"Faire quelque chose contre les Boches, c'était mon rêve" : Témoignage de Josette Torrent, la plus jeune résistante de France à l'âge de 12 ans !

  • l’année dernière
Transcript
00:00 J'ai été dans la résistance à l'âge de 12 ans.
00:03 Qu'est-ce que j'étais contente ?
00:04 De faire quelque chose contre les Boches, moi c'était mon rêve ça.
00:07 Et c'est pour faire quelque chose contre eux que j'ai accepté de faire cette mission.
00:12 J'ai vu les Allemands entrer dans Saint-Manon en chantant,
00:16 ils avaient ces bruits de bottes,
00:18 ils ont installé des canons sur les remparts, enfin bon...
00:21 On rencontrait des soldats allemands tout le temps avec des armes,
00:25 c'était pas ce qu'on avait l'habitude de voir.
00:27 Donc moi j'ai éprouvé une haine terrible contre ces Boches.
00:31 Pas pour moi, c'était "qu'est-ce qu'ils venaient faire chez nous ?"
00:34 Et je ne pensais qu'à une chose, c'était les foutre dehors.
00:36 Oui j'allais à l'école, mais enfin on ne pouvait que subir.
00:39 Quand les sirènes sonnaient, il fallait aller dans les abris, enfin bon...
00:43 Tout ça c'était des contraintes que malgré tout,
00:47 même avec mon jeune âge disons, on subissait.
00:51 Et disons ça, ça perturbait complètement notre façon de vivre, ça c'est certain.
00:56 Je sais maintenant qu'il avait intégré la Résistance dès 40.
01:00 Il était au BCRA sous les ordres de Churchill.
01:03 Donc lui était déjà "mais bon je ne savais rien, personne ne disait rien".
01:07 Un jour j'arrive de l'école et je trouve mon père tendu par terre,
01:11 à la maison, et il avait des abscès, et il s'était trouvé mal.
01:16 Et alors là quand il est revenu à lui, il m'a dit "j'ai besoin de toi,
01:19 assieds-toi et écoute-moi".
01:22 Il m'a expliqué qu'il était dans la Résistance.
01:24 La Résistance, j'avais jamais entendu ce mot moi.
01:26 On ne savait rien les jeunes.
01:27 Je ne savais pas ce qu'était la Résistance, je ne sais pas.
01:30 Alors il m'a expliqué ce qu'était la Résistance,
01:33 que surtout c'était très secret, il ne fallait pas en parler à personne.
01:38 Ni à ta mère, ni à ta soeur, ni à personne, il ne faut pas en parler.
01:44 Il m'a dit qu'il avait un document très important à porter,
01:48 et comme il ne pouvait pas bouger, il ne pouvait pas y aller,
01:51 alors il m'a demandé d'y aller à sa place.
01:54 J'étais ravie moi, qu'est-ce que j'étais contente.
01:56 De faire quelque chose contre les Boches, moi c'était mon rêve ça.
02:01 Et c'est pour faire quelque chose contre eux que j'ai accepté d'aider mon père.
02:07 Alors il y avait un petit tunnel, un tunnel très sombre, étroit.
02:11 Donc dans ce tunnel je devais rencontrer un monsieur qui aurait un chapeau,
02:15 il m'avait dit "mon père", et qui sifflera auprès de ma blonde.
02:19 Alors bon, il m'avait donné une enveloppe,
02:22 il m'avait dit "quand tu le croiseras, tu lui remettras l'enveloppe,
02:25 quand tu entendras auprès de ma blonde, tu lui remettras l'enveloppe,
02:28 et puis tu reviendras à la maison".
02:29 Bon moi je suis allée dans le tunnel, dans le tunnel il n'y avait personne,
02:32 bon je marchais dans le tunnel, je me posais des questions,
02:35 je me disais je me suis trompée d'heure, que, enfin bon soit,
02:38 j'étais, je n'avais pas peur, mais j'étais pas tranquille,
02:41 je craignais de ne pas pouvoir faire cette mission, la première en fait.
02:44 Et donc j'ai marché dans ce tunnel,
02:46 à un moment je suis pratiquement bousculée par quelqu'un,
02:50 et puis j'entends auprès de ma blonde,
02:51 alors je me suis dit ça doit être celui-là,
02:54 je me suis retournée, lui aussi a fait pareil,
02:56 on s'est rencontré dans l'autre sens,
02:58 il m'a ressifflée auprès de ma blonde,
03:00 je lui ai donné l'enveloppe, il l'a prise, il est parti, et moi aussi.
03:04 Et mon père m'avait dit s'il m'arrive quelque chose,
03:06 il m'avait montré une maison dans le quartier,
03:09 il m'avait dit "tu vas dans cette maison avec ton vélo dégonflé,
03:12 tu sonnes et tu dis à la voisine qui te répondra,
03:14 pardon est-ce que vous avez une pompe,
03:16 papa n'est pas là pour m'arranger la bicyclette".
03:18 Et puis après il me dit "tu vas coubler".
03:20 Donc quand j'ai été avertie que mon père avait été arrêté,
03:24 j'ai filé, j'étais à l'école, j'ai filé,
03:27 à toute vitesse j'ai pris mon vélo,
03:29 je suis allée dans cette maison, j'ai vu une dame,
03:32 je lui ai dit ce que j'avais à dire,
03:33 elle m'a dit d'accord,
03:35 et puis je suis partie à la maison,
03:36 et j'ai coublé tout ce que nous avions à la maison,
03:39 c'est-à-dire tous les documents, tous les codes,
03:43 tout ce qu'on avait, et que j'avais caché dans les roseaux.
03:45 Pendant un an, on n'a pas vu de nouvelles de lui,
03:49 on ne savait pas ce qu'il était devenu,
03:50 on savait qu'il avait été arrêté par la Gestapo.
03:53 Un jour on a eu un petit papier dans la boîte aux lettres
03:55 en disant qu'il était parti en Allemagne.
03:57 Parti en Allemagne, c'était prisonnier de guerre.
04:00 Et on a attendu, jusque début 45,
04:04 où les prisonniers de guerre sont rentrés.
04:06 Là on allait à la gare avec ma mère,
04:09 avec une photo de mon père,
04:11 elle demandait à tout le monde s'ils le connaissaient,
04:13 et c'est là que j'ai vu les premiers déportés descendre du train.
04:17 Toute ma vie, je me souviendrai de ça,
04:20 ils étaient maigres, on ne voyait que leurs yeux,
04:22 et moi je paniquais parce que je disais
04:24 je ne vais pas reconnaître mon père.
04:26 Il y en a un qui nous dit,
04:27 oui je le connais, j'étais avec lui au camp de Flossenburg,
04:30 il est mort le 17 novembre 44.
04:33 J'ai l'impression que j'ai vécu toute ma vie
04:35 comme si j'étais dans la Résistance.
04:37 Je n'ai jamais parlé de rien à personne.
04:40 Je n'ai jamais raconté, même à mes meilleurs amis,
04:43 ce qui se passait chez moi.
04:45 Je n'ai jamais rien dit.
04:47 Tout était resté,
04:49 je disais ce qui est intime,
04:52 ça je vois quand je vois les gens qui s'étalent sur les réseaux sociaux,
04:55 ça me fait rigoler ça.
04:57 C'est pas ma France à moi,
04:58 et c'est à mille lieues de la France que j'ai connue,
05:02 que j'ai aimée.
05:03 Là des fois je me pose la question,
05:04 je me dis mais pour en arriver là,
05:06 est-ce que mon père avait besoin de mourir ?
05:08 Il a donné sa vie pour la France,
05:09 mais quelle France ?
05:10 Pas celle qu'on a maintenant,
05:12 Je me fais beaucoup de soucis pour mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants.

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