À 7h50, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des Comptes, est l'invité de France Inter. Il revient sur la dette publique française, qui bat toujours des records, et plaide pour sa prise en compte dans les politiques futures, mais aussi pour une transition écologique "vitale". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-15-juillet-2024-3844117
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00:00C'est vous Pierre Moscovici, bonjour, merci d'avoir accepté notre invitation ce matin Premier Président de la Cour des Comptes
00:07et vous présentez votre rapport annuel, rapport très complet sur l'état des finances de la France.
00:12Vous parlez de l'année 2023 comme d'une très mauvaise année en matière de finances publiques
00:17et si on parcourt le rapport, on lit situation inquiétante, dérapage, risques importants.
00:23Qu'est-ce qui vous rend ce matin aussi sévère ?
00:26La réalité tout simplement, c'est vrai que l'année 2023 était une année très mauvaise pour nos finances publiques
00:32avec un dérapage des déficits de 0,6 points de PIB, ce qui est pratiquement inédit, on avait 5,5%.
00:392024 ne s'annonce pas comme extrêmement fameux, on disait 5,1 mais je ne sais plus exactement où on en est maintenant.
00:46Donc nos déficits baissent très peu, s'ils baissent.
00:49Quant à la trajectoire pour 2027, elle est à la fois peu ambitieuse, on dit moins de 3% en 2027
00:54mais nous serions les derniers de la zone euro et à nos yeux de surcroît, c'est peu crédible.
00:59Nous voyons enfin des incohérences dans la trajectoire puisque soit on privilégie la croissance
01:05soit on met le paquet sur l'indexation des déficits qui de ce côté impacte la croissance négativement.
01:10Donc on a des choix à faire et c'est vrai que ce rapport n'a pas été fait pour la situation politique
01:15que par définition nous ne pouvions pas anticiper mais je crois qu'il faut bien réfléchir à cette situation politique
01:20Au fond, je veux profiter de ce rapport pour lancer un appel aux forces politiques
01:25leur dire que bien sûr il y a une impasse politique dont il faut sortir et c'est pas simple
01:29j'ai vécu ça dans d'autres temps, c'est une situation très très compliquée
01:34mais qui que ce soit qui gouverne demain la France
01:38le prochain gouvernement devra s'emparer de cette situation de finances publiques
01:42il devra réduire notre endettement, nous avons une dette publique de 3100 milliards d'euros
01:47elle sera probablement de 3600 milliards d'euros en 2027
01:52nous payons chaque année déjà 52 milliards pour la rembourser
01:55nous paierons 80 milliards pour la rembourser en 2027
01:59ça veut dire qu'il n'y a plus de marge de manœuvre pour faire le reste
02:02pour faire de l'éducation, de la justice, de la sécurité et financer la transition écologique
02:07bref, il faut absolument s'y atteler et pardon de le dire
02:11réduire la dette publique c'est pas une politique de droite, c'est pas une politique de gauche
02:15c'est un impératif pour tous, donc je lance cet appel
02:18il faut que la situation politique trouve une solution
02:21mais que dans cette solution il y ait une solution à la situation de finances publiques
02:26je vais vous poser une question qui va sans doute faire bondir le premier président de la Cour des comptes que vous êtes
02:30est-ce que c'est si grave, parce que le ministère de l'économie vous répond
02:34en rappelant tous les efforts qui ont été faits pour soutenir les entreprises
02:37dans les crises récentes, notamment la crise sanitaire
02:39et puis en rappelant aussi que les notes des agences de notation se sont pas effondrées
02:43est-ce qu'il y a vraiment péril en la demeure ?
02:45Ecoutez, bien sûr, on a protégé les français et on a eu raison
02:48pendant la crise Covid, la Cour des comptes, que je présidais déjà
02:52a dit que le WC était justifié face à une menace existentielle
02:56peut-être un peu moins justifié face à la crise énergétique
02:59parce que quand même, les phases d'inflation, on en a connu dans le passé
03:02et c'est pas toujours l'État...
03:04On en a trop fait ce nouveau ?
03:05Je constate qu'on a dépensé 40 milliards d'euros pour cette affaire
03:08dont 30 milliards sont allés dans les poches des énergéticiens
03:11que ça n'a pas forcément réduit beaucoup l'inflation et que ça a coûté très cher
03:14donc, si vous voulez, il était peut-être moins important à l'époque
03:17que ce soit l'État qui prenne ça en charge
03:19et il y a aussi l'inflation, c'est un épisode que nous avons déjà connu
03:22mais je reviens quand même à l'essentiel
03:24ça ne suffit pas à expliquer la dérive de nos finances publiques
03:27parce que tous les États européens ont protégé leurs citoyens
03:30exactement de la même manière
03:32simplement, nous avons 15 points de dette publique
03:34de plus qu'avant la crise Covid
03:37alors que les autres ont 4,7, 3,2
03:40les autres se sont désendettés
03:42nous, nous n'avons jamais depuis entrepris d'efforts de désendettement
03:45donc je ne suis pas totalement persuadé ou convaincu, si vous le comprenez, par cet argument
03:49Alors Bruno Le Maire vous a en quelque sorte répondu par avance
03:52en annonçant la semaine dernière, voire revu à la hausse
03:54le montant des économies à réaliser pour redresser les finances publiques
03:57ce sera finalement 25 milliards d'euros d'économies
04:00là on parle de l'année 2024
04:02alors il y en a 15 qui ont déjà été exécutées
04:04dit le ministre de l'économie
04:06il reste donc 10 milliards à trouver
04:08il découpe ainsi un 5 milliards supplémentaires demandés au ministère
04:10deux aux collectivités locales
04:12et puis l'état doit récupérer 3 milliards par une taxation des ventes sur les énergéticiens
04:17est-ce que ça vous paraît réaliste ?
04:19est-ce que ça vous paraît suffisant ?
04:21Alors d'abord, première chose, je n'ai pas les données qui me permettent de répondre à ça
04:24je dis simplement que si on disait 20 milliards la semaine dernière
04:27et 25 milliards maintenant
04:29c'est qu'il y a 5 milliards de plus
04:31et 5 milliards de plus correspondent probablement à un dérapage
04:34ou peut-être à un léger laisser-aller dans l'exécution
04:38mais vous savez, en réalité c'est le prochain gouvernement qui devra traiter cette situation
04:42je dis bien le prochain
04:44ça, ça s'appelle la démocratie
04:46c'est tout à fait important qu'il en aille ainsi
04:48pourquoi ? Parce qu'il devra élaborer sa propre trajectoire de finances publiques
04:51et j'en reviens à mon message initial
04:53dans la future donne politique
04:56une des premières tâches du gouvernement
04:58sera d'abord de présenter un plan de réforme à la commission européenne
05:02je rappelle que nous serons peut-être en position de déficit excessif dans quelques jours
05:06il devra aussi préparer le prochain projet de loi de finances
05:09il devra préparer le prochain projet de loi de finances de la sécurité sociale
05:12et nous mettre sur une trajectoire pour 2027
05:14laquelle je ne la connais pas
05:16mais celle qui a été présentée par l'ancien gouvernement
05:18ou par l'actuel si vous voulez
05:20est caduque en réalité
05:22mais on comprend bien Pierre Moscovici que dans tous les cas
05:24il va falloir faire davantage d'économies
05:26ce sont des choix que fera le prochain gouvernement
05:28sur ce chemin-là, c'est ce chemin-là en tout cas que vous préconisez
05:30comment on fait ça
05:32sans toucher au moteur de la croissance
05:34sans toucher à la justice sociale
05:36sans accroître la colère des français
05:38on a vu qu'une partie des votes
05:40qui se sont exprimés ces dernières semaines
05:42se sont portés, en tout cas c'est ce que disent les sondages d'opinion
05:44sur la question du pouvoir d'achat
05:46comment on fait tout ça en même temps ?
05:48Première des choses, moi je ne crois pas à l'austérité
05:50je n'ai jamais cru à l'austérité
05:52je sais qu'elle appauvrit, qu'elle dessèche
05:54et qu'elle crée des révoltes
05:56qui en effet se traduisent par certains votes
05:58c'est ce qu'on a vu au début des années 2010
06:00face à la crise financière
06:02alors après les finances publiques, vous savez il y a 3 façons
06:04de réduire un déficit
06:06la première c'est la croissance
06:08et il ne faut rien faire qui compromette la croissance française
06:10ça c'est fondamental
06:12la deuxième c'est la fiscalité
06:14la fiscalité elle a ses limites
06:16ici même, il y a une dizaine d'années
06:18je parlais de ras-le-bol fiscal, on ne peut pas
06:20augmenter massivement le niveau des prenantes des banquiers
06:22cela dit, on peut agir sur tel ou tel clavier
06:24c'est pas interdit en démocratie
06:26d'utiliser le levier fiscal
06:28je prends par exemple l'idée de
06:30Jean Pisani, Ferry, Maffouz
06:32sur un prélèvement
06:34exceptionnel pour financer
06:36la transition écologique, un sujet que nous abordons
06:38dans notre rapport
06:40et enfin la troisième chose, c'est la maîtrise des dépenses
06:42et en matière de maîtrise des dépenses, il y a des économies
06:44à faire, mais il faut aller taper
06:46sur les dépenses les moins efficaces
06:48sur celles qui
06:50finalement créent le moins de croissance
06:52et il y en a, je vous assure
06:54et enfin il faut que l'effort soit partagé
06:56partagé justement
06:58vous dites qu'il faut un effort plus équitable
07:00je reviens sur la fiscalité
07:02vous dites qu'il faut un effort plus équitable
07:04ça veut dire qu'il ne l'est pas forcément
07:06et qu'on peut toucher justement à la fiscalité
07:08si on se tourne vers les français
07:10les plus aisés aujourd'hui
07:12je ne suis pas un maniaque de la fiscalité
07:14je ne l'ai jamais été, je rappelais ce propos sur le ras-le-bol fiscal
07:16mais pour autant, ça n'interdit pas
07:18d'utiliser le levier fiscal
07:20la politique, justement
07:22c'est le débat sur la fiscalité
07:24le jour où il n'y a plus de débat sur la fiscalité
07:26il n'y a plus de débat politique, donc il ne faut pas se l'interdire
07:28en même temps
07:30on ne peut pas augmenter massivement le niveau des problèmes obligatoires
07:32qui est déjà un des plus importants d'Europe
07:34et vous dites qu'il ne faut pas oublier non plus les investissements
07:36nécessaires pour faire face aux changements climatiques
07:38adapter la France aux enjeux de demain
07:40on le trouve où cet argent là ?
07:42ou on dégage où ?
07:44il faut en faire une priorité quelle que soit la situation
07:46que vous décrivez par allure
07:48la transition écologique pour moi c'est quelque chose qui n'est pas
07:50un défi ou un problème
07:52c'est pas une crise
07:54la crise écologique, c'est quelque chose avec quoi nous allons vivre
07:56comme la démographie comme le disait Dominique Seux
07:58pendant 100 ans
08:00et donc on ne peut pas faire l'économie de cela
08:02il faut investir pour faire face
08:04à la transition écologique
08:06c'est l'avenir de la planète, c'est l'avenir de nos enfants qui est en cause
08:08et vous dites maintenant, même si la situation
08:10c'est ce que vous décrivez dans ce rapport
08:12simplement ce que dit ce rapport, et je crois que c'est un de ses intérêts
08:14c'est qu'il y a un chapitre complet
08:16j'y ai tenu, consacré à ça
08:18et finalement nous ne l'avons pas pris en compte notre programmation financière
08:20et ça va sûrement encore augmenter notre dette
08:22de 5 à 7 points d'ici 2030
08:24et donc il faut qu'on intègre ça
08:26et qu'on se demande justement comment on la finance
08:28une des pistes que nous ouvrons
08:30c'est la taxation carbone
08:32en l'assortissant évidemment de subventions
08:34pour les plus fragiles, pour éviter
08:36ce qu'on a connu au moment
08:38de la crise des gilets jaunes
08:40où finalement on n'avait pas pris en compte les impacts sociaux
08:42de la taxation du carbone
08:44mais ça rapporte des recettes et ça permet aussi
08:46de financer des subventions qui sont indispensables
08:48oui, la transition écologique
08:50on n'y coupera pas, et il ne faut pas y couper
08:52c'est vital
08:54Vous avez été ministre de l'économie sous François Hollande
08:56Pierre Moscovici, est-ce que vous dites
08:58comme Bruno Le Maire que le programme économique du nouveau front populaire
09:00est un danger pour la France ?
09:02Je ne suis plus dans la vie politique depuis 10 ans
09:04j'ai quitté le gouvernement en 2014
09:06je suis devenu à l'époque commissaire européen en charge
09:08de l'économie et des finances, je suis président d'un cours des comptes
09:10mon job ce n'est pas de commenter
09:12les programmes politiques à chaud
09:14et d'ailleurs pas du tout
09:16mon job c'est de regarder où en sont les finances publiques de la France
09:18et c'est ce que je fais
09:20c'est ce que la cour fait avec ce rapport
09:22qui, je crois encore une fois, lance un message fort
09:24oui, il faut désendetter le pays
09:26vivre avec une dette publique
09:28un remboursement de la dette publique de 80 milliards d'euros par an
09:30ça paralyse l'Etat
09:32ça empêche toute action publique
09:34et qu'on soit de droite ou de gauche, on doit savoir
09:36qu'un Etat endetté est un Etat paralysé
09:38que les comptes en désordre sont le signe des nations qui s'abandonnent
09:40comme le disait Pierre Mendes France
09:42Merci Pierre Bouscovici, Premier Président de la Cour des Comptes
09:44d'être venu ce matin au micro de France Inter