisait moquer,
21:47 enfin, on se moquait,
21:48 les mecs cools de la classe derrière au dernier rang,
21:52 sauter un peu de sa gueule et tout.
21:54 Et moi, je me marrais.
21:55 Et j'ai honte de ça.
21:57 Et elle avait souffert, elle me l'avait dit,
21:59 je m'étais excusée comme une merde en disant
22:00 "Mais pourquoi tu fais ça ?
22:01 Mais parce que t'es con, à 15 ans t'es con,
22:03 tu veux plaire aux garçons,
22:04 tu veux plaire aux cools justement."
22:06 Et j'avais fait ça.
22:07 Et je suis pas fière de moi.
22:08 Je me suis...
22:09 Ça, c'était pas cool.
22:10 - Et elle est où aujourd'hui, cette dame ?
22:13 - Elle est aux Etats-Unis.
22:14 Elle est aux Etats-Unis, elle est mariée,
22:15 elle a des enfants, elle va très bien.
22:16 - Tout va bien quand même.
22:17 - Je crois qu'elle m'a pardonnée
22:18 parce qu'on l'a reposé dans une soirée
22:19 quelques années plus tard.
22:21 Et je sautais dessus en disant,
22:22 tu sais, je me dis "Ils sont tellement merdeux."
22:23 Elle me dit "Ouais, c'est vrai,
22:26 mais j'ai pas trop de souvenir."
22:28 Ils s'en foutaient en fait.
22:29 - Oui, ça lui est passé au-dessus de la tête.
22:31 Mention au bac ?
22:34 - Mention assez bien.
22:36 - Assez bien ?
22:37 - Ouais.
22:38 - Assez bien, je pense.
22:38 - Mais il faut voir quand même
22:39 que la mention "assez bien"
22:40 d'un bac de 1998 ou 99...
22:42 - Oui, qui vaut un mention "très bien" plus.
22:44 - Ah oui, oui.
22:44 C'est vraiment le...
22:46 - Non, mais j'étais un peu...
22:47 J'avais une très mauvaise note en sport.
22:48 Je détestais le sport
22:49 et en fait, ça m'avait baissé
22:50 parce que je crois que je l'ai eu à 13,9.
22:51 Donc j'ai "flirting" with "mention bien".
22:54 Il ne faut pas le dire
22:54 parce que je crois que j'ai menti à mon mec.
22:55 Je lui ai dit que j'avais mention "bien",
22:56 donc ne le dites pas.
22:58 Je crois qu'il pense que j'ai mention "bien".
23:00 - D'accord, non mais 13,9, ça va.
23:02 C'est quand même une très belle mention.
23:03 - Mais j'ai eu genre 6 en sport.
23:05 - Oui.
23:06 C'était quoi comme sport ?
23:06 - Je ne sais pas, c'était les endurance et tout ça.
23:08 - Ah oui, d'accord, d'accord.
23:09 - Mais je dis "non".
23:10 - Après le bac,
23:11 est-ce qu'il y a eu des petits boulots
23:13 marrants, intéressants ?
23:14 - Oui, je vendais à l'Institut Monde Arabe
23:17 l'artisanat libanais pour me faire du fric.
23:19 Et donc on était avec plusieurs copines.
23:20 On a passé des week-ends entiers
23:22 à vendre de l'artisanat libanais
23:24 par vie de l'Institut du Monde Arabe.
23:27 Et voilà, pour se faire un peu de fric,
23:29 j'ai fait du "babysitting" et voilà, c'est tout.
23:30 - Avec un petit "speech" pour vendre les produits.
23:32 - Oui, oui, j'étais bonne.
23:33 J'étais déjà, il y avait un côté
23:35 vendeuse de jeans assumée.
23:38 Absolument.
23:40 - Ensuite, donc vous avez fait des...
23:42 ASSAS, Sciences Po.
23:45 Vous vous souvenez où vous étiez le 11 septembre 2001 ?
23:47 - J'aime bien qu'elle avale ce ton goût, prenez.
23:51 Oui, je m'en souviens et vous, vous vous en souvenez ?
23:52 Tout le monde se souvient.
23:53 - Je pense qu'en fait, je parle un ton et demi
23:56 en dessous de ma voix habituelle.
23:57 - À cause de moi ?
23:59 - Je sais, peut-être que je le fais régulièrement
24:00 quand j'interview des gens.
24:01 - Ah oui, d'accord.
24:02 - Je pense que j'ai une voix plus comme ça d'habitude.
24:03 - Ah, voilà.
24:04 - Moins crédible.
24:05 - Non, c'est pas mal.
24:07 Restez bas.
24:09 - Vous voyez pourquoi je...
24:12 - Oui, le 11 septembre 2001,
24:13 j'étais sous les tours du 11 septembre à New York.
24:16 J'étais en échange avec Sciences Po pendant un an
24:18 à NYU, New York University.
24:20 On était dans les dortoirs,
24:24 je dormais dans les dortoirs avec ma coloc qui était française,
24:26 Clémence, qui était à Sciences Po aussi en échange.
24:28 Et il se trouve qu'on avait nos dortoirs qui étaient à John Street,
24:30 qui est exactement downtown, tout en bas,
24:35 à trois blocs du World Trade Center,
24:36 à trois blocs très, très proches des tours du 11 septembre.
24:41 Ce matin-là, ma coloc était partie à la fac,
24:45 donc beaucoup plus haut, de Manhattan,
24:47 parce qu'elle avait cours et moi, je n'avais pas cours.
24:50 Et donc, j'entends un bruit monstrueux.
24:52 Je pense qu'il y a un accident de camion juste en bas de chez moi.
24:55 Mais bon, je me réveillais, il était 9h, 8h50 ou je ne me rappelle plus.
24:58 9h, je me lève de mon lit.
25:00 J'ai 21 ans, je viens d'arriver à New York.
25:02 C'est le rêve.
25:03 J'y suis heureuse, je sors, je suis bien.
25:06 Mais donc, je m'en fous.
25:07 Et au bout de quelques minutes,
25:09 il y a une nana qui monte et qui tambourine à ma porte
25:12 et qui me dit "You go down now".
25:15 Et donc, je dis "What's happening? What's happening?"
25:16 Et elle dit "We don't know, there's something in the World Trade Center".
25:20 Et donc, bref, mais je m'habille tranquillou.
25:22 Je mets un tee-shirt, je mets une petite jupe, je mets des tongs.
25:25 C'est important parce que, ensuite, l'habillement a son importance.
25:30 Et je descends, je prends juste un dollar,
25:32 je prends mes clés, un dollar et je descends.
25:34 Et je vais acheter à la boulangerie pendant qu'on voit
25:36 qu'effectivement, il y a un incendie dans la tour du World Trade Center.
25:40 Et je bouffe mon pain au raisin en regardant cet immeuble en train de cramer,
25:45 en me disant "Il y a un incendie dans le World Trade Center".
25:47 Et puis ensuite, les gens descendent des immeubles les uns après les autres.
25:51 Tout ça se fait en quelques minutes.
25:52 Les gens descendent des immeubles et vous vous souvenez,
25:54 aux États-Unis, il y avait les petits transistors.
25:56 Les Américains écoutaient les transistors.
25:58 Et là, il n'y avait pas de portable.
25:59 On fait la queue derrière les cabines téléphoniques.
26:01 Et moi, je me dis "Je vais appeler mon cousin qui habitait uptown,
26:03 qui habitait en haut de la ville de Manhattan.
26:05 Je vais juste lui dire qu'il y a un incendie et qu'il ne s'inquiète pas".
26:09 Et donc, je fais la queue.
26:10 Sauf que devant moi, dans la queue, il y avait des gens avec leurs transistors
26:12 qui disent "There's a bomb in the Pentagon".
26:14 C'était au moment où le Pentagone était frappé.
26:16 Et là, on se dit "C'est un truc bizarre".
26:18 Et de l'incendie du World Trade Center, en quelques minutes,
26:20 on comprend qu'il y a une bombe, en fait, dans le World Trade Center.
26:23 C'est tout ce qu'on comprend.
26:24 Et puis, je fais la queue devant cette cabine téléphonique pour appeler mon cousin.
26:28 Et là, à un moment, je suis projetée par terre par le souffle de ce que je pense être.
26:34 On me tire dessus parce que je ne comprends pas.
26:36 On est tous projetés par terre.
26:38 Et là, je suis totalement éraflée des bras et des culs et des jambes.
26:45 Et je me mets, me lève comme tous ces gens que vous avez vus ensuite.
26:47 Mais moi, je ne comprends pas.
26:48 Je crois qu'on me tire dessus, que c'est une guerre.
26:50 Et je me lève et je commence à courir.
26:53 Et je cours et je permatongue.
26:55 Voilà pourquoi l'habillement est important.
26:57 Et je cours, j'en garde une et l'autre pied nu parce que vous vous rappelez de ces choses là.
27:00 Et par ailleurs, c'est à l'air con, mais je le raconte à chaque fois.
27:03 Je n'ai pas de soutif.
27:05 Je n'ai pas de soutif parce que je viens de me réveiller, que je n'en avais rien à foutre.
27:08 J'ai enfilé un tee-shirt.
27:09 Sauf que quand vous devez courir une heure, parce que c'est une heure que j'ai couru,
27:12 en tenant la poitrine sans une tongue, avec le bras en sang,
27:16 vous vous rappelez, il y a des trucs un peu cons, vous vous rappelez de ces choses là.
27:18 Moi, je me suis rappelée de ces choses là.
27:20 Et donc, j'ai couru.
27:21 Il y avait des gens qui couraient vers le nord.
27:22 Il y a des gens qui couraient vers le pont de Brooklyn.
27:24 Et il y a des gens qui couraient malheureusement vers le World Trade Center
27:27 et qui se sont plantés, qui sont morts.
27:29 Et moi, j'ai couru vers le nord.
27:29 J'ai essayé de courir, courir, courir.
27:31 À un moment, je me suis arrêtée.
27:32 J'ai retourné ma tête et j'ai vu les gens.
27:34 Je voyais des hirondelles et je comprenais que c'était les gens qui sautaient.
27:36 Et je me disais pourquoi ils sautent de la deuxième tour?
27:38 Mais je ne comprenais rien.
27:39 J'ai couru, couru, couru pendant une heure.
27:41 Je suis arrivée à l'université.
27:43 Je vais monter les six étages de ce département de journalisme
27:46 de l'université de New York University.
27:50 Et je vois Clémence en larmes et qui me secoue en me disant
27:53 "tu n'es pas morte, tu n'es pas morte".
27:55 Je lui dis "mais non".
27:56 Et je lui dis "on nous a tiré dessus".
27:57 Elle m'a dit "mais les tours sont tombées".
27:59 Et je lui dis "mais quelle tour? De quoi tu me parles?"
28:01 Je ne comprenais rien parce que vous, vous aviez vu à la téloche
28:03 ce que moi, j'avais vu en dessous, vécu en dessous.
28:06 Et donc, je comprends que tout ce qui s'est passé, je comprends ensuite.
28:10 J'essaie d'appeler mes parents et ensuite, toutes les communications vont s'éteindre.
28:15 Et New York sera sous le truc.
28:17 Et puis, et voilà.
28:19 - Est-ce que vous avez gardé un objet de ce jour-là?
28:24 La tong qui restait sur un copier?
28:25 - Non, je n'ai pas gardé ma tong.
28:26 Non, j'ai gardé un truc.
28:28 J'ai gardé un vieux T-shirt que j'avais acheté
28:30 parce qu'ensuite, on n'a jamais pu retourner.
28:32 Enfin, on a pu retourner, mais trois semaines après,
28:34 juste chercher nos affaires, on n'a jamais pu réhabiter en bas
28:37 parce que ça avait été soufflé, une partie de l'immeuble avait été défoncée.
28:41 Et l'université nous avait donné un peu d'argent pour nous acheter des fringues
28:45 parce qu'on n'avait plus rien.
28:45 En fait, avec Clémence, on a habité, ils nous ont relogé plus haut, etc.
28:51 Et j'ai acheté ce T-shirt à Banana Republic.
28:55 Et je l'ai toujours, 20 et plus années plus tard.
28:59 Voilà, c'est tout ce que j'ai gardé.
29:00 Un vieux T-shirt noir Banana Republic.
29:03 - Ensuite, vous êtes rentrée à Paris
29:04 et vous avez commencé à travailler à la chaîne parlementaire.
29:06 - Oui, j'ai commencé à travailler à la chaîne parlementaire.
29:08 Au début, j'avais monté un truc avec mes amis.
29:10 On voulait faire de la prod, être cool, monter des trucs.
29:13 D'ailleurs, on avait monté un concert à la Cigale avec des écrivains américains
29:17 et des gens qui jouaient de l'électro.
29:21 À ce moment-là, j'étais un peu cool.
29:22 C'est le moment du cool.
29:24 C'était après Sciences Po, après New York.
29:26 Je sortais avec des écrivains.
29:28 Là, j'étais un peu cool.
29:30 Et puis après, mon père en avait marre de me voir cool, si tu veux.
29:32 Il m'a dit, c'est tout, c'est super, maintenant, il va falloir travailler.
29:35 - Production de valeur.
29:36 - Et donc, production de valeur.
29:37 Et donc, il se trouve qu'il connaissait El Kabache.
29:39 Et il lui dit, ma fille va être journaliste.
29:41 Est-ce que tu ne la prendrais pas en stage ?
29:43 À Europe, il ne connaissait pas Public Sénat.
29:44 Et El Kabache lui dit, si, qu'elle vienne me voir,
29:47 je la prendrais à Public Sénat dans une chaîne qu'elle ne connaît pas.
29:49 Et je vais voir El Kabache qui dit, je vous signe un stage d'un mois
29:52 pour faire plaisir à mon père.
29:53 Je l'ai toujours dit, ça m'a mis pied à l'étrier.
29:56 Et ça devait être un stage d'un mois qui s'est converti en stage de trois mois,
29:59 qui s'est converti en CDD, qui s'est converti en CDI.
30:01 Et voilà, parce que...
30:04 Comment vous dire ?
30:05 Moi, je passe ma vie à aider les gens.
30:06 Donc, on peut dire, je pistonne aussi.
30:09 Ça ne sert à rien de piston.
30:10 Enfin, ça aide, ça te met le pied à l'étrier.
30:11 - Oui, c'est une étincelle.
30:12 - Et une petite étincelle.
30:13 Mais après, si tu n'assures pas,
30:14 il m'a pris en stage un mois pour faire plaisir à mon père.
30:17 Mais après, j'en étais nulle et il en prend d'autres pour faire plaisir.
30:19 Et ensuite, il dégage.
30:21 - Et vous vous souvenez de la première fois, alors ?
30:22 Vous êtes passée à l'antenne et vous avez...
30:24 - Non, pas la première fois, mais je me souviens des premières fois.
30:26 Un drame, j'ai revu.
30:29 D'abord, j'étais moche, mais j'ai eu une horreur.
30:32 Je ne sais pas comment vous dire.
30:33 En plus, ils nous filmaient dans un espace...
30:35 Ce n'était même pas dans un studio, dans une petite rédac,
30:36 je devais faire un petit flash.
30:38 Ils m'avaient balancé pour me tester.
30:40 Je ne sais pas comment vous dire, une catastrophe à tout point de vue.
30:43 Physique, la voix, la lecture, le stress...
30:47 La cata.
30:48 - Oui.
30:49 - La cata, je ne peux pas vous dire.
30:50 On a fait des progrès.
30:51 - Et le sujet, c'était quoi ?
30:52 - Je ne me souviens pas, ça devait être l'actu parlementaire.
30:54 Je faisais des petits flashs, je faisais les mêmes petits trucs,
30:56 en regardant la caméra, en étant tétanisée.
30:58 Affreuse.
30:59 - Je travaillais à France 24 en 2009, en même temps que vous.
31:06 - Ah, mais c'est peut-être pour ça alors que je vous connais.
31:08 Quand je vous ai dit que vous aviez les cheveux longs,
31:09 vous m'avez dit en 2002.
31:10 - Oui, c'était en 2002.
31:12 Je crois qu'en tout et pour tout, je vous ai croisé deux fois dans les couloirs.
31:17 - Et je me la pétais ou pas ?
31:18 - Non, c'est très bien.
31:19 Moi, j'étais là un peu comme ça en...
31:23 - En touriste ?
31:23 - Pas en touriste, je me jure, j'étais un peu en pige.
31:26 Et vous, vous étiez déjà un peu star au niveau de France 24.
31:30 Mais aujourd'hui encore, ça m'arrive de dire, oui, c'est la meilleure.
31:33 - J'ai bossé avec elle.
31:34 - Oui, je l'ai connue à France 24.
31:35 - Oui, mais maintenant, vous allez pouvoir le dire.
31:37 - Est-ce que...
31:40 - Bientôt, je vais dire David, bien sûr, c'est moi qui l'ai fait.
31:44 Je me disais, à France 24, il était là.
31:46 - Il était là, il savait pas.
31:47 - On pourrait inventer un truc, vous et moi.
31:48 - Une fiction.
31:51 - Une fiction sur...
31:52 - Dans les années qui ont suivi, à partir de 2014, 2015,
31:57 ça vous est arrivé d'avoir la tête qui enfle ou les chevilles ?
32:02 - Oui, absolument.
32:04 Oui, mais comme tout le monde, en fait.
32:06 Les gens qui vous diront non sont des menteurs.
32:08 Quand à un moment, moi, je vous le cible,
32:11 c'est au moment où je fais "On n'est pas couché".
32:14 C'est-à-dire que je bascule soudainement de présentatrice de chaîne d'info.
32:19 Et un jour, Laurent Roquet, Catherine Barma m'appelle pour me dire,
32:23 "Natacha Polonypar, est-ce que ça vous intéresserait d'être chroniqueuse
32:26 sur "On n'est pas couché" ?"
32:27 Qui était à l'époque, rappelez-vous, le talk show du samedi soir,
32:30 qui faisait des audiences de malades,
32:32 dont tout le monde parlait pendant trois jours, etc.
32:34 Les polémiques, les machins, c'était un job de sniper.
32:38 Et contrairement à tout le monde qui me dit "Ne va pas", j'y vais.
32:41 Et en même temps, j'arrive sur la matinale d'Inter
32:43 où je prends le 7h50, à l'époque présenté par Patrick Cohen.
32:46 Et soudainement, je vais basculer d'une forme de petite notoriété,
32:52 de nana, de E-télé, mais pas grand-chose,
32:54 à une de tous les magazines.
32:56 Mais vraiment, de tous les magazines.
32:58 C'est-à-dire que ma mère les a gardés, je peux vous dire,
32:59 j'étais placardée partout dès que je disais un truc,
33:02 ça faisait une polémique pendant quatre jours, etc.
33:04 Tu te prends le shoot et tu ne peux plus faire un pas
33:06 sans qu'on te...
33:08 On disserte sur toi, on te truque.
33:10 Et là, tu as 34 ans, j'avais 34-35 ans,
33:14 forcément, il y a un moment où tu es désaxé.
33:16 Et c'est à ce moment-là que tu crois que tes questions
33:18 sont plus importantes que les réponses.
33:20 C'est à ce moment-là qu'il y a eu un petit craquage nerveux.
33:22 Ça n'a pas duré très longtemps.
33:23 En plus, c'était...
33:27 Mais il y a eu peut-être sans doute quelques mois.
33:31 Puis après, tu te prends des baffes.
33:32 Moi, après, j'ai pris des baffes, c'est-à-dire très vite,
33:34 j'ai quitté Ruquier, j'ai pris l'émission politique,
33:37 j'ai fait l'année présidentielle de 2017 avec David Pujadas.
33:40 J'avais 35-36 ans sur la plus grosse émission politique.
33:44 J'arrive, premier invité, Nicolas Sarkozy.
33:47 Je fais une séance de catch avec lui,
33:48 je suis beaucoup trop agressive et assez violente.
33:52 La France entière disserte sur ma violence.
33:54 Deux mois avant, j'avais fait Hollande où j'avais dit
33:56 c'est une plaisanterie, ah là là, l'impertinence, etc.
33:58 Donc, vous prenez des coups, vous dites oh là là, mon Dieu, mon Dieu.
34:02 C'était très intense, en fait.
34:05 Et puis, à un moment, tu te stabilises.
34:06 Très honnêtement, pour passer 40 ans, si tu te la pètes encore,
34:09 tu fais pitié, quoi. Tu vois ce que je veux dire ?
34:10 Et même avant, après, j'ai été maire.
34:13 Tu comprends que c'est des trucs...
34:15 D'abord, tu comprends que nul n'est irremplaçable,
34:17 que ces choses passent, qu'il y a des moments où ça marche,
34:20 des moments où ça marche pas.
34:21 Voilà.
34:22 - Et donc, aujourd'hui, vous aimeriez être un peu moins célèbre,
34:25 un peu plus célèbre ou lui, je lâche comme ça, ça va ?
34:27 - Pareil. - Pareil.
34:28 C'est bien.
34:29 Mais du coup, ça n'a pas baissé non plus depuis 2014.
34:33 Il y a un peu moins de couverture de magazine, puisque...
34:35 - Non, alors il y a un peu moins de paparazzi, ça c'est cool.
34:38 Parce qu'à un moment, j'ai été ultra paparazziée.
34:41 Cette période-là, et notamment, je changeais d'amoureux.
34:45 Et mon amoureux a découvert dans Voici que j'étais avec un autre mec.
34:49 Enfin, c'était une période atroce.
34:51 Il était paparazzié, enceinte, à la mer en maillot,
34:55 après mon accouchement, obèse, j'ai tout eu.
34:57 Ça, ça m'a foutu les boules.
35:00 Et là, je dois dire que je le suis beaucoup moins.
35:03 Mais j'avais demandé à quelqu'un qui travaille dans une...
35:07 J'avais demandé "mais comment c'est possible ? Vous m'avez brocardé."
35:09 Il m'a dit "mais ta vie est chiante, tu n'as pas d'amant,
35:11 ton mec n'a pas de maîtresse, tu ne nous intéresses pas,
35:13 tu as eu ton fils, etc."
35:14 Et je pense que c'est très, très ressourçant de ne pas du tout être...
35:17 Ça, c'est ça pour le coup, c'est reposant.
35:20 - Je finis toujours Smalltalk par un certain nombre de petites questions
35:24 un peu plus rapides que les autres,
35:26 et aussi qui n'ont rien à voir les unes avec les autres.
35:28 - J'adore.
35:30 - Pendant la Seconde Guerre mondiale, à votre avis,
35:32 dans la mesure où c'est possible de répondre à cette question,
35:34 est-ce que vous seriez entré dans la Résistance en 1940, en 1942,
35:37 en 1945 ou jamais ?
35:39 - J'adore ta question !
35:41 Et si je vous dis jamais ?
35:44 Et si je vous dis jamais ?
35:45 - Ce serait du même été, tellement pur.
35:49 - Je pense en 1942.
35:50 - En 1942. C'est bien, oui.
35:53 C'est l'option du milieu.
35:55 Si vous aviez un milliard de dollars
36:01 et qu'on vous obligeait à le donner à une seule association,
36:07 pas plusieurs, une seule, quelle serait cette association ?
36:11 Ou j'ai envie d'étendre la question,
36:14 même vous pouvez le donner à quelqu'un, si vous voulez.
36:16 - C'est compliqué de faire ce choix.
36:19 C'est compliqué parce qu'il y a plusieurs causes qui me touchent particulièrement.
36:23 Sans doute, j'aurais envie de le donner
36:27 pour les femmes qui se battent en Iran et en Afghanistan,
36:29 c'est quelque chose qui me bouleverse.
36:31 Mais en fait...
36:32 - Ah, donc le changement climatique ?
36:34 - Non, je ne donnerais pas le changement climatique.
36:36 - C'est le plus gros.
36:38 - Tout le monde répond changement climatique.
36:39 - Absolument pas, mais c'est juste que c'est une question horrible
36:41 parce que ça peut faire des hiérarchies entre des choses qui sont non hiérarchisables.
36:44 - Ce truc est atroce parce que j'ai envie de vous dire pour les enfants malades,
36:47 mais ce n'est pas non plus ça que je vais choisir.
36:49 Et je vais choisir quelque chose qui va vous étonner
36:52 pour les vieux, pour les vieux qui sont pauvres et qui sont seuls.
36:56 Je donnerais un milliard pour une association qui s'occupe,
36:58 je crois que Saint-Vincent de Paul le fait,
37:00 qui s'occupe des personnes âgées parce que ça me bouleverse.
37:03 Alors vraiment, je peux pleurer.
37:05 Ça me bouleverse pire encore qu'un enfant malade pour vous dire.
37:08 Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que je suis petite,
37:10 les vieilles personnes, seules, dont personne ne demande,
37:15 et qui sont juste là, seules,
37:18 moi, ça me déchire le cœur.
37:20 - Je donnerais mon milliard ou mon million, vous me donnez combien ?
37:22 - C'était un milliard.
37:23 - Je donnerais mon milliard pour les vieux, pour les personnes âgées.
37:26 - Oui, je suis complètement d'accord,
37:29 j'ai le même rapport avec les personnes très âgées que je peux pleurer tout de suite.
37:32 - Moi, je peux pleurer tout de suite.
37:34 - C'est vraiment les frères Karamazov, votre livre préféré ?
37:37 - Oui, en tout cas, c'est le livre préféré de ma jeunesse,
37:40 avec "Le voyage au bout de la nuit" de Céline,
37:43 avec "Le moine" d'Antonin Artaud, de "Louis se parle à Antonin Artaud",
37:47 avec "Histoire de ma vie" de Casanova, qui est un livre génial,
37:50 je ne sais pas si vous l'avez lu, où il raconte ses voyages
37:53 dans l'Italie, après des meufs.
37:56 Ce n'est pas très MeToo, mais j'aime beaucoup.
37:58 - Ce n'est pas très MeToo, mais bon, du XVIIIe siècle.
38:01 - Parce que les frères Karamazov, je l'ai lu quand j'étais adolescent,
38:04 alors j'étais peut-être trop jeune ou pas assez intelligent,
38:08 mais je me souviens vraiment de trucs très compliqués,
38:11 je me souviens des gens, c'était un type qui sort de chez lui,
38:14 et tout à coup il croise un voisin, et il commence une discussion
38:17 philosophique, genre... - Aliotcha.
38:20 - Oui, voilà. Et tu ne trouves pas que quand même la vie,
38:22 par rapport à la réalité... - Mais je trouve que ça dit
38:24 des choses de l'âme humaine, très honnêtement, j'ai lu à 15 ans,
38:27 et jusqu'à maintenant, je me souviens du rapport à Dieu,
38:30 du rapport au mal, de ces frères entre le méchant,
38:34 le Aliotcha, qui est du côté du bien,
38:37 qui est quasiment une transfiguration du Christ,
38:39 je trouve qu'il parle de l'âme humaine d'Ostoyevski,
38:43 de manière...
38:45 Mais à l'époque, ça m'avait totalement bouleversée,
38:48 c'est le livre qui m'a le plus bouleversée de toute ma vie,
38:50 "Les frères Karamazov", mais ça fait longtemps que je me dis
38:53 que j'aimerais bien le relire, pour savoir si ça passe
38:55 le choc de ce que tu lis à 15-16 ans, et si à 43 ans,
38:59 ça te fait le même choc, ou si tu te fais chier,
39:02 vous savez comment c'est, c'est-à-dire qu'on mythifie
39:04 certaines choses, mais je trouve que les trois personnages,
39:08 le rapport au Père, etc., j'ai des souvenirs
39:12 très clairs des frères Karamazov, c'est un de mes chocs.
39:15 - Eh bien, je vais le relire spécialement...
39:17 - Essayez, moi aussi je vais relire cet été, je vous dirai.
39:19 - Et je vous en relais...
39:21 Dernière chose, vous dites "Belle journée"
39:23 à la fin de toutes vos interviews.
39:24 - Alors, tout le monde me dit qu'ils n'en peuvent plus
39:26 de "Belle journée", parce qu'il paraît que maintenant,
39:27 dans les mails, les gens disent "Belle journée".
39:29 - J'ai fait une vidéo là-dessus il y a quelques années,
39:32 sur la prévalence de "Belle journée" sur des corpus
39:34 de mails, etc., et effectivement, vous voyez
39:36 que ça montait beaucoup.
39:37 - Le nombre de mails avec "Belle journée" dedans
39:38 a explosé à partir de 2014.
39:41 D'après mes projections, 2019 s'apprête à être
39:43 la plus grosse année de l'histoire de "Belle journée".
39:45 - Vous vous souvenez pourquoi vous avez commencé
39:47 à dire "Belle journée" plutôt que "Bonne journée"?
39:49 - Mais je ne sais pas, je ne sais pas.
39:51 Après, je sais que je me suis entendue le dire
39:54 et je me suis dit "Tiens, ça sera ton petit tic, quand même,
39:56 il faut assumer la petite coquetterie".
39:59 Et maintenant, parfois, j'oublie de le dire.
40:01 - Oui.
40:02 - C'est plus ma coquetterie, parfois, j'oublie.
40:05 - Je pense que la conclusion à laquelle j'étais arrivé
40:08 dans ma vidéo, c'est qu'en fait, "Bonne journée"
40:10 comme "Bonjour", en fait, le "bon" ne veut plus rien dire.
40:13 - "Boring".
40:14 - Voilà, en fait, on ne sent plus qu'on est en train
40:16 de souhaiter vraiment une bonne journée à quelqu'un.
40:17 - Alors que "Belle", c'est vrai que c'est un peu...
40:18 - Et qu'il faut faire un pas de côté pour redonner
40:19 de la chance à l'enchaîner.
40:20 - Et puis c'est un peu désuet, le "Belle journée",
40:21 un truc un peu...
40:22 - Oui, peut-être qu'il va...
40:23 - Un peu à l'ancienne.
40:24 - Léa Salamé, merci beaucoup.
40:26 - Merci, David.
40:27 - A bientôt.
40:28 - Bon, ben cet épisode, il est fini.
40:30 Il va y avoir plein d'autres épisodes.
40:32 Et si vous voulez être sûr d'en manquer aucun,
40:34 et bien, cliquez.
40:35 Cliquez sur le bouton qui permet de vous abonner
40:37 à Smalltalk.
40:38 Après, je sais que s'abonner, c'est un choix personnel,
40:40 donc je ne vais pas vous forcer.
40:41 Mais si j'étais vous, je le ferais.
40:43 C'est tout ce que je dis.
40:44 À dans deux semaines.
40:45 Parce que c'est tous les 15 jours.
40:47 OK ?
40:48 - J'essaie de lire.
40:52 - C'est écrit en petit.
40:53 T'arrives ou pas ?
40:54 - J'arrive.
40:55 Je suis totalement vieille encore.
40:56 J'arrive à lire ça.
40:57 - Je suis vraiment vieille encore.
40:58 - Je suis vraiment vieille encore.
40:59 - Je suis vraiment vieille encore.
41:00 - Je suis vraiment vieille encore.
41:01 - Je suis vraiment vieille encore.
41:02 - Je suis vraiment vieille encore.
41:03 - Je suis vraiment vieille encore.
41:04 - Je suis vraiment vieille encore.
41:05 - Je suis vraiment vieille encore.
41:06 - Je suis vraiment vieille encore.
41:07 - Je suis vraiment vieille encore.