"Lovely Betty" de Joseph Incardona - La chronique de Clara Dupont-Monod

  • l’année dernière
Aujourd'hui, Clara nous parle du livre de l'invité Joseph Incardona, Lovely Betty, réédité en version illustré par Thomas Ott.

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Transcript
00:00 -La radio pour mono a lu "Lonely Betty"
00:02 -Oui, j'ai lu "Lonely Betty", donc Joseph Incardona.
00:05 Alors moi, ce que j'aime bien dans votre écriture,
00:07 Joseph, c'est qu'elle a une particularité,
00:09 c'est qu'elle est brève.
00:10 Ca va faire plaisir à mes oreilles.
00:12 Elle ne s'étale pas, elle évite la psychologie,
00:15 elle évite la description aussi.
00:17 Elle est ni poétique, ni lyrique, ni dramatique.
00:22 Non, en fait, votre écriture, ce qu'elle aime,
00:24 ce sont les gestes.
00:26 C'est-à-dire que pour dire une chose,
00:28 vous dites le geste qui lui correspond.
00:31 Alors, par exemple, vous n'écrivez jamais "Il avait froid",
00:36 mais vous dites, je vous cite,
00:38 "Il tapait discrètement ses semelles sur le sol d'aller."
00:42 De la même façon, vous n'écrivez jamais "Elle était jolie",
00:46 mais vous écrivez, je cite aussi,
00:48 "Le cul parfait de Sally s'éloignait en direction des cuisines."
00:53 Ca veut dire que l'action, en fait, sert de description.
00:56 -Moi, je pense qu'il ne faut pas dire les choses, il faut les écrire.
01:00 -Exactement. Mais vous ciblez à chaque fois l'action.
01:03 C'est un peu comme si autour de cette table,
01:05 au lieu de dire "Alex Vizorek est très fier de ses cheveux",
01:10 on disait "Alex Vizorek a investi l'intégralité de l'argent
01:13 de ses chroniques dans un fer à cranter."
01:15 Voilà, on est un peu pareil.
01:16 C'est-à-dire qu'on est dans la conséquence gestuelle du sentiment
01:20 plutôt que le sentiment lui-même.
01:22 Et donc, ce que vous avez écrit, c'est un récit très vivant,
01:25 ce qui explique aussi la mobilité du point de vue,
01:28 parce que c'est très mobile.
01:29 On est dans la tête de cette fameuse Betty,
01:32 qui est cette institutrice qui n'a pas ouvert la bouche
01:34 depuis 50 ans.
01:35 On est aussi avec un ancien flic qui caresse la main de Betty.
01:39 Il y a une scène très belle où on est avec Sarah,
01:41 l'adjointe aux mères, qui aime beaucoup suivre des yeux
01:44 les fameuses fesses de Sally qui s'éloignent
01:46 en direction des cuisines.
01:48 Et cette mobilité, elle vous donne une liberté, mais folle.
01:52 Et du coup, vous pouvez jouer avec le récit.
01:55 Vous avez une approche très ludique
01:56 et vous faites à un moment quelque chose que j'adore,
01:58 qui est assez inattendu en littérature.
02:00 Vous faites intervenir vos personnages dans le récit.
02:04 Donc, vous vous permettez des scènes comme...
02:07 Et là, on va citer une vraie scène du livre.
02:09 Je cite...
02:11 "Lorine interrompit sa fellation,
02:13 leva son visage vers James Sullivan."
02:16 "Dimanchot, tu trouves pas que les chapitres de cette histoire
02:18 deviennent de plus en plus courts ?"
02:20 "Le regard voilé par le plaisir, il soupira."
02:23 Je suppose que c'est une question de rythme.
02:25 -Mais on est des personnages secondaires.
02:27 À quoi bon mentionner que je te taille une pipe ?
02:29 -Je ne sais rien.
02:30 Continue, poupée.
02:32 -Voilà. Fin de la scène,
02:33 mais la scène qui est vraiment dans le livre.
02:36 Et du coup, vous faites intervenir vos propres personnages.
02:39 Alors, ça s'appelle, en figure de style,
02:41 ça s'appelle une prosopopée.
02:43 Une prosopopée, ça consiste à se faire parler.
02:45 -Prosopompée, je pense, même.
02:47 -Ah, là, là !
02:48 Prosopoupée, aussi.
02:49 -Voilà.
02:50 -Comme ça, c'est réglé. -On est bien sur France Culture.
02:53 -Donc, c'est faire parler un personnage fictif,
02:57 comme vous faites.
02:58 On peut faire parler un mort, un animal, un objet.
03:01 Et ça, c'est quand même la magie de la littérature,
03:03 c'est de pouvoir faire parler les chats, les sacs à main,
03:06 ou alors, parfois, même les pierres, c'est permis.
03:09 Et puis, enfin, on retrouve ce mouvement, ce swing,
03:13 dans la nature même de votre livre.
03:15 Vous en avez un peu parlé,
03:16 mais qui, en effet, est un pastiche des romans de Stephen King.
03:18 Pastiche qui n'est pas parodie.
03:20 C'est pas du tout la même chose.
03:22 Le pastiche, c'est un hommage,
03:23 même s'il n'est pas complètement interdit de se marrer.
03:25 La littérature a toujours adoré les pastiches.
03:28 Rabelais en a fait, Marcel Proust en a fait.
03:31 Ils adoraient ça.
03:32 Moi, mon préféré, c'est un pastiche...
03:33 -Le pastiche 51.
03:34 (Rires)
03:35 -Voilà.
03:37 France Culture, Biffa.
03:38 -C'est bien que vous fassiez des émissions ensemble,
03:39 tous les deux, Christophe.
03:40 -Charline et Alex.
03:41 -On va y aller.
03:43 -Voilà. Merci.
03:44 A lundi.
03:45 Donc, pastiche qui date de 1954
03:47 et qui s'appelle "Les exploits de Sherlock Holmes".
03:51 Et il reprend exactement la façon d'écrire de Arthur Conan Doyle.
03:54 Et pour cause, parce que ce pastiche,
03:56 il est signé du fils de Arthur Conan Doyle,
03:58 qui s'appelle Adrian Conan Doyle.
04:01 Et donc, c'est une magnifique déclaration d'amour
04:03 du fils au père.
04:04 Et donc, si ça se trouve, vous êtes le fils de Stephen King.
04:08 C'était QFD.
04:09 Voilà, la sarica de moi à votre droite.
04:11 Je vous redonne les références.
04:12 "Lonely Betty" de Joseph Incardona,
04:14 illustration Thomas Haught, est parue aux éditions Finitude.
04:17 -Et merci, Clara.
04:18 -Merci beaucoup, Clara Di Pomodoro !
04:21 (Applaudissements)

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