Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationales de TVL, Edouard Chanot reçoit Laurent Michelon.
Au vu des désordres mondiaux actuels, la puissance chinoise apparaît, malgré des failles, comme un point de rééquilibrage global. Pékin a réussi à apaiser les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, solidifié son alliance avec Moscou, et plaidé, dans le conflit de Gaza, pour une solution à deux Etats… et tout cela, en dépit des pressions occidentales.
L'entrepreneur Laurent Michelon travaille entre la France et la Chine et est aussi l’auteur de "Comprendre la relation Chine-Occident - La superpuissance réticente et l’hégémon isolé" (Perspectives Libres, 2022).
Au vu des désordres mondiaux actuels, la puissance chinoise apparaît, malgré des failles, comme un point de rééquilibrage global. Pékin a réussi à apaiser les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, solidifié son alliance avec Moscou, et plaidé, dans le conflit de Gaza, pour une solution à deux Etats… et tout cela, en dépit des pressions occidentales.
L'entrepreneur Laurent Michelon travaille entre la France et la Chine et est aussi l’auteur de "Comprendre la relation Chine-Occident - La superpuissance réticente et l’hégémon isolé" (Perspectives Libres, 2022).
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00:53 Bonsoir à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL.
00:59 Je suis ravi de vous retrouver ce soir pour cette première émission de 2024 et je vous adresse évidemment tous mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année,
01:07 année qui s'avère être celle du dragon en Chine. Je ne vous dis pas cela par hasard, je vous dis cela parce que nous allons parler de l'Empire du milieu ce soir
01:15 avec un entrepreneur français et géopolitologue en Chine, Laurent Michelon, qui est l'auteur de l'essai "Comprendre la relation Chine-Occident,
01:23 la superpuissance réticente de l'hégémon isolé" publié chez Perspective Libre en 2022 et que nous allons retrouver sur Skype.
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01:37 Donc Laurent Michelon, merci beaucoup d'être avec nous ce soir dans Choc du Monde.
01:41 Vous travaillez entre la France et la Chine et vous avez à cœur de contredire les préjugés à l'égard de la Chine pour en saisir davantage la complexité,
01:51 ce qui d'ailleurs est un enjeu fondamental aujourd'hui au vu du déclin occidental, appelons-le tel qu'il est,
01:56 de l'essor de nouveaux équilibres mondiaux et des crises qui leur donnent naissance sous nos yeux.
02:02 Alors j'aimerais commencer par là, par l'actualité immédiate, Laurent Michelon.
02:06 Le conflit à Gaza se régionalise, les rebelles houthis au Yémen, par solidarité avec Gaza, menacent des navires en mer rouge,
02:14 les États-Unis et la Grande-Bretagne principalement ont déjà tiré sur des navires houthis.
02:19 Et donc, bon, il y a une menace d'escalade, mais c'est déjà concrètement une menace sur le commerce entre l'Occident et la Chine.
02:26 La Chine a-t-elle de quoi être inquiète, Laurent Michelon ?
02:29 Je rappelle d'ailleurs que 40% du commerce mondial, maritime mondial, passe par la mer rouge.
02:34 Oui, je pense qu'elle a effectivement de quoi être inquiète, parce que les rebelles houthis ne tiraient pas sur les navires chinois,
02:44 sur les navires russes, sur les navires de tous les pays du sud global.
02:48 Ils tiraient uniquement sur les navires qui étaient soit israéliens, soit qui se rendaient dans des ports israéliens.
02:54 Et justement, cela posait un problème à ce que j'appelle dans mon ouvrage "Légèrement anglo-américain",
03:01 qui se sont dit "mais finalement, ça ne va pas aboutir au résultat escompté qui était de perturber les routes maritimes".
03:13 Et ils l'ont dit d'ailleurs, les Américains l'ont dit, se sont plaint du fait que la Chine ne faisait rien,
03:20 ne tenait pas à participer à l'effort de police sur les routes maritimes.
03:26 Et les Américains disaient "mais c'est quand même la Chine qui profite principalement de ces routes maritimes,
03:31 comment se fait-il qu'ils ne réagissent pas ?"
03:33 Et la Chine a bien senti le piège qui lui était tendu, à savoir de rentrer dans une opération de police armée,
03:38 et donc ce qui contredirait totalement son discours de puissance économique pacifique,
03:45 qui ne veut pas réaliser les mêmes erreurs que l'hégémon anglo-américain depuis 100 ans,
03:52 qui est de répandre la démocratie libérale à coup de canonnière.
03:56 Donc la Chine n'est pas rentrée dans ce piège-là,
03:59 et donc les Américains avec les Anglais ont décidé de perturber les routes maritimes de toute façon,
04:07 ce qui est certain que ça va poser des problèmes à la Chine,
04:10 parce qu'effectivement soit il faut passer par le Cap de Bonne Espérance,
04:12 qui rajoute quand même 15 à 20 000 km avec les coûts d'assurance, avec les coûts de transport, avec les délais que ça augmente,
04:19 mais en même temps on voit que Vladimir Poutine vient un petit peu à la rescousse,
04:25 puisqu'il vient reproposer à la Chine d'intensifier le trafic maritime par la route maritime du Nord.
04:34 Alors elle n'est pas encore utilisable 365 jours par an,
04:40 quoique, puisque la société Rosatom qui opère les brises glaces nucléaires,
04:45 a dit qu'à partir de l'hiver prochain elle pourrait ouvrir la route à l'année longue.
04:50 Donc on va voir, je pense, un certain détournement du trafic maritime entre l'Asie et l'Europe passer par là.
04:58 Par le Grand Nord, très bien.
05:00 Au vu des ordres mondiaux actuels, la Chine apparaît, malgré ses failles,
05:05 et c'est ce que vous venez de dire à l'instant Laurent Michelon en parlant de puissance pacifique,
05:09 la Chine apparaît comme un point d'équilibre.
05:12 On vous propose, et pour nos téléspectateurs aussi, un point d'explication rapide de l'actualité chinoise
05:17 des derniers jours, des dernières semaines.
05:19 L'économie chinoise est plus résiliente et plus dynamique que précédemment,
05:24 a déclaré le président Xi Jinping dans son discours du Nouvel An.
05:28 Au cours de cette prise de parole, le président chinois a aussi affirmé que son pays sera sûrement réunifié.
05:34 Pour 2024, il a appelé à réussir la stabilisation économique de long terme,
05:39 depuis la crise du Covid, la deuxième économie mondiale a peiné à rebondir,
05:44 avec notamment un taux de chômage de 21% chez les jeunes à l'été dernier.
05:48 Le pays a néanmoins atteint 4,9% de croissance au troisième trimestre.
05:53 Cela dit, c'est surtout sur le front diplomatique que la Chine a réalisé une percée en 2023,
05:58 permettant d'apaiser les relations entre l'Iran et l'Arabie Saoudite,
06:01 solidifiant son alliance avec Moscou et plaidant dans le conflit de Gaza
06:05 pour une solution à deux États, et tout cela en dépit des pressions occidentales.
06:10 Laurent Michelon, on a donc décrit sans cesse la Chine comme un colosse à pied d'argile, en Occident bien sûr.
06:20 La Chine va-t-elle si mal économiquement, comme tendent à le dire les médias occidentaux ?
06:27 La réponse est assez simple. La Chine, avec des estimations assez basses, a eu 4,9% de croissance l'année dernière,
06:38 ce qui est très bas pour la Chine, puisque la Chine était habituée à des taux de croissance à deux chiffres
06:43 depuis une vingtaine, trentaine d'années. Sur les dix dernières années, c'était plutôt 8-9%.
06:48 Donc forcément, il y a un ralentissement fort. Cela dit, l'économie continue de croître petit à petit.
06:55 Il y a un énorme changement de paradigme en Chine, où avant c'était vraiment le développement immobilier
07:01 qui tirait la croissance, les infrastructures, des choses comme ça.
07:05 Et là, ça fait quatre ou cinq ans que le gouvernement chinois ne soutient plus ces domaines,
07:09 ils ne sont plus générateurs de croissance. C'est parti sur des domaines différents,
07:14 sur tout ce qui est pharmaceutique, les nouvelles technologies, sur les énergies propres.
07:20 Donc il y a un changement qui fait que la croissance ne peut pas repartir immédiatement.
07:25 Il faut savoir aussi que la Chine fait face à ces politiques de découplage américain
07:31 et de dériscage européen, qui ont pour but d'empêcher, sous couvert bien évidemment,
07:37 de récupérer des industries en Europe et aux États-Unis,
07:41 mais ce qui n'arrive pas, ça part vers d'autres pays en développement.
07:44 Mais donc forcément, la Chine qui se retrouve face à ces deux plus gros clients
07:48 qui refusent de lui acheter, forcément il y a une baisse de croissance.
07:52 Mais elle est en train de se réorganiser avec les pays du sud global.
07:56 La Russie, on a vu que le commerce avec la Russie a dépassé les espérances de 2023,
08:01 puisqu'ils ont atteint en 2023 le chiffre qu'ils espéraient atteindre fin 2024,
08:05 de plus de 200 milliards de dollars.
08:07 Donc oui, la Chine a de fortes difficultés économiques en ce moment.
08:11 Beaucoup d'entrepreneurs chinois s'en plaignent.
08:15 Mais Xi Jinping a demandé publiquement à la population d'être patiente
08:19 en leur disant que trois ans de Covid, on ne pouvait pas redémarrer aussi vite
08:23 que ce qu'on avait pensé.
08:24 Les statistiques officielles n'ont pas embelli les chiffres.
08:27 Elles ont dit que c'est très décevant par rapport à ce qu'on avait prévu.
08:30 Mais voilà, ça reprend petit à petit.
08:32 2024, quand on parle avec les entrepreneurs ou les gens qui travaillent dans la banque ou la finance,
08:39 on ne s'attend pas à ce que ce soit une année très florissante non plus,
08:43 avec le contexte international qui en plus de ça vient s'ajouter à tout ça,
08:48 puisqu'on parle de conflits avec les Philippines ou des choses comme ça.
08:51 Les gémants anglo-américains déploient tous ces efforts justement
08:57 pour que la croissance ne reprenne pas en Chine.
08:59 Donc voilà, il y a des vents contraires.
09:02 Alors, vous avez évoqué Axi Jinping, sa croissance, ses objectifs de croissance sont peut-être un peu grippés.
09:11 Mais en tout cas, cela fait dix ans qu'il a lancé un projet pharaonique,
09:14 les routes de la soie, pour résumer,
09:16 2000 milliards de dollars accordés à 160 pays, 21 000 projets à travers le monde.
09:22 C'est donc absolument titanesque.
09:24 Nous pouvons d'ailleurs apercevoir ces routes de la soie sur cette carte réalisée par Choc du Monde.
09:30 On a reproché à Axi des projets qui ont conduit à endetter des pays partenaires
09:35 à hauteur de 1 100 milliards de dollars selon certains médias occidentaux,
09:38 les rendant dépendants de la Chine.
09:40 Alors, Laurent Michelon, les routes de la soie,
09:42 est-ce un cheval de trois chinois ou au contraire,
09:46 une alter mondialisation bénéfique pilotée par la Chine ?
09:50 Si vous voulez, le terme qui est utilisé dans les médias de masse occidentaux de cheval de trois,
09:56 c'est évidemment destiné à ternir l'image de la Chine,
09:59 parce qu'un cheval de trois, c'est pour pénétrer à une place fortifiée par la ruse.
10:06 Or, il y a plus de 140 pays qui participent aux nouvelles routes de la soie.
10:10 Jusqu'à nouvel ordre, ce ne sont pas des pays qui ont été forcés d'entrer,
10:15 au contraire, ils font la queue pour établir des partenariats.
10:19 Il n'y a que certains pays européens, bizarrement, qui sortent des routes de la soie.
10:24 On a vu que fin décembre, l'Italie est sortie des routes de la soie.
10:28 Ce qui est très intéressant, c'est qu'elle est sortie de façon très discrète,
10:32 et en ne donnant pas de raison particulière, sauf en disant que ça n'a pas donné les résultats escomptés.
10:38 Ce qui est absurde, parce que c'est un projet qui a à peine dix ans,
10:42 et qui ne coûte rien, puisque de toute façon, c'est juste de mettre en commun,
10:47 c'est un emballage de projets bilatéraux déjà existants.
10:51 Mais ce que je veux dire, c'est que l'Italie est la seule à être sortie,
10:55 il y a encore 140 pays qui vont profiter des nouvelles routes de la soie.
10:58 L'Italie en sort en disant "ça ne nous a pas apporté de résultats jusqu'à présent,
11:02 mais qu'est-ce qui dit que d'ici cinq ans, ça n'apporterait pas de résultats ?"
11:05 Or, comme ça ne coûte rien, ni à l'État, ni aux entreprises italiennes,
11:08 on se pose la question de pourquoi sortir, on sait très bien pourquoi ils sont sortis,
11:11 ce sont des pressions anglo-américaines.
11:15 Ce qui explique l'absence d'explications sensées.
11:19 Donc ça, c'est une première chose, c'est dire qu'il y a énormément de membres
11:23 qui veulent rejoindre les nouvelles routes de la soie,
11:25 il y a très peu de membres qui en sortent, et ils en sortent uniquement par la coercition américaine.
11:30 Quant à la question du piège de la dette qui est souvent avancée dans les médias occidentaux,
11:36 il y a quand même des dirigeants africains,
11:41 il y a le président du Sri Lanka, il y a le président du Kenya,
11:45 qui ont expliqué que ce n'était absolument pas le cas,
11:47 qu'au contraire, les deux pays étaient bénéficiaires des nouvelles routes de la soie.
11:51 Donc comme toujours, c'est une accusation qui est portée à la Chine,
11:54 sans substance, sans preuve,
11:56 et petit à petit, ce sont les dirigeants des pays concernés qui reviennent mettre les pendules à l'heure.
12:02 Et puis surtout, ce qu'il faut savoir, c'est que quand on accuse la Chine de faire un piège de la dette,
12:06 c'est en fait une projection de ce qu'ont fait les américains à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale
12:11 avec le plan Marshall, qui lui, pour le coup, était vraiment un piège de la dette.
12:14 Donc ils s'imaginent que la Chine, qui devient une puissance économique,
12:17 ne peut pas s'empêcher de faire la même chose qu'eux.
12:19 Vous avez évoqué Vladimir Poutine il y a quelques instants.
12:22 Je voulais justement m'attarder sur la relation russo-chinoise
12:25 qui semble exploser ces derniers temps, enfin petit à petit, depuis deux ans principalement.
12:29 On comprend très bien l'intérêt de Vladimir Poutine de se tourner vers Pékin
12:33 puisqu'il lui faut trouver de nouveaux débouchés face aux sanctions occidentales.
12:37 Mais quel est aussi l'intérêt chinois de s'ouvrir à Moscou ?
12:40 On a souvent accusé Moscou d'être désormais pied et poing lié avec Pékin.
12:47 Est-ce vraiment un partenariat gagnant-gagnant entre Moscou et Pékin ?
12:52 Oui, c'est un partenariat gagnant-gagnant dans le sens où,
12:57 par exemple sur la question de l'opération spéciale en Ukraine,
13:01 la Chine, justement, puisque toute l'Europe s'est fermée à la Russie,
13:06 la Russie s'est tournée vers la Chine.
13:08 Et ce qui serait permis à la Chine, c'est d'abord de pouvoir augmenter
13:12 ses achats d'hydrocarbures à la Russie.
13:15 Il y a quelque chose d'assez significatif qui s'est passé.
13:19 Alors, ce n'est pas quelque chose qui va changer la donne,
13:21 mais c'est très significatif d'un point de vue historique.
13:23 La semaine dernière, le port de Vladivostok,
13:26 qui était un port chinois il y a 160 ans,
13:28 qui avait été donné à la Russie par la dynastie des Qing
13:32 et qui était fermé aux bateaux chinois depuis 160 ans,
13:35 là, la Russie vient d'ouvrir le port de Vladivostok
13:37 pour désenclaver les régions du nord-est chinois
13:40 qui, au lieu d'envoyer leurs marchandises à 1 000 km au sud dans des ports chinois,
13:44 peuvent maintenant les envoyer à 200 km à Vladivostok
13:47 et ensuite les envoyer par bateau dans d'autres ports chinois.
13:50 Donc, ça a permis à la Chine d'avoir un nouveau port,
13:53 qui est d'ailleurs le plus grand port en eau profonde sur le Pacifique pour la Russie,
13:58 de pouvoir l'utiliser à des fins domestiques pour la Chine.
14:01 Donc, ça, c'est une première chose.
14:02 Ensuite, il y a aussi un projet de zone économique spéciale dans la région
14:07 entre Vladivostok et la ville de Harbin,
14:10 qu'on appelait à l'époque Paris de l'Orient,
14:13 et où Pékin a déjà voté des budgets colossaux,
14:19 qui sont plusieurs, je crois que c'est 1,4 trillard de RMB,
14:26 donc c'est colossal,
14:27 pour développer cette région et en faire un petit peu, on va dire,
14:31 comme la région de Hong Kong au sud,
14:34 mais la faire au nord avec une ville russe.
14:37 Donc, si vous voulez, la Chine et la Russie,
14:40 qui ne sont pas des partenaires naturels,
14:43 on aurait dit un contentieux historique très vieux,
14:46 c'est des pays qui se sont longtemps méfiés l'un de l'autre,
14:50 mais la situation, on va dire que l'Occident les a poussés dans les bras l'un de l'autre.
14:55 Et alors, justement, il ne faut pas médire trop sur la Russie
14:58 en disant que la Russie est devenue l'état vassal de la Chine.
15:04 Les deux pays ont des complémentarités très fortes
15:07 et ils mettent bien un point d'honneur à chaque fois
15:12 à dire que ce n'est pas une alliance.
15:14 La Russie et la Chine ne sont pas devenus une alliance militaire contre l'Occident.
15:18 Ils disent que c'est un partenariat stratégique
15:21 et ils se rappellent, j'imagine, de la citation de Bismarck
15:25 qui disait que dans une alliance, il y a toujours un cavalier et une monture.
15:28 Mais ni l'un ni l'autre ne veulent être la monture, évidemment.
15:31 Alors, vous dites que ce n'est pas une alliance militaire,
15:34 alors que si, paraît-il, qualifie Poutine d'amis et c'est réciproque,
15:38 les Russes parlent sans cesse de mondes multipolaires,
15:40 de fin de domination de l'Occident.
15:42 Les Chinois partagent-ils cette ambition
15:44 de vouloir accélérer la fin de l'hégémonie occidentale ?
15:48 Je pense que ça relève un peu du procès d'intention
15:53 de dire qu'ils veulent accélérer.
15:55 Et quand on regarde un peu les discours
15:57 aussi bien de Xi Jinping que de son ministre des Affaires étrangères,
16:01 c'est pas du tout ce qu'ils disent.
16:03 Ce qu'ils veulent accélérer, c'est un monde multipolaire.
16:05 Mais ce n'est pas la chute de l'Occident ou de l'Empire anglo-américain.
16:10 Mais aussi bien Xi Jinping que Vladimir Poutine
16:14 disent que dans un monde multipolaire,
16:16 les États-Unis ne sont qu'un pôle parmi d'autres.
16:20 Maintenant, il y a un pôle russe, un pôle chinois,
16:22 il y a probablement un pôle brésilien et un pôle iranien éventuellement.
16:26 Il s'agit de dire que c'était le système précédent qui était injuste.
16:31 Maintenant, on s'achemine vers un système plus juste.
16:33 Et effectivement, la Chine, comme la Russie,
16:36 mais surtout la Chine,
16:38 essaie de réformer les institutions internationales,
16:40 notamment l'ONU, dans ce sens-là.
16:43 Notamment en proposant d'ouvrir le conseil de sécurité à d'autres pays,
16:47 mais pas à des pays pro-occidentaux,
16:49 comme ils le demandent depuis 15 ans,
16:51 le Japon, l'Allemagne, la Corée,
16:53 ce qui reviendrait à agrandir le rôle de l'Occident.
16:55 Là, la Chine essaie de pousser des États
16:57 comme le Brésil, l'Argentine, le Nigeria,
17:00 des pays comme ça.
17:02 De façon à ce qu'il y ait une vraie représentation
17:04 de la puissance économique des États à l'ONU.
17:09 Le dossier qui fâche le plus peut-être en Occident,
17:12 c'est évidemment celui de Taïwan.
17:14 Avant-hier, Taïwan a affirmé avoir détecté
17:17 deux ballons chinois au-dessus de l'île.
17:19 Aujourd'hui, il y en a d'ailleurs, je crois, quatre.
17:21 Nous pouvons voir une carte réalisée par Chant du Monde,
17:24 celle des zones d'identification de défense aérienne.
17:27 Laurent Michelon, le problème de Taïwan
17:29 est très symbolique en grande partie pour les Chines.
17:31 Mais Pékin et Taïwan sont-ils, j'ai envie de dire,
17:35 condamnés à ne pas pouvoir s'entendre ?
17:37 D'autant plus que Xi Jinping,
17:39 il y a quelques jours, pour le Nouvel An,
17:41 a dit que la Chine serait réunifiée.
17:44 Non, il n'y a pas de fatalité.
17:47 Et surtout, il y a une chose qui est sûre,
17:49 c'est que si on retire de l'équation
17:52 les États-Unis globalement,
17:54 le problème se réglera tout seul
17:56 ou aurait déjà été réglé depuis longtemps.
17:58 Parce qu'aussi bien les Taïwanais que les Chinois,
18:00 depuis 1949, ont reconnu qu'il y avait une seule Chine.
18:04 Alors évidemment, il y avait une ambiguïté
18:06 qui consistait à dire, chacun disait,
18:08 c'est nous les représentants de la Chine.
18:10 Et d'ailleurs, il y a eu une alternance à l'ONU
18:12 pour le siège de représentation de la Chine
18:13 qui était d'abord à Taïwan
18:14 et qui ensuite a été passé à la Chine.
18:16 Mais si vous voulez,
18:17 même depuis le changement de siège à l'ONU
18:20 entre Taïwan et la Chine,
18:22 il n'y a jamais eu de discours belliqueux
18:24 entre les deux entités territoriales.
18:30 Et il y a un commerce qui est florissant,
18:33 il y a plus d'un million de Taïwanais
18:35 qui vivent en Chine,
18:36 qui font toutes leurs affaires en Chine,
18:38 qui sont mariés à des femmes chinoises,
18:39 qui ont des enfants,
18:40 qui voyagent entre les deux endroits.
18:42 Donc il n'y a aucun intérêt, si vous voulez,
18:45 à perturber le statu quo.
18:47 Mais justement, ce que veut
18:49 légèrement anglo-américain,
18:51 c'est perturber le statu quo.
18:52 Et depuis un certain nombre d'années,
18:54 les États-Unis franchissent systématiquement
18:58 la ligne rouge de Pékin
18:59 qui depuis 1949 dit,
19:01 et d'ailleurs c'est une condition
19:03 de signature de reconnaissance diplomatique
19:06 avec la Chine,
19:07 c'est la reconnaissance de la politique
19:08 de la Chine unique.
19:09 Or, les États-Unis,
19:10 qui étaient d'accord également en 1949,
19:12 maintenant mettent à mal cette ligne rouge.
19:17 Ça a été, on va dire,
19:19 le point d'orgue de tout cela,
19:21 ça a été la visite de Nancy Pelosi à Taïwan
19:24 au milieu de l'année dernière,
19:26 qui était une claire provocation
19:28 d'essayer de voir si la Chine
19:29 allait commettre un impair
19:31 qui aurait été très télégénique
19:33 pour les médias occidentaux.
19:34 Ce que la Chine n'a pas fait d'ailleurs.
19:35 Mais, si vous voulez,
19:37 les États-Unis franchissent systématiquement
19:38 la ligne rouge
19:39 de façon tout à fait consciente
19:43 pour essayer de pousser à la faute.
19:45 La Chine est patiente,
19:46 mais elle a bien dit,
19:47 Xi Jinping a dit,
19:48 si Taïwan est, pour une raison ou pour une autre,
19:51 poussé à déclarer son indépendance,
19:54 l'option militaire est sur la table.
19:57 Option militaire,
19:59 ce n'est sans doute pas la seule région,
20:02 zone à proximité de la Chine
20:04 qui pose problème
20:05 puisqu'il y a une autre maison tente,
20:06 c'est bien sûr les revendications en mer de Chine.
20:09 Nous pouvons voir sur cette nouvelle carte
20:11 de choc du monde
20:12 les différentes revendications
20:13 des pays de la région.
20:15 Alors, Laurent Michelon,
20:17 la situation est grave,
20:19 mais peut paraître quelquefois un peu légère
20:21 quand on voit, par exemple,
20:22 les photos du navire
20:23 de la Seconde Guerre mondiale philippine,
20:25 le BMP Sierra Madre,
20:26 que Mani a fait échouer dans les îles Spratlés
20:29 pour contester l'atoll.
20:30 Concrètement,
20:31 une demi-douzaine de marines philippins
20:33 occupent une épave
20:34 pour, pardonnez-moi l'expression,
20:36 emmerder Pékin.
20:37 Mais bon, plus sérieusement,
20:39 les incidents sont récurrents
20:40 et on sait, entre autres,
20:42 que les Philippines sont alliés à Washington.
20:44 Vous l'avez mentionné d'ailleurs
20:45 il y a quelques minutes.
20:47 La situation peut-elle déraper
20:49 en mer de Chine, selon vous, Laurent Michelon ?
20:51 Alors oui, elle peut.
20:53 Elle a plus de chances de déraper
20:55 sur la question philippine, à mon avis,
20:57 que sur la question taïwanaise,
20:58 mais c'est une autre question.
21:00 Oui, elle peut déraper
21:01 parce que pour la simple et bonne raison
21:03 que le président philippin
21:05 n'a pas le choix
21:07 de sa politique étrangère.
21:09 Et ça, on l'a vu dès sa nomination.
21:11 Quand il a été élu,
21:12 son premier voyage a été à Pékin.
21:14 Il a rencontré Xi Jinping.
21:16 Ils ont expliqué,
21:18 ils ont déclaré,
21:19 ils ont une déclaration conjointe,
21:20 qu'ils pensaient que plutôt que
21:22 de déterminer une ligne claire
21:25 entre la zone philippine et la zone chinoise,
21:27 il était plus intelligent
21:28 de co-développer ces régions,
21:30 puisque de toute façon,
21:31 c'est pour des ressources naturelles
21:33 qu'ils se disputent.
21:34 Donc, ils s'étaient mis d'accord
21:36 sur un projet de co-développement de la zone.
21:39 Donc finalement,
21:40 ils n'ont aucune chance de se disputer.
21:42 Et la semaine d'après,
21:44 Lloyd Austin,
21:45 le directeur du Pentagone,
21:46 s'est rendu à Manille
21:48 pour une réunion entre quatre yeux,
21:50 à la suite de laquelle
21:51 le président philippin,
21:53 qui est le fils du président Marcos,
21:56 et dont la fortune est aux États-Unis
21:59 et qu'il est possible
22:01 qu'il soit ramené à un procès
22:04 pour cet argent détourné par son père,
22:07 a fait volte-face.
22:09 Et depuis,
22:10 a mis à disposition des États-Unis
22:12 quatre nouvelles bases aux Philippines.
22:15 Donc, on peut se dire
22:17 qu'il a été retourné comme une crêpe,
22:19 comme on dit communément.
22:20 Mais c'est la triste réalité,
22:22 parce qu'il n'y a aucun intérêt
22:23 à aller se disputer avec la Chine,
22:26 qui de toute façon ne va pas déménager.
22:29 D'autant plus qu'il me semble
22:31 que les Américains sont en train de réinstaller
22:35 l'ancienne base de Guam
22:36 qui avait été utilisée
22:37 pendant la Seconde Guerre mondiale,
22:38 notamment pour bombarder le Japon.
22:40 Je crois que les bombes atomiques
22:42 d'Hiroshima et Nagasaki
22:43 ont décollé de la base américaine de Guam
22:45 et qui est en train d'être rénovée
22:47 par les États-Unis.
22:48 Donc, nous comprenons les tensions
22:50 qui entourent la Chine.
22:52 Selon vous, si je vous ai bien suivi,
22:54 si je vous ai bien compris,
22:55 Laurent Michelon,
22:56 Pékin s'est fait preuve de retenue.
22:59 Et c'est aussi le cas, semble-t-il,
23:01 au Proche et au Moyen-Orient.
23:02 La Chine tient à cet argumentaire
23:06 que vous avez aussi évoqué en déminution.
23:08 Elle a permis un rapprochement
23:10 entre l'Iran et l'Arabie saoudite,
23:12 une relation qui était tendue.
23:13 Et plus récemment,
23:14 elle prône une pacification du conflit gazaoui
23:16 en prônant la solution dite,
23:18 qui est aussi prônée par l'ONU d'ailleurs,
23:20 des deux États,
23:22 avec la création d'un État palestinien.
23:24 Elle a donc court-circuité Washington
23:26 de certaine manière
23:27 et s'oppose à l'administration Biden
23:29 au Proche et au Moyen-Orient
23:31 avec un langage beaucoup plus apaisé.
23:33 Est-ce la piste privilégiée par la diplomatie chinoise ?
23:37 Je veux dire, est-ce justement l'avenir
23:40 de la diplomatie chinoise au Moyen-Orient ?
23:43 Je pense que la diplomatie chinoise
23:46 a compris qu'en face d'elle,
23:47 il n'y avait pas de diplomatie américaine.
23:49 Il n'y avait plus de diplomatie.
23:50 Et donc effectivement,
23:52 la diplomatie chinoise a répété
23:58 ce que le président Xi Jinping
23:59 avait dit il y a deux ans déjà.
24:00 Il avait dit qu'il fallait réparer
24:03 cette injustice historique
24:04 qui était faite aux Palestiniens.
24:05 Mais ça n'a servi à rien.
24:07 La Chine a dépêché un envoyé spécial
24:09 pour la région
24:10 qui a fait le tour des capitales
24:11 dès le déclenchement du conflit,
24:13 mais qui lui aussi,
24:15 il n'y avait pas de raison
24:16 qu'il réussisse plus que ce que les Américains
24:18 ont soi-disant essayé de faire.
24:19 Mais il n'y a pas eu de possibilité
24:21 d'apaiser l'appétit israélien.
24:24 Donc la Chine, je pense,
24:28 a changé son fusil d'épaule
24:29 et on le voit dans la semaine dernière,
24:34 il y a trois jours,
24:35 il y a cinq nouveaux États
24:36 qui ont rejoint les BRICS.
24:37 Et ce sont tous,
24:38 quasiment à l'exception de l'Éthiopie,
24:40 ce sont tous des États de la région.
24:41 Puisqu'il y a l'Arabie Saoudite, l'Iran,
24:43 que la Chine avait réussi à réconcilier
24:45 avec l'aide de la Russie l'année dernière,
24:49 les Émirats Arabes Unis,
24:51 et il y en a un qui m'échappe,
24:53 Iran, Arabie Saoudite,
24:55 Émirat Arabe Unis, Égypte.
24:57 Donc ils sont tous des pays de la région
24:58 qui viennent de rejoindre les BRICS.
25:00 Et ça, plus tous les accords commerciaux
25:03 qui sont passés entre la Chine et l'Arabie Saoudite,
25:05 je pense que c'est en fait la nouvelle politique chinoise,
25:09 d'ailleurs les Russes, je pense, font la même chose,
25:11 dans la région,
25:12 ce qui perturbe énormément les ambitions
25:14 de l'égément anglo-américain
25:16 qui n'était pas habitué à avoir de la concurrence
25:18 dans la région
25:19 et qui petit à petit va se faire pousser
25:21 en dehors de la région,
25:23 d'une région qui d'ailleurs, en Chine,
25:25 on n'appelle pas le Moyen-Orient,
25:27 mais on appelle l'Asie de l'Ouest,
25:29 ce qui est quand même très significatif
25:31 puisque le Moyen-Orient, c'est une appellation,
25:33 on va dire, euro-centrée.
25:35 Là, on appelle ça maintenant l'Asie de l'Ouest.
25:38 Dernière question, Laurent Michelon,
25:40 avant de conclure,
25:41 puisque malheureusement le chronomètre tourne,
25:43 mais si vous deviez conseiller quelque chose
25:45 à Emmanuel Macron
25:46 vis-à-vis de sa politique chinoise,
25:48 que lui diriez-vous ?
25:49 Je lui dirais de faire ce qu'il a dit
25:55 quand il est venu en Chine.
25:57 Et je lui demanderais
26:00 que plutôt que de parler
26:02 d'autonomie stratégique
26:04 de l'Union européenne
26:05 vis-à-vis des États-Unis,
26:06 j'aimerais bien qu'il parle d'autonomie stratégique
26:08 de la France vis-à-vis des États-Unis
26:10 puisqu'il est président français.
26:12 Nous remercions donc Laurent Michelon
26:18 pour ses propos sur la Chine.
26:20 Nous vous remercions vous aussi
26:22 d'avoir suivi ce nouveau numéro
26:24 de Chocs du Monde,
26:25 le magazine des crises
26:26 et de la prospective internationale de TVL.
26:28 Surtout, surtout,
26:30 n'oubliez pas de commenter,
26:31 de partager,
26:32 de liker cette vidéo.
26:34 Merci à tous et à bientôt.
26:36 [Musique]