Pierre Moscovici : "Je pense que l'ISF climatique mérite débat"

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Pierre Moscovici , premier président de la Cour des Comptes, est l'invité du Grand entretien. Il réagit au rapport de Jean Pisani-Ferry sur la question de la transition écologique... et surtout de son coût. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-25-mai-2023-5668195

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00:00 France Inter. Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7 930.
00:06 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin le président de la Cour des Comptes dans
00:10 le grand entretien du 7 930. Question réaction au 01 45 24 7000 et sur l'application de
00:17 France Inter. Pierre Moscovici, bonjour.
00:20 Bonjour.
00:21 Et bienvenue à ce micro, on va parler avec vous de la situation des finances publiques
00:24 françaises. Vous vous demandez si le gouvernement en fait assez ou non pour réduire dette et
00:30 déficit. Mais d'abord, en cette semaine où Elisabeth Borne a présenté le plan de
00:34 réduction des émissions de gaz à effet de serre, question sur le financement de la
00:39 transition écologique. Ça va coûter cher, très cher. L'économiste Jean-Pyzani Ferry
00:45 estime dans un rapport que la décarbonation va appeler un supplément d'investissement
00:49 public et privé de 66 milliards d'euros par an. Et ça ne va pas vous plaire. Il dit
00:55 qu'il faut s'endetter parce que le climat est une cause légitime d'endettement. Est-ce
01:02 que vous l'entendez, Pierre Moscovici ?
01:03 Je trouve ce rapport tout à fait passionnant et très important parce qu'en effet, c'est
01:08 le grand défi pour les générations à venir, la transition écologique et énergétique.
01:12 Et il a plusieurs mérites. D'abord, il montre que ça a un impact sur la croissance. Il
01:15 faut dire la vérité. Le court terme, ça crée des inégalités et ça exige des investissements
01:20 massifs. Et les chiffres qui donnent 66 milliards, à peu près équitablement partagés entre
01:25 le privé et le public, doivent être pris en compte. Parce que si on veut faire quelque
01:30 chose, il faudra consentir à ces investissements. Et de ce point de vue-là, après, il y a
01:34 la question de comment on fait.
01:35 Comment ? Et quand il dit "il faut s'endetter", est-ce que ça vous fait sursauter ? Attention,
01:40 ce n'est pas des broutilles. Il donne des chiffres. Il évoque 10 points de PIB en 2030
01:43 d'endettement, 15 points de PIB en 2035, 25 points de PIB d'endettement en 2040.
01:49 Est-ce que vous vous dites "ils sont fous" ?
01:51 D'abord, il y a une première ressource qui est consensuelle et qui est essentielle. C'est
01:55 ce qu'on appelle les dépenses fiscales dites brunes. C'est-à-dire les allègements d'impôts
02:00 qui coûtent cher à l'État, qui représentent peut-être une dizaine de milliards d'euros.
02:04 Il va falloir les visiter et remettre en cause ceux qui sont inutiles, c'est-à-dire ceux
02:08 qui encouragent en réalité les énergies fossiles. Et ça, je crois que c'est un vrai
02:12 gisement. Ensuite, il parle d'endettement. Là, c'est vrai que j'ai un demi-point de
02:17 divergence avec lui. Première chose, il vaut mieux s'endetter pour la transition écologique
02:23 que s'endetter pour des dépenses de fonctionnement. Et donc, de ce point de vue-là, on peut le
02:26 comprendre. Mais je pense que globalement, la France atteint des niveaux d'endettement
02:31 qui sont préoccupants. Nous avons aujourd'hui 111,6 points de PIB d'endettement public.
02:36 Nous avons une dette publique qui atteint près de 3 000 milliards d'euros. Nous avons
02:40 considérablement divergé avec nos partenaires allemands ou italiens. Et donc, je ne suis
02:44 pas pour qu'on s'endette globalement en plus. Ça veut dire que si on s'endette
02:48 plus pour la transition écologique, il faudra se désendetter plus pour le reste. Et puis,
02:52 il y a une troisième piste qui l'ouvre, qui est celle d'une fiscalité temporaire
02:58 sur les plus hauts revenus pendant quelques années, une quinzaine d'années. Moi, vous
03:03 savez, je ne balerais pas cette proposition d'un revers de main. Je pense qu'elle mérite
03:08 en tout cas débat. Je précise que ça a été balayé dès le lendemain par Bruno
03:13 Lemaire qui a dit "pas d'endettement et pas de nouveau enfant". Je vous donne un
03:15 sentiment pour le coup qui est personnel, celui de quelqu'un qui préside une institution
03:19 qui s'intéresse à la transition écologique. Je pense que ça mérite débat. Je ne dis
03:22 pas qu'il faut le faire. Je pense qu'il faut en discuter sur le long terme. Il ne
03:27 s'agit pas de faire ça demain matin. Il faut réfléchir aux conditions. Et puis,
03:30 ça peut être ça, ça peut être un autre type d'impôt, etc. Mais la question recette
03:34 ne peut pas être évacuée complètement. Pourquoi ? Parce qu'il faudra bien trouver
03:39 ces milliards. Le risque, vous savez, c'est très mathématique. C'est que si on dit
03:43 il y a un coût de 35 milliards par an, il y a des ressources, quelques-unes consensuelles,
03:49 il faut bien le financer. Et si vous ne le financez pas par la dette, et si vous ne le
03:53 financez pas par l'impôt, alors j'entends qu'on parle de l'épargne, vous n'allez
03:56 pas le financer du tout. Or, pour les générations futures, c'est un investissement qu'il
04:00 faut faire. Moi, ma thèse personnelle, c'est qu'il faut se désentêter plus en général
04:06 pour trouver des moyens pour l'investissement. Je ne suis pas systématiquement favori à
04:10 l'impôt. Il y a dix ans, j'étais devant vous, pas vous, mais sur ce micro, en train
04:14 de parler du ras-le-bol fiscal. Je ne suis pas un malade de la fiscalité, je suis pour
04:17 la stabilité fiscale. Mais c'est ça qui est bon Bruno Le Maire. Donc je vais me corriger
04:20 moi-même. Il faut qu'on ait ce débat dans sa globalité, dans son ensemble, et qu'aucune
04:26 source de financement ne soit exclue a priori. C'est un grand débat démocratique pour
04:31 l'avenir. Le rapport Pisani-Ferry m'a fou, parce qu'il ne l'a fait qu'une...
04:35 Et Autre économiste est un très bon rapport qui mérite un grand débat.
04:40 Mais c'est quand même... C'est-à-dire qu'on essaie de deviner ce que vous pouvez dire
04:45 et entre les lignes. Est-ce que vous comprenez ce postulat qui est un des postulats économiques
04:51 d'Emmanuel Macron depuis le début ? Pour le coup, il n'a pas changé sur ça, qui est
04:55 "je veux baisser les impôts et je ne toucherai pas aux plus riches" parce que caricaturellement
05:02 on dira "ça ruisselle si ça vient en haut". Mais au fond, depuis 6 ans, à chaque fois
05:07 qu'il y a eu l'idée d'une taxe exceptionnelle sur le Covid, l'idée maintenant d'une forme
05:12 de taxe exceptionnelle pour financer la transition écologique, la réponse est "non" parce
05:16 que, dit-il, il y a trop de prélèvements obligatoires, c'est pas la bonne solution,
05:20 ce serait néfaste.
05:21 Je comprends et j'en vois d'ailleurs l'effet à certains égards. Mais je vous le redis,
05:26 je ne suis pas un maniaque de la fiscalité. Il y a 10 ans, j'avais parlé de drabeau
05:29 fiscal parce que je considérais que le consentement des Français à l'impôt atteignait ses
05:34 limites et nous avons 44% de prélèvements obligatoires, je le sais. Et pour les ménages,
05:38 franchement, il ne faut pas en rajouter, je parle encore globalement parce que l'impôt
05:41 sert aussi à redistribuer. Et pour les entreprises, il y a eu un grand mérite aux baisses d'impôts
05:46 qui a été une amélioration de leur compétitivité et un renforcement de la tractivité de la
05:50 ressource. Et ça contribue à ce que notre économie se porte plutôt bien. Oui, mais
05:54 de l'autre côté, il y a la nécessité d'avoir des recettes publiques, il y a la
05:58 nécessité de concentrer à des investissements. Moi, ma thèse centrale, c'est qu'en effet,
06:02 ce n'est pas dans la fiscalité qu'on trouve la ressource, c'est dans le désendettement.
06:06 Nous avons devant nous une montagne d'investissements à faire pour la transition écologique,
06:12 mais aussi pour améliorer notre système éducatif, pour renforcer notre système de santé, pour
06:16 être plus compétitifs en matière d'investissement et d'innovation et de recherche. Tout ça,
06:20 ça coûte extrêmement cher. Et en face de ça, il y a un mur de dette. Eh ben, pardon,
06:24 pour faire grimper la montagne d'investissement, il faut diminuer le mur de dette. Ça, c'est
06:30 le central. Mais encore une fois, je n'ai pas dit que je proposais cet investissement,
06:35 cet impôt. Je dis n'excluons rien, ayons un grand débat démocratique sur la question
06:40 et c'est le grand mérite de ce rapport que de le poser.
06:42 Un mot sur la proposition d'Emmanuel Macron de baisser les impôts de 2 milliards d'euros
06:47 pour les classes moyennes d'ici la fin du quinquennat. Est-ce que le président de la
06:53 Cour des comptes a sursauté quand il a entendu cette proposition ?
06:56 Le président de la Cour des comptes sursaute rarement. Vous savez, c'est un des avantages
07:00 de cette fonction qu'on ne sursaute pas. Et en plus, on a un peu le cam des vieilles
07:04 troupes et pas trop d'émotivité. Non, je vais être plus sérieux.
07:07 Alors, qu'en a-t-il pensé ?
07:08 Bah écoutez, encore une fois, baisser les impôts pour les classes moyennes, c'est
07:14 un effort redistributif qui peut être louable et qu'on peut entendre. Et moi, ce n'est
07:18 pas du tout une intention qui me choque en quoi que ce soit. Mais ce que je dis, c'est
07:22 que nous avons une dette publique, je redis le chiffre...
07:24 On va y venir, on va y venir.
07:26 Non, mais ça tourne autour de ça. C'est ça la vraie question. C'est que je pense
07:29 que nous avons une dette publique d'un tel niveau que nous ne pouvons pas l'aggraver
07:33 davantage. Et donc, s'il y a des baisses d'impôts, et on peut les décider, c'est légitime
07:38 de la part du politique que de le faire, il faut les financer. Autrement dit, vous créez
07:43 une baisse d'impôt de 2 milliards d'euros sur les classes moyennes. Il faut trouver,
07:46 à mon sens, là je parle du point de vue financier, soit une économie de dépense équivalente,
07:53 soit une recette équivalente. Mais ne creusons pas de trous supplémentaires. Donc, si on
07:59 le fait, oui, mais finançons-le. Restons dans une trajectoire de finances publiques
08:04 qui soit, comme on dit, soutenable et qui, surtout, nous permet de garder du crédit
08:08 et de la souveraineté.
08:09 On va parler de la dette publique parce que vous êtes aussi venu là pour ça, sur ces
08:13 3 000 milliards, ce chiffre qui fait peur. Mais avant, vous dites que vous ne sursautez
08:17 rarement ou que vous sursautez rarement. Nous, Nicolas et moi, on a sursauté hier quand
08:21 on a entendu le journal et qu'on a entendu cette décision de la Cour des comptes sur
08:25 les vaches. Alors là, on s'est dit d'où à où la Cour des comptes se prononce sur
08:29 les vaches. Effectivement, il y a un rapport de votre Cour des comptes qui fait hurler
08:32 les éleveurs. Vous recommandez, dans ce rapport, de réduire le cheptel bovin pour respecter
08:37 les engagements climatiques de la France. La France a perdu près d'un million de vaches
08:42 sur les seules sept dernières années. Mais selon la haute administration, nos vaches
08:45 ne disparaîtraient pas assez vite des paysages français, a répondu la Fédération des
08:49 producteurs de viande bovine dans une lettre ouverte à Elisabeth Porne. Qu'est-ce que
08:52 vous dites ? Vous voulez la chasse aux vaches, à la Cour des comptes ?
08:55 Pas du tout. Alors là, j'ai un peu sursauté aussi, j'avoue.
08:57 Ah, vous n'étiez pas au courant de ce rapport.
08:59 Alors, je vais vous expliquer quelque chose. Si vous me donnez trois minutes, parce que
09:03 c'est important. Qu'est-ce que c'est que la Cour des comptes ? La Cour des comptes,
09:06 ce n'est pas un pouvoir. Dans la République, il y a des pouvoirs. Il y a un pouvoir exécutif,
09:11 il décide et il propose les lois. Il y a un pouvoir législatif qui vote les lois.
09:15 Nous, nous ne sommes pas un pouvoir ni un contre-pouvoir. Nous sommes une institution
09:18 indépendante connue des Français, respectée par eux, qui justement alimente le débat
09:22 public, qui s'adresse aux citoyens. Et nous le faisons de manière impartiale, avec des
09:27 rapports qui sont des rapports experts, mais qu'on peut bien sûr discuter. Et donc,
09:31 nous ne décidons rien. Ça, c'est très important. En revanche, nous sommes indispensables.
09:35 Comme je disais tout à l'heure de Twitter, nous vivons à l'époque des « fuck news ».
09:38 Et avoir quelque part une institution avec des gens de bonne foi, qui travaillent sur
09:42 des chiffres et sur des faits, c'est fondamental.
09:44 - Alors, revenons au prêt.
09:45 - Non, mais je le dis parce que j'ai souhaité encore renforcer ça. Il y a quelques années,
09:49 la Cour des comptes publiait un rapport par an. Maintenant, on est à 100. Et depuis le
09:52 1er janvier, ils ont décidé qu'on allait publier tous nos rapports, par souci de transparence,
09:56 pour l'information du citoyen. Donc, il faut prendre ce rapport comme ce qu'il est,
09:59 c'est-à-dire une contribution au débat. J'aimerais aussi qu'on le lise complètement,
10:02 parce que c'est un rapport qui, d'une part, se les soutient à la filière. Ce n'est
10:06 pas un rapport contre les éleveurs et contre l'élevage. Il dit qu'il y a des inégalités
10:11 en la matière, qu'il faut renforcer les revenus de ceux qui souffrent. Il souligne
10:15 le caractère indispensable. Et je ne veux pas laisser penser que la Cour serait contre
10:19 les agriculteurs de l'élevage bovin. C'est nécessaire à notre suffisance alimentaire.
10:25 C'est bon pour les sols, c'est bon pour l'emploi. Et je ne vois pas, je ne conçois
10:29 pas une France agriculte.
10:30 Pourquoi demander la réduction du chèque-sœil bovin des vaches ?
10:33 Je vais préciser ce qui est dit, parce que je crois qu'il faut le lire ce rapport.
10:35 Il dit "Nous avons pris en France les engagements pour une économie carbone neutre en 2050
10:44 et à 11,8% des émissions qui viennent de l'agriculture. Donc, il faut changer notre
10:48 modèle agricole et c'est notamment lié à l'élevage bovin. Notons qu'il y a déjà
10:54 une réduction qui est en cours et par ailleurs que nous changeons nos habitudes, c'est-à-dire
10:57 que nous mangeons moins de viande. Donc, ce que nous avons dit, c'est qu'il faut réfléchir
11:00 stratégiquement à long terme sur cette question. Après, tout ça est un peu déformé, c'est
11:06 tiré de son contexte et je pense que le rapport lui-même, nous ne prenons pas toujours en
11:10 compte, disons-le, cette sensibilité.
11:12 Alors, je veux dire aux agriculteurs que je comprends leur émotion, que je la partage,
11:16 qu'il n'y a aucune hostilité de la Cour à l'élevage bovin. Et hier, j'ai appelé
11:21 le ministre de l'Agriculture, je vais m'entretenir avec lui. Et ici, je vous le dis, je vais
11:25 proposer de rencontrer les responsables du monde agricole, de la filière bovine aussi.
11:29 Pourquoi ? Pour discuter du fond des rapports, parce qu'il ne faut pas caricaturer. Et deuxièmement,
11:34 parce que c'est vrai, la Cour des comptes doit mieux prendre en compte aussi les préoccupations
11:38 sociales.
11:39 En tout cas, on voit que ça a fait des vagues.
11:40 Oui, ça m'a ému parce que je suis très attaché à la transparence. Mais la transparence
11:45 suppose aussi qu'on prenne en compte les préoccupations du citoyen.
11:49 Pierre Moscovici, alors, 3000 milliards de dettes publiques, on s'en approche, chiffre
11:54 record. Et on va vous demander là aussi de prendre quelques instants pour nous aider
11:59 à comprendre. 3000 milliards, est-ce si grave que ça ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce
12:05 que ça empêche l'État de faire des choses ? Est-ce que ça paralyse son action ? Est-ce
12:12 que ça lui interdit de mener telle ou telle politique ? Est-ce plus grave que 2000 milliards
12:17 ou 1500 milliards ? Expliquez-nous, expliquez-nous, on est néophyte, on n'est pas spécialiste
12:25 de finances publiques, dites-nous ce qui se passe et ce que ça veut dire.
12:28 Vous avez dit, c'est une lapalisade, 3000 milliards c'est deux fois plus grave que
12:32 1500 milliards.
12:33 Oui d'accord, mais alors, ça paralyse l'action de l'État ? Expliquez-nous.
12:36 C'est bien ça le problème. D'abord, nous appartenons à une zone, la zone euro, qui
12:40 est une protection pour nous. Et je pense que les commis français souffriraient beaucoup
12:44 sans l'euro. Mais en même temps, c'est comme une copropriété. Et dans une copropriété,
12:48 il y a des règles. Et ce sont des règles qui fixent justement des critères communs
12:52 de gestion de nos finances publiques. En 2000, nous sommes entrés dans l'euro. La France
12:57 avait 58% de dette publique dans le PIB. L'Allemagne, 58%. Nous sommes donc plus de 20 ans après.
13:04 Il y a trois grands pays. La dette publique de l'Italie a augmenté de 36%. Celle de
13:10 l'Allemagne de 8%. Celle de la France de 55%. Nous sommes donc ceux qui divergeons
13:15 par rapport aux autres.
13:16 Depuis 20 ans, vous dites ?
13:18 Depuis la création de l'euro.
13:19 Avec une accélération sur la période de Covid.
13:22 Oui, mais ça, cette accélération, elle est commune à tous. Sauf que nous partions
13:25 d'un niveau plus élevé. Et dans une copropriété, si on ne respecte pas les règles, au bout
13:28 d'un moment, ça pose quelques problèmes. Deuxième chose, et qui est plus importante
13:32 encore, parce que moi, je ne suis pas un maniaque des critères et surtout, je n'ai jamais
13:36 été un ami de l'austérité. Mais la dette publique, en effet, paralyse l'action publique.
13:41 Pourquoi ? Parce qu'une dette, ça se rembourse. Et chaque année, il y a ce qu'on appelle
13:45 le service de la dette, c'est-à-dire la charge annuelle du remboursement de la dette.
13:49 Elle était de 20 milliards d'euros il y a deux ans. Pourquoi ? Parce qu'on avait
13:52 des taux d'intérêt négatifs. Et ça, c'était formidable. Plus vous vous empruntiez,
13:56 moins ça coûtait cher. Elle augmente, elle va être de 41 milliards l'an prochain.
14:00 Elle sera de 71 milliards en 2027. Elle deviendra l'an prochain le deuxième budget de l'État.
14:06 À égalité ou peut-être légèrement devant la Défense nationale. 71 milliards d'euros
14:11 ou 80 milliards d'euros, elle serait le premier budget de l'État. Or, chaque euro que vous
14:15 consacrez à la dette, c'est un euro perdu pour la cause. Il ne sert pas à l'éducation,
14:19 il ne sert pas à la défense, il ne sert pas à la transition écologique, il ne sert
14:24 pas à l'innovation et à la recherche. Et c'est une dépense congelée qui bloque les
14:29 investissements dont nous avons besoin. C'est pour ça que je disais que si on a une montagne
14:33 d'investissements à faire et un mur de dette, le mur de dette qui monte empêche de financer
14:37 les investissements. Et c'est précisément parce qu'en s'en détend plus, on ne peut
14:41 pas préparer l'avenir des générations futures, que je dis qu'il faut maîtriser
14:45 notre dette. D'autant que, par ailleurs, cette dette a un coût. Ce coût, c'est le
14:48 coût du crédit. Ce sont les taux d'intérêt qu'on sert.
14:50 Et on est dans un contexte, effectivement, depuis un an, de hausse des taux d'intérêt.
14:54 Donc ça nous coûte plus cher de rembourser, pour être très clair. Et c'est ce qui, en
14:59 fait, c'est ce qui panique vos services de la Cour des comptes, les services de Bercy,
15:03 c'est le remboursement de sa dette et c'est le taux d'intérêt qui monte.
15:05 Oui, d'autant qu'il y a ce qu'on appelle les marchés, quand même. Il y a les spreads.
15:08 Et ces marchés regardent, justement, l'état de nos finances publiques. Et quand l'état
15:12 des finances publiques se dégrade trop, à ce moment-là, on peut avoir une tension sur
15:15 le marché qui renchérit encore le coût de la dette. Voilà la raison pour laquelle,
15:20 j'en arrive à mon message, je ne suis pas un ayatollah des finances publiques. Je dis
15:25 qu'il faut se désendetter pour investir davantage et pour rester crédible et souverain
15:29 et pour avoir une signature forte.
15:31 Est-ce qu'on pourrait se retrouver dans un moment où on ne peut plus rembourser,
15:33 où on n'est plus, comme le terme technique, c'est soutenabilité de la dette, on ne
15:37 peut plus... La France, elle peut continuer, on ne va pas se retrouver dans la situation
15:40 grecque.
15:41 Pas du tout. Je veux rassurer complètement du point de note parce qu'il n'y a pas de
15:44 panique de ma part. La dette publique est soutenable. La France est un pays solide.
15:48 C'est un pays auquel on fait confiance. Il a une très bonne signature. Je ne crains
15:51 rien de tel. En revanche, cette signature pourrait, si nous prenons garde, à un moment
15:56 donné se dégrader. Le coût de notre dette pourrait devenir de plus en plus élevé.
16:00 Nous pourrions avoir une charge de la dette de plus en plus forte. Et à ce moment-là,
16:03 nous aurions de moins en moins de marge de manœuvre et on se retrouverait étranglé
16:06 ou paralysé dans la situation publique. Je ne le souhaite pas. Faisons-y très attention.
16:09 Le gouvernement espère échapper le 2 juin à une nouvelle dégradation de la note de
16:13 sa dette après celle de l'agence Fitch fin avril. Là, c'est Standard & Poor's qui
16:19 doit donner son verdict. Et son avis pèse plus lourd que celui de Fitch. Est-ce que
16:23 vous craignez une nouvelle dégradation de la note française ?
16:26 Le général de Gaulle, en 1966, avait une excellente formule que je vais rappeler ici.
16:30 Il disait « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Et je pense
16:33 que la politique de la France ne se fait pas non plus aux agences de notation. Moi, je
16:37 suis assez serein là-dessus sur deux points. D'abord, on a constaté qu'une dégradation,
16:43 c'était le cas sur Fitch, mais il y a aussi il y a 10 ans, qu'on appelle AAA, n'a
16:46 pas un effet massif sur le coût de la dette française. Pourquoi ? Parce que nous sommes
16:50 justement une économie solide avec des impôts bien prélevés, etc. Donc, je ne suis pas
16:54 trop inquiet. Deuxième chose, je pense qu'on peut nous faire confiance. Toutefois, je
17:01 le dis, il faut donner des signaux qui sont des signaux de maîtrise de nos finances publiques.
17:05 Est-ce que les signaux, soyons clairs ? Il faut absolument, je veux passer ce message
17:11 clairement, il faut absolument que nous ayons un sérieux dans la gestion de nos finances
17:16 publiques, une volonté de réduire nos déficits, une volonté de nous endetter, qui soit crédible.
17:22 Est-ce que c'est suffisamment le cas ? Bruno Le Maire ne cesse de répéter sur toutes
17:34 les antennes et de manière accélérée ces derniers jours, parce qu'il communique
17:38 avant cette note Standard & Poor's, pour expliquer qu'ils sont sérieux, ils sont
17:42 crédibles, ils ont fait des mesures pour baisser cet endettement, pour baisser les
17:47 déficits, c'est le message qu'il veut faire passer. Est-ce que c'est suffisamment
17:52 le cas ? Vous avez répété, vous ne cessez de répéter, le quoi qu'il en coûte c'est
17:55 terminé, la politique du chéquier c'est terminé. Est-ce que vous avez l'impression
17:57 que c'est vraiment terminé au niveau de l'État ?
17:59 Je soutiens Bruno Le Maire dans sa volonté de réduire les déficits et de réduire l'endettement.
18:05 Je pense qu'il a raison de marteler ce message et qu'il faut infuser dans le plus long
18:09 terme une culture de la qualité de la dépense publique. Quand il propose ce qu'on appelle
18:14 une revue des dépenses publiques, c'est d'aller regarder comment fonctionnent les
18:16 services publics, si les gens en ont pour leur argent. Ça coûte très cher, oui. Est-ce
18:21 que ça marche ? Pas toujours. Et donc il faut améliorer nos politiques publiques, réduire
18:26 nos déficits. Et il y a une chose à laquelle j'appelle, c'est ce qu'on appelle une
18:29 loi de programmation de finances publiques qui dit sur cinq ans, pas sur quelques mois,
18:35 pas sur quelques jours, comment justement réduire nos déficits, comment on améliore
18:38 nos politiques publiques. Et il faut que cette loi soit à la fois ambitieuse dans
18:42 le désendettement et crédible. Je pense que ça, c'est des signaux qu'on doit donner.
18:46 La politique du chéquier, c'est fini ou pas ? Alors je dirais que le quoi qu'il
18:49 en coûte, c'est fini. Ça, c'est clair. C'était la crise Covid et nous sommes derrière
18:54 ça. En revanche, on continue à dépenser beaucoup et je crois qu'il faut vraiment
18:58 maintenant arrêter et passer. Ça s'éteint doucement, mais je souhaite qu'on aille jusqu'au
19:05 bout de ça. Ça ne veut pas dire qu'on dépense plus. Encore une fois, on dépense 58% de
19:08 notre dépense publique dans le PIB. Mais rationalisons ça, rationalisons ça et la
19:14 revue des dépenses publiques, l'examen des politiques publiques et la Cour des Comptes
19:18 Veille contribuent à travers neuf. Notre thématique que je viendrai peut-être présenter
19:21 à un moment donné en juin, juillet va dans ce sens là.
19:24 Allez, on passe au standard. Eric nous appelle de Poitiers. Bonjour, bienvenue.
19:29 Bonjour, la question à monsieur Moscovici est la suivante. Tous les pays sont endettés,
19:36 toutes les entreprises sont endettées, tous les foyers sont endettés. Qui est donc détenteur
19:41 de la dette ? Merci Eric pour cette question. Qui détient
19:45 la dette de la France ? Ce sont les marchés, ce sont les citoyens,
19:51 c'est notre épargne. La dette de la France est plutôt une dette qui repose sur l'épargne
19:56 nationale, ce qui lui donne aussi du coup sa crédibilité. C'est la raison pour laquelle,
20:00 je le répète, je ne vois pas de problème de soutenabilité de la dette. Je redis, et
20:04 Jules redit aussi aux agents de notations qu'on peut et on doit faire confiance à
20:06 la France. Mais en même temps, cette dette est très élevée et là, il y a une limite
20:12 dans l'absorption de cette dette. C'est la raison pour laquelle il faut en effet se
20:15 désendetter de manière résolue. Allez, Gilles est au standard aussi et nous
20:19 appelle de Strasbourg ou de Grenoble ? J'ai les deux sous les yeux. Bonjour Gilles en
20:24 tout cas. Bonjour, on va lire de Grenoble.
20:27 Voilà. Bonjour, merci d'entendre ma question.
20:29 Je voulais évoquer ce matin avec vous le coût du programme nucléaire. Ma question
20:34 est la suivante. Au-delà de la problématique démocratique que pose ce programme, la problématique
20:41 sécuritaire de sécurité pure et simple et industrielle, je voulais savoir si la Cour
20:46 des comptes était en capacité de vérifier le budget qui aujourd'hui est alloué à
20:51 ce programme et sa véracité étant donné les aléas que l'on connaît par rapport
20:55 aux premiers EPR qui sont en train de sortir ? Merci Gilles pour cette question. Pierre
20:59 Moscovici ? Alors la Cour fait plutôt des contrôles a posteriori et pas a priori.
21:04 Donc nous ne sommes pas là pour dire combien ça va coûter. En revanche, nous sommes capables
21:07 de dire parfois combien ça a coûté. Nous avons fait il y a quelques années un rapport
21:11 sur l'EPR de Flamanville qui montrait des dépassements très importants. Et puis enfin,
21:16 il y a une autre question qui est que c'est en effet un coût très important. On parle
21:21 de 100 milliards d'euros. Il faut trouver là aussi le financement de ce programme.
21:25 Je ne vais pas me prononcer sur sa légitimité. La réforme des retraites dont on a beaucoup
21:30 beaucoup parlé à ce micro, on va continuer d'en parler puisqu'il y a la proposition
21:34 de loi Lyott la semaine prochaine, elle va rapporter combien à la fin ? Par an ? Parce
21:40 que les chiffres ont varié. Les chiffres ont varié. Il faudra faire le calcul au total
21:43 parce que le Conseil constitutionnel a annulé une partie des dispositifs qui justement amodiaient
21:49 ou amélioraient l'impact social de la réforme. Je crois qu'en brut, c'est quelques 13 milliards
21:54 d'euros. Il faut voir à la fin combien ça fait. La Cour des comptes a sorti hier un
21:59 rapport très important qui est le rapport sur la sécurité sociale. Et vous dites "attention,
22:02 les déficits reviennent". Donc ça ne sert à rien la réforme des retraites ? Non, ça
22:05 sert à quelque chose. Ça a financé une partie du déficit. D'ailleurs, le déficit a chuté
22:10 de 20 milliards l'an dernier à 8 milliards cette année. Beaucoup dû à l'inflation.
22:14 Mais ce que dit ce rapport aussi, et ça c'est important, c'est que le déficit des retraites,
22:19 ce n'est pas fini. Ça va remonter dès 2024-2025 à 13 milliards d'euros. Si on regarde la
22:24 réforme des retraites elle-même, elle ne suffit pas à combler l'ensemble des déficits.
22:28 Il y aura d'ailleurs encore un déficit de l'ensemble des systèmes de retraite en 2030
22:33 qui viendra notamment du régime des collectivités locales et de la fonction publique hospitalière.
22:37 Et donc, il va falloir aussi lutter contre la dette sociale. Nous disons que si rien
22:42 n'est fait, il faudra reprendre ce qu'on appelle la CADES, la caisse d'amortissement
22:45 de la dette sociale après 2033. Et d'ici là, nous appelons à une maîtrise de la
22:49 dépense sociale, notamment médicalisée, et aussi, très important, c'est mon dernier
22:53 mot, à une lutte contre la fraude sociale aux prestations sociales que nous évaluons
22:57 à quelque 6,4 à 8,1 milliards d'euros.
23:01 Oui, et puis il y a autre chose que vous dites aussi, que vous avez annoncé hier. Les pensions
23:04 des femmes sont 28% plus faibles aujourd'hui que celles des hommes. 28%. C'est causosale.
23:11 Vous parlez d'ailleurs d'une inégalité absolument criante.
23:13 Elle est criante, elle est même encore plus importante si on défale qu'un certain nombre
23:16 de facteurs. Elle peut atteindre 50%. Évidemment, c'est quelque chose qui n'est pas acceptable.
23:20 De ce point de vue-là, je ne me prononce pas sur la forme des retraites. Ce n'est
23:24 pas mon travail, ce n'est pas mon job, je ne suis plus un politique. Mais elle améliore
23:29 un peu la situation, elle diminue les inégalités. Mais il y a beaucoup, beaucoup à faire en
23:33 la matière. Beaucoup.
23:34 Merci. C'est Pierre Moscovici qui était notre invité ce matin.
23:38 Et pas Bruno Le Maire.
23:39 Voilà, président de la Cour des comptes.
23:41 Vous avez partagé le même fauteuil.
23:43 Et nous continuons à travailler ensemble, bien sûr, chacun à sa place, puisque la
23:47 Cour des comptes est totalement indépendante.

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