Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine, est une place importante du rap français. Booba, Salif, les Sages Poètes de la rue... De nombreux rappeurs ont fait leurs armes sur la Place-Haute. C'est ce que raconte l'auteur Nicolas Rogès dans son dernier livre, "Boulogne: une école du rap français". Avec Zoxea et Melopheelo, membres des Sages Poètes de la rue, ils sont revenus sur les éléments qui font la singularité du rap à Boulogne.
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00:00 Boulogne, Ruicasse, déjà tu connais déjà, on est là depuis des années, on en a vu pousser des arbres.
00:04 Boulogne, Ruicasse, déjà tu connais déjà, on est là depuis des années, on en a vu passer des arbres.
00:08 Hey hey, Sash Po, 4-9 !
00:11 C'est ici que ça se passe, niggiz, Nicolas Rogez.
00:14 Yeah, Mélopé, 4-9 !
00:16 Je me suis rendu compte que c'était grâce au Sash Po que j'étais arrivé dans le rap français.
00:25 Au début je ne me rendais pas compte qu'il venait de Boulogne,
00:28 je ne me rendais pas compte non plus que Kondo venait de Boulogne,
00:30 qui est devenu un de mes rapports favoris ensuite par la suite.
00:33 Donc voilà, c'était ça, c'était vraiment un intérêt musical et également un intérêt historique.
00:39 C'est quand même assez incroyable qu'autant d'artistes majeurs dans l'histoire du rap français,
00:43 même de la musique française, aient émergé dans la même ville, voire dans le même quartier,
00:47 où on est en fait ici.
00:49 Donc c'était vraiment intéressant sur ces deux points-là,
00:51 c'était une fascination personnelle et aussi historique finalement.
00:54 C'est vrai que Sash Po est de la rue et est estampillé comme étant les pères fondateurs du rap à Boulogne.
01:04 Il faut savoir quelque chose, c'est que pas loin d'ici, il y avait aussi un autre crew,
01:11 un autre groupe qu'on appelait les Boulogne Posse.
01:14 C'est un groupe pareil, de jeunes, qui étaient réunis autour d'une même passion, le hip-hop.
01:19 Donc ils réunissaient le DJing, la danse, le graffiti, le rap, même le stylisme, la mode.
01:28 Et donc c'est un groupe qui a évolué de son côté.
01:32 Nous, ça a démarré lorsqu'on regardait la télé.
01:36 Le premier groupe qu'on a vu, c'était Break Machine, avec le morceau "Sweet Dance".
01:43 Ça nous a parlé tout de suite parce que ça venait d'ailleurs, c'était une idée en France.
01:47 Par la suite, il y a eu Radio Nova, on a beaucoup écouté.
01:53 Et donc tout ça, ça nous a nourri.
01:57 À l'époque, en fait, on faisait du yaourt.
02:01 On faisait du yaourt, c'était ce qu'on appelle aujourd'hui des toplines.
02:05 Ensuite, on a rencontré Danny, le troisième membre de Sash Po est de la rue.
02:09 On s'est croisé par hasard avec Danny et depuis, on ne s'est pas lâché.
02:14 Donc le rap de Boulogne, il est né un peu comme ça.
02:17 C'est à dire, il y avait certes Sash Po est de la rue et il y avait aussi des gens aux alentours qui travaillent dans leurs coins.
02:25 Pour moi, c'est vraiment une question à la fois de fond, quand tu écoutes les textes de Sash Po est de la rue.
02:39 Mais on peut aussi parler de condo, on peut aussi parler de Booba, de Salif, de Elie.
02:43 Mais quelque chose de très, très fort sur la façon dont il raconte les choses.
02:47 Donc il y a cette alliance entre le fond et la forme qui est pour moi fascinante et qui est assez unique dans le rap français.
02:52 En les écoutant me raconter comment ils construisent leurs albums, comment ils enseignaient aussi à leurs élèves qui étaient en partie sur la place haute,
02:59 les techniques de rap et techniques de rime.
03:01 Moi, c'est quelque chose que je trouvais très intéressant et qui est, je pense, assez unique en France, voire même dans le monde.
03:06 Disons que nous, on était très porté sur la technique.
03:10 C'est vrai qu'au départ, comme Nicolas t'expliquait, il y avait le fond, il y avait la forme.
03:17 Et mélanger, combiner ces deux là, c'était important pour nous.
03:20 C'est à dire de pouvoir délivrer un message, mais tout en mettant de la technique.
03:25 C'était une forme de code qu'on voulait s'approprier pour être unique.
03:33 À Boulogne, on a ce truc où on veut toujours être le meilleur.
03:37 Même entre nous, on était là tous ensemble, tous les membres du Bideboul, les Sages Potes de la rue, Mauvaise Langue, Malécal Mort, Lunatic, Sierdooms,
03:45 puis après Nizé avec Salif et XS.
03:48 Quand on se posait là, il y avait des sortes de joutes verbales et c'était à qui était le meilleur.
03:55 Boulogne est réputé pour être très dans l'image, dans la métaphore.
04:02 Et ça, pareil, chacun a développé à sa manière. Booba le fait d'une certaine manière, Ali pareil, Danny Dan, Mello, moi, Sierdooms.
04:12 Chacun avait vraiment sa façon de retranscrire son quotidien, sa réalité.
04:19 Donc il y a ce truc de Boulogne qui a fait qu'on a pu se démarquer parce qu'entre nous, il y avait une compétition.
04:25 C'est une compétition saine. On essaie tout le temps de se dépasser, d'être vraiment les meilleurs.
04:32 Et ça se ressent puisque chaque artiste ensuite s'est démarqué.
04:37 Le collectif, pour moi, c'est quelque chose de puissant.
04:48 Tout seul, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin. C'est clair.
04:52 Voilà, d'union, de possi, de crew, c'était important.
04:55 Ne serait-ce que même pour une espèce d'esthétique, par exemple, dans les pochettes de rap, de rap outre-Atlantique qu'on aimait bien.
05:05 Quand on ouvrait la pochette, il y avait l'artiste devant et derrière, il y avait tout son groupe.
05:09 Pour avoir une certaine impulsion, pour arriver massif et pouvoir faire du bruit, c'est bien d'être en groupe.
05:14 L'idée du collectif, il faut plus le voir comme une école.
05:16 Comme John City te disait tout à l'heure, on est considéré comme les pères fondateurs.
05:21 Et tous ceux qui s'intéressaient au rap, ils venaient nous voir.
05:24 Et donc, l'idée du collectif s'est imposée en elle-même, tout simplement.
05:28 Moi, ce que je trouve fort aussi à Boulogne, c'est qu'il y avait certes cette notion de collectif très forte,
05:33 mais quand tu regardes, beaucoup des rappeurs de ces collectifs ont fait des carrières solos brillantes par la suite.
05:38 Tous ces gens-là, qui faisaient partie du même collectif, ont finalement réussi à s'extraire de ce collectif sans toujours le quitter,
05:44 mais à faire des choses à leur sauce en se basant justement sur les enseignements qu'ils avaient pu avoir dans le collectif,
05:50 dans le pit de boule, dans les sages pots, etc.
05:52 Et ça, c'est vraiment quelque chose qui est assez fort et qui est singulier aussi, je pense.
05:55 Il y avait un centre de jeunes sur la place qu'on appelait le CAB.
06:05 Et en fait, c'était un centre qui accueillait les jeunes à la sortie de l'école pour faire du soutien scolaire,
06:13 pour faire des activités sportives, etc.
06:15 Et nous, on avait un créneau dans cette salle qu'on utilisait pour pouvoir répéter.
06:22 À un moment donné, il y a quelque chose qui arrive et qui nous plaît.
06:30 Et on voit aussi qu'il plaît aux gens autour de nous.
06:33 On a tout simplement fédéré.
06:35 Les gens, ils ont appris sur le tard, comme nous, on a appris.
06:38 Eux, ils ont appris en nous regardant. Nous, on a appris en un peu regardant aussi du côté des États-Unis.
06:43 Et c'est comme ça que s'est faite la transmission.
06:46 Et au fur et à mesure, comme une pépinière, ça se greffait, un tel, un tel, un tel.
06:51 C'est vraiment ça l'esprit.
06:53 C'est-à-dire que nous, on est arrivés avec le rap.
06:55 Et les gens qui étaient intéressés par cette discipline-là, ils nous ont suivis.
07:06 On voit des artistes qui viennent demander des conseils, mais qui n'hésitent pas à se lancer
07:13 et sans attendre l'aide de qui que ce soit.
07:17 Un peu comme nous aussi, tu vois.
07:19 Je trouve ça très intéressant pour la suite.
07:23 De se dire qu'effectivement, aujourd'hui, avec tous les outils qu'on a à disposition,
07:29 on peut avancer dans la musique.
07:31 Mon souhait aujourd'hui, ce serait qu'il y ait une nouvelle scène de Boulogne,
07:35 comme elle a pu avoir avec le beat de Boulle.
07:37 Je pense qu'il y a les éléments pour, ici.
07:39 Il y a diverses individualités un peu partout.
07:43 Essayez de vous fédérer, faites des choses,
07:45 parce que le collectif, c'est vraiment la clé.
07:47 Il y a deux artistes qui sont mentionnés.
07:49 Il y a Tissemé, dont tu parlais.
07:51 Il y a aussi Thuri, qui sont deux artistes de Boulogne,
07:53 mais qui ont un positionnement artistique relativement différent.
07:55 Et pourtant, ils me disaient qu'ils gardaient quand même le même ancrage.
07:57 Ils savent d'où ils viennent.
07:59 Ils savent ce qu'ont fait les autres avant eux.
08:01 Et la deuxième chose, c'est que, je ne sais pas,
08:03 on peut prendre l'exemple de Benjamin Epps,
08:05 qui est une des têtes d'affiche du rap francophone aujourd'hui,
08:08 qui, dans le même album, mentionne Mélo Philo
08:10 et fait une référence à un texte de Zoxy.
08:12 Et ça, ça veut dire quand même beaucoup de choses.
08:14 Ça veut dire que les artistes de Boulogne ont eu une vraie influence
08:16 sur des artistes d'aujourd'hui qui continuent à faire de la musique
08:18 à très haute échelle.
08:20 Et je pense que c'est une belle histoire aussi d'éternel recommencement,
08:22 comme on dit.
08:24 Donc, vraiment, Boulogne a créé des choses
08:26 et continue à influencer plein d'artistes de plein de générations différentes.
08:28 [Musique]
08:30 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]