Réforme de la justice : quand le viol devient un sous crime

  • l’année dernière
Marylise a attendu 10 ans le procès de son agresseur devant une cour d’assises. Mais son audience n’aura pas lieu devant un jury populaire à cause d'une réforme visant à désengorger les cours de justice. Aujourd’hui, elle se bat avec Benjamin Fiorini, président de Sauver les assises, pour que les violences sexuelles ne deviennent pas une sous-catégorie de crime
Transcript
00:00 J'ai dit à mon avocate que je ne me rendrais pas au procès.
00:02 Un viol qui habituellement, dans certaines affaires,
00:04 se jugeait en trois jours, va être jugé en deux jours.
00:06 Et en même temps, j'ai l'impression de m'arracher le cœur
00:08 parce que ça fait dix ans que j'attends ça.
00:11 Aujourd'hui, les viols ne sont plus jugés comme des crimes de sang.
00:13 J'ai déposé plainte en 2013 pour pédocriminalité.
00:17 J'attends ce procès depuis toujours, c'est le combat de ma vie.
00:21 Et on m'a appris il y a quelques jours qu'il n'aurait pas lieu en cour d'assises,
00:24 mais qu'il allait se passer en cour criminelle départementale.
00:27 Ce sont des juridictions exclusivement composées de juges professionnels
00:30 qui remplacent les cour d'assises et leur jury populaire dans près de 60% des affaires.
00:34 Les personnes qui vont être concernées de manière prioritaire par cette réforme,
00:37 ce sont les femmes, parce que ces cour criminelles départementales,
00:40 elles vont juger à 90% des affaires de viol.
00:42 Ce n'est probablement pas un hasard,
00:43 c'est parce qu'on sait pertinemment que dans le cadre,
00:45 dans la foulée du mouvement #MeToo,
00:47 on attend justement de grandes vagues de procès en matière de viol.
00:50 Plutôt que d'augmenter le nombre de magistrats de manière suffisante,
00:53 c'est justement de créer ces cours où l'idée, c'est d'aller plus vite.
00:56 Aujourd'hui, les viols, contrairement à ce que voulait Gisèle Halimi,
00:59 les viols ne sont plus jugés comme des crimes de sang.
01:01 Pour moi, c'était très important qu'ils soient écoutés pendant quelques jours.
01:06 Je trouve déjà que c'est très peu trois jours de procès.
01:09 L'idée de ces cours criminelles départementales, c'est d'aller plus vite,
01:12 y compris pendant le temps d'audience.
01:14 C'est-à-dire que par exemple, un viol qui habituellement,
01:16 dans certaines affaires, se jugeait en trois jours, va être jugé en deux jours.
01:19 Donc ça veut dire qu'on va donner beaucoup moins de temps de parole
01:22 aux témoins, aux victimes, aux accusés.
01:24 Le fait de pouvoir parler de mon histoire à des personnes comme vous et moi,
01:30 à des gens qui vont être dans l'empathie, je l'ai vraiment longtemps attendue.
01:34 Pendant dix ans de procédure, je me suis retrouvée confrontée
01:38 à des professionnels qui avaient des objectifs techniques.
01:41 J'avais vraiment toujours l'impression de me retrouver confrontée
01:44 à des personnes qui cochaient des cases.
01:46 Il y a plusieurs choses qu'on recherche à travers la participation des jurés.
01:48 La première chose, et c'est pourquoi les jurés ont été instaurés à la Révolution,
01:51 c'est pour que le peuple, les citoyens, aient un droit de regard,
01:54 un droit de participation à la justice.
01:56 C'est justement de permettre aux jurés citoyens de s'apercevoir de ce que c'est,
01:59 que d'avoir à juger son prochain, de ce que c'est réellement la justice criminelle,
02:03 de ce que c'est, par exemple, le phénomène d'emprise,
02:05 de ce que c'est que la notion de consentement,
02:07 de ce que c'est la difficulté pour les victimes de prendre la parole.
02:10 On ne peut pas se faire priver comme ça d'un droit civique sans réagir.
02:13 La citoyenneté, finalement, on peut la résumer assez rapidement,
02:16 c'est le droit de vote et le droit de siéger dans les jurés,
02:18 on supprime l'un des deux, en tout cas on l'édulcore fortement.
02:20 C'est un scandale.
02:21 Ce qui est vraiment horrible pour moi, et c'est pour ça que je suis ici,
02:24 c'est que je n'ai aucun recours en fait.
02:27 J'ai dit à mon avocate que je ne me rendrais pas au procès.
02:31 C'est ma seule manière de m'opposer à ce qu'on est en train de m'imposer.
02:37 Et en même temps, j'ai l'impression de m'arracher le cœur
02:39 parce que ça fait dix ans que j'attends ça,
02:42 ça fait dix ans que je vis pour ce jour-là.
02:45 Ça a été décidé, expérimenté initialement en 2019,
02:48 et l'idée c'était surtout de gagner du temps et de faire des économies,
02:51 en faisant en sorte qu'il n'y ait plus la phase notamment
02:53 de tirage au sort des jurés citoyens.
02:55 Et c'était aussi l'idée de gagner du temps à l'audience
02:58 en faisant des audiences plus courtes.
02:59 Et l'idée c'était aussi de gagner de l'argent,
03:01 parce que les jurys populaires,
03:02 il faut savoir que ça coûte un petit peu d'argent, on les indemnise.
03:04 Et il y avait une troisième idée qui était de ce qu'on appelle décorrectionnaliser,
03:08 c'est-à-dire éviter le phénomène de correctionnalisation
03:12 qui fait que certains viols sont sous-qualifiés en agression sexuelle
03:15 pour être jugés devant un tribunal correctionnel
03:17 parce que ça va plus vite justement devant les tribunaux correctionnels.
03:20 Et ce que l'expérimentation a montré,
03:21 c'est qu'aucun de ces objectifs n'était réellement atteint.
03:24 Aucun.
03:24 Le premier levier d'action, c'est une pétition citoyenne
03:26 que j'ai déposée sur le site du Sénat,
03:28 une pétition officielle qui pourrait, si elle atteint 50 000 signataires,
03:31 faire en sorte que la présence des jurés populaires
03:33 soit rediscutée à l'Assemblée nationale.
03:35 Donc je vous incite à signer cette pétition sur le site sauvonslesassises.fr.
03:39 [BIP]
03:41 [Musique]

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