• l’année dernière
Laurent Michelon, fort de son expérience en Chine, nous livre un témoignage bienveillant qui nous incite à modérer nos critiques et à mieux prendre en compte la culture, l’histoire et la mentalité de ce pays. Quoi que l’on pense de l’actuel régime chinois, c’est une analyse utile pour un Occident qui s’est souvent montré trop arrogant dans le passé…

Category

📺
TV
Transcription
00:00 [Générique]
00:17 Chers téléspectateurs de Livre Libre, nous voici pour une nouvelle édition
00:24 au cours de laquelle j'ai le plaisir de recevoir M. Laurent Michelon.
00:29 Alors, M. Laurent Michelon est un personnage très intéressant,
00:33 et encore jeune, mais qui est notamment diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris.
00:41 Vous avez pu émerger de ce cloaque gauchiste...
00:43 – Avant qu'il ne le devienne. – Avant qu'il ne le devienne.
00:47 Que j'ai bien connu aussi, et moi aussi.
00:50 Et vous êtes diplômé, contrairement à Nicolas Sarkozy, qui, lui, n'est qu'ancien élève.
00:54 – J'ai passé toutes les étapes. – Voilà, voilà.
00:57 – Pas juste l'inscription. – Nous sommes compères de ce point de vue-là.
01:03 Et vous êtes aussi, comme je le suis moi-même, mais dans une autre langue que la vôtre,
01:09 diplômé des langues orientales, de l'INALCO,
01:12 Institut National des Langues et Civilisations Orientales en chinois.
01:14 – Tout à fait. – Et vous vivez en Chine.
01:17 Vous vous partagez entre Hong Kong et Pékin.
01:22 Pékin, Pékin, Beijing, je ne sais pas comment il faut dire.
01:26 On va dire Pékin, puisque l'usage en est consacré en français,
01:31 dans les affaires et comme consultant, notamment pour les sociétés européennes
01:35 intéressées par le marché chinois,
01:37 ou les sociétés chinoises intéressées par le marché européen.
01:40 Et alors, vous avez publié un livre extrêmement intéressant
01:44 aux éditions Perspectives Libres,
01:50 qui s'intitule "Comprendre la relation Chine-Occident".
01:56 Et si on lit votre livre, on comprend au moins une chose,
01:59 c'est que cette relation Chine-Occident,
02:01 vous la comprenez d'une manière différente de ce que l'on entend habituellement.
02:06 On entend habituellement énormément de critiques de la Chine,
02:10 dont vous prenez en plus d'une circonstance la défense.
02:13 Et ce livre, vous le commencez par une citation de Mincius,
02:19 philosophe chinois de l'antiquité,
02:21 un successeur, peut-on dire, de Confucius.
02:25 Voilà, et je la cite parce qu'elle est très belle.
02:28 "En usant de la force et feignant la bienveillance",
02:33 "usant de la force et feignant la bienveillance",
02:35 "l'Egémon", vous avez pris le terme grec,
02:39 comment dirait-on, le dominant, la superpuissance.
02:42 – L'Empire, la superpuissance régionale.
02:45 – Voilà, "contrôlera un large territoire".
02:48 "En usant de la vertu et en pratiquant la mensuitude",
02:52 "le souverain avisé exercera une autorité naturelle sur les hommes".
02:57 Alors, d'après vous, est-ce que M. Xi Jinping
03:00 exerce une autorité naturelle sur les hommes chinois ?
03:03 – Je pense que c'est la raison de cette citation,
03:06 c'est qu'elle me semble représenter parfaitement
03:08 la relation entre les États-Unis, actuellement,
03:11 qui usent de la force et feignent la bienveillance,
03:15 en parlant de démocratie à tout va,
03:18 mais en bombardant tous les pays dans lesquels ils vont exporter la démocratie,
03:22 et la Chine qui, effectivement, après son développement économique,
03:25 est en train de prendre des responsabilités politiques
03:29 sur la scène internationale, et on le voit avec une approche
03:32 qui est beaucoup plus proche de la mensuitude dont parle Mencius,
03:37 et qui, donc, finalement, on le voit aujourd'hui
03:39 avec la visite de Xi Jinping à Moscou.
03:43 C'est une information qui est reprise très positivement
03:46 dans tous les médias internationaux en dehors de l'Occident,
03:48 mais en Occident, on nous parle quasiment d'un axe du mal
03:52 qui est en train de se créer, alors qu'en fait,
03:54 c'est vraiment les non-alignés qui se retrouvent
03:59 sous un nouveau format au XXIe siècle.
04:02 – Il n'en plus que le Premier ministre indien, en quelque sorte.
04:04 – Exactement, et on pourrait dire, si le Premier ministre indien était là,
04:09 on pourrait faire le parallèle avec Yalta,
04:12 et en se disant, mais c'est quand même à Yalta
04:14 où il n'y a plus un seul occidental.
04:16 Donc, effectivement, c'est une très bonne remarque,
04:18 parce que je pense que le prochain format,
04:21 alors comme M. Modi et Willy Pandé dans les médias occidentaux,
04:26 ça ne va pas arriver de si tôt, mais surtout que l'Inde a un positionnement
04:30 qui est un petit peu hybride, à la fois, ni pour ni contre la Chine et la Russie,
04:36 ni non plus contre les États-Unis, mais qui réussit à tirer son avantage
04:42 dans un contexte pour l'instant qui est un bilatéralisme sino-russe,
04:47 mais qui rapidement pourrait devenir un trilatéralisme
04:50 qui serait intéressant pour la Russie.
04:53 – Et c'est sans doute une des conséquences du conflit russo-ukrainien,
04:56 finalement, que d'avoir… c'est assez curieux quand même
04:59 que les Américains, dont nul ne doute quand même qu'ils sont…
05:04 ils animent l'OTAN et par conséquent qu'ils sont derrière les Ukrainiens.
05:08 Quoi qu'on pense des agissements de M. Poutine en Ukraine,
05:15 les Américains sont en train quand même implicitement
05:19 de le pousser dans les bras de la Chine,
05:21 et les sanctions européennes aussi le poussent dans les bras de la Chine
05:25 en un temps où on prévoit, semble-t-il, une détérioration des relations
05:31 entre la Chine et les États-Unis, et peut-être même,
05:34 dans un plus ou moins proche ou plus ou moins lointain avenir,
05:38 une confrontation, est-ce que c'est ce que vous prévoyez vous aussi ?
05:41 – Une confrontation entre la Chine et les États-Unis ?
05:43 – Oui. – Moi, personnellement, j'y crois pas.
05:47 – Vous ne croyez pas à une confrontation armée ?
05:50 – Peut-être des escarmouches maritimes en mer de Chine
05:54 ou quelque chose comme ça.
05:56 Je ne pense pas que ça ira jusqu'à un conflit sur l'île de Taïwan
05:59 parce qu'apparemment ce sera le déclencheur du conflit.
06:01 En tout cas, Taïwan est instrumentalisé de cette façon
06:03 comme l'Ukraine l'a été pour la Russie.
06:06 Mais il y a quand même une très grosse différence
06:08 entre les Ukrainiens et les Taïwanais.
06:10 Les Taïwanais étant quand même beaucoup plus proches des Chinois
06:13 et n'ont pas subi ce lavage de cerveau sinophobe,
06:16 enfin le lavage de cerveau qu'ont subi les Ukrainiens
06:18 pour devenir russophobes alors que ce sont des cousins, des Russes,
06:21 voire même des frères, les Taïwanais n'ont pas reçu,
06:24 n'ont pas fait l'objet de ce lavage de cerveau.
06:26 Donc il y a une petite frange politique actuellement au pouvoir
06:30 mais qui est en décrépitude et qui sait très bien
06:32 qu'en janvier 2024 elle va perdre les élections présidentielles.
06:35 On voit aujourd'hui cette semaine l'ancien président de Taïwan
06:38 qui va se rendre à Beijing ce mois-ci.
06:40 C'est historique, il n'y a jamais, depuis 1949,
06:44 il n'y a pas un seul président en fonction
06:47 ou un ancien président taïwanais qui s'est rendu à Beijing.
06:49 – Beijing va être reçu comme un chef d'État ?
06:51 – Non.
06:52 – Ou comme un responsable de province ?
06:53 – Alors pour l'instant, probablement comme un responsable de province.
06:56 On ne sait pas encore s'il va rencontrer…
06:57 – Mais il va accepter d'être reçu seulement comme un responsable de province ?
06:59 – Bien sûr, bien sûr.
07:01 Oui, il avait déjà rencontré Xi Jinping en 2015 à Singapour.
07:04 Donc c'était, on va dire, la diplomatie du golfe.
07:07 – Ce que vous dites est exact, en ce sens que Taïwan et Pékin
07:14 étaient au moins d'accord sur un point, il n'y a qu'une seule Chine.
07:18 – Bon, sauf que Taïwan, qu'il fut annexé pendant 50 ans par les Japonais,
07:27 libéré par eux après 1945, évidemment,
07:32 et refuge de l'armée et des institutions nationales,
07:38 nationalistes chinoises, du Kuomintang, du Parti National et de Chiang Kai-shek,
07:44 à l'époque reconnu pratiquement par presque le monde entier,
07:52 étaient d'accord qu'il n'y avait qu'une seule Chine.
07:54 Sauf que Taïwan disait "c'est moi le représentant légitime".
07:59 Et ça faisait rire tout le monde, mais enfin pas tant que ça,
08:02 parce qu'après tout, Chiang Kai-shek avait plus de consistance
08:08 dans cette affirmation que n'en avait de Gaulle à Londres, par exemple.
08:11 – Tout à fait, tout à fait.
08:13 – Mais est-ce que vous ne croyez pas qu'aujourd'hui quand même,
08:16 il y a un sentiment d'une grande partie de la population taïwanaise
08:21 en faveur d'une indépendance, d'une rupture avec la Chine,
08:24 une rupture au moins politique ?
08:25 – C'est effectivement ce que les médias occidentaux voudraient qu'on croie.
08:30 – Moi j'en ai rencontré au Japon des étudiants taïwanais qui me disent
08:34 "finissons-en avec cette idée que nous sommes la Chine, nous sommes taïwanais".
08:40 – Il y a deux questions, il y a effectivement la question de l'identité taïwanaise
08:43 et après il y a la question de la réunification ou de l'indépendance.
08:46 Ils sont deux questions qui sont différentes et effectivement
08:48 dans les sondages qui sont réalisés à Taïwan, il y a vraiment une grande différence
08:52 dans le sens où il y a une université à Taïwan,
08:55 l'université de sciences politiques de Taïwan,
08:57 qui tous les ans a un centre de recherche sur les élections
08:59 et tous les ans depuis 1994 fait des sondages auprès de la population taïwanaise
09:03 pour savoir, donc deux questions, la première c'est l'identité,
09:06 est-ce que vous vous sentez taïwanais ou chinois ?
09:08 Donc là on voit qu'à 60% les taïwanais disent "je suis taïwanais",
09:12 ensuite il y en a qui disent "je suis taïwanais et chinois",
09:15 l'un n'empêchant pas l'autre, et puis bon après il y a d'autres
09:17 qui ne se prononcent pas ou des choses comme ça.
09:19 Donc sur la question de l'identité, effectivement les taïwanais
09:22 majoritairement se sentent taïwanais.
09:24 Qu'est-ce que ça veut dire ? On n'en sait rien
09:26 parce qu'ils mettent un petit peu tout et n'importe quoi dedans.
09:28 L'identité taïwanaise ça fait environ 20 ans que c'est en création,
09:33 encouragée par les Américains, mais enfin bon,
09:35 admettons qu'il y ait une identité qui soit différente,
09:38 mais si on regarde les sondages sur la question de l'indépendance
09:43 ou de la réunification, là c'est le contraire,
09:46 c'est-à-dire que les sondages donnent 5 choix aux répondants,
09:51 il y a indépendance immédiate ou unification immédiate,
09:54 là on est à 5% chacun, et 90% de la population taïwanaise
09:58 répond au milieu sur 3 différents statu quo.
10:01 Un statu quo qui irait à terme sur l'indépendance,
10:04 un statu quo qui à terme irait vers la réunification,
10:07 et un statu quo, statu quo qui veut dire "je ne veux pas en parler,
10:10 ne me posez pas cette question anxiogène".
10:12 C'est 90% de la population taïwanaise qui est là,
10:14 et c'est un sondage d'université taïwanaise,
10:16 donc on ne pourra pas dire que c'est...
10:17 – Mais il y a une chose quand même qui est vraisemblable,
10:19 c'est que les Taïwanais, dans leur immense majorité,
10:22 n'ont pas du tout envie de vivre sous un régime communiste.
10:25 – Oui, absolument, mais c'est comme à Hong Kong,
10:28 où à Hong Kong, un pays de système a été fait aménager justement pour ça,
10:32 pour que les gens soient réintégrés dans la grande Chine,
10:35 sans avoir à changer de système politique.
10:37 Et la Chine...
10:38 – Oui, mais alors sur Hong Kong, justement, c'est intéressant,
10:40 parce que vous dites, d'un côté, vous prenez quand même la défense aussi
10:45 de la Chine, de la Chine continentale, dans son attitude à l'égard de Hong Kong,
10:50 et vous dites finalement, si je vous ai bien suivi,
10:53 les Anglais, ils ont instauré la démocratie à Hong Kong
10:57 deux ans avant d'en partir, en quelque sorte, si je vous ai bien lu.
11:02 C'est peut-être un petit peu exagéré, ça, quand même, non ?
11:06 – Non, il y a eu 150 ans d'occupation britannique à Hong Kong,
11:11 pendant laquelle les Hongkongais étaient des citoyens de deuxième classe,
11:14 ils n'avaient aucun droit civique.
11:15 – Oui, mais la presse était libre.
11:17 – Oui, mais c'était une presse qui était anglaise, anglophone et anglaise,
11:20 – Ah non, non, il y a une presse chinoise.
11:22 – Oui, chinoise, mais qui était surveillée par le système judiciaire hongkongais,
11:28 qui était complètement, on va dire, occupé par des lords d'Anglais.
11:33 Et donc, en fait, les élections…
11:35 – Excusez-moi, je ne vous interromps pas encore,
11:38 la diffamation en droit anglais, c'est une limite assez faible
11:43 à la liberté d'expression, enfin bon, comme le montrent d'ailleurs
11:48 tous les journaux, les tabloïds londoniens qui racontent des tas d'ordures toutes les semaines.
11:55 – Oui, ça a d'ailleurs été importé à Hong Kong justement par…
11:58 – Oui, d'accord.
11:59 – Mais ce que je voulais dire, c'est qu'il y a eu des émeutes très violentes en 1967,
12:04 anti-britanniques, par la population hongkongaise,
12:07 qui brandissaient très bizarrement d'ailleurs des petits livres rouges de Mao,
12:10 en disant "nous sommes chinois" et en fait c'était pour sortir les Anglais.
12:13 Donc, ça a été réprimé assez sévèrement.
12:17 Et en 1995, donc deux ans avant la rétrocession,
12:20 il y a eu les premières et dernières élections libres à Hong Kong
12:23 qui ont été organisées, qui en fait étaient une espèce de préambule
12:27 à l'organisation d'une opposition et de fragmentation de la population hongkongaise
12:33 entre pro-chinois, anti-chinois, pro-occidentaux, anti-occidentaux,
12:37 c'était vraiment un processus de fragmentation de la population hongkongaise.
12:42 – Oui.
12:43 – Et ensuite, ils savaient très bien que ça créait…
12:45 – Est-ce que ces fragmentations, je ne veux pas faire de l'occidentalocentrisme,
12:50 mais est-ce que ces fragmentations, c'est pas quand même la condition de la liberté ?
12:56 Je veux dire par là, par exemple, si vous voyez par exemple
12:59 la dernière réélection de M. Xi Jinping par 1 200 et quelques délégués…
13:05 – À l'unanimité.
13:07 – Au congrès du peuple, à l'unanimité, il n'y en a pas un qui a été contre,
13:12 il n'y en a pas un qui s'est abstenu, ça donne quand même un peu l'impression
13:16 que leur choix n'était peut-être pas tout à fait libre.
13:19 Alors sans aller jusqu'aux excès qu'on constate aujourd'hui en France par exemple,
13:23 c'est bien que dans la société chinoise traditionnelle,
13:27 il y a la recherche du consensus, du moins dans les conceptions confucéennes
13:32 qui ont une grande importance, mais à ce point, c'est quand même un peu suspect,
13:38 vous ne trouvez pas ?
13:39 – C'est suspect si on se place d'un point de vue occidental qui regarde la Chine
13:42 et qui est d'un point de vue de la démocratie libérale,
13:45 effectivement on va dire que ça n'a rien de démocratique,
13:47 mais ils n'ont pas la prétention d'être une démocratie libérale, la Chine en tout cas.
13:49 Par contre à Hong Kong, il y a un système de pluralisme qui a été respecté,
13:53 la Chine n'a absolument pas touché au système qui avait été mis en place
13:56 par les Anglais, jusqu'à ce que 25 ans plus tard, à cause des émeutes de 2019 et 2020,
14:02 il a fallu apporter une loi, il a fallu légiférer avec cette loi
14:07 sur la sécurité nationale qui est récente.
14:10 Et que les Hongkongais, pendant 25 ans de pluralisme démocratique,
14:16 devaient, selon la loi basique de 1984,
14:20 l'obligation de l'Assemblée hongkongaise,
14:30 c'était leur obligation de voter une loi sur la sécurité nationale.
14:34 Or ça n'a jamais été fait, à chaque fois qu'il y avait une tentative,
14:37 il y avait des partis, des agents étrangers qui bloquaient le processus,
14:44 et donc on est arrivé à un moment d'émeute qu'on a vu pendant 2019-2020,
14:49 où c'était le chaos, comme on a du mal à l'imaginer dans le monde chinois,
14:53 et là il a fallu légiférer. Mais jusqu'à là, Pékin n'avait pas touché.
14:56 – Mais est-ce que vous ne confondrez pas quand même l'effet et la cause ?
14:59 Parce que les émeutes étaient quand même la conséquence de l'adoption
15:01 des lois sécuritaires. – Oui, mais cette loi sécuritaire
15:06 était nécessaire dans le sens où Hong Kong n'avait aucun accord d'extradition
15:10 avec 175 pays dans le monde. Donc c'était devenu un endroit
15:13 de non-droit, enfin un endroit où tous les criminels du monde entier
15:16 pouvaient s'échapper et ne jamais être extradés.
15:18 Et en fait cette histoire est apparue sur un fait divers,
15:20 d'un étudiant hongkongais qui était à Taïwan avec sa petite amie,
15:24 qu'il a tuée, il rentrait à Hong Kong pour échapper à la justice taïwanaise,
15:28 et la justice taïwanaise a demandé à le faire revenir,
15:30 ce qui n'était pas possible parce que la loi de Hong Kong
15:32 ne permettait pas l'extradition. – Ah oui, l'extradition comme nationale chinoise.
15:36 – Voilà. – En quelque sorte, oui.
15:38 – Donc c'est comme ça que ça a démarré, et ça a été l'occasion,
15:41 enfin il n'y avait pas de raison d'avoir des émeutes de cette amplitude-là
15:44 pour un simple fait divers, mais ça a été utilisé.
15:46 En plus de ça, on peut voir à terme que ça a été utilisé en fait
15:49 pour remettre en selle l'actuelle présidente de Taïwan
15:53 qui était quatrième dans les sondages pour sa réélection,
15:55 donc elle perdait les élections, et grâce à cette affaire
15:59 où elle a dit "on va recueillir tous les dissidents hongkongais
16:02 qui essayent d'échapper à la dictature",
16:05 elle a été réélue alors qu'elle était en train de perdre.
16:07 Donc en fait on peut se dire, en fait cette histoire de Hong Kong
16:10 a été en fait mise en scène pour Taïwan.
16:12 – Ça manifeste quand même une grande sensibilité des Taïwanais
16:14 pour les libertés publiques, on peut dire ça.
16:17 – Tout à fait, il n'y a pas de contestation sur le fait
16:21 que les sociétés taïwanaises et chinoises sont très différentes.
16:24 – Alors vous en rabattez aussi en ce qui concerne les critiques
16:29 que l'on adresse généralement à la Chine,
16:32 aussi bien sur le système du crédit social,
16:36 vous dites d'ailleurs, c'est intéressant,
16:39 mais est-ce qu'on n'a pas aussi en Europe et notamment en France
16:44 une espèce de crédit social, enfin avec l'état d'urgence permanent
16:48 pratiquement depuis le Covid, les lois l'OPCI et Schilt,
16:53 les plateformes Pharos et DILCRA, vous pouvez nous en dire un peu plus ?
16:58 – Et puis il y en a d'autres, et puis après il y a toutes les GAFAM,
17:01 toutes ces grandes sociétés américaines qui, on le sait,
17:03 on l'a vu notamment avec Twitter aux États-Unis,
17:06 ou avec les Twitterleaks, on s'est rendu compte
17:09 que Twitter collaborait avec le FBI, collaborait avec la CIA,
17:12 en fait pour orienter les résultats d'élections.
17:17 Donc on voit qu'il y a une collaboration,
17:19 une espèce de partenariat public-privé en Occident
17:21 entre les GAFAM et les États sur la surveillance des citoyens.
17:25 Par exemple, on voit, il y a certains sujets sur lesquels
17:28 on ne peut pas parler sur Facebook ou Twitter ou quoi que ce soit
17:31 parce que ça va être censuré.
17:33 La question en fait c'est, on préfère être censuré par qui ?
17:38 Est-ce qu'on préfère être censuré par son État, par son gouvernement,
17:41 ou est-ce qu'on est d'accord pour être censuré par des sociétés privées
17:45 qui aspirent les données et en font ce qu'elles veulent
17:47 et les partagent avec les gouvernements, les utilisent personnellement ?
17:50 Les Chinois ont choisi, ils disent mais nous on préfère
17:53 que ce soit le gouvernement qui nous surveille plutôt que les GAFAM.
17:56 Et d'ailleurs, en ce moment même, il y a des lois sur la sécurisation
18:00 des données personnelles en Chine qui sont passées
18:02 qui sont extrêmement contraignantes pour toutes les sociétés privées.
18:05 Les sociétés privées ne peuvent pas utiliser les données personnelles
18:10 des usagers en Chine comme elles peuvent le faire en Occident.
18:13 Donc il y a une protection bien supérieure.
18:15 Par contre, le gouvernement évidemment se donne le droit
18:17 d'aller vérifier ce que les gens font.
18:19 – Vous nous dites aussi qu'il faut modérer un peu les critiques
18:26 que l'on porte bien souvent en Occident sur la Chine en raison de son attitude
18:32 à l'égard des Tibétains, des Ouïghours en particulier.
18:36 Et vous dites, évidemment, vous faites un parallèle
18:43 avec les États-Unis d'Amérique se sont montrés impitoyables
18:51 avec les Amérindiens dont il ne reste pas beaucoup.
18:55 Et à part ça, ils accusent la Chine de génocide contre les Ouïghours.
19:01 Alors je serais tenté de vous dire, en me faisant l'avocat peut-être du diable,
19:05 de ce que vous appelez les "gay-mode", c'est-à-dire pas seulement les États-Unis,
19:09 j'ai compris le monde anglo-saxon.
19:11 – Oui, mais même jusqu'à Bruxelles, je pense que c'est ça.
19:14 – Oui, Bruxelles, le Bruxelles, oui, est un vassal de les gay-mode, comme vous dites.
19:20 Bon, je pourrais vous dire que les mentalités ont évolué quand même
19:26 depuis le 19ème siècle.
19:29 – Bien sûr, tout à fait.
19:31 – Donc ce n'est pas parce que les Américains sont mal conduits
19:34 à l'égard des Xi ou des Xi'an que ça légitimerait le fait
19:38 que les Chinois se conduisent mal, si c'était le cas, envers les Ouïghours.
19:43 – Mais là, il faut regarder les chiffres de la population Ouïghour,
19:46 et en 30 ans, c'est passé de 5 millions à 12 millions.
19:49 Donc parler de génocide, ça n'a pas lieu d'être.
19:52 Parler de génocide culturel non plus, il suffit d'aller au Xinjiang pour ça,
19:56 et d'aller voir que dans le nord Xinjiang,
19:58 qui n'a aucune contiguïté géographique avec l'Afghanistan,
20:00 il n'y a absolument aucun problème, la culture est très vivace,
20:03 c'est des Ouïghours qui sont à la tête des institutions régionales.
20:08 Par contre, effectivement, au sud, où il y a eu un contact
20:11 avec l'islam radical à cause de l'Afghanistan
20:14 et du travail que faisaient les Américains en Afghanistan depuis 1978,
20:17 effectivement, là, il y a eu un radicalisme,
20:20 et les Chinois luttent contre le radicalisme islamique dans leur pays,
20:24 ce qui est tout à fait normal.
20:25 – Comme d'autres le font, oui.
20:26 – Voilà, mais il n'y a pas de maltraitance,
20:29 d'ailleurs il y a des délégations continuelles de pays…
20:33 – De pays musulmans.
20:34 – De pays musulmans et de personnalités religieuses musulmanes du monde entier
20:37 qui vont, qui passent leur temps, elles vont où elles veulent,
20:40 elles demandent d'aller à tel endroit, à tel endroit,
20:42 et qui ont tous dit "on a vu ces écoles, on a vu ces centres de rééducation,
20:46 mais on n'a pas vu de musulmans qui sont maltraités en Chine".
20:50 Sachant qu'en plus de ça, le procès d'intention qu'on essaie de faire à la Chine,
20:53 c'est celui de l'islamophobie.
20:55 Or, les Ouïghours ne sont pas le premier groupe musulman en Chine,
20:58 il y a des groupes bien supérieurs, 7 à 8 fois plus nombreux.
21:01 – Oui, dans la région de Canton d'ailleurs, moi j'ai vu des…
21:05 j'ai été dans un restaurant musulman…
21:07 – Exactement, c'était certainement des Houé.
21:09 – À Canton, oui.
21:10 – Et ils sont 7 à 8 fois plus nombreux que les Ouïghours, et on n'en entend pas parler.
21:14 Et il y a des Houé jusqu'aux plus hauts échelons des instances gouvernementales chinoises.
21:19 Donc c'est un procès qui… on sait ce que c'était avec le Tibet,
21:24 là les Ouïghours prennent le relais.
21:26 – Alors, est-ce que, pour passer rapidement, parce qu'il nous reste, hélas…
21:30 – Déjà ?
21:31 – Déjà, le temps passe tellement vite, et tous ces sujets sont absolument passionnants,
21:36 mais est-ce que quand même la Chine est obligée de bétonner
21:42 comme elle le fait les moindres îlots, dans des eaux…
21:46 – En mer de Chine ?
21:47 – … au principe international ?
21:49 Alors je sais bien qu'on dit que la Chine veut annexer toute la mer de Chine,
21:52 alors vous allez me dire, mais la mer de Chine, si elle s'appelle mer de Chine,
21:55 c'est qu'il y a une raison.
21:57 – Déjà ?
21:58 – Oui d'accord, c'est un espace du Pacifique qui, à mon sens,
22:04 appartient autant à la Malaisie, aux Philippines, au Vietnam qu'à la Chine,
22:09 même si c'est vrai, les navigateurs chinois, depuis les temps anciens, l'ont sillonné.
22:15 – Tout à fait, mais en fait, je pense que sur cette question-là,
22:17 comme sur la question de Taïwan, sur la question de Hong Kong,
22:19 sur la question du Xinjiang, la question qu'il faut se poser,
22:22 c'est est-ce que ces problèmes se seraient développés de cette façon-là
22:25 s'il n'y avait pas systématiquement l'interférence américaine sur chaque dossier ?
22:29 Il est là le point commun de tous ces problèmes.
22:31 S'il n'y avait pas la 7ème flotte qui passe systématiquement dans le détroit de Taïwan
22:36 avec des avions, des avions de chasse sous-marins, des porte-avions, des choses comme ça,
22:42 la Chine n'aurait pas besoin de placer ses pions et de dire "c'est chez moi ici".
22:48 Imaginons le contraire, imaginons des porte-avions chinois
22:51 qui navigueraient au large de la Floride depuis 30 ans, tout le temps avec des avions.
22:55 Les États-Unis ne tolèreraient jamais ça.
22:57 Alors là, on nous dit, au nom de la liberté de navigation,
22:59 il y a une présence militaire étrangère, occidentale, ils sont à 10 000 km,
23:04 constante, dans laquelle en plus on nous fait croire
23:07 que c'est pour protéger la liberté de navigation des bateaux
23:10 qui approvisionnent la Corée et le Japon.
23:13 Or, il y a une étude américaine qui a été faite,
23:16 qui disait, partant du prédicat que si la Chine devait fermer la mer de Chine du Sud,
23:22 qu'est-ce que ça coûterait en plus de faire passer les bateaux à l'Est.
23:26 Ils passent déjà par le détroit de Malacca.
23:28 Ils passent par Malacca, si on les faisait passer par Lombok
23:30 et à l'extérieur des Philippines et du Japon, ça coûterait 0,1% de plus en frais de transport.
23:36 D'autant plus que bientôt ils vont passer par la route du Nord,
23:38 depuis que le réchauffement climatique rend possible de naviguer dans l'Arctique.
23:43 – Exactement, et par contre en mer de Chine du Sud,
23:45 c'est 80% des exportations et des importations chinoises
23:48 qui passent par la mer de Chine du Sud.
23:50 Donc s'il y a un pays dans la région qui a intérêt à ce que la navigation soit assurée,
23:54 c'est la Chine, c'est pas les États-Unis.
23:56 – Eh bien, merci beaucoup pour ces précisions utiles.
24:00 Je dois dire que je me suis trouvé de façon assez étonnante
24:06 à une assemblée générale du MEDEF, qui n'aurait peut-être pas souhaité m'inviter,
24:11 qui avait décommandé Marion Maréchal,
24:13 mais qui n'avait pas pu faire autrement que de m'inviter.
24:15 J'avais vu un débat avec M. Montebourg et l'ambassadeur de Chine,
24:20 et alors c'était les critiques contre la Chine, contre le dumping chinois, etc.
24:24 Et l'ambassadeur de Chine était resté admirablement stoïque,
24:28 et puis quand même à la fin, on s'est obligé de lui donner la parole,
24:32 et alors il dit à ce moment-là, "mais écoutez, vous savez,
24:36 dans la mondialisation, il y a des gagnants et il y a des perdants".
24:42 Première torpille, je fais partie des gens qui ont beaucoup ri.
24:47 – C'est très drôle. – Dans un français impeccable,
24:50 le stoïcisme, et au bout de quelques secondes, il ajoute,
24:55 "Et chez nous, en Chine, il y a un proverbe qui dit ceci,
25:00 quand on est malade, il y a une chose qu'il ne faut pas faire,
25:04 c'est demander aux autres de se soigner".
25:08 Là aussi c'est très vrai, alors soignons-nous nous-mêmes occidentaux,
25:12 et essayons, dans une tradition bien française,
25:17 d'avoir de meilleures relations avec la Chine.
25:19 – Mais que nous avons depuis très longtemps. – C'est ça votre message.
25:21 – Absolument, que nous avons depuis très longtemps,
25:23 et on n'a pas à être à la remorque des États-Unis,
25:25 dans leur volonté d'hégémonie, la France devrait avoir un…
25:30 – Et on fera oublier l'escadrille de l'amiral Courbet, au 19ème siècle,
25:35 pour une fois que la Marine française remporte une victoire.
25:37 – Remporter une bataille. – Voilà.
25:39 [Rires]
25:40 Merci. – Merci à vous.
25:42 – Merci infiniment M. Michelon, c'était, je répète,
25:46 le titre de votre livre, "Comprendre la relation Chine-Occident",
25:53 un livre tout à fait original, aux éditions Perspectives Libres.
26:02 – Merci à vous.
26:05 [Générique]

Recommandations