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00:00 Daniel Sprutell, c'est l'avocat qui a défendu les grands criminels.
00:03 Il vient d'écrire un livre, vous avez peut-être vu notre interview
00:06 dans laquelle on parle de ce bouquin, co-écrit avec Denis Gaumane.
00:09 Je vous propose maintenant de parler des relations qu'il a entretenues avec ces grands criminels.
00:14 Maître Sprutell, avocat de renom,
00:18 vous avez défendu le plus grand nom du domaine judiciaire belge,
00:21 dont Genevieve Vermitt, qui a tué ses cinq enfants dans des circonstances horribles.
00:25 Est-ce que vous avez hésité à la défendre ?
00:27 Non, pas une seconde.
00:29 En réalité, c'est Xavier Manier qui était son conseil,
00:32 qui m'a demandé si j'acceptais d'intervenir avec lui,
00:37 dès le début de l'affaire.
00:38 Et j'ai bien sûr accepté.
00:42 Il n'y avait aucune raison que je refuse.
00:44 D'une part, compte tenu du plaisir que j'ai toujours eu à travailler
00:50 avec Xavier Manier, qui avait été mon maître de stage.
00:54 Et puis, c'était une affaire où j'avais vraiment envie de comprendre
00:58 ce qui avait bien pu se passer, d'autant plus qu'au fil du temps,
01:03 je me suis rendu compte que cette dame,
01:06 dont les faits qu'elle avait commis étaient absolument affolants, monstrueux,
01:13 était très paradoxalement la meilleure des mères.
01:17 Et tous ceux qui l'ont connue,
01:20 que ce soit le corps enseignant, que ce soit la famille, les amis,
01:26 tous considéraient que c'était une mère exceptionnelle.
01:31 Donc le tout était de savoir qu'est-ce qui avait bien pu se produire
01:35 pour que cette mère exceptionnelle,
01:38 subitement, en arrive à tuer ses cinq enfants.
01:42 Et on a appris ultérieurement, notamment à travers les psychiatres,
01:47 qu'elle était dans un état où elle n'avait plus qu'une envie,
01:53 c'est de quitter ce monde avec ses cinq enfants.
01:56 Elle a d'ailleurs écrit à son psychiatre la veille des faits
02:00 pour demander de l'aide parce qu'elle voulait quitter ce monde
02:04 en expliquant qu'elle ne maîtrisait plus rien.
02:08 Malheureusement, le psychiatre n'a pas pu prendre sa demande
02:12 en considération pour l'aider et le lendemain, on a appris les faits.
02:17 Et in fine, après que la lettre qu'elle avait envoyée
02:22 ait été produite par le psychiatre en plein procès,
02:25 ce qui a été quelque chose d'invraisemblable,
02:28 on n'avait jamais trouvé cette lettre.
02:30 Et subitement, lorsque le président s'adresse au psychiatre en disant
02:34 "mais qu'est devenue cette lettre ?"
02:36 il répond "ben elle est dans ma voiture, si vous voulez, je vais la chercher".
02:40 Je crois que je n'ai jamais vu un président aussi ahuri d'une réponse
02:44 que celle-là.
02:45 Et les psychiatres qui avaient dans un premier temps considéré
02:50 qu'elle avait quand même un certain sens encore de responsabilité,
02:57 même si ce sens avait été très amoindri,
03:01 après avoir pris connaissance de cette lettre,
03:03 ils l'avaient déclarée totalement irresponsable.
03:06 Le jury n'a pas tenu compte de cet élément, la cour non plus,
03:11 et finalement elle a été condamnée au maximum de la peine.
03:15 Quelle était votre relation avec elle ?
03:18 On a eu une relation maître Manier et moi-même disons assez riche
03:24 dans la mesure où elle a toujours été d'une correction totale,
03:30 elle n'a jamais essayé de cacher les choses,
03:35 elle a toujours véritablement mesuré la gravité de ce qu'elle avait fait,
03:41 mais lorsqu'on lui posait des questions,
03:44 elle répondait avec une énorme franchise,
03:47 et je me souviens après l'avoir vue le lendemain ou deux jours après les faits,
03:53 elle était encore à l'hôpital,
03:54 c'était un moment très très éprouvant comme avocat de l'écouter,
03:59 évoquer les circonstances de ces cinq décès.
04:03 Elle vous racontait tout ?
04:04 Elle avait raconté effectivement ce qui s'était passé en détail,
04:10 et alors c'était très très impressionnant
04:12 parce qu'elle vous donnait des détails qui relevaient de l'horreur,
04:17 mais à tout moment elle interrompait son récit pour dire
04:22 combien elle adore ses enfants, combien elle les aime,
04:26 et combien elle a un immense regret d'avoir fait ce qu'elle avait fait,
04:29 d'ailleurs elle a voulu se suicider, mais elle n'est pas décédée.
04:33 Mais c'était un entretien qui a duré des heures,
04:36 et qui est sans doute l'entretien le plus marquant que j'ai eu dans ma carrière
04:42 par le caractère absolument dramatique des faits,
04:46 et la personnalité de celle qui le racontait.
04:48 Elle a obtenu l'euthanasie dernièrement alors qu'elle était condamnée à perpétuité,
04:52 certains diront qu'une faveur lui a été accordée, vous pensez pareil ?
04:55 Je n'ai pas le sentiment que c'est un élément qui relève d'une faveur,
05:01 que vous ayez été condamné ou non,
05:04 si on estime que les souffrances que vous vivez vous sont insupportables
05:11 et peuvent justifier l'euthanasie,
05:15 il n'y a pas de raison de considérer, parce qu'on a été condamné,
05:18 qu'on ne peut pas en bénéficier.
05:20 Et il y a de plus en plus, à l'heure actuelle,
05:24 de gens qui peuvent bénéficier de l'euthanasie
05:28 pour des raisons psychologiques insoutenables.
05:32 Dans le temps, c'était plutôt des douleurs physiques,
05:36 maintenant le fait que quelqu'un ne puisse plus supporter psychologiquement
05:41 certaines situations est de nature à faire en sorte qu'on accepte l'euthanasie
05:47 et elle fait partie de ces gens-là.
05:49 Est-ce qu'il vous est arrivé que certaines personnes de votre entourage,
05:52 proches ou moins proches, prennent des distances par rapport à vous ?
05:55 Parce que vous défendez, ici en l'occurrence, Geneviève Lhermitte.
05:58 Non, je vous dirais que si c'est arrivé et qu'ils avaient envie de prendre des distances,
06:04 à mon égard, je leur dirais qu'ils les prennent
06:07 et que leur présence ne va pas me manquer.
06:10 Parce que si on ne comprend pas effectivement qu'un avocat
06:13 est là pour défendre celui qui le consulte,
06:16 c'est le premier gage d'une démocratie.
06:19 Et je n'ai pas eu ces réactions.
06:22 Par contre, j'ai entendu des centaines de questions.
06:26 Chaque fois que vous plaidez une affaire qui fait la une de l'actualité,
06:30 bien sûr, les gens vous posent des questions.
06:32 Mais ici, en ce qui concerne Geneviève Lhermitte,
06:37 ce qui avait d'étonnant, c'est le fait que normalement,
06:41 dans un tel dossier avec des faits aussi graves et aussi dramatiques,
06:47 vous avez tout le public qui est contre la personne,
06:50 et parfois aussi contre les avocats,
06:53 disant qu'il faut toujours que ces avocats trouvent des éléments,
06:57 alors que c'est la tâche de l'avocat pour défendre la personne.
07:00 Et là, c'était très partagé.
07:02 On était même parfois encouragés en rue
07:06 par des gens qui nous interrompaient,
07:09 qui nous disaient à manier moi-même,
07:11 "Bon courage, c'est formidable ce que vous faites."
07:14 Et il y avait vraiment, j'ai envie de dire, deux clans,
07:17 des gens qui considéraient que si elle avait fait cela,
07:21 c'est qu'elle était dans un état d'esprit qui avait été créé par un contexte,
07:26 et d'autres, bien sûr, qui n'adoptaient pas la même vision des choses,
07:31 mais c'était très partagé,
07:33 et ce n'était pas du tout l'unanimité dans le public contre elle.
07:37 Il y avait énormément de gens qui disaient,
07:40 "Si cette femme-là a fait ce qu'elle a fait,
07:43 c'est qu'il y a eu des éléments qui ont fait qu'elle ne maîtrisait plus rien."
07:47 Et ça, c'était assez particulier,
07:51 parce que c'est plutôt rare dans des affaires aussi graves que celle-là.
07:55 On vous a également vu dans le procès du grand banditisme belge, l'affaire Abran.
08:00 Quel souvenir vous gardez ?
08:02 Je garde le souvenir d'un procès qui est tout à fait hors norme.
08:07 Il faut se dire qu'on n'a pas souvent sur le banc des accusés
08:11 un grand nombre d'accusés qui relèvent du milieu belge.
08:19 C'était, je crois, le dernier procès où on a assisté à cela,
08:23 et il y avait une dizaine d'assassinats qui étaient à juger dans le cadre de cette affaire.
08:29 Donc c'était une gigantesque affaire de gangstérisme avec dix assassinats,
08:36 mais des assassinats qui étaient inhérents à ce microcosme du gangstérisme.
08:42 J'ai presque envie de dire qu'ils se tuaient entre eux.
08:45 Et c'était un procès tout à fait exceptionnel.
08:49 On avait dû aménager les lieux de la cour d'assises,
08:53 parce que dix accusés, vous vous rendez compte que ça prend de la place,
08:56 si vous me permettez cette expression,
08:58 à un point tel qu'il n'y avait presque plus de place pour le public.
09:02 Il y avait 10, 15 places peut-être, ou 20 pour les spectateurs.
09:07 Par contre, il y avait des grands écrans dans tout le palais pour que le public puisse suivre.
09:13 Et c'est aussi un procès qui me laisse un souvenir,
09:17 parce que c'était la première fois qu'on voyait venir ce qu'on appelait les témoins protégés,
09:23 qui étaient des gens qui, pour autant qu'ils aient fait des révélations
09:29 qui permettaient d'en savoir beaucoup plus dans certains dossiers,
09:33 avaient un statut de témoins protégés.
09:35 Ils arrivaient grimés, maquillés pour qu'on ne puisse pas les reconnaître.
09:41 Et force est de constater que, malgré qu'ils avaient cette image-là au procès,
09:49 certains avaient quand même eu des problèmes la veille de leur comparution
09:53 avec leur voiture qui avait explosé ou d'autres éléments semblables.
09:58 C'est vous dire que c'était un procès tout à fait hors norme.
10:02 Merci Daniel Sprottels.
10:03 Avec plaisir.
10:04 Merci à tous.
10:05 Merci d'avoir regardé cette vidéo !