Frédéric Beigbeder sur les tags de la librairie Mollat à Bordeaux, où il devait intervenir: "Ce que veulent ces personnes, c'est censurer"

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Frédéric Beigbeder est l'invité d'Alice Darfeuille sur BFMTV ce samedi. 
Transcript
00:00 En l'occurrence, hier soir, vous deviez avoir un échange avec des lecteurs à Bordeaux, à la librairie Mola.
00:06 Bordeaux, une ville que vous connaissez bien parce que je crois que vous vous rendez souvent dans la région.
00:10 Et ça n'a pas loupé, ça ne s'est pas bien passé.
00:12 Racontez-nous ce qui s'est passé précisément.
00:14 Alors, la veille de ma venue, la librairie Mola a été recouverte de graffiti, de tags, de collages, avec des injures très graves.
00:24 Et moi, j'adore, comment dire, déconner à la télévision, mais là, je n'ai pas envie de plaisanter du tout parce qu'on me traite de violeur, c'est-à-dire qu'on me traite de criminel, alors que je n'ai vraiment rien à voir avec ça.
00:37 Je vais lire certains messages qui ont été inscrits sur la librairie.
00:40 C'est totalement fou.
00:41 "Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ? Tu as un discours de violeur. Raconte-moi encore. Personne ne veut te sucer avec BD."
00:48 Alors ça, c'est vrai.
00:49 "176 pages de branlette BD, forçeur Mola."
00:54 Donc vous, vous arrivez hier à la librairie, les messages avaient été effacés, ils étaient encore là ?
01:01 Je ne sais plus, mais il y avait trois quarts de police pour me protéger.
01:05 Et ça, j'ai fait, j'ai quand même, j'écris depuis 35 ans dans la presse, une trentaine d'années de publications, de romans.
01:13 C'est la première fois que je vais dans une librairie et qu'il y a une protection policière.
01:19 Je suis un écrivain, j'écris des choses qui peuvent provoquer, qui sont peut-être parfois outrancières,
01:25 parce que je pense qu'un livre, ça n'est pas comme la vie, c'est autre chose, c'est un endroit un peu étrange.
01:32 Un espace de liberté.
01:33 Oui, on exprime des colères, on doit pouvoir être libre, on doit pouvoir écrire des livres librement.
01:40 Et si les gens n'aiment pas, ils ne sont pas obligés de le lire.
01:44 C'est ça qu'ils ne comprennent pas.
01:46 Mais donc vous vous retrouvez encadré, accompagné, escorché par des policiers.
01:50 Sous protection policière.
01:51 Et là, vous dites quoi dans votre tête ?
01:52 Mais j'hallucine. J'aimerais pouvoir rigoler de ça, mais c'est pas très...
01:58 C'est sérieux en fait, c'est sérieux parce que ce que veulent ces personnes, c'est censurer, tout simplement.
02:04 Il y a des phrases qu'elles n'aiment pas, peut-être qu'on pourrait en discuter.
02:08 On va évidemment prendre le temps d'en parler.
02:10 La question n'est pas de discuter.
02:12 Là, c'est des gens qui veulent empêcher une rencontre dans une librairie,
02:15 qui saccagent une librairie en France en 2023 et qui appellent à la censure.
02:22 Donc moi, la censure, je suis très clair avec ça.
02:26 Si on commence, où est-ce que ça s'arrête ?
02:29 La censure mène toujours au totalitarisme, elle mène toujours à des violences physiques.
02:32 Et là, c'est des violences qui ont eu lieu.
02:34 Donc c'est très sérieux en fait, c'est pas un sujet de blague.
02:38 Et on vous sent très affecté ?
02:40 Je trouve ça incroyable de me retrouver dans une position pareille.
02:43 Ça vous fait peur ? Ça vous met en colère ? Qu'est-ce que ça suscite ?
02:47 Le livre est né d'une colère parce que ma maison avait été couverte de dripping à la Jackson Pollock
02:53 avec d'autres conneries injurieuses sur mon domicile.
02:58 Alors, puisque vous y faites référence, on va le raconter.
03:00 On est en 2018, un matin, vous vous réveillez dans votre maison au Pays Basque
03:05 avec votre petite fille, Ouna, et vous vous rendez compte que votre maison
03:10 et votre voiture ont été vandalisées.
03:13 Et vous écrivez ces mots, notamment "les vandales nocturnes ont dû déplacer la poussette du bébé
03:18 et enjamber une bouée en forme de dauphin bleu pour barbouiller de peinture acrylique
03:23 notre maison pleine d'enfants endormis".
03:26 Et là, votre petite fille vous demande "mais papa, qu'est-ce qui s'est passé ?"
03:30 Et là, vous devez lui expliquer ce qui s'est passé, ce traumatisme, puisque vous parlez d'un traumatisme
03:35 et c'est de là qu'est venue cette envie d'écrire ce livre.
03:37 Alors, vous voyez comme c'est réussi, puisque de nouveau, ça s'est passé hier soir, une fois de plus.
03:42 Vous avez eu l'impression de revivre la même chose hier soir ?
03:45 Oui, je ne comprends pas, mais sérieusement, on est en démocratie.
03:50 Si on n'est pas content, si on n'est pas d'accord, on discute, on est un pays de conversation.
03:55 On est un pays de dialogue.
03:57 Et si on ne peut plus débattre et qu'on vient agresser les gens chez eux
04:01 ou qu'on agresse une librairie, c'est très grave. Voilà.

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