Entrevue avec Henri Troyat en 1967 lors du passage de l'écrivain au Québec

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00:35 - Notre invité de ce soir, l'académicien Henri Troya,
00:38 est une des figures les plus prestigieuses
00:40 de la littérature française contemporaine.
00:42 Né à Moscou en 1911, il est venu très tôt à Paris
00:45 avec sa famille, fuyant la révolution bolchevique.
00:48 Il a été naturalisé citoyen français.
00:51 Il a reçu pour son roman "La Règne"
00:53 le prix Goncourt à l'âge de 27 ans.
00:56 Il est entré à l'Académie française à l'âge de 48 ans.
00:58 C'est donc un jeune immortel.
01:00 Surtout à travers la quarantaine d'ouvrages
01:02 qui ont établi sa notoriété,
01:04 qu'il s'agisse de "Temps que la Terre durera",
01:07 "Les semailles et les moissons", "Les égletières"
01:10 ou "La lumière des justes", qui ont amené les critiques
01:12 à le comparer à Tolstoy,
01:14 à qui il a d'ailleurs consacré une énorme biographie,
01:17 après celle d'Ostoyevski, de Lermontov, de Pushkin.
01:21 À travers donc cette oeuvre qui prend de plus en plus
01:23 les apparences d'un monument,
01:25 Henri Troya demeure un des rares écrivains
01:28 professionnels de notre époque,
01:30 c'est-à-dire un homme qui écrit tous les jours,
01:32 qui ne fait que cela, qui ne vit que de cela,
01:35 un phénomène qui, sauf erreur, n'existe pas encore
01:38 au Canada français.
01:40 Mesdames, messieurs, j'ai maintenant l'honneur
01:42 d'accueillir en studio M. Henri Troya.
01:44 (applaudissements)
01:48 M. Troya, selon l'usage antique et solennel,
01:50 je devrais vous appeler "cher maître".
01:52 - Surtout pas.
01:54 - C'est comme j'avais lu que vous aviez déjà déclaré
01:56 ne pas être en faveur de ce terme-là,
01:59 je vous appellerai donc "monsieur".
02:01 Vous n'allez être pas moins académicien.
02:03 Qu'est-ce que c'est, aujourd'hui, dans notre société,
02:05 qu'un académicien, qu'un membre de l'Académie française?
02:08 Ça correspond à quoi?
02:10 - C'est un honneur.
02:12 - C'est un honneur.
02:14 - C'est un honneur.
02:16 - C'est un honneur.
02:18 - C'est un honneur.
02:20 - C'est un honneur.
02:22 - C'est un honneur.
02:24 - C'est un honneur.
02:26 - C'est un honneur.
02:28 - C'est un honneur.
02:30 - C'est un honneur.
02:32 - C'est un honneur.
02:34 - C'est un honneur.
02:36 - C'est un honneur.
02:38 - C'est un honneur.
02:40 - C'est un honneur.
02:42 - C'est un honneur.
02:44 - C'est un honneur.
02:46 - C'est un honneur.
02:48 - C'est un honneur.
02:50 - C'est un honneur.
02:52 - C'est un honneur.
02:54 - C'est un honneur.
02:56 - C'est un honneur.
02:58 - C'est un honneur.
03:00 - C'est un honneur.
03:02 - C'est un honneur.
03:04 - C'est un honneur.
03:06 - C'est un honneur.
03:08 - C'est un honneur.
03:10 - C'est un honneur.
03:12 - C'est un honneur.
03:14 - C'est un honneur.
03:16 - C'est un honneur.
03:18 - C'est un honneur.
03:20 - C'est un honneur.
03:22 - C'est un honneur.
03:24 - C'est un honneur.
03:26 - C'est un honneur.
03:28 - C'est un honneur.
03:30 - C'est un honneur.
03:32 - C'est un honneur.
03:34 - C'est un honneur.
03:36 - C'est un honneur.
03:38 - C'est un honneur.
03:40 - C'est un honneur.
03:42 - C'est un honneur.
03:44 - C'est un honneur.
03:46 - Oui, l'épreuve de la réception, ça, c'est véritablement une épreuve.
03:50 D'abord parce qu'il faut être dans cet habit,
03:53 dans ce fameux habit qui n'est pas vert, d'ailleurs.
03:56 On dit à tort que c'est un habit vert.
03:58 Il est bleu avec les broderies vertes.
04:00 - Il devient vert avec les années.
04:02 - Non, c'est un excellent tissu.
04:04 Ce sont d'excellentes broderies.
04:06 Tout cela ne bouge pas.
04:08 Mais ce qui est assez terrible, c'est que lorsqu'on arrive
04:11 à l'académie pour le jour de la réception,
04:13 il y a un détachement des gardes républicains
04:16 et les tambours sonnent.
04:18 Vous vous avancez entre vos parrains.
04:21 Pour moi, c'était Moriac et Morois.
04:24 Et vous avez l'impression, en écoutant ces tambours qui résonnent,
04:28 d'abord que vous avez la respiration coupée,
04:31 le coeur qui vous descend dans les talons,
04:34 et vous avez l'impression que vous montez à l'échafaud
04:37 pour un cri étrange.
04:39 Et vous faites quelques pas et vous ne pensez plus à l'échafaud.
04:42 Vous entrez dans une arène pour une mise à mort.
04:45 Vous débouchez dans un hémicycle.
04:47 Il y a plein de visages autour de vous.
04:50 Et tout à coup, à ce moment-là, vous comprenez
04:52 que vous n'êtes pas un taureau, que vous êtes plutôt un académicien.
04:55 Et vous allez vous asseoir.
04:57 Et le directeur de l'académie, le directeur en exercice,
05:00 vous demande de prononcer ce que l'on appelle votre remerciement.
05:04 C'est-à-dire un discours dans lequel vous faites l'éloge
05:07 de votre prédécesseur.
05:09 - Dans votre cas, c'était Claude Farré.
05:11 - Vous prononcez cet éloge.
05:13 La voix est tranglée.
05:15 Et quand c'est fini, vous êtes très content.
05:17 - En ce temps-là, vous croyez mourir.
05:19 Et parce que vous ne mourrez pas, vous vous apercevez
05:22 que vous êtes devenu mortel. - Exactement.
05:24 C'est la seule fois qu'on a cette impression, d'ailleurs.
05:27 - Mais le métier d'académicien, si je puis m'exprimer comme ci,
05:30 comporte aussi d'autres corvées.
05:32 Par exemple, la corvée des prix.
05:34 Vous décernez des prix de vertu.
05:36 Vous décernez combien de prix?
05:38 - Ah, non, non. Alors ça, je ne sais pas.
05:41 Il y a une foule de prix à décerner.
05:43 C'est-à-dire qu'il y a des tas de braves gens,
05:45 en mourant, nous laissent des legs,
05:47 en nous demandant de décerner des prix pour des livres
05:50 traitant de telle ou telle question ou de telle et telle région.
05:53 Et finalement, cette poussière de prix est assez absurde.
05:56 Et nous voudrions nous en débarrasser.
05:58 C'est ce que nous essayons de faire, d'ailleurs, actuellement,
06:01 en groupant ces prix en prix plus importants.
06:04 Mais il y a tout de même, à l'Académie française,
06:07 2 ou 3 prix qui sont très... qui doivent marquer.
06:10 Et l'un d'entre eux est un prix auquel je tiens beaucoup.
06:13 C'est le prix du roman de l'Académie française.
06:16 Je voudrais que le prix du roman de l'Académie française
06:19 fût l'équivalent du prix Goncourt.
06:21 Il n'y a aucune raison qu'il ne le soit pas,
06:23 puisque, au fond, le comité qui est chargé de décerner ce prix
06:26 se compose d'écrivains tels que, enfin, Maurois autrefois,
06:30 Mauriac... il y avait du Hamel qui en faisait partie autrefois aussi.
06:34 Enfin, actuellement, c'est Mauriac, c'est Jules Romain,
06:37 c'est Monterland, c'est Chanson.
06:39 Il y a des gens tout de même qui sont des romanciers eux-mêmes
06:42 et qui, je crois, sont capables de porter un bon jugement
06:45 sur le livre d'un de leurs confrères.
06:47 - Et qui, en principe, ont au moins autant de discernement
06:50 que les membres du Goncourt.
06:51 - Ah, ça, je ne l'ai pas dit.
06:53 - Alors, il y a aussi, mais de façon hebdomadaire,
06:56 tous les jeudis, le travail du dictionnaire.
06:58 - Oui, le dictionnaire.
07:00 - Vous avez parlé tout à l'heure. En quoi ça consiste-t-il?
07:03 Parce que les gens qui ne sont pas au courant
07:05 font volontiers des gorges chaudes sur la lenteur
07:08 du dictionnaire.
07:09 - Oui, mais il faut comprendre d'abord que nous travaillons
07:12 une heure par semaine, ce n'est pas énorme.
07:14 Et puis, il y a une commission du dictionnaire
07:17 qui prépare le travail, c'est-à-dire qu'elle examine
07:20 la dernière édition du dictionnaire qui remonte à 30 ans,
07:23 je crois, quelque chose comme ça, et elle propose des changements,
07:26 des modifications.
07:27 Ces modifications, nous les examinons en séance,
07:29 nous les acceptons, nous les rejetons,
07:31 on introduit des mots nouveaux.
07:33 Et au fond, tout cela, c'est un travail très amusant,
07:35 mais assez long, parce que pour le moindre mot,
07:38 pour le moindre définition, il s'agit des discussions naisses
07:41 et des discussions entre une trentaine,
07:43 une vingtaine de personnes.
07:45 Eh bien, ce n'est pas facile à conduire.
07:47 - Et quand vous êtes entré en 1960, on en était à la lettre C.
07:50 En fait, le mot qu'on a examiné, c'était "catain".
07:53 - Exactement. Je suis entré avec le mot "catain".
07:55 - Vous en êtes toujours à la lettre C.
07:57 - Oui, mais... oui, oui, oui, mais "catain", c'est fini.
08:00 - Ah oui, oui! J'espère.
08:01 On a raconté qu'il y avait eu un mot dans la lettre C,
08:04 un mot de trois lettres qui venait tout de suite
08:07 de la montesse sur laquelle vous avez consacré
08:10 des séances à huis clos.
08:11 - Eh bien, nous avons été obligés de voter.
08:13 - Oui. - Oui, et on a refusé ce mot.
08:15 Et savez-vous pourquoi nous l'avons refusé?
08:18 Moi, j'étais partisan, d'ailleurs,
08:20 de le mettre dans le dictionnaire,
08:22 mais enfin, nous l'avons refusé parce qu'aucun dictionnaire
08:24 de langue française, même le plus moderne,
08:26 même le Robert, qui accueille tous les mots d'Argot,
08:29 n'avait pas accueilli ce mot-là.
08:31 Et nous nous sommes dit, tout de même,
08:33 ce n'est pas à nous d'être les pionniers dans cette histoire.
08:36 - Cacher ce mot que je ne saurais voir.
08:39 (rires)
08:41 Et pour revenir aux académiciens,
08:43 qui sont maintenant 39,
08:45 il y a combien d'écrivains, d'écrivains engagés
08:49 dans la littérature, d'écrivains professionnels sur 39?
08:52 Parce qu'on voit aussi qu'il y a beaucoup de...
08:54 - Oui, il y a des savants, il y a des...
08:56 Il y a des savants, oui.
08:57 Écoutez, de vrais écrivains, en comprenant, alors,
09:00 les historiens et les journalistes et critiques d'art,
09:03 écoutez, je crois que ça doit se monter quand même
09:06 à 25, à peu près, 25-30.
09:09 - Et est-ce que ce sont surtout ceux-là qui...
09:11 - Mais non, vous savez, il y a par exemple des savants,
09:13 vous avez un homme comme Jean Rostand,
09:15 qui est un merveilleux écrivain, qui est...
09:17 - Ah, d'accord. Je parlais surtout des littéraires.
09:19 Est-ce que ce sont uniquement ces gens-là
09:21 qui travaillent au dictionnaire ou c'est...
09:23 - La commission du dictionnaire, oui, ce...
09:25 Je crois que ce sont plutôt les littéraires qui...
09:27 Moi, je n'en fais pas partie.
09:28 Ce sont plutôt les anciens
09:30 qui se chargent de préparer le dictionnaire.
09:32 - Est-ce que vous allez régulièrement à l'académie?
09:35 - Assez, oui, j'aime bien ça.
09:36 Moi, ça m'amuse beaucoup et puis j'habite à côté.
09:38 - Vous n'auriez pas d'excuses.
09:40 Mais est-ce que les séances sont austères
09:42 ou si elles sont relativement...
09:44 - Ah non, non, non, non. Les séances sont très amusantes.
09:46 Vous savez, il y a tout de même là 40 bonshommes
09:50 qui ont énormément d'esprit, une culture extraordinaire.
09:54 Et des discussions entre 40 esprits de cette valeur-là,
09:58 enfin, mettons 39, je vais m'excuter,
10:00 entre 39 personnes de cette qualité-là,
10:02 ça prend tout de suite une grande hauteur.
10:05 Et quand c'est drôle, c'est réellement très drôle.
10:08 Vous avez des gens comme François Ponsey,
10:10 un homme qui est d'une drôlerie extraordinaire,
10:12 on ne le croirait pas.
10:13 Eh bien, c'est un homme qui fait des calembours étonnants,
10:15 les meilleurs calembours que j'ai jamais entendus
10:17 sur les calembours de François Ponsey.
10:19 Pagnol est très drôle, Achard est très drôle,
10:22 Genevoix est très drôle.
10:24 Enfin, non, non, non, nous avons beaucoup de bout en train.
10:26 - Mais je vois que le fait d'être un académicien
10:29 ne vous donne pas pour autant cette dignité compassée
10:32 qui était de mise autrefois en ce qui vous concerne.
10:34 - Ah non, non, non, l'académie se modérise.
10:36 Nous sommes pour le sourire.
10:38 - Le fait qu'elle ait accueilli des écrivains
10:40 où vous étiez de Benjamin à ce moment-là, 48 ans.
10:42 - Oui, oui.
10:43 - Et vous êtes maintenant dans l'ordre d'ancienneté, le...
10:46 - Oui, c'est-à-dire dans l'ordre d'ancienneté,
10:48 alors ça, c'est assez tragique.
10:49 Quand je suis entré, donc, j'étais le 40e,
10:51 je suis entré en 59, nous sommes en 67,
10:55 et je crois bien que je suis le 20e.
10:57 20 morts depuis mon entrée à l'académie.
11:00 - Et vous étiez peut-être le premier écrivain français
11:04 d'origine russe à rentrer?
11:06 - Oui.
11:08 - Parce que vous êtes d'origine russe,
11:10 et de ça, maintenant, je voudrais vous parler.
11:12 Vous êtes né à Moscou en 1911,
11:14 donc vous aviez 8 ans au moment de la révolution bolchévique.
11:17 Est-ce que vous avez des souvenirs d'enfance
11:20 qui, malgré tout, sont assez précis de cette période-là?
11:23 - Euh... oui et non.
11:25 C'est-à-dire que j'ai des souvenirs d'enfants
11:27 ou alors qui sont vagues,
11:29 fragmentaires et que je n'arrive pas à situer dans le temps.
11:33 Ou alors des souvenirs assez précis
11:36 d'un moment tragique de notre fuite de Russie.
11:39 Mais je ne sais plus au juste quels sont mes vrais souvenirs,
11:43 mes souvenirs à moi, parce que mes parents m'ont tellement parlé
11:47 de leur passé, m'ont tellement parlé de leur vie en Russie autrefois,
11:51 et je les interrogeais tellement à ce sujet,
11:54 je leur demandais tellement de détails,
11:56 que finalement, grâce à leur récit,
11:58 je suis arrivé à me construire une espèce de Russie intérieure
12:02 faite de cartes postales, de lectures,
12:06 de choses entendues, entendues 100 fois.
12:10 Et c'est cette Russie-là,
12:13 cette Russie qui est probablement fausse,
12:15 mais qui me nourrit, qui nourrit mes livres.
12:17 - Mais est-ce que vous avez déjà eu la tentation
12:20 de confronter la réalité soviétique moderne
12:22 avec le souvenir d'enfance que vous en aviez?
12:25 - Oui, bien sûr, bien sûr.
12:27 Je ne suis pas encore retourné en Union soviétique.
12:30 Je pense y aller l'année prochaine, d'ailleurs.
12:33 Et j'y vais avec beaucoup d'espoir et beaucoup d'angoisse
12:37 en même temps, parce que je me dis qu'il va y avoir un moment
12:40 où cette masse de souvenirs, ce sortilège intérieur
12:43 va se trouver confronté avec...
12:46 Pardon, avec une réalité dure, présente.
12:49 Et je me demande si, au contact de cette réalité,
12:52 qu'est la réalité des paysages, la réalité des visages,
12:55 tout ce que je portais en moi,
12:57 cette espèce de petite patrie intérieure,
12:59 tout cela n'allait pas s'effondrer
13:01 et ne laisser place qu'à une sorte de grand vide.
13:04 - Est-ce que vous croyez que votre maison natale
13:06 existe encore à Moscou?
13:08 - Oui, oui, oui, elle existe encore à Moscou.
13:10 Ça, je le sais, parce que mon frère est allé à Moscou
13:13 il y a quelques... trois ans, je crois.
13:15 Il est allé photographier notre maison natale,
13:17 qui entre-temps était devenue...
13:19 faisait partie, enfin, du ministère des Sports.
13:22 Et comme il photographiait l'entrée, le planton,
13:24 il lui a dit "Mais entrez donc, je vous en prie."
13:27 Il a dit au planton "Je suis né dans cette maison."
13:30 Très gentiment, il lui a fait visiter toutes les pièces.
13:33 Il est monté au premier, au second,
13:35 il est allé partout et il expliquait
13:37 aux fonctionnaires qui étaient installés là.
13:39 "Ça, c'était le bureau de mon père,
13:41 "là, c'était notre salle à manger, là, c'était le salon."
13:44 Et puis il est arrivé dans sa chambre accouchée,
13:46 il a dit "Là, c'était ma chambre accouchée."
13:48 Et cette chambre accouchée était devenue la section du football.
13:51 Et on lui a dit "Alors, derrière cette porte, qu'y avait-il?"
13:55 Il dit "Eh bien, derrière cette porte,
13:57 "couchait ma gouvernante."
13:59 Éclat de rire général, parce qu'enfin,
14:01 c'était comme s'il avait parlé de la plésiosaure.
14:03 On se demandait quand même si on pouvait...
14:05 - "Gouvernante"? - Ça n'existe plus, on dit.
14:07 - Ça n'existe plus. - Mais ça existait.
14:09 Et c'est votre gouvernante qui vous a appris à parler français?
14:11 - C'est ma gouvernante, qui était suisse d'origine,
14:13 qui m'a appris à parler français.
14:15 Ce qui fait que lorsque je suis arrivé en France
14:17 à l'âge de 8 ans, je parlais le français
14:19 aussi bien que le russe.
14:21 Je me faisais des amis parmi ces petits garçons français.
14:24 Mais tout de même, je sentais que j'étais différent d'eux,
14:27 qu'il y avait quelque chose qui ne collait pas.
14:30 Et je comprenais très bien qu'eux,
14:32 lorsqu'ils quittaient la classe pour rentrer chez eux à la maison,
14:36 ils ne quittaient pas la France.
14:38 Ils ne changeaient pas de pays.
14:40 Tandis que moi, lorsque je quittais la classe
14:42 pour rentrer à la maison, eh bien,
14:44 je quittais la France pour me plonger en pleine Russie.
14:47 Parce qu'à la maison, tout le monde,
14:49 parce qu'à la maison, tout était russe.
14:52 Les conversations, les espoirs, la nostalgie, les livres,
14:55 tout était russe.
14:57 Et j'avais cette sensation étrange de vivre
15:00 la moitié de la journée à Paris
15:03 et l'autre moitié de la journée à Moscou.
15:06 J'avançais d'une démarche un peu boiteuse,
15:09 un pied sur la réalité française
15:11 et un pied sur les nuages russes.
15:14 Et puis, mon Dieu, peu à peu,
15:16 une espèce d'équilibre s'est établi
15:18 entre ces deux pays,
15:21 l'un intérieur, irréel,
15:24 et l'autre qui m'entourait, qui bourdonnait autour de moi.
15:28 Un équilibre s'est établi,
15:30 et j'ai senti que, peu à peu, je devenais français.
15:33 Et il s'est passé une chose très curieuse à ce moment-là.
15:36 C'est que mes parents, au début de leur installation en France,
15:40 étaient évidemment persuadés, comme tous les émigrés russes,
15:43 que le régime bolchevique allait s'effondrer d'un jour à l'autre
15:47 et qu'ils allaient pouvoir retourner très vite en Russie.
15:50 Et moi, comme je m'étais fait beaucoup d'amis
15:53 parmi les petits Français,
15:55 secrètement, j'avais peur que leurs rêves ne se réalisent.
15:59 Et avec les années qui passaient,
16:01 leur espoir baissait et le mien grandissait.
16:04 Et je souffrais de ne pas pouvoir être d'accord avec eux sur ce point.
16:09 Et lorsqu'ils ont perdu tout espoir de retourner en Russie,
16:12 j'ai éprouvé un immense soulagement.
16:14 Je n'ai pas osé leur dire...
16:16 Alors, oui, voilà, les choses se passaient bizarrement comme ça.
16:21 Je me sentais pris peu à peu par le pays,
16:25 par les visages, par les paysages français.
16:29 Je me sentais imprégné peu à peu par l'esprit français.
16:36 C'est difficile de déterminer les étapes d'une francisation.
16:42 Je crois qu'au début, un petit garçon, un petit émigré,
16:48 commence par se dire,
16:50 en regardant les choses qui l'entourent à Paris, par exemple,
16:54 Notre-Dame, la place de la Concorde, le Louvre,
17:00 il se dit qu'ils ont de belles choses chez eux.
17:03 Et puis, les années passent et on se surprend à penser...
17:08 Nous avons de belles choses chez nous.
17:11 Et à ce moment-là, alors on est bien près d'être français.
17:15 Et puis, on s'aperçoit qu'on se met à rêver en français.
17:19 Et puis, on écrit en français.
17:23 Et à ce moment-là, on est réellement français.
17:26 Il reste tout de même toujours quelque chose d'un peu russe.
17:29 Que les Français se plaisent, d'ailleurs, à tâcher de décider...
17:32 Je crois que dans des moments très graves,
17:35 il y a peut-être quelque chose de russe qui réapparaît.
17:38 J'ai l'impression, par exemple, que si quelqu'un venait derrière moi,
17:41 et me met un grand coup de marteau sur la tête,
17:43 tout de suite, j'écrirais "Aïe" avec l'accent russe.
17:45 Voilà une chose que ça fait.
17:47 (Rires)
17:49 - Quelles étaient vos lectures d'adolescent?
17:51 Est-ce que vous lisiez en français?
17:53 - Je lisais en français, bien entendu.
17:56 J'étais passionné de littérature française.
17:58 Mais je voulais absolument lire "Les âmes mortes" de Gogol
18:03 parce que mes parents m'en avaient parlé
18:06 et que l'histoire de cet homme qui achetait
18:09 les âmes mortes à droite et à gauche,
18:11 les propriétaires fonciers,
18:13 je trouvais ça très, très amusant, très drôle.
18:16 Mais la langue de Gogol n'était pas facile à assimiler pour moi.
18:21 Et comme je n'avais pas fait d'études en russe,
18:24 je parlais russe couramment, mais je ne savais pas lire.
18:27 Et alors, j'ai appris à lire, au fond,
18:30 dans Pushkin, que je lisais à haute voix à mes parents.
18:33 J'ai lu également "Guerre et paix" à haute voix à mes parents
18:36 en plus, pour pouvoir lire "Les âmes mortes".
18:39 - Et chez les auteurs français, quelles étaient vos préférences?
18:42 - Bon, bien, écoutez, mes préférences, c'était, vous savez,
18:45 c'était Flaubert, c'était Stendhal...
18:48 - Balzac. - Et je sais, Balzac, bien sûr.
18:50 Et je sais que lorsque je voulais devenir écrivain à tout prix,
18:53 enfin, ça m'a pris très jeune, ce désir de devenir écrivain.
18:55 - Oui, j'allais vous poser la question à quel âge ça vous a pris.
18:58 - Oh, je crois vers 10 ans, 12 ans.
19:01 Ah oui, oui, j'écrivais un journal à la main
19:03 que je prêtais pour un... moyennant un sou à mes camarades.
19:06 C'était les débuts, ça. Et puis...
19:08 - Les premiers droits d'auteur. - Les premiers droits d'auteur.
19:11 Et puis ensuite, je me suis mis à écrire en verre
19:13 parce que j'estimais que c'était des choix
19:15 que de s'exprimer autrement.
19:17 Et j'ai écrit en verre, je crois, tous mes devoirs,
19:19 comme ça, jusqu'à la classe de philo.
19:21 En philo, je n'ai plus pu écrire en verre,
19:23 alors je me suis carrément dirigé vers la prose.
19:25 - Mais est-ce que vous... déjà, à ce moment-là,
19:27 vous rêviez d'une carrière d'écrivain,
19:29 que vous étiez sûr de vous faire cette carrière?
19:31 - Oh, non, pas du tout. Je rêvais d'une carrière d'écrivain.
19:34 Je ne savais pas... Je voulais être écrivain ou peintre ou...
19:37 Mais surtout écrivain, je crois.
19:39 Mais j'étais persuadé que je ne ferais pas de carrière,
19:42 que je serais un raté, un lamentable.
19:44 Non, non, non, ça, je ne croyais absolument pas
19:46 que je réussirais, mais je travaillais.
19:48 Et je travaillais d'une façon assez curieuse.
19:50 Je travaillais mon style. Je voulais absolument
19:52 me forger un style pour pouvoir écrire des livres,
19:54 les livres qui me trottaient par la tête.
19:56 Et je procédais de la façon suivante.
19:58 Je lisais à haute voix une page de Flaubert, par exemple,
20:00 et puis je fermais le livre et j'essayais de reproduire
20:03 par le souvenir dans une page de Flaubert.
20:06 Et quand j'avais écrit à peu près la même chose,
20:09 je comparais les deux textes et j'essayais de savoir
20:12 pourquoi Flaubert n'avait pas écrit ce que j'avais écrit moi.
20:15 (rires)
20:17 - Et vous avez éprouvé le besoin quand même
20:19 de vous préparer à un métier qui puisse vous assurer
20:22 une certaine sécurité matérielle.
20:24 - Oui, bien sûr. Bien sûr.
20:26 Comme tout le monde, j'ai fait ma licence en droit
20:28 et j'ai présenté un concours pour être rédacteur
20:34 à la préfecture de la Seine.
20:36 - J'ai lu ça dans des notes, que vous étiez devenu rédacteur
20:38 à la préfecture de la Seine et je me suis toujours demandé
20:40 ce que vous pouviez rédiger à la préfecture de la Seine.
20:42 - Mais je ne rédigeais pas, j'étais au service des budgets,
20:44 j'additionnais.
20:46 (rires)
20:48 - Et vous avez conservé ce métier assez longtemps,
20:51 même après le concours.
20:52 - Ah oui, oui, j'ai conservé ce métier après le concours
20:54 parce que quand j'ai eu le prix concours, je me suis dit,
20:57 "Ah, c'est très joli, ils se sont probablement trompés.
20:58 Il ne faut surtout pas que je m'imagine
21:00 que je vais continuer à avoir du succès."
21:04 Et alors, je suis resté à la préfecture de la Seine.
21:07 - Vous êtes resté quatre ans, je crois, quatre ans.
21:09 - Je suis resté encore quatre ans, oui.
21:11 - On anticipe. Votre premier roman, "Faux jour", date de 1935.
21:14 - C'est ça. - Vous aviez à ce moment-là
21:16 donc 24 ans. - C'est ça, oui.
21:19 - Et vous avez eu le prix populiste.
21:21 - C'est ça. Je faisais mon service militaire à ce moment-là,
21:23 à Metz. - Et quand vous êtes revenu
21:25 du service militaire, vous avez pris cet emploi
21:27 donc comme rédacteur de... - Préfecteur de la Seine
21:30 au service des budgets. - Au service des budgets.
21:33 Et en 38, c'est le prix concours.
21:35 - C'est le prix concours. - Le prix concours,
21:37 normalement, c'est la consécration, tu sais.
21:39 - Oui, bien sûr. - C'est un événement important
21:41 dans la vie. - Oui, oui, mais ça fait peur.
21:43 Ça fait peur parce que vous savez, quand on est...
21:45 On est un écrivain habitué à tirer à 3 000 exemplaires,
21:48 3 500 exemplaires, puis tout à coup, avant la guerre,
21:51 le prix concours, c'était 100 000, 150 000 exemplaires.
21:54 Actuellement, c'est le double, sinon le triple.
21:57 Mais quand un écrivain qui vendait 3 500 exemplaires
22:01 se voit tout à coup à la tête, si j'ose dire,
22:04 de 100 000 ou de 150 000 lecteurs, c'est effrayant
22:08 parce qu'on se dit, maintenant, il s'agit de le mériter.
22:12 - Mais est-ce que c'est parce que vous avez toujours été
22:15 plutôt pessimiste que vous réagissiez comme ça?
22:18 - Ah oui, oui, je suis plutôt pessimiste de tempérament.
22:21 - Je pense qu'il y avait même dans votre famille un surnom
22:23 qui vous était donné à ce sujet-là.
22:26 - Ah, d'où avez-vous appris ça?
22:28 (rires)
22:30 - Ah oui, oui, on m'appelle M. Crinle-Pyrre.
22:32 - M. Crinle-Pyrre.
22:34 - Oui, oui, parce que j'ai toujours l'impression
22:36 qu'une catastrophe va m'arriver.
22:38 Et je me demande d'ailleurs si ça ne provient pas, au fond,
22:40 tout simplement du fait que j'ai été obligé de quitter la Russie
22:42 dans des conditions assez tragiques
22:44 et que, inconsciemment, je... j'avais vu...
22:48 Enfin, j'avais vu mes parents, qui avaient une situation
22:51 très solide en Russie, qui, du jour au lendemain,
22:53 avaient tout perdu, et cela m'est resté.
22:55 Et au fond, j'ai l'impression que rien n'est jamais acquis,
22:57 que tout peut être remis en question.
22:59 - C'est donc ça qui vous a amené à garder votre poste
23:02 pendant quatre ans après avoir reçu le Prix Goncourt,
23:04 mais vous l'avez quitté. - Oui.
23:06 - Et en même temps, vous avez quitté le genre premier
23:08 que vous aviez au moins dans la facture,
23:10 donc d'écrire des ouvrages relativement courts
23:13 pour aborder de grandes fresques.
23:16 C'était l'époque de "Temps que la terre durera".
23:18 Comment avez-vous opéré ce passage
23:20 des oeuvres courtes aux oeuvres longues?
23:22 - Oui. Eh bien, écoutez, ça s'est passé
23:24 d'une façon très simple.
23:26 Euh...
23:28 Tout de suite après "La Règne",
23:30 j'écrivais une biographie.
23:32 C'était la biographie de Dostoyevsky.
23:34 Et automatiquement, étant donné qu'il s'agissait
23:36 d'une biographie, d'une vie entière,
23:38 et de quel homme, et de l'oeuvre entière,
23:40 et quelle oeuvre, j'ai été obligé
23:42 à briser ce cadre étroit des 300 pages.
23:46 Et par-dessus le marché, un éditeur m'avait demandé
23:50 de raconter des souvenirs de mes parents,
23:53 une forme de mémoire.
23:55 Et cela m'avait tenté,
23:58 mais je me disais, si je dois raconter
24:01 les souvenirs de mes parents,
24:03 plus mes souvenirs personnels sur la Russie,
24:05 je ne pourrais pas m'écarter de la vérité.
24:08 Je serais... je serais bridé dans mon travail.
24:11 Alors j'ai préféré faire un roman
24:14 avec ces souvenirs,
24:16 avec ce fond de souvenirs.
24:18 Et ce roman, j'ai commencé à l'écrire
24:21 donc tout de suite après la guerre,
24:23 tout de suite après la défaite,
24:25 sous l'occupation allemande.
24:27 Or, il n'était pas question,
24:28 sous l'occupation allemande,
24:29 de publier un livre
24:31 dont le sujet se situerait en pucilles.
24:34 Et d'autre part, il n'y avait pas de papier.
24:37 Ce qui fait que j'étais tout à fait à l'aise.
24:39 J'écrivais mon livre sur la Russie,
24:40 j'annonçais des pages et des pages,
24:42 avec le sentiment qu'on ne le publierait peut-être jamais.
24:45 Et c'est ce qui m'a permis, je crois,
24:47 d'écrire un livre de cette ampleur,
24:49 de cette importance.
24:50 - Et vous avez continué par la suite.
24:53 Mais ce qui frappe
24:55 quand on considère l'ensemble de votre oeuvre,
24:57 c'est que vous avez chaque fois...
24:59 Vous vous êtes lancé presque un défi à vous-même.
25:01 Vous avez renouvelé vos thèmes.
25:03 Après avoir parlé de la Russie,
25:05 vous avez voulu prendre une famille moyenne française.
25:07 - Oui, oui. Vous savez, au fond,
25:09 je trouve que ce n'est pas amusant
25:10 d'écrire toujours la même chose.
25:11 Alors il faut essayer de changer,
25:13 ou en tout cas, se donner l'illusion
25:15 qu'on change de manière à ce qu'on a.
25:17 Alors par exemple, comme vous le dites,
25:19 après "Temps que la terre du râle",
25:21 qui était un livre dont l'action se déroulait en Russie,
25:23 avec beaucoup d'événements historiques à l'arrière-plan,
25:27 des personnages très typés, très haut en couleur,
25:31 eh bien, tout de suite après cela,
25:33 j'ai voulu écrire un roman
25:35 qui serait en quelque sorte l'opposé de celui-ci.
25:40 C'est-à-dire un roman qui serait tout en grisaille,
25:43 en demi-teinte, qui se passerait en France,
25:46 parmi de petites gens,
25:47 où il n'y aurait pas de grands événements historiques,
25:49 où les étapes importantes d'une vie seraient marquées
25:52 tout simplement par des fiançailles, un mariage,
25:55 une mort, une naissance.
25:56 Et j'ai écrit "Les Smiles et les Moissons".
25:58 Après "Les Smiles et les Moissons",
25:59 je me suis dit, bon, il ne faut surtout pas recommencer.
26:01 Je vais écrire quelque chose qui sera d'un tout autre style,
26:04 qui sera un roman qui se passera en Russie,
26:06 à l'époque des décembristes,
26:08 parce que les décembristes sont des personnages
26:10 que je trouve passionnants, fascinants.
26:12 Et j'ai écrit donc cinq livres qui forment une suite
26:17 intitulée "La lumière des Justes".
26:19 Et après ça, je me suis dit, bon, bien, maintenant,
26:21 il faut changer absolument, faire quelque chose de très différent.
26:23 Et j'ai écrit un roman qui se passe en France,
26:26 à l'époque moderne, un roman en trois volumes,
26:28 intitulé "Les Aigletières".
26:30 Et c'est ça qui est amusant, c'est de changer chaque fois.
26:32 - Bien, ça nous amènerait directement à vous interroger
26:35 sur votre métier et la façon dont vous le concevez.
26:39 Mais auparavant, je voudrais vous poser
26:41 la petite question suivante.
26:43 Pour qui écrivez-vous?
26:46 - Pour moi?
26:47 - Ah!
26:48 - Oui, pour qui voulez-vous que j'écrive?
26:50 - Est-ce que vous écrivez en fonction d'un certain public?
26:52 - Non, non, on ne connaît pas son public.
26:54 On ne le connaît pas.
26:55 On écrit, vous savez...
26:56 Les gens de théâtre connaissent leur public,
26:58 parce qu'ils peuvent...
26:59 Ils vont...
27:00 Ils voient la queue qui s'allonge devant les dichets
27:02 ou alors ils se placent dans les coulisses,
27:04 ils écoutent les gens rire, applaudir, c'est merveilleux.
27:06 Mais un auteur de roman, il est enfermé dans son bureau,
27:09 il noircit du papier, le livre paraît,
27:11 il lit des critiques plus ou moins agréables,
27:14 il reçoit quelques lettres de lecteurs,
27:16 mais il ne sait pas qui sont réellement ces lecteurs.
27:18 Il ne les rencontre jamais.
27:20 - Eh bien, c'est en fonction de ça que nous avons effectué,
27:23 il y a quelques jours, une enquête
27:25 auprès de quelques bibliothécaires
27:27 et quelques libraires afin de découvrir
27:29 quel est le visage du lecteur moyen d'Henri Troyen.
27:32 Et voici les résultats de cette petite enquête.
27:35 - Bien, c'était un lecteur qui...
27:38 qui s'y connaît en bonne littérature,
27:41 c'est un liturge du roman et qui ne lit pas...
27:45 qui veut des choses bien écrites et qui sont assez connues.
27:49 - C'est surtout un public de 30 ans, 35 ans,
27:53 mais en avançant, naturellement.
27:56 Et puis c'est un public qui s'y était remarqué,
28:00 c'est un public qui aime... qui apprend la musique russe,
28:03 qui demandera les volumes de Troyen.
28:06 Et surtout ses romans.
28:09 Et puis on peut bien dire hommes et femmes,
28:12 mais surtout les femmes.
28:14 - Alors, le lecteur d'Henri Troyen,
28:16 c'est surtout des femmes, n'est-ce pas?
28:18 Des femmes, des jeunes, 20, 25 ans,
28:22 et des moins jeunes aussi, qui approchent là 55, 60 ans.
28:27 Et les jeunes, naturellement,
28:30 préfèrent le roman dans leur collection Gélu,
28:34 mais là, nos clientes, nous, que nous servons régulièrement
28:37 du Troyen, elles prennent les éditions,
28:41 les plus belles éditions.
28:43 - Les deux premiers témoignages étaient ceux de bibliothécaires,
28:47 le troisième, d'une libraire.
28:49 Et voici maintenant le témoignage d'un autre libraire
28:52 qui est le représentant à Montréal de votre éditeur Flammarion.
28:56 - Ses biographies, surtout un public masculin.
29:03 Ses romans, surtout un public féminin.
29:10 Parmi ses romans, enfin, si je puis dire, ses nouvelles,
29:15 alors là, très éclectiques,
29:17 dans le sens que ça déroute un peu les dames
29:20 et qu'on voit à la fois hommes et dames qui achètent,
29:23 qui lisent ces nouvelles-là.
29:25 Ce sont les seules nouvelles, d'ailleurs, que le Troyen a écrite.
29:28 Maintenant, dans son...
29:31 Dans ses romans,
29:34 les Elgétières, en fait, ne touchent pas le même public
29:39 que ses premiers romans russes, de sa série des romans russes.
29:45 À ce moment-là, on a l'impression
29:48 que ça s'adresse à un public beaucoup plus large.
29:51 Côté âge, presque pas de jeunes.
29:55 Presque pas, sauf peut-être pour ses tout premiers romans.
29:59 Et encore.
30:01 On peut dire, en fait, que ce ne sont que les adultes
30:04 qui lisent du Troyen.
30:06 Chaque fois qu'il y a une nouveauté Troyen,
30:09 nous avons toujours énormément de gens qui attendent après.
30:13 Chaque nouveauté annoncée dans ce jour en littéraire
30:18 nous donne une énorme demande.
30:21 Et sauf, je vous dis, un des derniers bouquins de Troyen,
30:26 enfin, son recueil de nouvelles,
30:28 qui a un peu dérouté les gens.
30:31 Enfin, le lecteur habituel de Troyen,
30:33 dans ses nouvelles, n'a pas mordu à Troyen.
30:35 En fait, Troyen, de par son style,
30:37 de par sa conception du roman même,
30:40 a une série de, je dirais, lectrices fidèles.
30:45 Et quand il change de son style, avec ses nouvelles,
30:48 à ce moment-là, les lectrices se sentent un peu perdues.
30:52 Je crois que son titre qui s'est peut-être revenu le plus
30:56 serait "Les Samaïs et les Moissons".
30:58 Et parmi ses biographies, Dostoevsky.
31:01 Sans le doute, enfin, à mon avis.
31:03 Maintenant, le dernier bouquin qu'il a sorti,
31:06 "Les Aigletières" avec le dernier volume "La Malandre",
31:09 marche très, très bien.
31:11 Marche, disons, comme un roman normal de Troyen.
31:14 C'est-à-dire que c'est le livre qui se vend tout seul.
31:18 On n'a pas besoin de le pousser ni quoi que ce soit.
31:21 Le monsieur est connu et solidement ancré dans la littérature.
31:24 Alors, qu'est-ce que vous en pensez?
31:26 - Je ne suis pas plus avancé.
31:28 - On essaie quand même que vous ayez un public de lectrices.
31:31 - De lectrices. - Pour les romans.
31:33 - C'est ça. - Et public de lecteurs,
31:35 surtout. - De lecteurs pour les biographies.
31:37 Mais ça, on peut le dire de n'importe quel écrivain, je crois.
31:40 Je crois que dans l'ensemble, ce sont les lectrices
31:43 qui s'intéressent le plus aux romans, aux genres romanesques.
31:46 - Il y avait une autre remarque qui était faite par le libraire.
31:49 Il y a quelques instants, à un moment, on disait
31:52 que le libraire, ça se vend tout seul.
31:54 On n'a pas besoin de le pousser. - Oui, c'est affreux.
31:57 - Est-ce que ça s'écrit tout seul, l'ouvrage de Troya?
32:00 - Non, ça ne s'écrit pas tout seul.
32:02 C'est difficile à faire.
32:04 - Ce qui m'a épaté, quand j'ai commencé à étudier
32:07 la façon dont vous travaillez...
32:09 J'ai lu que vous travaillez de 10 h du matin
32:12 à 1 h de l'après-midi, tous les jours,
32:15 et de 3 h de l'après-midi à 8 h du soir, tous les jours.
32:19 - Oui. - Debout. Vous écrivez "debout".
32:21 8 h par jour. - Oui.
32:23 - Pourquoi "debout"?
32:25 - Parce que je trouve que c'est plus commode.
32:28 Quand on est assis, comme je le suis ici, on écrit.
32:31 On voudrait faire un tour, on est obligé de repousser sa chaise.
32:34 Alors moi, j'ai besoin de marcher un petit peu entre 2 phrases
32:37 pour me rafraîchir les idées.
32:39 Alors quand j'écris "debout", c'est beaucoup plus simple.
32:42 Je n'ai pas de chaise à repousser.
32:44 - Et pourquoi 8 h par jour? Parce que ça paraît beau.
32:47 - 8 h par jour, non, c'est pas énorme.
32:50 Ça veut dire que pendant ces 8 h, il m'arrive d'écrire 2 lignes.
32:52 Mais il faut s'astreindre à un horaire fixe.
32:55 Il faut se soumettre à une certaine discipline.
32:58 Parce que si on écrivait que lorsqu'on est saisi par l'inspiration,
33:03 on n'écrivrait à peu près jamais.
33:05 On entre dans son bureau, on s'installe, on grogne,
33:08 on commence à travailler, la phrase ne vient pas,
33:11 on souffre pendant des heures, et puis tout à coup,
33:14 on ne sait pas pourquoi, au bout de 3 h quelquefois,
33:17 au bout de 5 h, quelque chose se déclenche,
33:20 le texte commence à naître à peu près comme on le souhaite.
33:24 Mais il faut se réchauffer.
33:27 Et c'est pour ça que je préfère personnellement
33:31 travailler très régulièrement.
33:33 Et puis il faut rester dans le bain d'un livre.
33:36 Il faut continuer, creuser toujours le même sillon.
33:39 C'est très important, ça.
33:41 - Et vous avez déjà dit que vous écrivez
33:44 dans une sorte d'angoisse.
33:46 Mais est-ce qu'il s'agit d'une angoisse superficielle,
33:48 une angoisse qu'on pourrait appeler "littéraire",
33:50 ou s'il s'agit vraiment d'un tourment réel d'écrire?
33:53 - Non, c'est un tourment réel, surtout lorsqu'il s'agit
33:56 d'un roman, parce que vous tirez tout de votre tête,
33:59 ou en tout cas, de quelques observations
34:02 que vous avez faites à l'extérieur.
34:04 Vous construisez votre roman, mais jusqu'à la dernière page,
34:07 jusqu'à la dernière ligne, vous ne savez pas si ça tiendra.
34:10 Vous êtes comme un monsieur qui fait un château de cartes
34:13 et qui ne sait pas si au moment où il posera la dernière carte
34:16 ou la dernière, tout peut être remis en question à chaque seconde.
34:19 On n'est jamais sûr de rien.
34:21 Alors, un roman, c'est une question continuelle,
34:24 c'est une tourmente continuelle.
34:26 Tant qu'on l'imagine, c'est merveilleux.
34:28 C'est merveilleux, on va faire des choses étonnantes.
34:31 Vous savez, le...
34:33 Quand j'ai les mains dans les poches et le nez au vent,
34:35 je me prends pour Dieu le Père, mais quand j'ai la plume
34:38 au bout des doigts, je ne suis qu'un misérable écrivain.
34:40 - C'est vous qui dites misérable.
34:42 - Ah, si, si, si, c'est difficile, c'est très difficile.
34:44 Alors, on n'a pas du tout cette sensation, en revanche,
34:46 lorsqu'on écrit une biographie.
34:48 Parce que dans une biographie,
34:51 la vie du personnage vous est donnée.
34:54 Vous savez quand il naît, quand il meurt, ce qui lui arrive.
34:57 Vous n'avez pas la liberté de changer quoi que ce soit.
35:00 Vous êtes entouré de documents, vous êtes sur des rails
35:03 et vous avez une locomotive extraordinaire
35:05 qui s'appelle Dostoyevsky ou qui s'appelle Tolstoy
35:07 qui vous tire. Bon, c'est parfait.
35:09 Donc, on travaille dans un sentiment de profonde sécurité.
35:13 Mais, mais alors, en revanche,
35:16 votre imagination étant laissée en repos,
35:19 vous n'avez pas le même plaisir de création.
35:23 Vous vous sentez un petit peu frustré,
35:26 vous sentez qu'il y a une part de vous
35:28 qui ne participe pas totalement au travail.
35:31 - Et pourtant, dans l'un comme dans l'autre cas,
35:33 puisque vous avez fait les deux, ce qui caractérise,
35:36 entre autres choses, votre façon d'écrire,
35:39 c'est ce souci extrême du détail,
35:41 mais du moindre détail.
35:43 Dans vos oeuvres romanesques, dans celles où vous avez,
35:46 par exemple, essayé de recréer la Russie
35:48 que vous n'avez pas connue,
35:49 sauf à travers les souvenirs de vos parents,
35:51 on sent qu'il est important pour vous de savoir
35:53 quelle température il faisait ce jour-là, le jour, par exemple...
35:56 - Ah oui, c'est très important. C'est très important.
35:58 Mais même si je ne m'en sers pas.
36:00 - Vous avez un souci du détail qui, de l'extérieur,
36:02 paraîtrait presque malaisif.
36:04 On vous imagine avec un système de fiches et...
36:06 - Ah non, non, non. Jamais de fiches.
36:08 Je suis très désordonné.
36:10 Je prends des notes sur des bouts de papier comme ça,
36:12 je les fous n'importe où, j'ai du mal à les retrouver ensuite.
36:15 Non, ce qui fait...
36:17 Pour créer, pour recréer un pays, un temps,
36:22 eh bien, il faut évidemment prendre des détails
36:25 de tous les côtés.
36:26 Mais il faut faire très attention également
36:28 de ne pas étouffer le livre
36:30 sous un excès de notation pittoresque.
36:34 Il faut que l'histoire ne soit pas alourdie
36:39 par un manteau de paillettes.
36:41 Mais beaucoup de ces détails,
36:44 même si vous ne les placez pas,
36:47 sont très importants pour vous, pour vous, auteurs.
36:51 Parce que, par exemple,
36:54 si j'étais très heureux de découvrir
36:57 quel était le prix qu'il fallait payer
37:00 pour aller en traîneau de tel endroit à tel endroit
37:03 en Sibérie et combien il y avait de relais, etc.,
37:06 j'ai été très heureux de découvrir cela.
37:09 Non parce que j'allais le mettre dans mon livre,
37:11 d'ailleurs, je ne l'ai pas mis,
37:13 mais parce que, sachant combien mon héros allait payer
37:17 pour aller de tel endroit à tel endroit,
37:19 j'avais l'impression que ce héros existait réellement.
37:22 Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
37:24 C'est un espèce de détail authentique
37:26 qui, tout à coup, authentifie tout le reste.
37:28 Et ça, c'est très important
37:30 pour votre sensation personnelle d'écrivain.
37:33 - Vous parlez d'authentifier un héros,
37:35 même lorsqu'il s'agit d'un héros imaginaire.
37:38 Et ça me pousse à vous poser la question suivante.
37:40 Est-ce que les personnages que vous créez,
37:42 que vous inventez, vivent réellement
37:44 d'une vie autonome pour vous?
37:46 Est-ce qu'il leur arrive de faire des choses
37:48 que vous n'aviez pas prévues?
37:50 - Ah oui, bien sûr! C'est même à ce moment-là
37:52 que ça devient amusant.
37:54 Un personnage que vous créez, bon, vous lui donnez
37:56 une certaine vie et puis vous le lancez dans une aventure.
37:58 Tant que vous le guidez réellement,
38:00 tant qu'il suit pas à pas le plan que vous avez tracé,
38:02 eh bien, le livre n'est pas bon.
38:04 Mais à partir du moment où vous sentez qu'il vous échappe,
38:07 qu'il prend la tangente, qu'il fait des choses
38:09 que vous ne voudriez pas qu'il fasse
38:11 et qu'il ne veut pas faire ou qu'il ne peut pas faire
38:13 des choses que vous voudriez lui faire faire,
38:15 parce que s'il les faisait, ces choses-là,
38:17 elle serait en contradiction avec le caractère
38:19 que vous lui avez donné, eh bien, à ce moment-là,
38:21 c'est que votre romance, c'est que votre livre
38:23 commence à vivre, c'est que ça devient bon,
38:25 c'est que ça devient de la chair.
38:27 - Alors, vous avez parallèlement ce travail de romancier
38:30 dont vous venez de parler, vous avez donc écrit
38:32 des biographies, vous m'avez dit il y a quelques minutes
38:34 que ça correspondait à une sorte de besoin de sécurité
38:37 par rapport à l'oeuvre à entreprendre.
38:39 - Non, c'est-à-dire que ça me procure
38:41 un sentiment de sécurité.
38:43 - Mais qu'est-ce qui vous a poussé précisément
38:45 vers ces auteurs-là, Dostoyevsky, Lermontov, Pushkin
38:48 et surtout Tolstoy de dernière date,
38:50 plutôt que Gogol, que Turgenev,
38:52 ou plutôt que des écrivains français?
38:54 - Eh bien, plutôt que Gogol que Turgenev,
38:56 ça, c'est tout simplement parce que ça s'est trouvé comme ça
38:59 et que j'avais envie de faire
39:02 un Dostoyev... un Gogol.
39:04 On m'a demandé un Dostoyevsky parce qu'à l'époque,
39:06 Gogol n'était pas assez connu.
39:08 Et que le Tolstoy, on me l'a demandé à corps et à cri
39:10 et que je ne voulais pas le faire parce que c'est
39:12 un travail gigantesque et finalement, je l'ai fait.
39:14 Maintenant, je vais faire le Gogol.
39:16 Maintenant, ce qui m'a poussé à choisir des auteurs russes,
39:18 c'est tout simplement parce que je lis couramment le russe
39:20 et que cela me permet d'accéder
39:23 à des archives qui ne sont pas connues
39:26 du public français.
39:28 - Voulez-vous parler brièvement de l'entreprise Tolstoy
39:31 parce que je sais que vous y avez consacré
39:33 deux années complètes de votre vie
39:35 et que vous avez accumulé une série de notes,
39:37 de documents, c'était incroyable.
39:39 - Oui, pour l'affaire Tolstoy, ce qui était compliqué,
39:41 c'était justement l'abondance de documents.
39:44 Il y en avait trop.
39:46 Vous savez, les oeuvres complètes de Tolstoy
39:50 dans l'édition soviétique du centenaire
39:53 comportent 90 gros volumes.
39:56 Voilà. Alors, ses oeuvres, son journal et ses notes.
40:00 Ajoutez à cela toute la correspondance de sa femme,
40:04 les journaux intimes de sa femme,
40:06 ses filles tenaient des journaux intimes,
40:08 ses secrétaires ont tenu des journaux intimes.
40:11 Chaque fois que quelqu'un allait lui rendre visite,
40:13 il rentrait chez lui, il écrivait un livre sur Tolstoy,
40:16 sur ce que Tolstoy lui avait dit ou ne lui avait pas dit.
40:18 Et finalement, c'est une montagne de documents
40:21 qu'il faut compulser pour arriver à se renseigner sur Tolstoy.
40:26 Bien entendu, tous ces documents, on ne peut pas les utiliser,
40:28 on ne veut pas les citer.
40:30 Notre travail, c'est d'essayer d'éclairer un document par un autre,
40:33 d'essayer de résoudre les contradictions
40:35 qu'il y a entre les différents documents,
40:37 et ça, c'est une besogne terrible.
40:41 Et alors, ce qu'il y avait de très difficile dans Tolstoy,
40:44 c'était que le personnage est contradictoire,
40:46 il change continuellement, il a une opinion un jour,
40:49 le lendemain, il a une opinion diamétralement opposée
40:52 qu'il soutient avec la même virulence.
40:54 Et j'ai cru bien faire
40:58 en ne le simplifiant pas,
41:00 en lui laissant justement ce côté absurde de contradiction.
41:04 Il y a une chose insensée chez Tolstoy.
41:07 Tolstoy, il n'y a pas un Tolstoy, il y a deux hommes.
41:10 Il y a deux hommes cousus dans la même peau,
41:12 un assete et un voluptueux, qui s'entre-déchirent,
41:14 qui se griffent l'un à l'autre.
41:16 Et au fond, Tolstoy est un homme
41:18 qui a souffert toute sa vie durant
41:20 de ne pas pouvoir accorder ses pensées et ses actes.
41:24 C'était un assète, il voulait être un assète,
41:28 et il prêchait la chasteté dans le mariage,
41:31 il a fait 13 enfants, sa femme.
41:33 Il voulait être pauvre,
41:35 mais même lorsqu'il a renoncé à ses biens,
41:38 il a vécu d'une manière très large dans sa famille.
41:41 Il voulait vivre dans un désert,
41:43 et plus il devenait célèbre, plus sa propriété
41:46 des jas népaliennes recevait de visiteurs et d'adorateurs.
41:51 Il voulait être mis au banc de la société,
41:53 et lorsque l'Église l'a excommuniée après Résurrection,
41:56 c'est à ce moment-là que sa gloire est devenue la plus forte.
42:00 Il voulait être exilé ou jeté en prison,
42:03 et c'était ses adeptes qui étaient exilés ou jetés en prison,
42:06 et lui, il restait bien au chaud chez lui.
42:08 Alors au fond, on a la sensation d'un homme
42:10 qui se jette contre les murs, qui crie,
42:12 qui tape les murs avec ses poings,
42:14 mais les murs sont matelassés,
42:16 les gardiens ont reçu la consigne
42:18 de le traiter avec bienveillance.
42:20 Et au fond, si le...
42:23 si le drame de certains hommes,
42:27 de certains criminels, est de n'être jamais châtié,
42:30 le drame de Tolstoy,
42:32 c'est de ne pouvoir jamais se placer totalement en martyr.
42:36 Dostoevsky disait que, ah, si j'avais la fortune
42:42 et le calme dans lequel travaille Tolstoy,
42:45 eh bien, j'écrirais des livres admirables.
42:47 Et Tolstoy se disait, si seulement je pouvais souffrir
42:52 autant que Dostoevsky,
42:54 c'est lui qui a été envoyé en exil,
42:56 lui qui a subi des travaux forcés,
42:58 au moins, je serais un vrai martyr.
43:00 Il souffrait de n'être pas un vrai martyr.
43:02 - C'est un personnage assez drôle.
43:04 - C'est assez étonnant, car au fond, quoi,
43:06 Tolstoy est un homme qui était malheureux d'être heureux.
43:09 Et je trouve que c'est un thème merveilleux à une époque
43:12 où nous sommes tous plus ou moins tournés
43:15 vers la conquête des biens matériels de ce monde.
43:19 - En somme, tout au long de cette carrière littéraire
43:21 que nous venons d'esquisser à grand trait,
43:23 vous avez constamment vécu dans la compagnie de héros,
43:27 des héros authentiques que vous essayez de reconstituer,
43:31 de refaire, de faire revivre,
43:34 et des héros sortis de votre imagination.
43:37 Et ces gens réels ou imaginaires occupent vos esprits,
43:42 occupent la plus grande partie de vos pensées.
43:45 - Oui, oui.
43:47 - Et est-ce que ça suppose une certaine dose
43:51 de naïveté au sens le plus gentil du terme, là,
43:54 pour vivre constamment avec des gens comme ça?
43:56 - Ah oui, mais bien entendu, mais bien entendu.
43:58 Mais je crois que la première qualité d'un romancier,
44:00 c'est d'être naïf.
44:01 On ne peut pas être un romancier si on n'est pas naïf,
44:03 car il faut une sacrée dose de naïveté
44:05 pour croire à la réalité de personnages
44:08 qu'on a inventés soi-même.
44:10 Et si on ne croit pas à la réalité de ces personnages,
44:13 comment voulez-vous que les lecteurs y croient?
44:15 Il faut être naïf.
44:18 Il faut de plus avoir la possibilité
44:22 de sauter d'un personnage dans un autre,
44:25 de se mettre dans la peau d'une jeune fille,
44:29 d'une enfant, d'une fillette, d'un petit garçon,
44:31 d'un vieillard.
44:32 Enfin, il faut changer...
44:33 Il faut être une sorte de frégolie.
44:35 Et puis, et puis, je crois...
44:37 Enfin, ça, c'est une opinion de la personnelle.
44:39 Je crois qu'il faut surtout éviter de juger ces personnages,
44:42 éviter de les condamner ou de les absoudre.
44:46 Parce qu'à partir du moment où un écrivain ou un auteur
44:49 intervient dans la vie de ces personnages,
44:52 eh bien, ils faussent le jeu et ils rompent le charme.
44:57 Tout à coup, ces personnages ne sont plus seuls à jouer.
45:02 Il y a une ombre qui se penche au-dessus d'eux.
45:04 Ça, c'est pas très bon, je crois.
45:06 - C'est votre conception du roman.
45:08 - C'est ma conception, bien sûr.
45:10 - Et il y a évidemment des critiques qui, en 1967,
45:12 ont tendance à dire "Henri Troya est un excellent romancier",
45:15 mais plutôt un romancier du 19e siècle.
45:17 Ce n'est pas le romancier engagé, comme il faut l'être,
45:20 et il ne fait pas ce qu'on appelle le nouveau roman.
45:23 Qu'est-ce que vous répondez à ce genre de critique?
45:26 - Oui, alors attendez, il y a 3 choses
45:28 dans ce que vous venez de me dire.
45:30 Donc d'abord, je serai un écrivain du 19e siècle.
45:33 Alors, cela me paraît matériellement impossible,
45:36 parce que quand un homme vit à notre époque,
45:40 il est, qu'il le veuille ou non,
45:43 marqué par les affiches, par le cinéma,
45:46 par la télévision, par la voiture,
45:48 par le rythme de la vie, par les titres de journaux,
45:51 il lui est absolument impossible
45:53 d'être un écrivain du 19e siècle.
45:55 Il écrit à la façon du 20e siècle.
45:58 Bon, ça, c'est la 1re histoire.
46:00 Deuxièmement, le roman engagé...
46:02 - L'engagement... - Non, mais ce sont 2 choses...
46:04 - Du romancier, oui. - Oui, mais attention.
46:06 Encore une fois, vous avez le roman engagé,
46:08 vous avez le nouveau roman.
46:10 Ce sont 2 choses très différentes.
46:12 - Attendez. - Ça n'a rien à voir.
46:14 Parce que les gens du roman engagé,
46:17 les tenants du roman engagé,
46:19 disent qu'il ne faut écrire de roman
46:23 que si l'histoire de ce roman se rattache à un événement
46:26 et à une signification politique ou sociale.
46:29 Et les gens du nouveau roman, au contraire,
46:32 se détachent de l'événement
46:34 et veulent que l'oeuvre ne soit ni politique ni sociale
46:37 et soit suspendue dans le vide et vaille par elle-même.
46:41 Alors, il se passe évidemment une chose,
46:43 c'est que les gens du roman engagé
46:45 vomissent les gens du nouveau roman
46:47 et les gens du nouveau roman vomissent les gens du roman engagé.
46:51 - Comment vous citez ce que vous... - Cela dit,
46:53 c'est évident qu'on peut vomir ce que l'on aime
46:55 et aimer ce que l'on vomit,
46:57 mais, en fait, ça, ce sont des subtilités.
46:59 Maintenant, alors, en ce qui me concerne,
47:02 je trouve que les gens du roman engagé
47:06 m'inquiètent parce que...
47:09 Ils sont inquiétants parce que...
47:12 Ils écrivent des livres pour prouver quelque chose.
47:14 Ils écrivent des romans pour prouver quelque chose.
47:16 Et cela, ça me paraît dangereux parce qu'à partir du moment
47:19 où un personnage devient le prétexte d'une démonstration,
47:22 il perd de la chaleur, il perd de la vie.
47:25 Ça devient une sorte d'essai philosophique
47:27 animé par des syllogismes à deux pattes.
47:30 - Pourquoi écrivez-vous des romans ?
47:32 - Pourquoi j'écris des romans, moi ?
47:34 Eh bien, moi, j'écris des romans pour essayer de...
47:38 Pour essayer de rendre ce qui aurait pu être
47:41 aussi plausible, aussi chaud, si vrai que ce qui est.
47:45 - Vous plaisez donc à vous considérer
47:47 comme un monsieur qui raconte des histoires.
47:49 - Oui, moi, je suis un monsieur qui raconte des histoires.
47:51 Je n'en ai pas honte.
47:52 J'aime énormément raconter des histoires.
47:54 J'espère que j'en raconterai encore beaucoup.
47:56 - Nous l'espérons aussi.
47:57 Mais alors, à l'égard de cette technique du nouveau roman...
48:00 - Alors, le nouveau roman, les auteurs qui font du nouveau roman
48:03 ont dans l'ensemble énormément de talents.
48:06 Je trouve qu'ils sont pourris de talents.
48:08 La seule chose que je pourrais leur reprocher,
48:10 c'est d'être trop intelligent, justement,
48:12 de manquer de cette naïveté dont je parlais tout à l'heure.
48:15 Ils s'enferment dans un système.
48:17 Et c'est là qu'est le danger.
48:19 Il y a un danger de sécheresse et de déshumanisation
48:23 dans cet excès de technique.
48:25 Au fond, quand un auteur s'installe à sa table de travail,
48:29 ce doit être parce qu'il est poussé
48:31 par une nécessité intérieure profonde
48:34 et non parce qu'il a envie d'essayer une nouvelle technique.
48:38 Je crois que des auteurs aussi originaux
48:40 que Dostoevsky, que Proust, que Kafka,
48:45 quand ils s'asseyaient à leur table de travail,
48:47 eh bien, ne se disaient pas
48:49 "Comment vais-je écrire ce livre
48:51 "de façon à ce qu'il ne ressemble à rien
48:53 "de ce qui a été fait avant moi?"
48:55 Ils écrivaient ce livre d'une façon spontanée
48:58 parce qu'ils ne pouvaient pas écrire autrement,
49:00 parce que cela correspondait, chez eux,
49:02 à un certain bouillonnement du cerveau
49:05 ou à une certaine musculature du poignet.
49:07 Ils ne pouvaient pas écrire autrement.
49:10 Je crains que chez les auteurs de nouveaux romans,
49:16 il y ait trop de cervelle et pas assez de tripe.
49:19 C'est une maladie très grave.
49:21 Il ne faut pas avoir la tête froide quand on écrit un roman.
49:24 On ne peut pas écrire et se regarder écrire.
49:27 Il ne faut pas que le lecteur lise et se regarde lire.
49:30 Un écrivain doit écrire
49:32 quand il est poussé par une nécessité intérieure.
49:34 Et le lecteur, quand il lit les oeuvres de cet écrivain,
49:37 ne doit pas penser à cet écrivain.
49:39 Il doit oublier que cet écrivain existe.
49:41 C'est à partir de ce moment-là qu'il y a une communion
49:43 entre l'écrivain et le lecteur.
49:45 À partir de ce moment-là,
49:46 on peut parler d'une réussite littéraire.
49:48 Les gens du nouveau roman, pour en revenir à cela,
49:52 sont, au fond, hantés par cette phrase de Paul Valéry.
49:57 Paul Valéry disait qu'il n'écrirait jamais un roman
50:00 parce qu'il ne pourrait jamais, à un moment donné,
50:03 mettre "La marquise" sorti à 5 heures.
50:05 Eh bien, c'est exactement l'obsession des gens du nouveau roman.
50:10 C'est l'obsession de "La marquise".
50:12 Et pour ce qu'ils font,
50:14 ils empêchent "La marquise" de sortir.
50:16 Ils l'enferment dans une chambre et ils l'obligent à écrire un roman
50:19 où elle raconte ce qui lui serait peut-être arrivé
50:21 si elle était d'aventure sortie vers les 5 heures.
50:24 Alors, c'est là le danger, à mon avis.
50:28 C'est là le danger.
50:29 Il ne faut pas truquer, il ne faut pas tarabiscoter.
50:32 Il faut que le roman naisse directement
50:36 des tripes d'un individu
50:38 et qu'il ne passe pas par sa cervelle avant.
50:41 - Alors, est-ce que vous croyez que l'avenir du nouveau roman
50:45 est compromis par les excès mêmes que vous venez de décrire?
50:48 - Je crois que le nouveau roman aura été très utile.
50:51 Je crois que le nouveau roman,
50:53 comme tout mouvement qui secoue une torpeur
50:56 dans le domaine artistique, aura été très utile.
50:58 Mais il faudra en sortir.
51:00 Ce qui m'inquiète actuellement, c'est que je me dis que
51:02 si j'avais 20 ans, moi, aujourd'hui,
51:04 et que je veuille écrire un roman,
51:06 eh bien, j'aurais peur d'écrire un roman
51:09 qui ne soit pas un nouveau roman.
51:11 Et je me mettrais la tête à la torture
51:14 pour essayer de trouver une technique originale
51:17 pour écrire ce roman.
51:19 Alors que ce qui fait les grands romans, ce n'est pas la technique.
51:22 C'est ce qu'il y a de cher dedans.
51:24 Au fond, pensez à toutes les grandes oeuvres de la littérature.
51:28 Pourquoi sont-elles grandes?
51:30 Est-ce qu'elles sont grandes à cause des règles
51:33 qui étaient en vigueur à leur époque?
51:35 Pas du tout. Elles sont grandes parce que,
51:37 malgré les règles qui étaient en vigueur à leur époque,
51:40 par-dessus ces règles,
51:42 le auteur a su faire passer un message humain.
51:45 Racine n'est pas grande parce qu'il a observé
51:48 la règle des trois unités.
51:50 Au fond, rien de grand ne se fait
51:52 sans se soumettant à des règles strictes.
51:55 - Alors, si je comprends bien, vous allez continuer
51:58 à écrire des oeuvres dans le style qui a fait la joie
52:01 de centaines de milliers de lecteurs
52:03 pour chacun de vos ouvrages.
52:05 Qu'est-ce que vous préparez en ce moment?
52:07 - Eh bien, en ce moment, je prépare un roman très différent,
52:10 encore une fois, je l'espère,
52:11 du moins de mon précédent roman "Les aigletières".
52:14 Je prépare un roman qui se situe en Russie
52:17 à l'époque de la libération des serfs.
52:20 Ce sera un roman en 2 ou 3 volumes.
52:22 Le premier volume est déjà terminé.
52:24 Je suis en train de le corriger.
52:26 J'ai encore pas mal de travail à faire dessus.
52:28 - Et comme biographie?
52:30 - Et comme biographie, eh bien, ce sera probablement
52:33 une biographie de Gogol que j'écrirai tout de suite
52:36 après ce roman.
52:37 Parce qu'en fait, il m'est arrivé une chose,
52:39 je voulais écrire cette biographie de Gogol.
52:41 J'avais amoncelé des notes.
52:42 J'étais prêt à partir et tout à coup, un beau matin,
52:45 j'ai eu ce sujet de roman qui m'est arrivé en pleine tête.
52:48 Ça m'a enchanté, ça m'a ravi.
52:50 Je me suis dit, j'ai jamais trouvé un meilleur sujet que ça.
52:53 Il faut que je l'écrive, il faut que je l'écrive.
52:55 - Vous avez aussi écrit pour le théâtre,
52:57 vous avez écrit 3 pièces, dont une,
52:59 Sébastien a été jouée à Montréal il y a quelques temps.
53:02 Vous n'écriviez plus pour le théâtre?
53:04 - Non, non, pas pour l'instant.
53:05 Mais vous savez, le théâtre, c'est très attirant
53:08 pour un romancier.
53:09 C'est très attirant justement parce que,
53:11 comme je vous le disais tout à l'heure,
53:13 un romancier ne connaît pas son public
53:15 et l'homme de théâtre, lui, le connaît, le public.
53:17 Et alors, pour avoir ce contact charnel,
53:19 ce contact physique avec le public, avec son public,
53:23 eh bien, nombre de romanciers quittent leur bureau
53:27 et écrivent des pièces de théâtre.
53:29 Eh bien, moi, j'ai essayé et puis je me suis aperçu
53:32 d'une chose, c'est qu'au fond, on est tellement tranquille
53:36 quand on écrit un roman, et il y a un tel danger
53:41 lorsqu'on livre une pièce de théâtre au public
53:45 qu'il vaut mieux rester dans le roman.
53:48 Car une pièce de théâtre, vous écrivez une pièce de théâtre,
53:50 mais c'est une autre pièce de théâtre qui est jouée
53:52 parce qu'il y a des interprètes qui ne sont pas
53:54 exactement ceux que vous rêviez.
53:56 Ça se passe dans une salle qui n'est pas celle que vous souhaitiez
53:58 avec des décors qui correspondent d'un moitié
54:01 à ce que vous vouliez.
54:02 De concession en concession, vous en arrivez peu à peu
54:05 à laisser dénaturer votre pièce.
54:07 Un bon livre publié sur du mauvais papier,
54:09 eh bien, c'est encore un bon livre.
54:11 Mais une bonne pièce jouée par de mauvais comédiens,
54:13 ça ne vaut plus rien.
54:14 - Et le cinéma?
54:15 - Eh bien, le cinéma, oui, pourquoi pas?
54:17 Ça m'amuserait beaucoup d'en faire.
54:19 J'ai eu des expériences malheureuses jusqu'à présent.
54:21 - Vous avez lu un roman qui est...
54:23 qui était "La neige en deuil"?
54:25 - Oui, oui, oui, c'est moi qui suis en deuil.
54:27 (rires)
54:28 Après l'avoir vu.
54:30 - Il y avait pourtant "Spell sur Trissi" qui est parti.
54:32 - Oui, oui, oui, bien sûr.
54:34 Enfin, le film était très mauvais.
54:36 - Le livre lui-même, ce moment-là,
54:38 a fait carrière par la suite aux États-Unis.
54:40 Il a été traduit.
54:41 - Oui, oui, oui, je crois que le livre a eu un très bon succès
54:44 aux États-Unis, mais le film est resté
54:46 en travers du grosier.
54:47 Ça a été effrayant.
54:49 - Est-ce que vos oeuvres sont, de façon générale,
54:51 traduites en langue étrangère?
54:53 - Oui, oui, oui, oui.
54:54 - En russe?
54:56 - En russe, alors oui, dans l'ensemble.
54:58 C'est-à-dire que mes nouvelles sont à peu près toutes
55:00 traduites en russe.
55:02 J'ai... "La neige en deuil" a été traduite en russe,
55:04 encore un ou deux romans, je crois.
55:06 Mais les russes ne traduisent pas ou n'ont pas traduit
55:08 jusqu'à présent mes livres qui ont trait à la Russie.
55:11 - Et comment explique-vous cela?
55:13 - Eh bien, je crois qu'ils ne veulent pas traduire
55:16 mes livres qui ont trait à la Russie parce qu'ils estiment
55:18 que seul un russe soviétique peut écrire sur la Russie.
55:21 Parce que comme ça, ils ont une espèce de sécurité.
55:23 C'est une assurance.
55:25 - Et même les biographies n'ont pas été traduites?
55:27 - Même les biographies.
55:29 - Ça, c'est assez curieux.
55:30 - C'est assez curieux, d'autant plus que, par exemple,
55:33 dans ma biographie de Pouchkine, j'apporte des documents
55:35 qu'ils ne connaissent pas, qui sont des documents inédits
55:38 que j'ai trouvés en France.
55:39 Et Dieu sait pourtant le culte dont Pouchkine est entouré
55:42 en Russie.
55:43 Eh bien, malgré cela, le livre a été traduit,
55:45 mais n'a pas été publié.
55:47 La traduction existe et attend toujours l'autorisation
55:50 depuis des années.
55:51 - Une toute petite question d'ordre personnel,
55:54 parce que le temps file.
55:55 Dans la mesure où vous pouvez avoir quelques loisirs,
55:58 à quoi les occupez-vous?
55:59 Est-ce que vous avez une vie mondaine très...
56:02 - Ah non, non, absolument pas.
56:03 Non, alors ça, je sors très peu, je fuis les cocktails,
56:06 je fuis les réunions mondaines, je fuis...
56:08 Enfin, je fais pas de conférences.
56:10 Non, non, je travaille ou alors je vois des amis
56:12 et je me promène.
56:14 - Est-ce que vous voyez beaucoup d'écrivains contemporains?
56:16 - Non, pas énormément.
56:18 J'en vois à l'académie, évidemment.
56:20 J'ai deux ou trois très bons amis,
56:22 qui seraient mes amis d'ailleurs, s'ils n'étaient pas écrivains.
56:25 Mais je ne vois pas beaucoup d'écrivains, hormis ceux-là.
56:28 - Est-ce que vous lisez beaucoup,
56:30 en dehors du travail de lecture, de documentation?
56:32 - Oui, je lis. Je lis peut-être pas...
56:35 Je lis, je ne lis pas énormément.
56:37 Je ne lis pas énormément.
56:38 En fait, vous savez, quand on a travaillé toute la journée,
56:41 on n'a pas tellement envie de lire le soir,
56:43 on a pas envie de lire la lecture.
56:45 - Vous regardez la télévision?
56:46 - Bien sûr, j'aime beaucoup la télévision.
56:48 Et puis, il se passe une chose.
56:50 J'ai l'impression que si on lit trop,
56:52 on a l'impression que tout a été dit.
56:54 On n'a plus l'enthousiasme nécessaire pour écrire un livre.
56:56 - Vous tenez donc à tout prix à garder
56:58 cette zone de naïveté dont vous parlez tout à l'heure.
57:01 - Absolument. Il faut être naïf, il faut être enthousiaste
57:03 quand on aborde un livre, sinon on n'écrirait plus rien.
57:06 Il faut chaque fois se dire que le livre qu'on vient de publier
57:09 est probablement raté, mais que le suivant, alors,
57:11 aura toutes les qualités.
57:13 - Les lecteurs qui vous suivent depuis vos débuts sont toujours
57:15 sûrs, eux aussi, que le suivant aura toutes les qualités.
57:18 M. Troyer, je vous remercie beaucoup d'être venu ce soir.
57:20 Merci.
57:22 (musique)
57:24 (applaudissements)
57:26 (musique)
57:29 (musique)
57:32 (musique)
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57:38 (musique)
57:41 (musique)
57:44 (musique)
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57:56 (musique)
57:59 (musique)
58:02 [Bruit de moteur]

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