Elles veulent briser le tabou autour de l'infertilité

  • l’année dernière
"Les gens qui n'arrivent pas à faire des enfants n'en parlent pas…"

L'infertilité touche un couple sur six, et c'est ce qu'ont vécu Julie Fichera et Caroline Vigoureux. Ensemble, elles ont décidé de rompre le silence sur ce sujet. Elles témoignent.
Transcript
00:00 Les gens font des enfants, ce qui est absolument normal.
00:02 Et donc quand nous on essaye d'en avoir mais qu'on n'y arrive pas,
00:06 on se dit "mais tout le monde y arrive autour de nous,
00:08 pourquoi on est les seuls à ne pas y arriver ?"
00:11 Alors qu'en fait on n'est évidemment pas les seuls,
00:13 c'est juste que les gens qui n'y arrivent pas n'en parlent pas.
00:15 L'infertilité ça touche un couple sur six.
00:18 - Vous êtes les autrices d'un livre qui s'appelle "Tout s'est bien passé, merci".
00:21 Pourquoi ce titre ?
00:22 - Parce qu'en fait on a pris l'habitude l'une et l'autre de répondre ça
00:25 quand on nous posait la question soit sur la grossesse,
00:29 comment elle se passait, ou soit comment ça s'était passé.
00:33 Peut-être parce que c'est plus simple,
00:34 peut-être parce qu'on n'avait pas envie d'en dire toujours trop, toujours plus.
00:40 On répondait mécaniquement "Tout s'est bien passé, merci".
00:43 - Il y a plein de remarques insignifiantes des uns et des autres
00:46 et qui sont évidemment bienveillantes, mais du type
00:48 "Et vous c'est pour quand ? Alors quand est-ce que vous vous y mettez ?"
00:52 Et on ne peut pas se mettre à répondre aux gens
00:54 "En fait on essaye mais on n'y arrive pas".
00:56 - Pourquoi ?
00:58 - En tout cas moi je n'étais pas capable de répondre ça
01:01 parce que ça me faisait trop souffrir
01:03 et puis parce que j'étais trop pudique pour répondre ça.
01:07 Ça m'aurait gênée de me mettre à dire à un collègue
01:10 "En fait justement tu tombes bien, c'est le sujet de ma vie en ce moment
01:15 et c'est devenu complètement obsessionnel".
01:17 Ce qu'on a voulu faire c'est aussi raconter le quotidien de l'infertilité,
01:22 la vie avec l'infertilité, tout ce que ça procure chez nous,
01:26 dans notre couple, dans nos relations aux autres, au travail, à nos amis.
01:32 C'est quelque chose qui régit notre vie, en tout cas une tranche de vie.
01:38 - C'est la question centrale et c'est le sujet central
01:40 et on s'organise autour de cette question-là,
01:43 autour du parcours médical, par exemple les piqûres,
01:47 il faut les faire précisément à un moment dans la journée, à la même heure.
01:51 Notre quotidien s'organise autour de ça.
01:53 Comment est-ce que vous, vous avez appris, chacune respectivement,
01:56 que ça allait être difficile d'avoir un enfant ?
01:59 - Moi j'ai appris ça quand j'avais 16 ans.
02:01 En fait je n'avais pas mes règles, donc je fais des examens un peu plus poussés.
02:06 Les médecins ont découvert que j'étais atteinte d'un syndrome,
02:09 du syndrome MRKH, qui fait que j'ai un cycle ovarien classique
02:13 mais je n'ai pas d'utérus, donc pas de possibilité de porter d'enfant.
02:17 - Julie a une expression que j'aime bien où tu dis "j'ai grandi avec mon infertilité".
02:22 - C'est vrai.
02:22 Et moi c'est tout l'inverse.
02:25 Moi je suis tombée enceinte sans le vouloir quand j'avais 20 ans
02:29 et donc j'ai eu recours à une interruption volontaire de grossesse.
02:32 Et donc j'ai plutôt, de mes 20 à mes 30 ans,
02:37 évolué avec la peur de tomber enceinte.
02:39 Et j'en avais tiré la conviction que j'étais très fertile
02:43 et que je devais vraiment faire attention à ça.
02:46 Et en fait le jour où j'ai voulu être enceinte,
02:48 je n'ai pas réussi à l'être.
02:50 J'avais 33 ans quand on essayait, 32 ans quand on essayait d'avoir un enfant avec mon mari.
02:56 Et en fait au bout de plusieurs mois sans succès,
03:00 on a fait des tests d'infertilité et on a constaté que
03:05 lui avait un problème de mobilité des spermatozoïdes
03:09 qui expliquait que je ne tombais pas enceinte.
03:12 Mais pareil, la question de savoir c'est quoi vraiment l'infertilité,
03:15 à quel moment je dois m'inquiéter, à quel moment je dois aller faire des tests,
03:19 c'est des notions qui sont assez floues.
03:21 Quand on voit tous les autres couples autour de nous qui ont des enfants,
03:24 on se dit "mais est-ce que je suis dans la norme, est-ce qu'il y a un problème ?"
03:27 Moi parfois je me disais "mais merde, je suis un monstre".
03:29 En fait, quand certaines de mes amies m'ont annoncé leur grossesse,
03:34 je pleurais, mais je ne pleurais pas que de bonheur pour elles,
03:37 je pleurais tellement ça me renvoyait à ma situation
03:41 et à ce que moi je ne parvenais pas à avoir.
03:44 Et donc ça fait partie selon moi de tous les sentiments un peu inavouables
03:50 qu'on peut avoir quand on est confronté à l'infertilité,
03:54 où en fait tout ce qui touche aux grossesses des autres
03:57 devient un sujet hyper sensible et hyper douloureux.
04:00 Et le tabou en même temps il commence là,
04:02 parce que dans ces moments-là,
04:04 pour ne pas gâcher le bonheur des autres,
04:06 on n'a pas envie de dire que c'est compliqué pour nous.
04:08 Parce qu'effectivement, il y a une part où on se dit "on est un peu égoïste,
04:11 pour nous c'est affreux, on se dit que c'est horrible",
04:13 mais on ne veut pas gâcher le bonheur des autres.
04:15 Me concernant, moi je pense que pendant longtemps,
04:19 et parfois encore maintenant, j'ai peur d'être jugée aussi sur nos choix.
04:23 Nous on a fait une GPA et je sais que c'est clivant comme sujet
04:27 et que tout le monde a un avis sur la question.
04:29 Et du coup il y a aussi une part de jugement,
04:32 on se dit "qu'est-ce qu'ils vont penser,
04:35 ils vont se dire qu'on fait ci comme ça, on paye pour avoir un enfant".
04:39 C'est aussi ce qu'on veut mettre en avant dans ce livre,
04:43 c'est le paradoxe entre nos deux parcours,
04:46 c'est qu'on a toutes les deux été confrontées à des cas d'infertilité,
04:51 sauf que moi, tout m'a été offert.
04:53 Et je suis rentrée dans un processus où j'ai passé trois examens
04:58 et ensuite on m'a offert la solution médicale pour avoir mon enfant,
05:02 alors que Julie, tout lui était interdit et rien ne lui a été offert.
05:06 Que ça soit une GPA ou une PMA,
05:08 ça c'est des solutions auxquelles on a eu accès,
05:13 mais nos deux parcours sont d'abord des histoires d'infertilité.
05:16 En fait c'est toujours un point de vue médical et scientifique,
05:19 avec des chiffres, avec une réponse très précise,
05:23 mais effectivement sur intimement qu'est-ce que ça procure
05:28 chez les femmes comme chez les hommes, c'est vrai qu'on en parle très peu.
05:31 J'ai eu quelques messages de femmes, surtout dans ce cas-là,
05:36 qui m'ont dit "merci pour votre témoignage,
05:38 parce que je vis ça aussi depuis plusieurs années, mais je n'en parle pas,
05:43 et ça fait du bien de voir que d'autres personnes vivent ça".
05:46 Et c'est aussi pour ça qu'on a voulu écrire le livre,
05:48 on s'est dit "peut-être que ça aidera des femmes qui sont dans ce parcours
05:52 à être moins seules, ou en tout cas à se dire
05:55 "certaines m'ont traversée aussi et je m'y retrouve un peu là-dedans".
05:59 *Bruit de tonnerre*
06:00 [SILENCE]

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