Denis Quinqueton est militant LGBTI+, co-directeur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean-Jaurès revient sur les 10 ans du vote de la loi Taubira sur le Mariage pour tous. Il est l'invité du 6h20.
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00:00 dix ans, le Parlement adoptait définitivement la loi sur le mariage pour tous. Trois semaines
00:04 plus tard, le texte était promulgué et la France devenait le quatorzième pays au monde
00:08 à autoriser le mariage pour les couples homosexuels. Bonjour Denis Quinqueton.
00:12 Bonjour.
00:13 Vous êtes co-directeur de l'observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean Jaurès. Vous,
00:18 vous étiez à l'Assemblée le jour du vote, en seconde lecture, vraiment le jour clé.
00:22 Racontez-nous comment vous avez vécu ce moment.
00:24 Oui, j'étais à l'Assemblée. C'était une drôle de séance d'ailleurs, puisqu'il
00:28 y a des opposants qui avaient introduit, je ne sais pas trop comment, une banderole dans
00:35 le public, je disais dans le public évidemment, et qu'ils l'avaient déployée, enfin bon,
00:41 contrairement à tous les usages de l'Assemblée qui à la fois est une cocotte minute pour
00:46 ce qui est de l'hémicycle, mais où le public est astreint à un silence respectueux.
00:53 Et moi, en fait, le souvenir que j'ai là, c'est qu'en sortant de l'Assemblée,
01:01 il y a deux escaliers qui se font face en sortant des tribunaux publics et j'ai vu
01:06 des jeunes militants que je connais, qui ont 15, 20 ans de moins que moi et avec qui
01:11 on avait milité ces derniers mois et ces dernières années, il y a dix ans. Et je
01:16 me suis dit, pour eux, ça ne va pas être la même chose que pour moi et c'est très
01:21 bien. Alors c'était une pensée à la fois sans doute un peu, peut-être un peu mégalo
01:25 et en tout cas, et idéaliste, mais en tout cas, c'était l'ambiance du moment. C'est-à-dire
01:29 que c'était de se dire que malgré toutes ces épreuves et les mois qu'on avait passés
01:33 avaient été durs. C'est un peu ce qu'on a voulu réévoquer d'ailleurs, parce que
01:38 dans le livre, "Mariage pour tous, la violence d'une conquête", c'est le titre d'un livre
01:42 que vous venez de publier. Malgré tout ça, c'était quand même un moment d'aboutissement
01:50 satisfaisant et qui promettait un peu moins de complications, un peu de bonheur et un
01:55 peu moins de complications pour beaucoup de monde.
01:57 Une émotion à la hauteur justement de ce combat difficile, particulièrement violent
02:01 en effet. Ça a été très violent quand même. Ces mois de discussion, d'échanges,
02:05 de manifestations.
02:06 Oui, et puis d'invectives. L'opposition au "Mariage pour tous", c'est quand même
02:14 construite sur toute une série de mensonges. C'était du Trump avant Trump, si vous voulez.
02:17 On nous promettait les pires choses.
02:21 Une déliquescence de la société.
02:23 Voilà, une déliquescence de la société. On nous parlait de pédocriminalité. Alors,
02:28 on a malheureusement vu ce qu'il en était par la suite des milieux même qui d'ailleurs
02:35 faisaient ces sombres prophéties. On nous promettait, je me souviens très bien d'une
02:41 vidéo de Frigide Barjot, qui était la première que j'ai vue en novembre 2012.
02:45 Qui était à la tête de la manif pour tous.
02:47 Qui était à la tête de la manif pour tous à l'époque, où elle expliquait avec un
02:51 culot absolument extraordinaire qu'on allait changer les papiers d'identité de tous les
02:55 Français, qu'il n'y aurait plus sexe mais genre. Et elle confondait en plus genre, orientation
03:02 sexuelle, bref, peu importe. Mais vraiment, ils ont raconté n'importe quoi pendant des
03:07 mois. Personne ne leur a porté de contradictions, hormis nous, les militants, je veux dire,
03:12 très largement. Ça a été très pénible. Ça a été violent aussi parce qu'il y a
03:15 eu une hausse. SOS Homophobie a quand même noté une hausse de 78% des agressions LGBT
03:25 phobes à l'époque. Ce n'est quand même pas rien. Les agressions, ça veut dire que
03:29 vous sortez de chez vous, vous vous faites taper dessus. Ce n'est quand même pas ou
03:33 insulter au bureau, dans le bus. Voilà quoi. Donc, on sortait de cette époque-là.
03:38 Et on se souvient aussi qu'il y a des élus qui disaient à l'époque que la loi est passée,
03:44 mais moi, je refuse de célébrer des mariages gays. Il y en a encore aujourd'hui ? À ma
03:47 connaissance, non. En fait, il y en a d'ailleurs très peu qui l'ont fait. Et ça, c'était
03:52 bon. Tant mieux qu'ils ne l'aient pas fait. Mais en même temps, un maire, normalement,
03:56 il est là pour appliquer la loi. Donc, en tout cas, en matière civile, c'est clair.
04:01 Il est officier d'état civil. Mais en plus, comment dire ? C'était de l'affichage.
04:08 Et c'était de l'affichage qui a produit un effet délétère. C'était de l'affichage
04:14 cruel.
04:15 Et d'ailleurs, à ce propos, est-ce que vous avez vu le méa culpa de Gérald Darmanin ?
04:17 Parce qu'à l'époque de la promulgation et du vote de la loi, il était maire de Tourcoing.
04:21 Il avait déclaré qu'il ne marierait pas de couple du même sexe dans sa mairie. Et
04:24 là, dans un entretien que publie La Voix du Nord, il dit "Je me suis trompé. Si c'était
04:28 à refaire, je voterai le texte. Dix ans après, j'ai pu constater que le mariage, comme
04:32 l'adoption par les couples homosexuels, ne change rien et que les craintes exposées
04:36 par la droite, et notamment dans ma famille politique, étaient infondées".
04:40 Qu'est-ce que ça vous inspire ?
04:41 Ça m'inspire que les remords tardifs, c'est bien, mais on s'en fout. C'est un homme
04:50 politique, donc c'est sur le moment qu'il se positionne. Et il s'est positionné de
04:55 manière très démagogique contre. Il n'était même pas maire de Tourcoing à l'époque.
04:59 Il aspirait à l'être. Et c'est probablement pour ça, d'ailleurs, pour glaner quelques
05:02 voix, qu'il a jeté en pâture les personnes LGBT et les familles homoparentales qui existaient
05:08 déjà à cette époque. C'est-à-dire qu'il y avait déjà des familles, il y avait des
05:13 amis. Leurs enfants étaient rentrés en leur demandant s'ils allaient aller en prison.
05:18 Oui, parce que toutes les bêtises qui ont été racontées à ce moment-là, et dont
05:23 a fait partie M. Darmanin, c'était ça aussi.
05:27 Combien de mariages ont été célébrés en dix ans ?
05:29 Alors en dix ans, 70 000.
05:31 Avec quelle tendance ? Est-ce qu'il y en a eu beaucoup au début, moins maintenant ?
05:36 Il y a eu deux années de rattrapage. La première demi-année 2013, la fin 2013, et puis 2014,
05:44 qui étaient des années de rattrapage. Et puis après, on voit que ça se stabilise
05:49 autour de 3-4% des mariages, que ça suit les mêmes... Il n'y a pas de spécifique,
05:53 ça suit les mêmes... Il y a eu un creux au moment du Covid, comme pour les hétéros,
05:59 comme pour tout le monde. C'est ce qu'on se tue à expliquer depuis des lustres, c'est
06:02 que ce n'est pas si différent.
06:04 Quels effets a eu cette loi au-delà du mariage ? Est-ce que la perception de l'homosexualité
06:08 a changé dans la société ?
06:09 Oui, alors je pense que ça contribue, effectivement. C'est un mouvement beaucoup plus long, puisque
06:15 on a la chance de pouvoir mesurer ça depuis une cinquantaine d'années, au travers de
06:19 sondages un peu répétitifs, qui sont du coup assez fiables. Et effectivement, il y a 50
06:25 ans, il y a 70% de la population française qui considérait que l'homosexualité était
06:31 soit une maladie à guérir, soit une perversion. Et aujourd'hui, il n'en reste qu'une dizaine
06:36 de pourcents. Donc on peut penser quand même qu'on a avancé, qu'on se détend par rapport
06:42 à ce sujet qui ne relève pas du choix, qui est une part de réalité humaine.
06:48 Cela dit, toujours Gérald Darmanin, dans cet entretien, dit qu'il y a quand même une
06:52 augmentation des violences homophobes. Il dit que l'année dernière, il y a eu 10% de
06:55 plus d'infractions liées à l'orientation sexuelle de la victime, selon les chiffres
06:59 de la police nationale. Est-ce que ça, vous le constatez partout en France ? Est-ce que
07:03 ça change selon les endroits, selon les villes ? Je vous pose la question parce que Gérald
07:07 Darmanin dit qu'il veut cartographier les lieux où il y a le plus de violences.
07:10 Oui, alors je crains que les chiffres que vont sortir SES homophobie, je ne les ai
07:17 pas, mais le rapport de l'association FLAG, qui a une application de signalement, qui
07:25 sort tous les deux le 17 mai, je crains qu'il soit un peu plus alarmant, c'est-à-dire
07:31 qu'il y a une hausse plus conséquente que 10%. Oui, très bien, il faut cartographier,
07:37 il faut aussi doter les commissariats pour qu'ils puissent recueillir les plaintes
07:41 dans des conditions correctes. Et là, pour le coup, ça ne touche pas seulement ces questions-là,
07:45 ça touche aussi les agressions sexistes, on a noté également les mêmes défauts.
07:50 De ce qu'on a étudié à la Fondation Jean Jaurès, c'est assez étal finalement,
08:03 il n'y a pas le mythe de la grande ville plus accueillante, ce n'est pas vrai. C'est
08:12 plutôt assez constant, c'est ce double mouvement, une plus grande acceptation de
08:18 la société et en même temps des gens hostiles, bêtement, qui restent quand même très
08:24 désinhibés.
08:25 Merci Denis Quinqueton, co-directeur de l'observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean Jaurès. Et pour
08:31 compléter cet entretien, il y a le livre que vous avez co-écrit justement avec cette
08:34 Fondation, « Mariage pour tous, la violence d'une conquête », 6h28.