Désillusions et suicides : "On manque de vétérinaires"

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00:00 Il y a beaucoup de vétérinaires qui ont une petite désillusion du métier,
00:03 notamment, c'est dû à plusieurs faits,
00:06 mais on manque de vétérinaires déjà, c'est la première chose.
00:10 Donc les cadences sont infernales.
00:12 Au final, quand on travaille en cabinet vétérinaire,
00:15 on a souvent une consultation tous les quart d'heure, toutes les 30 minutes,
00:18 on a une pression énorme.
00:20 Du coup, on pense à la base justement de travailler avec les animaux,
00:24 mais on travaille au final autant avec les gens qu'avec les animaux.
00:26 Beaucoup de monde dit "j'aurais pas pu être médecin,
00:28 je suis fait vétérinaire à cause de ça",
00:30 vous ne soignez que les animaux, mais on soigne les gens aussi.
00:33 Et on est dans la pédiatrie,
00:36 donc il y a un côté irrationnel des propriétaires d'animaux qui est là,
00:42 et on a de plus en plus d'incivilité aussi,
00:44 qui ont poussé par exemple les écoles vétérinaires à faire une campagne
00:47 pour demander, qui dit qu'il y a juste les chiens
00:51 qui ont le droit d'aboyer sur les vétérinaires.
00:53 Incivilité, que vous expliquez comment ?
00:54 On aime tellement nos animaux que des fois,
00:57 nos comportements dépassent l'entendement ?
00:59 Exactement, nous-mêmes au téléphone,
01:01 on les a souvent au téléphone, les incivilités,
01:03 c'est-à-dire que les gens sont paniqués,
01:04 il faut attendre une demi-heure, c'est beaucoup trop long
01:07 d'attendre une demi-heure pour eux,
01:08 pour un animal qui pourrait en attendre plusieurs heures.
01:11 Mais il faut être là tout de suite, il faut arriver tout de suite,
01:13 il faut qu'il soit pris tout de suite.
01:14 Et les gens considèrent qu'on a une obligation de réussite,
01:17 c'est que s'ils payent, il faut que l'animal aille mieux derrière.
01:20 Et c'est comme avec les gens, ça ne marche pas toujours,
01:23 il y a des fois où on ne peut pas,
01:24 et il y a des fois, parfois, c'est des gens qui n'ont pas les moyens aussi.
01:27 Parce que voilà, il y a des frais vétérinaires en un coup,
01:30 et ils aimeraient, tout le monde veut toujours tout faire,
01:32 mais quand il faut annoncer le tarif derrière,
01:34 parfois on est obligé de trouver un compromis
01:36 sur la façon dont on va soigner l'animal.
01:38 Vous racontez dans votre livre aussi qu'il vous est arrivé
01:41 qu'un maître vous tienne responsable de la maladie de son chien
01:44 qui menace de vous poursuivre en justice,
01:46 c'est ça aussi le quotidien ?
01:46 Exactement, j'ai un collègue qui a terminé au conseil d'État.
01:50 Voilà, on a des plaintes, on est menacé d'être mis aux avocats de temps en temps
01:56 pour des choses dont on n'est absolument pas responsable.
01:58 Dans ce cadre-là, ils ont considéré que j'avais déclenché un cancer
02:02 en prenant la température de leur chien.
02:04 Je fais le raccourci de l'histoire, mais au final c'est ça que ça veut dire.
02:07 Ils sont prêts à me mettre à l'avocat pour ça, c'est lunaire comme situation.
02:10 Et la confrontation quotidienne à la maladie et à la mort d'animaux,
02:13 ça peut aussi à la longue jouer sur la santé mentale ?
02:16 Ce n'est pas la partie la plus dure du métier, la confrontation à la mort,
02:19 parce que ça on arrive à se protéger.
02:22 Il y en a toujours quelques-unes qui nous marqueront énormément.
02:24 Il y en a qui m'ont plombé mes journées,
02:25 il y en a qui m'ont empêché de travailler pendant 2-3 jours,
02:27 parce que ça m'a rappelé des situations personnelles.
02:29 C'est surtout quand on va aller dans le personnel de notre côté.
02:32 Sinon, les euthanasies, c'est jamais plaisant de procéder à une euthanasie,
02:36 mais c'est tellement mieux pour les animaux.
02:38 Et paradoxalement, c'est l'intervention pour laquelle je suis le plus remercié au jour le jour.
02:41 C'est là où j'ai le plus de merci.
02:43 On me dit merci, merci, merci d'avoir été là.
02:45 Donc, on a une contrepartie qui est énorme sur ces consultations-là.
02:48 - Vétérinaire, c'est la profession de santé qui a le plus fort taux de suicide ?
02:52 - Exactement, malheureusement.
02:53 Il y a tout ce dont on vient de parler qui pousse à un mal-être de la profession.
02:57 Et malheureusement, on a accès à tous les produits pour savoir comment faire.
03:00 On sait comment faire, malheureusement.
03:02 J'ai personnellement, moi, un de mes meilleurs amis
03:05 qui s'est donné la mort il y a quelques mois.
03:08 Et il y en a eu d'autres entre-temps, depuis déjà.
03:12 Et on est une profession où on sait que ça arrive tout le temps.
03:15 C'est dramatique, mais c'est comme ça.
03:18 Et on essaye... La prévention commence à faire.
03:21 Je suis passé dans une école vétérinaire l'autre jour.
03:23 Ils ont mis en place, ils sensibilisent les jeunes à tout ça.
03:26 Et au final, on reste quand même...
03:27 On travaille chacun dans nos petits cabinets, au final.
03:29 Donc, on est une profession quand même assez isolée.
03:31 On a du mal à appeler. On est des sachants, à la base.
03:33 On n'est pas censés appeler à l'aide.
03:35 Et on se voit mal appeler à l'aide.
03:36 Et tous les appels au secours,
03:38 parce qu'il y a une ligne maintenant qui est dédiée
03:40 aux problèmes des vétérinaires autour de ce mal-être.
03:43 On s'excuse d'appeler quand on ne va pas bien.
03:46 Parce que c'est à nous de soigner.
03:47 Normalement, ce n'est pas à nous d'être soigné.
03:49 - Avec beaucoup de vétérinaires qui se donnent la mort
03:50 en utilisant les produits...
03:53 - Quasiment tous.
03:53 C'est toujours un produit rose.
03:56 On ne va pas donner le nom, mais c'est toujours avec ce produit-là.
03:59 C'est une mort lente.
04:00 C'est une mort lente et douce, on va dire.
04:02 Il n'y a pas de souffrance dans ça. On s'endort.
04:04 - Pierre Fabin, vous entendez souvent
04:06 que vous faites le plus beau métier du monde.
04:08 La réponse est oui, mais...
04:10 Je fais le plus beau métier du monde, mais il y a des à côté.
04:12 Voilà, c'est un métier dur.

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