Trois jeunes policiers sont morts dimanche matin dans un accident de la route dans la métropole lilloise. Le conducteur de l'autre véhicule impliqué, également décédé, était positif au cannabis et à l'alcool selon les résultats d'une analyse toxicologique. Le passager de ce véhicule, ainsi qu'une jeune fille présente dans la voiture de police, en vue de son transfert vers le centre hospitalier de Lille, sont grièvement blessés.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Vous, votre histoire, elle est quand même très particulière.
00:03 Je le rappelle, votre père était policier, il est décédé quand vous aviez trois ans.
00:07 Vous n'avez jamais voulu savoir pourquoi il était...
00:09 Dans quel circonstance il était décédé ?
00:11 -Non, j'ai jamais voulu savoir les suites.
00:13 Je dirais pas que c'est un sujet tabou à la maison,
00:15 mais j'évite forcément d'en parler avec maman
00:17 pour éviter de la blesser, elle, et de me blesser, moi.
00:20 Je dirais que c'est une cicatrice qui est quasiment refermée.
00:24 Je ne préfère pas la rouvrir.
00:26 Je peux en discuter librement maintenant
00:28 parce que j'ai réussi à me construire une coquille
00:30 qui est assez balèze autour de ça,
00:33 mais c'est quelque chose que j'ai pas forcément envie de rouvrir
00:36 ou d'entamer le sujet pour blesser des personnes ou moi-même, tout simplement.
00:40 -Et vous avez choisi cet engagement-là, comme votre père.
00:43 -J'ai choisi la police, exactement.
00:45 La police, ça a été inné chez moi.
00:47 Depuis tout petit, je traînais...
00:50 J'étais haut comme trois pommes dans le commissariat de Melun.
00:53 Papa policier, grand-mère policière.
00:58 J'ai quasiment toute ma famille dans la police.
01:00 Et on va dire que j'ai pas vu la lumière.
01:02 Moi, j'ai été la chercher directement, cette lumière.
01:05 Et c'est un métier de conviction, c'est un métier que j'affectionne.
01:08 Particulièrement, j'apprécie mes collègues,
01:09 j'apprécie le sens de protéger la population,
01:12 protéger les institutions, les biens.
01:15 C'est vraiment un métier où je me lève et je suis content d'aller travailler.
01:18 Je pense qu'à l'heure d'aujourd'hui, du haut de mes 26 ans,
01:20 je peux me dire que j'ai réussi à faire un métier
01:22 où je me lève le matin et je suis content d'aller travailler.
01:24 -On a voulu vous inviter, évidemment,
01:26 parce que parmi les trois policiers qui sont décédés,
01:28 la compagne de Lens est enceinte aujourd'hui.
01:31 Un autre était papa d'un petit enfant de 11 mois.
01:36 Évidemment que le parcours que vous avez eu
01:42 fait écho à ce dont on parle là, à ce qu'eux vont pouvoir vivre.
01:46 Comment est-ce que vous, vous avez été aidé ?
01:48 -Tout d'abord, j'espère que les petits,
01:52 et le futur petit ou la petite,
01:54 sera aidé aussi bien que moi.
01:56 Moi, j'ai réussi à me reconstruire.
01:59 Je m'estime avoir, comme je le répète, une bonne carapace maintenant.
02:03 Moi, mon parcours, comme vous l'avez stipulé,
02:06 papa décédé policier à l'âge de 3 ans.
02:09 Donc j'ai été pris en charge immédiatement par Orphéopolis.
02:12 Donc ma mère a été prise en charge aussi immédiatement.
02:14 -Association qui vient en aide, famille, aux orphelins.
02:18 Mais quand on dit "on vous est venu en aide",
02:20 qu'est-ce que ça veut dire concrètement ?
02:22 -Les gens viennent, les personnes d'Orphéopolis
02:25 viennent directement au contact et expliquent qu'on peut faire ci,
02:28 on peut mettre ça en place.
02:29 C'est vraiment une poursuite à très, très long terme.
02:34 À l'âge de 3 ans, on va dire que la poursuite psychologique,
02:36 on l'a pas forcément.
02:38 Moi, je l'ai eue quand je suis parti en internat à Bourges.
02:42 J'ai passé 8 ans là-bas, accompagné des étudiants.
02:44 -Collège, lycée, en internat. -Ouais.
02:47 Donc en internat spécialement, il y a que des orphelins de la police.
02:50 Donc vraiment, on peut discuter avec les différents enfants
02:52 qui ont quasiment la même histoire,
02:54 voire plus grave, voire moins.
02:56 Ça reste un décès, donc ça reste dramatique.
02:58 Et on est aidé par des éducateurs qui sont formés,
03:01 on a des soutiens psychologiques,
03:03 on nous permet de partir en vacances
03:05 si vraiment les parents n'ont pas forcément de moyens.
03:08 Il y a beaucoup de choses qui sont mises en place.
03:10 Moi, j'ai réussi à avoir mon bac grâce à Orphéopolis,
03:13 sinon je pense que je l'aurais pas forcément eu.
03:15 -C'est ça qui vous a sauvé. Vous dites que ça va sauver la vie.
03:17 -Ah oui, clairement.
03:18 Et puis aussi, je remercie tous les jours ma mère
03:20 d'avoir pris les bonnes décisions à temps.
03:24 Et je la remercierai jamais autant.
03:26 Pourtant, Dieu sait que la première année était très difficile pour moi,
03:28 à l'internat.
03:29 Mais à l'heure d'aujourd'hui, je la remercie.
03:31 -Ce qui est arrivé à votre papa,
03:33 ça a jamais ébranlé vos convictions de devenir policier ?
03:37 -Ça va paraître peut-être bizarre,
03:39 mais je dirais que ça l'a renforcé.
03:40 C'est aussi un devoir de mémoire que je porte.
03:42 C'est un métier que j'affectionne,
03:44 mais c'est aussi un devoir de mémoire que je porte pour lui.
03:46 Je continue vraiment ce qu'il n'a pas forcément pu continuer.
03:49 -En préparant cette interview, vous avez même dit
03:51 "la disparition de mon père m'aide tous les jours dans mon métier".
03:55 -Hm.
03:56 Dans un sens, je dirais que, comme j'ai raconté à la pré-interview,
04:01 je dirais que j'ai un...
04:02 Sur certaines interventions anodines, je dirais que j'ai un oeil...
04:06 Un oeil vraiment...
04:08 Je vois ça comme un oeil au-dessus de l'épaule.
04:10 Un oeil à 360 degrés qui permet de me dire
04:13 qu'une intervention anodine peut toujours déraper.
04:15 -Un oeil qui vous dit quoi ? Qui vous dit "méfie-toi" ?
04:16 -Un oeil qui me dit "il faut toujours rester sur ses gardes,
04:18 "il faut faire attention, il y a un tel qui est là,
04:19 "il faut faire attention".
04:21 C'est vraiment un oeil qui me...
04:22 J'arrive à prendre beaucoup de recul par rapport à peut-être
04:24 que certains collègues n'ont pas forcément.
04:26 Je me jette peut-être moins dans la gueule du loup que d'autres collègues.
04:29 Je le prends un peu comme ça.