La politique et moi - Benjamin Haddad

  • l’année dernière
Benjamin Haddad, député Renaissance de la 14ème circonscription Paris s'est d'abord fait connaître comme chercheur, spécialiste des relations internationales. Mais un chercheur engagé, presque militant. Rien de bien étonnant, puisqu'il baigne dans la politique depuis ses 18 ans.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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00:00 Il s'est d'abord fait connaître comme chercheur spécialiste
00:02 des relations internationales,
00:04 mais un chercheur engagé, presque militant,
00:07 rien de bien étonnant,
00:08 puisqu'il baigne dans la politique depuis ses 18 ans.
00:11 Musique intrigante
00:13 ...
00:26 Bonjour, Benjamin Haddad. -Bonjour.
00:28 -Il y a une anecdote qui m'a fait sourire
00:30 quand j'ai préparé l'émission,
00:32 c'est la réaction de votre mère quand vous lui avez dit
00:35 que vous vouliez prendre votre carte dans un parti
00:38 alors que vous étiez encore au lycée, je crois.
00:40 -Oui, moi, j'ai été élevé par des parents
00:43 qui ont la passion du travail, des études,
00:46 et donc, sa réaction, c'était "Passe ton bac
00:49 "et puis Sciences Po d'abord."
00:51 J'ai toujours été passionné d'engagement et de politique,
00:54 mais j'ai pris ma carte une fois.
00:56 -Vous vous rendez si impatient de vous engager en politique ?
00:59 -J'ai toujours eu cette passion.
01:01 J'ai fait mon lycée à un moment très politisé.
01:04 Jean-Marie Le Pen est passé au second tour en 2002,
01:07 j'ai eu mon bac en 2003,
01:08 on avait eu le 11 septembre,
01:10 beaucoup de sujets qui étaient très intenses à ce moment-là,
01:13 en politique intérieure et en relation internationale.
01:16 Je pense qu'à un moment, l'engagement,
01:18 on a envie de donner un sens à sa vie
01:20 qui peut-être dépasse sa propre personnalité.
01:23 J'ai passé beaucoup de temps en tant que militant,
01:26 militant jeune populaire.
01:28 -Militant jeune pop, effectivement, à l'UMP.
01:30 -Les jeunes de l'UMP. -Les jeunes de l'UMP,
01:33 présidés à l'époque par Marie Guevenot,
01:35 députée de notre groupe Renaissance,
01:37 à tracter, à coller des affiches,
01:39 à écumer les meetings,
01:40 participer à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.
01:43 -Alors oui, vous aviez 21 ans,
01:45 vous avez participé en petite main,
01:47 vous avez rédigé des notes et même des discours
01:50 sur tout le volet international, diplomatique.
01:53 -J'étais déjà passionné par l'international,
01:55 j'ai fait mon stage dans un think-tank américain
01:58 en troisième année de Sciences Po,
02:00 j'ai commencé à travailler avec David Martinon,
02:03 le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy,
02:05 qui avait organisé une petite équipe
02:07 pour préparer le programme de politique étrangère,
02:10 des notes, des discours, des éléments de langage.
02:13 J'ai participé de ce côté-là, mais aussi en tant que militant,
02:17 très actif sur le terrain.
02:18 -David Martinon, vous l'avez suivi dans sa campagne malheureuse
02:22 au municipal Hanoï-sur-Seine, vous étiez dans son équipe.
02:25 Vous êtes apparu en tant que jeune copéiste.
02:29 -Je voulais juste dire un petit mot de Génération France,
02:33 et Génération France jeunes, que la plupart d'entre vous connaissez,
02:37 qui est un think-tank, un cercle de réflexion
02:39 qui a été créé par Jean-François Copé
02:41 depuis quelques années pour promouvoir le débat,
02:44 pour ouvrir au maximum la réflexion politique
02:47 à la société civile, aux entrepreneurs,
02:49 aux intellectuels, aux jeunes, à tous ces acteurs
02:52 qui n'ont pas l'habitude de s'engager
02:55 dans la politique, de prendre leur carte,
02:57 d'arriver dans une logique militante,
02:59 et de les faire participer au débat public.
03:02 -Vous étiez le responsable du mouvement Génération France,
03:05 un think-tank, comme vous dites, un cercle de réflexion.
03:08 Il y en a eu deux autres par la suite,
03:10 on va en parler, des think-tanks.
03:12 Pour certains, la politique, c'est l'action.
03:15 On a l'impression que pour vous, c'est d'abord la réflexion,
03:18 l'intellectualisation. -Non, c'est l'action
03:21 au service des idées. J'ai toujours été engagé,
03:24 c'est la réflexion, un peu "spectateur engagé".
03:26 -Pour défendre vos idées. -Pour défendre mes idées.
03:29 Et l'engagement politique, où là, on a quand même
03:32 des leviers concrets d'action opérationnel
03:35 pour pouvoir agir, et c'est bien l'objectif.
03:37 -Par la suite, Jean-François Copé a misé sur vous
03:40 quand il a pris la tête de l'UMP,
03:42 il vous a nommé secrétaire national.
03:44 Pourquoi avez-vous misé sur lui à l'époque ?
03:47 -C'est quelqu'un pour qui j'ai toujours beaucoup d'amitié.
03:50 Moi, j'ai été à l'UMP parce que je suis un libéral,
03:53 un réformateur, un Européen.
03:55 Il incarnait ça. Il avait aussi su donner
03:57 beaucoup de dynamisme au groupe à l'époque.
04:00 -A l'Assemblée, vous voulez dire ?
04:02 -Il était président du groupe UMP à l'Assemblée nationale,
04:05 qui était, je crois, un groupe qui était assez actif,
04:08 voire autonome, donc j'étais assez attiré par ça.
04:11 Et puis, il y avait ce think-tank où on faisait venir des gens
04:15 de gauche, de droite, des experts de la société civile
04:18 pour débattre. On voit des images d'un débat
04:20 sur l'éducation nationale. C'était une période
04:23 intellectuellement. On en revient aux idées.
04:25 En 2014, vous demandez à Jean-François Copé
04:28 de vous envoyer en Ukraine, alors qu'on est en plein soulèvement
04:31 de la population, place Maïdan à Kiev.
04:33 Vous y allez au nom de l'UMP pour rencontrer
04:36 les partis d'opposition. Vous dites que ce voyage a été
04:39 le tournant de votre engagement. Qu'entendez-vous ?
04:42 -Pour plusieurs raisons. Déjà, ça a été un moment passionnant,
04:45 intense, très émouvant. Vous avez cette place Maïdan à Kiev,
04:50 où des dizaines de milliers de jeunes
04:52 viennent se rassembler pendant des mois.
04:54 Il fait -15°C dans des tentes avec des drapeaux européens.
04:58 C'est la première fois de l'histoire que des gens
05:00 se font cibler, tuer, parce qu'ils brandissent
05:03 le drapeau européen, qui, pour eux, est la promesse
05:06 d'un meilleur avenir, de la démocratie,
05:08 de la lutte contre la corruption et d'un avenir européen.
05:12 Il faut rappeler qu'on est en 2014. En France,
05:14 on place le Front national en tête de l'élection.
05:17 On est en Europe, juste avant le Brexit, blasé, cynique
05:20 et européen, que viennent nous rappeler les jeunes Ukrainiens.
05:24 C'était un moment très fort. C'est un moment où j'ai voulu
05:27 m'éloigner de la politique plus classique.
05:29 -C'est là où j'en viens. Vous dites que ce Maïdan
05:33 vous a rendu à nouveau idéaliste, et la conclusion,
05:36 la leçon que vous en tirez, c'est de quitter la politique.
05:39 C'est étonnant. -C'est vrai que c'est un moment
05:42 où, comme beaucoup de collègues de gauche comme de droite,
05:45 je ne me reconnaissais plus dans ce que le clivage droite-gauche
05:49 avait à offrir. Je voyais la droite, l'UMP,
05:52 qui était prise dans des querelles de personnalité et d'ego,
05:56 qui commençaient à se crisper sur les questions d'identité
05:59 et de société. J'étais favorable au mariage pour tous.
06:02 J'ai vu beaucoup de dirigeants de droite aller dans les manifestations.
06:06 Je ne me reconnaissais plus. J'ai décidé de prendre du recul.
06:09 -Vous partez à Washington, vous devenez chercheur
06:12 dans le think-tank américain baptisé Hudson Institute.
06:15 Est-ce que vous voyez ça comme une autre forme d'engagement
06:19 que la politique ? On a le sentiment que vous êtes
06:21 chercheur engagé. -Oui, absolument.
06:23 J'arrive à un moment passionnant, fin 2014.
06:26 Quelques mois plus tard, Donald Trump déclare sa candidature
06:29 à l'élection présidentielle, début 2015.
06:32 Pendant un an et demi, tous mes amis américains,
06:35 républicains comme démocrates, nous disent qu'il n'a aucune chance,
06:38 il va imploser et monter en vol. Ils n'ont pas vu venir.
06:41 Je crois que c'était un avertissement pour l'Europe.
06:45 Après ça, j'ai considéré que Marine Le Pen,
06:47 les populistes, pouvaient l'emporter,
06:49 donc il fallait rester engagé.
06:51 J'ai considéré que Trump n'était pas un accident de l'histoire,
06:55 qu'on voyait une continuité aux Etats-Unis,
06:57 un repli des Américains sur eux-mêmes,
07:00 un retrait d'Europe, une volonté de plus intervenir
07:02 dans des conflits au Moyen-Orient ou ailleurs,
07:05 qui avaient parfois des conséquences sur notre sécurité.
07:08 Il fallait que les Européens en tirent les conclusions.
07:12 -Ce qui est étonnant, c'est que ce premier think-tank,
07:15 l'Atlantic Council,
07:16 sont clairement des cercles de réflexion
07:18 qu'on peut baptiser d'atlantistes pro-américains.
07:21 Vous, à l'intérieur de ces cercles de réflexion,
07:24 vous êtes allé défendre l'Europe, l'Europe autonome,
07:27 souveraine, indépendante, puissante.
07:29 Vous les avez pas un peu dérangés par rapport à ça ?
07:33 -J'ai parfois été un peu le poil à gratter,
07:35 mais je crois que, quand j'ai dirigé
07:37 le centre Europe de l'Atlantic Council,
07:39 ce que je les ai convaincus de faire,
07:42 c'est d'avoir un centre qui, pour la première fois,
07:45 est un centre d'unité européenne.
07:47 L'Europe, aux Etats-Unis, s'était vue souvent à travers l'OTAN
07:50 ou à travers les relations avec les Etats membres,
07:53 mais l'Union européenne, sur le plan de la régulation
07:56 des nouvelles technologies,
07:58 sur le plan commercial, sur le plan militaire,
08:01 les Américains sont un peu schizophréniques.
08:03 Ils nous disent qu'ils vont se retirer d'Europe
08:06 et qu'il faut que les Européens investissent plus
08:09 dans leur propre sécurité et défense.
08:11 Et quand on le fait, quand on essaie d'unir l'Europe
08:14 avec les instruments de la souveraineté,
08:16 généralement, là, ils braquent, voire s'y opposent.
08:21 Il y a un dialogue transatlantique important
08:24 à mettre en place avec nos alliés,
08:26 entre alliés démocratiques,
08:28 mais il y a une relation à réinventer et repenser,
08:31 c'est ce que j'ai essayé de faire.
08:33 -Ce que vous avez fait avec votre livre,
08:35 paru en avril 2019, "Paradis perdu",
08:37 vous évoquez l'avènement du Trumpist,
08:39 et vous développez ce concept, vous ne l'avez pas inventé,
08:43 vous avez hébergé une idée d'autonomie stratégique.
08:46 Or, il se trouve que, sept mois plus tard,
08:48 c'est Emmanuel Macron lui-même qui en parle
08:51 dans une interview à "The Economist".
08:53 Faut-il faire un lien entre les deux ?
08:55 Est-ce que vous étiez en contact avec lui ?
08:58 Vous l'avez rencontré à Washington dès 2015.
09:00 Est-ce que vous lui aviez envoyé votre livre ?
09:03 Vous avez pu l'influencer ?
09:05 -Emmanuel Macron s'intéresse beaucoup à ces débats
09:08 et à ces questions,
09:09 et il a mis l'Europe au coeur de sa campagne.
09:12 C'est ce qui m'a attiré dès 2017,
09:14 en m'engageant, depuis les Etats-Unis, à l'époque,
09:17 dans sa campagne avec lui.
09:19 Je crois qu'il est hanté par l'idée
09:22 que l'Europe pourrait se retrouver à disparaître,
09:26 à être qu'un théâtre des rivalités
09:28 entre les Etats-Unis et la Chine,
09:30 sans être capable d'avoir sa propre voix,
09:32 de défendre ses intérêts.
09:34 -Vous avez nourri sa réflexion sur ce sujet ?
09:37 -Je crois qu'il se nourrit d'experts,
09:39 de rencontres et d'échanges.
09:41 C'est quelqu'un qui est toujours à l'écoute
09:43 et ouvert à ces échanges, qui s'intéresse aux idées.
09:46 -Vous l'avez dit, votre rencontre avec Emmanuel Macron
09:49 est remontée à 2015, vous vous êtes engagé pour lui en 2017
09:52 à Washington, avec le comité En marche sur place,
09:55 mais vous avez laissé passer les législatives
09:58 pour vous présenter, finalement, en 2022.
10:00 Vous revenez en France, vous vous présentez à Paris.
10:03 Qu'est-ce qui motive ce retour en politique,
10:05 alors que vous aviez été un peu échaudé, déçu, en 2015 ?
10:10 -Les cinq prochaines années sont fondamentales pour le pays.
10:13 Il y a un risque de voir l'extrême droite arriver au pays.
10:17 Il y a encore des réformes fondamentales à faire
10:20 au niveau national, mais bien sûr au niveau européen.
10:23 Je viens d'une famille, mon père n'est pas né en France,
10:27 une famille qui s'est intégrée,
10:30 qui a fui l'antisémitisme en Tunisie,
10:34 qui est très reconnaissante à la République,
10:36 qui a travaillé dur pour s'intégrer.
10:39 Je l'ai toujours aussi senti redevable.
10:41 Cet engagement a toujours été en moi.
10:43 -Y a-t-il.
10:44 A l'Assemblée, vous présidez le groupe d'amitié avec l'Ukraine.
10:48 Vous avez rencontré Volodymyr Zelensky à deux reprises,
10:51 avant d'être élu député, à l'Atlantic Council,
10:53 depuis que vous êtes député également.
10:55 Cette guerre en Ukraine, on a compris,
10:58 elle concentre toutes les valeurs pour lesquelles vous vous battez,
11:01 la liberté, l'Europe, la démocratie,
11:03 mais est-ce que cette bataille pour ces valeurs,
11:06 elle est plus efficace en tant que chercheur engagé,
11:09 que de député ?
11:10 -Non, je crois que c'est des rôles différents,
11:13 mais dans le cadre de l'Assemblée nationale,
11:15 il y a un soutien à ce que fait la France.
11:17 -Vous n'êtes pas aux commandes.
11:19 -Naturellement, mais il y a les livraisons d'armes,
11:24 le fonds de soutien à l'Ukraine,
11:26 qu'on a fait doubler, le groupe, lors du débat budgétaire.
11:30 Je crois profondément à la diplomatie parlementaire.
11:33 Notre Assemblée a un rôle à jouer dans ce soutien à l'Ukraine
11:36 et en reconnaissant du soutien de la France,
11:38 mais aussi de ces échanges qu'ils peuvent avoir
11:41 avec les parlementaires.
11:43 -On va passer à notre quiz, à présent.
11:45 Je vous explique la règle, je vais commencer des phrases
11:48 et ça va être à vous de les compléter, de les terminer.
11:52 On y va.
11:53 "Depuis que je suis député, j'évite de..."
11:56 -J'évite de céder à la facilité
12:00 de la violence, du clash.
12:03 C'est un monde de conflits.
12:06 On se bat, on se bat pour des idées,
12:09 mais c'est un monde qui peut aussi vite céder
12:13 au conflit de personnes et j'évite cela.
12:16 -"Un bon porte-parole, c'est comme un bon prof."
12:19 Vous êtes porte-parole du groupe Renaissance ?
12:23 -Est-ce que c'est... J'ai enseigné.
12:25 C'est différent parce que...
12:27 Moi, j'ai toujours aimé l'enseignement très interactif.
12:31 Je faisais lire beaucoup à mes étudiants
12:34 et après, j'essayais de les faire s'exprimer sur les sujets.
12:37 C'est la meilleure façon d'enseigner.
12:40 Un porte-parole, par définition, parle plus qu'il n'écoute.
12:43 Mais en revanche, il y a la pédagogie, vous avez raison.
12:46 En revanche, la politique, c'est d'écouter,
12:49 faire une campagne. On parle moins, je pense,
12:52 que les gens qu'on vient rencontrer sur le terrain
12:55 et ça, ça peut être proche d'un bon prof
12:57 qui est dans l'échange et dans la pédagogie,
13:00 mais aussi l'écoute.
13:01 -Ce qui me manque le plus de la vie américaine, c'est ?
13:04 -Je ne sais pas. J'avais une vie intéressante et agréable,
13:08 mais sinon...
13:09 -Vous préférez la vie française. -Bien sûr.
13:12 -Merci beaucoup, Benjamin Haddad, d'être venu dans "La politique et moi".
13:16 -Merci à vous.
13:18 (Générique)
13:19 ---
13:34 [Musique]

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