Violences : les agressions physiques sont "à un niveau bas, ce qui augmente ce sont les violences sans contact", explique une sociologue
La sociologue Renée Zauberman, directrice de recherches émérite au CNRS, le 25 mai 2023 sur franceinfo.
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00:00 - Bonjour René Zauberman. - Bonjour.
00:02 - Vous êtes sociologue, vos travaux portent justement sur la mesure de la délinquance et de l'insécurité en France.
00:06 Vous êtes directrice de recherche émérite au CNRS.
00:10 Sans entrer sur le débat politique sur ce terme de décivilisation, peut-on vraiment parler d'une montée de la violence dans notre pays ?
00:18 - Écoutez, c'est difficile de ne pas faire de ce terme un terme politique
00:24 parce que les débats sur la délinquance en général et sur la violence en particulier sont des débats sur un objet qui est éminemment politique
00:33 et qui a le désavantage, comme le monde politique en général, de travailler sur le très court terme.
00:41 Or ce que fait la science sociale, c'est qu'elle s'efforce de chercher plutôt des observations sur le plus long terme possible
00:49 avec tout ce qu'elle peut trouver de données et notamment en ce qui concerne les délinquances,
00:55 des enquêtes en population générale, des enquêtes dites de victimation qui sont des sondages
01:01 et qu'on utilise en contrepoint des statistiques de police.
01:05 - Alors justement, quand on regarde ces données, vos données, est-ce qu'on peut parler d'une montée de la violence ?
01:10 - Alors, qu'est-ce qu'on observe effectivement sur le plus long terme ?
01:14 A l'échelle nationale, la violence physique demeure à un niveau globalement bas
01:22 avec cependant des zones qui échappent à ce diagnostic d'ensemble.
01:26 Alors qu'est-ce que ça veut dire un niveau globalement bas ?
01:28 Ça veut dire que les homicides sont stables, ils sont à un niveau extrêmement faible
01:33 qui est le niveau européen autour de 1 à 2 sur 100 000 habitants, c'est le critère standard.
01:43 A titre de comparaison, au plan international, on observe par exemple en Amérique centrale ou en Afrique du Sud
01:49 des taux qui sont de 50 pour 100 000 habitants.
01:52 Quant aux coups et blessures volontaires, eux ils sont aussi très stables dans les enquêtes en population générale
01:59 quoiqu'en augmentation dans les statistiques, la définition des coups et blessures volontaires a changé dans la statistique.
02:05 Je ne rentre pas dans les détails, c'est assez technique.
02:08 Ce qu'on observe en palier haut en revanche, ce sont des violences qu'on a appelées sans contact,
02:14 tout ce qui est regard de travers, injures, insultes, menaces, rugosités finalement de la vie quotidienne.
02:23 - Agression verbale notamment.
02:25 - Notamment, et là on se trouve à un niveau qui est bien plus élevé
02:29 puisqu'on est sur deux ans autour de 14 et 16% de la population
02:35 qui quand on les interroge, quand on les interroge des échantillons,
02:39 dit avoir été victime de ce genre de violences.
02:44 Alors si on croise ce sentiment d'avoir été victime de ce genre de violences sans contact
02:51 avec par ailleurs tout le discours public qui s'installe nécessairement à travers les différentes sortes de médias
03:00 autour d'incidents qui peuvent être effectivement très graves,
03:06 parce qu'il existe à partir de la moyenne nationale,
03:10 on peut observer s'écartant de la moyenne nationale dans des zones particulières des violences importantes.
03:16 Si on croise ce sentiment de violences quotidiennes,
03:19 de petites violences quotidiennes avec des informations sur des violences sérieuses
03:24 dans des zones bien délimitées, on peut effectivement faire passer l'idée que la France est un pays violent
03:35 et de plus en plus violent.
03:37 Ce que le président Macron a appelé la décivilisation,
03:42 c'est en référence à un livre très célèbre que connaissent les sociologues de la violence
03:49 qui s'appelle "La civilisation des mœurs" de Norbert Elias.
03:54 Mais ça reprend aussi les termes qu'utilisait Jean-Pierre Chevènement par exemple sur les sauvageons,
04:04 ce qu'utilisait Gérald Darmanin sur, je ne me rappelle plus son terme,
04:09 mais enfin il y a deux ans c'était à peu près le même genre de termes qu'il utilisait.
04:15 Bref, il faut faire bien la différence entre ce qui se passe au quotidien
04:24 et puis des choses effectivement sérieuses et graves et qui peuvent en effet choquer.
04:29 Il ne s'agit pas de dire que ce ne sont pas des choses graves,
04:32 simplement elles sont circonstanciées, elles sont localisées
04:35 et elles ne rendent pas compte de l'état général de la délinquance
04:40 et notamment de la délinquance violente en France.
04:42 - C'est le risque de réagir aussi parfois trop rapidement à des faits divers
04:46 qui évidemment bouleversent tout le monde.
04:48 Quelle est la responsabilité des réseaux sociaux, des médias et des politiques là-dedans ?
04:52 - Comme je disais, les réseaux sociaux, les médias et les politiques réagissent sur le moment.
05:00 C'est le court terme, la vie politique est une vie de court terme,
05:04 la vie des médias est de plus en plus une vie de court terme
05:07 avec les chaînes d'information continue.
05:10 Ne parlons pas des réseaux sociaux qui eux réagissent à la minute.
05:13 Donc on est dans le court terme et forcément dans le court terme,
05:16 qu'est-ce qu'on attrape ? On attrape l'incident grave qui vient de se passer,
05:20 les violences de trafic de drogue entre les jeunes avec des morts très jeunes
05:27 qui sont effectivement particulièrement choquants
05:30 mais encore une fois qui ne sont pas le quotidien des Français.