La pionnière du conte de fées

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Transcription
00:00 Savez-vous que c'est une femme qui a écrit le premier conte merveilleux en France en 1690 ?
00:04 Madame Dolnoy, ou la "fée des contes" comme on l'appelle,
00:07 était plus subversive et moderne que son contemporain Charles Perrault.
00:10 Sa vie est pourtant loin d'être un conte de fées.
00:14 Originaire d'une famille de petite noblesse normande,
00:16 elle est mariée très jeune à un homme de 30 ans son aîné,
00:19 avec qui elle ne s'entend pas, à tel point qu'elle fuit la vie qui l'attend.
00:23 Madame Dolnoy vit quelques années d'errance avant d'arriver à Paris à la fin du XVIIe siècle.
00:27 C'est là qu'elle se fait connaître comme femme de lettres
00:30 et publie le premier conte merveilleux écrit en français,
00:32 "L'île de la Félicité", en 1690.
00:35 Elle a été une des grandes figures de l'époque.
00:37 Et puis il y a aussi une modernité,
00:38 moi je pense vraiment qu'elle n'a rien de "classique",
00:42 elle est plus baroque, plus exubérante,
00:45 dans son imaginaire, dans la complexité de ses intrigues.
00:49 Elle a aussi ouvert des portes pour le développement,
00:52 l'expansion du conte au fil des siècles.
00:55 Très prolixe, la baronne Dolnoy écrit 25 contes
00:57 au cours de sa vie, c'est beaucoup plus que Perrault,
00:59 qui n'en compte qu'une petite dizaine.
01:01 Très libre dans son écriture,
01:03 Madame Dolnoy s'inspire de différents styles de l'époque.
01:05 Ça peut être très romanesque avec des enlèvements, des pirates.
01:10 Ça peut être très galant avec des conversations amoureuses
01:13 et beaucoup de compliments.
01:15 Ou alors au contraire, ça peut basculer vers des scènes
01:18 un petit peu plus horribles avec des menaces d'ogres cannibales, par exemple.
01:23 Donc c'est vraiment un carrefour d'influence,
01:25 c'est une espèce de marmite de chaudron des fées.
01:27 Lieu de création, le conte est un espace de transgression
01:30 et de subversion pour Madame Dolnoy.
01:32 Comme cette scène de l'oiseau bleu, illustrée en 1717,
01:35 qui a une connotation sexuelle.
01:37 On y voit les deux amants se rencontrer,
01:39 Florine dévoile des parties de sa peau avec ses bras et sa gorge nue,
01:43 et le bec de l'oiseau qui touche ses lèvres rappelle une forme phallique.
01:46 Là où Madame Dolnoy est très moderne,
01:48 c'est dans le choix des personnages qu'elle met en avant.
01:50 Des héroïnes plutôt que des héros.
01:52 Et elle s'éloigne de l'image de la princesse éplorée
01:54 qui attend son prince comme dans l'oiseau bleu.
01:56 Le prince fait une dépression, il est complètement nor'asténique,
01:59 il s'apprête à épouser la princesse qu'il n'aime pas et qu'on lui impose.
02:02 Et heureusement que l'héroïne se met en quête
02:04 pour reconquérir son prince et l'arracher des mains de sa rivale.
02:09 Prenez Cendrillon par exemple.
02:10 Chez Madame Dolnoy, elle s'appelle Finette Cendron.
02:13 C'est vraiment une héroïne beaucoup plus vive,
02:15 beaucoup plus ouvertement courageuse,
02:17 beaucoup plus décidée que Cendrillon, la Cendrillon de Perrault.
02:21 Mais attention, la Cendrillon de Perrault n'est pas si passive qu'elle l'est.
02:25 Je pense que c'est aussi l'image de Walt Disney
02:27 qui a véhiculé cette héroïne qui se dédie aux tâches ménagères,
02:31 qui reste dans cet univers très infantile de petits animaux.
02:35 Et toutes les Cendrillon ne sont pas toujours aussi passives.
02:38 Des femmes puissantes et influentes,
02:40 Madame Dolnoy en côtoie aussi dans les salons qu'elle tient
02:43 puisqu'elle s'entoure d'autrices qui, comme elle, écrivent des contes.
02:46 Si le terme féministe est anachronique,
02:48 on peut dire qu'elle s'engage clairement en faveur des femmes
02:50 lors des discussions de salons.
02:51 Je pense par exemple à Mlle Léry-Thiernieste Perrault,
02:55 qu'on appelle le champion des dames.
02:57 Parce que dès qu'il y a une discussion dans les salons sur ces questions-là,
03:01 elle monte au créneau pour défendre les femmes.
03:04 Madame Dolnoy tient un salon avec d'autres autrices,
03:06 dans un esprit de sororité,
03:08 au marge de la société qui paraît subversive pour l'époque.
03:10 Prises dans toutes les contraintes du XVIIe siècle,
03:13 elles arrivent quand même à trouver des espaces, des territoires,
03:17 que ce soit le salon ou les champs littéraires,
03:21 où elles arrivent à s'affirmer et à prendre une place.
03:24 Mais alors pourquoi est-ce que Mme Dolnoy n'est pas entrée dans la postérité ?
03:27 Déjà parce que son écriture est moins accessible que celle de Perrault,
03:30 qui était plus concise et directe.
03:32 Qu'à cette époque, le conte est considéré comme un genre mineur de la littérature.
03:36 Et enfin, parce que les femmes qui écrivaient des contes
03:38 ont largement été invisibilisées,
03:40 voire carrément effacées de l'histoire littéraire,
03:43 comme Mlle de La Force ou encore Mlle Léry-Thiernieste.
03:46 Une position qui leur ouvrait par ailleurs un espace de liberté.
03:49 C'est vraiment le continent englouti.
03:52 Il faut partir à la conquête un petit peu de ces nouvelles terres.
03:57 Et puis dans la longue durée, je trouve que c'est important de faire émerger ces voix de femmes
04:03 qui ont pu être parfois plus originales que les voix d'hommes,
04:06 dans la mesure où leur minoration même
04:08 pouvait paradoxalement leur donner plus de liberté.
04:11 Sous-titrage Société Radio-Canada
04:15 [Musique]

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