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“Nous n’avons pas de liste de cibles, Mediapart ne s’acharne pas.”
Pour les 15 ans du média, son président et cofondateur Edwy Plenel nous raconte la folle histoire de Mediapart, des débuts difficiles jusqu’aux révélations de scandales politiques.

"Mediapart, 15 grandes enquêtes" aux éditions du Seuil est actuellement en librairie

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Transcription
00:00 Mediapart ne s'acharne pas.
00:01 Ceux qui disent que nous nous acharnons,
00:03 c'est ceux qui veulent que ce droit de savoir ne s'exerce pas.
00:06 Je vais maintenant vous raconter la folle histoire de Mediapart.
00:10 Mediapart est né il y a 15 ans, en 2008.
00:14 Le nom, c'est moi qui l'ai inventé.
00:16 Ça veut dire à la fois "médias participatifs",
00:19 on est totalement participatif,
00:21 et "médias à part".
00:23 Mediapart, c'était deux défis,
00:25 à la fois montrer qu'on pouvait faire un vrai journal,
00:28 de qualité, de référence, complet,
00:31 avec la révolution numérique,
00:32 en faisant un meilleur journal que s'il était imprimé.
00:36 Et puis l'autre défi, c'est celui de l'indépendance.
00:39 Faire un journalisme au service du public,
00:42 au service de l'intérêt général,
00:44 et donc un journalisme sans fil à la patte,
00:46 sans subvention de l'État,
00:49 sans actionnaire privé, sans publicité,
00:52 rien de tout ça,
00:53 uniquement le soutien de nos abonnés.
00:56 C'était une folie, et tout le monde l'a dit à l'époque
00:58 en disant "Pleynel, il est fou".
01:00 Eh bien, parfois, ils font être un peu fous, et ça marche.
01:03 Mediapart, nous l'avons créée à quatre co-fondateurs
01:05 qui ont pris leurs risques, qui se sont endettés,
01:08 et qui ont sollicité des amis.
01:10 On s'était connu, notamment au journal Le Monde,
01:13 où j'ai travaillé pendant un quart de siècle,
01:15 et dont j'ai dirigé la rédaction.
01:16 Quand nous nous lançons,
01:17 personne ne croit au modèle payant sur Internet.
01:21 Tout le monde pense que l'information,
01:23 elle est forcément gratuite sur Internet.
01:25 Donc, les deux premières années
01:26 ont été des années difficiles.
01:29 Il a fallu trouver d'autres soutiens financiers
01:32 pour arriver à tenir, pour arriver à payer les salaires.
01:36 Et grâce à notre travail,
01:38 en 2010 est arrivé l'éclaircie, le moment d'équilibre.
01:43 C'est une affaire dont vous avez peut-être entendu parler,
01:45 c'est l'affaire Bettencourt,
01:46 avec les enregistrements du majordome.
01:49 Ça a été un feuilleton de tout l'été 2010.
01:51 C'est Mediapart qui l'a porté.
01:53 Et là, bingo, nous sommes devenus profitables.
01:56 Nous avons atteint le point d'équilibre.
01:58 Quand Mediapart a commencé en 2008,
02:02 après un précite pour appeler à nous soutenir,
02:05 nous avons commencé très péniblement avec 5 000 abonnés.
02:09 Aujourd'hui, nous sommes à 225 000 abonnés à Mediapart.
02:14 225 000, ça fait de Mediapart,
02:16 par l'abonnement numérique qui est le premier critère
02:19 pour la presse d'information nationale,
02:21 politique et générale,
02:22 le troisième quotidien français.
02:25 Derrière Le Monde, qui en a 450 000,
02:29 et derrière Le Figaro,
02:31 Mediapart, en 15 ans, face à ces journaux
02:33 qui sont beaucoup plus anciens que nous,
02:35 a conquis cette troisième place.
02:38 Il y a eu 6 500 enquêtes, je crois, de mémoire
02:43 depuis que Mediapart existe.
02:44 Ça fait plus d'une par jour.
02:46 Et Mediapart, le journalisme d'enquête, c'est son ADN.
02:50 L'utilité sociale d'un journaliste,
02:52 c'est de vous apporter des savoirs, des connaissances,
02:54 des faits que vous ne connaissez pas.
02:56 Et ça, ça passe par quoi ?
02:57 Par l'enquête, justement.
02:59 Par le fait d'aller chercher cette information.
03:01 Sinon, c'est de la communication.
03:03 Les pouvoirs, les entreprises, les partis politiques,
03:06 les ministres, tout le monde communique.
03:08 Nous, on n'est pas là pour faire le relais
03:11 de cette communication.
03:12 Si on devait faire des catégories
03:14 pour voir comment une enquête démarre,
03:16 je dirais qu'il y a trois catégories.
03:18 Il y a le fait d'avoir des sources.
03:19 Un bon journaliste, c'est quelqu'un qui a un carnet d'adresses,
03:24 qui a des sources, qui lui font confiance depuis longtemps.
03:27 Et du coup, il les rencontre et il apprend des choses.
03:30 Et après, il se met à travailler.
03:32 La deuxième catégorie, c'est l'intuition.
03:34 Les Américains appellent ça "nose for news",
03:37 le nez pour les nouvelles.
03:39 C'est-à-dire sentir qu'il faut aller chercher dans telle direction.
03:42 Puisqu'une enquête, c'est un puzzle.
03:44 Alors, on a des éléments publics du puzzle
03:46 et on commence à comprendre qu'il y a des pièces qui manquent
03:48 et qu'il faut aller voir si elles sont bonnes ou non.
03:50 Parfois, on ne trouve rien ou parfois, ça n'a pas d'intérêt.
03:53 Certaines enquêtes, l'affaire Cahuzac,
03:56 qu'on a révélée la fraude fiscale du ministre du Budget,
03:59 ont commencé comme cela.
04:00 Enfin, il y a un troisième cas qui est démultiplié avec le numérique,
04:04 avec les lanceurs d'alerte.
04:06 C'est ce qu'on appelle les leaks,
04:08 c'est-à-dire des fuites au sens des données
04:11 qui nous parviennent,
04:15 soit nous-mêmes, soit par des consortiums d'investigation
04:18 au niveau européen, voire mondial.
04:21 Et là, grâce au numérique,
04:23 ce qu'il faudrait dans le passé,
04:25 une vie ou trois vies d'archiviste pour dépouiller,
04:28 on peut le dépouiller parce qu'on a des méga-données,
04:31 des métadonnées,
04:33 et puis on les fait travailler par l'ordinateur
04:36 et on arrive à trouver des informations.
04:39 Une fois, à Mediapart,
04:41 sont arrivés deux chauffeurs Uber
04:44 qui nous ont déposé des gros cartons
04:48 pleins de documents anonymes,
04:50 nous disant "on nous a demandé de vous déposer ça".
04:53 On les ouvre, on trouve des masses de documents bancaires suisses.
04:59 Évasion fiscale, fraude fiscale, compte en banque, etc.
05:03 L'un des membres du pôle enquête s'enferme dans une salle,
05:07 met au secret ces documents
05:09 et fait travailler toute une équipe pendant 15 jours.
05:12 Nous faisons bien notre travail.
05:13 C'était des faux, des faux très bien faits.
05:17 On recoupe, on vérifie.
05:19 C'est le B.A.B.A. de notre métier.
05:21 Il faut prendre son temps.
05:22 Avant de sortir une information,
05:24 c'est comme un pilote d'avion,
05:26 il prend sa checklist
05:27 et puis s'il y a une case qui ne marche pas,
05:29 l'avion ne décolle pas.
05:30 Nous, c'est pareil.
05:32 L'important dans ce travail,
05:34 c'est surtout de ne pas perdre le cap de l'intérêt général.
05:38 Nous, notre but, c'est de servir le bien commun.
05:42 Et ce qui nous importe le plus,
05:44 c'est quel est l'impact de notre travail.
05:46 C'est pour ça qu'on a popularisé cette idée d'un journalisme d'impact.
05:50 Un journaliste qui crée de nouvelles réalités.
05:52 De nouvelles réalités dans la prise de conscience,
05:54 de nouvelles réalités dans le travail de la justice,
05:58 prise de conscience de l'évasion fiscale,
06:00 prise de conscience qui a été vraiment un travail
06:03 et qui est toujours un travail décisif de Mediapart
06:06 sur les violences sexistes et sexuelles.
06:08 Il y a une enquête qui me tient plus à cœur que d'autres,
06:11 car elle est encore devant nous.
06:13 Je l'appelle la mère des batailles.
06:15 C'est l'affaire évidemment Sarkozy-Kadhafi.
06:18 C'est une affaire énorme que nous avons portée seule
06:21 contre le monde politique, contre le monde médiatique.
06:25 Aujourd'hui, tout le monde sait que nous avions raison.
06:28 Sarkozy a été condamné en première instance dans l'affaire Big Malion,
06:32 confirmé en appel dans l'affaire Bismuth,
06:35 toujours à des peines de prison.
06:37 Et puis, il y a maintenant le procès
06:39 qui va s'annoncer de l'affaire Libyenne.
06:42 C'est vraiment une affaire essentielle
06:44 pour prendre conscience de l'ampleur de la corruption en France.
06:47 Nous ne sommes pas des juges, nous ne sommes pas des procureurs,
06:50 nous ne sommes pas des policiers, nous sommes journalistes.
06:52 Nous rendons compte, dans le cadre de la loi
06:54 qui protège le travail des journalistes Nicolas Sarkozy,
06:58 tant qu'il n'est pas condamné définitivement,
07:00 tant qu'il n'a pas épuisé toutes les voies de recours,
07:04 il est présumé innocent.
07:06 Nous ne sommes pas des ennemis de qui que ce soit,
07:09 nous n'avons pas de liste de cibles.
07:12 Mediapart ne s'acharne pas.
07:13 Mediapart a une seule ligne de conduite,
07:16 le droit de savoir des citoyens.
07:17 Ceux qui disent que nous nous acharnons,
07:19 c'est ceux qui veulent que ce droit de savoir ne s'exerce pas.
07:23 Nous faisons notre travail.
07:24 Les surnoms ou les noms d'oiseaux les plus saignants sur Mediapart
07:30 ont été donnés par l'ancien président Nicolas Sarkozy et son entourage.
07:34 Il a dit que j'étais un faussaire,
07:37 il a dit qu'on était une officine,
07:39 on a dit que nos méthodes étaient fascistes.
07:42 Bon voilà, alors après d'autres s'y mettent,
07:44 on est des islamo-gauchistes.
07:46 Pourquoi ? Parce qu'on est sensible à toutes les causes des minorités.
07:50 On est du côté de l'égalité, sans distinction d'origine,
07:54 de condition, d'apparence, de croyance, de sexe, de genre.
07:57 Donc nous dérangeons.
07:59 Nous dérangeons au fond des gens qui ne voudraient pas être dérangés,
08:03 qui voudraient profiter, se gaver, s'enrichir, jouir, se faire plaisir,
08:09 sans être soucieux de l'intérêt général.
08:12 Nous on demande à être jugés sur une seule chose.
08:15 Est-ce que nos informations sont bonnes ?
08:16 Est-ce qu'elles sont utiles ?
08:18 Est-ce qu'elles sont vraies ?
08:19 Est-ce qu'elles sont d'intérêt général ?
08:21 Le reste c'est du commentaire, le chien aboie, la caravane passe.
08:25 Nous on veut faire un journal indépendant.
08:27 Alors comment faire que cette indépendance soit durable ?
08:31 Et c'est là où nous avons inventé, en 2019, le Fonds pour une Presse Libre,
08:36 qui est une structure qui n'existait pas avant, totalement inédite.
08:39 C'est la deuxième révolution de Mediapart sur l'actionnariat.
08:43 Le Fonds pour une Presse Libre, c'est une structure non lucrative.
08:46 C'est comme si notre capital était dans un coffre-fort,
08:49 insaissible, inviolable, non spéculable.
08:52 Et donc il n'y a plus d'actionnaire à Mediapart.
08:55 Il y a cette structure qui garantit l'intérêt général
08:59 au service duquel Mediapart travaille.
09:02 Au tout début, quand on appelait pour dire Mediapart, personne ne connaissait.
09:06 Donc les journalistes étaient obligés de ramer.
09:08 Aujourd'hui, Mediapart est reconnu.
09:10 Et est reconnu pour son sérieux.
09:12 Même les gens que nous dérangeons, les gens que nos révélations bousculent,
09:17 ils savent qu'on est sérieux.
09:19 Ils savent qu'on travaille très sérieusement.
09:20 D'ailleurs, je vais vous dire, pas vraiment un secret,
09:24 quand ils ont une info qui concerne d'autres personnes,
09:28 qui concerne d'autres milieux que les leurs,
09:31 où est-ce qu'ils pensent qu'elle pourra être bien traitée ?
09:33 À Mediapart.
09:34 L'enquête qui a été la plus violente dans ce que nous avons dû supporter,
09:39 c'est la révélation, c'était fin 2012 et ça a duré quatre mois ensuite,
09:44 de la fraude fiscale, du fait qu'il avait un compte caché à l'étranger,
09:50 en Suisse puis à Singapour,
09:51 du ministre du budget socialiste de l'époque, Jérôme Cahuzac.
09:55 Ça a été très violent parce qu'en fait, nous nous sommes trouvés seuls.
09:59 Notre enquête était complète, il y avait toutes les preuves,
10:02 y compris un enregistrement audio,
10:04 il y avait le nom de la banque, le nom des intermédiaires, etc.
10:08 Et le pouvoir politique, ses relais communicationnels,
10:12 les agences d'influence et tout le monde médiatique s'est moqué de nous,
10:18 a ignoré nos informations, les a décrédibilisés.
10:22 Nous avons dû vraiment être en mode offensif
10:27 pour aboutir aux résultats que chacun sait,
10:29 c'est-à-dire que l'enquête préliminaire de police
10:31 a donné totalement raison à Mediapart.
10:34 Une information judiciaire a été ouverte au bout de quatre mois.
10:37 Du coup, M. Jérôme Cahuzac qui mentait les yeux dans les yeux,
10:42 eh bien, il a dû reconnaître ce qu'il niait depuis le début.
10:46 Et l'effet de souffle de cette affaire a amené à la création de quelque chose
10:51 qui embarrasse beaucoup le monde de la corruption en France aujourd'hui,
10:56 qui est le parquet national financier.
10:58 Non, je ne pourrais pas dire combien d'enquêtes ont été menées.
11:01 Ce serait une bonne statistique qu'il faudrait faire,
11:03 y compris entre toutes les affaires qu'on révèle,
11:06 toutes les enquêtes préliminaires, les instructions judiciaires,
11:09 tout ça, c'est des niveaux différents.
11:11 Ça, je ne l'ai pas.
11:12 Ce n'est pas un tableau de chasse que nous avons.
11:15 En revanche, oui, nous avons le nombre de procès qu'on nous a fait,
11:18 c'est à peu près 250 maintenant, depuis qu'on existe.
11:21 On en a perdu définitivement cinq pour l'instant,
11:24 sur des questions mineures, sur des questions légitimes,
11:27 où la condamnation était légitime,
11:30 un droit de réponse qui n'a pas été publié à temps,
11:32 une erreur factuelle qui était secondaire dans un article,
11:36 des choses, un respect du contradictoire qui était insuffisant.
11:41 Aucune des grandes affaires de Mediapart n'a provoqué de condamnation de Mediapart.
11:45 Dès qu'on s'aperçoit qu'il y a quelque chose qui n'a pas été assez bien fait,
11:49 on le rectifie.
11:51 On a inventé, ce qui est tout à fait particulier à Mediapart,
11:55 et qui n'existe nulle part ailleurs, la boîte noire.
11:58 C'est-à-dire, quand on fait un article,
12:00 on a une boîte noire qui explique si on a eu des problèmes déontologiques,
12:04 qui permet d'expliquer si on a eu un témoignage qui est volontairement anonymisé,
12:10 qui permet de signaler si on a eu un droit de réponse,
12:13 et le droit de réponse devient indissociable de l'article,
12:16 qui permet de dire, tiens, il y avait une petite erreur dans cet article,
12:19 on l'a rectifié et c'est mentionné.
12:21 C'est-à-dire que je crois que le numérique permet, si on s'en donne la peine,
12:26 de faire un journalisme mieux documenté, plus durable,
12:31 et qui est plus respectueux de lui-même.
12:34 Donc nous sommes dans un travail d'amendement permanent.
12:38 Nous ne sommes pas un objet clos et fermé comme le serait un journal imprimé.
12:42 [Générique]

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