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Adeline Lacroix est chercheuse en psychologie et neurosciences à l'université de Grenoble. Elle n'a été diagnostiquée autiste Asperger que très tardivement. De ses recherches et de son expérience personnelle elle en a tiré un ouvrage qui vient de paraître : "autisme au féminin".

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Transcription
00:00 *Le 13/14, Bruno Duvide*
00:05 Notre invitée aujourd'hui est l'autrice de ce livre "L'autisme au féminin" aux éditions UGA.
00:11 Adeline Lacroix est chercheuse en psychologie et neurosciences à l'université de Grenoble-Alpes.
00:16 Alors qu'elle était adulte, on lui a diagnostiqué à 30 ans un trouble du spectre de l'autisme type Asperger,
00:22 on dit aujourd'hui sans déficience intellectuelle.
00:25 C'était la fin de la première partie de sa vie.
00:27 Elle était alors professeure des écoles en institut médico-éducatif et en section adaptée.
00:32 Et c'est pour comprendre pourquoi elle a été diagnostiquée si tard, ce dont elle souffrait précisément,
00:37 et pourquoi l'autisme est moins bien diagnostiqué chez les femmes que chez les hommes,
00:41 qu'elle s'est lancée dans la recherche.
00:43 Elle a obtenu le Prix Jeunes Talents France-L'Oréal-L'UNESCO pour ses travaux.
00:47 Vos questions sur l'autisme, les troubles autistiques au féminin en particulier,
00:52 0145 24 7000 et l'appli France Inter rubrique Réagir, je vous rappelle que vient de s'achever.
00:58 Une consultation citoyenne sur la stratégie aménée pour aider ceux qui souffrent de troubles du neurodéveloppement et leur famille.
01:05 Le gouvernement doit remettre sa feuille de route au cœur de l'été.
01:08 Bonjour Adeline Lacroix.
01:10 Merci d'être au micro de France Inter.
01:11 Je voudrais qu'on aille tout de suite au Standard,
01:13 entendre un témoignage qui, me semble-t-il, a beaucoup d'écho avec votre histoire.
01:17 Bonjour Savannah.
01:18 Oui, bonjour.
01:19 Vous avez une trentaine d'années, vous avez été diagnostiquée vous aussi et votre fille aussi.
01:24 Racontez-nous.
01:25 Oui, effectivement, j'ai 32 ans.
01:28 J'ai été diagnostiquée à 30 ans, la même année que ma fille, en fait, qui a 5 ans.
01:32 Et c'est vrai que personne ne nous croit en général quand on parle de notre diagnostic ou quand je parle du sien.
01:39 C'est un doute permanent sur la véracité de ce diagnostic.
01:44 Et quelles conséquences ça a ?
01:46 Alors d'abord, petit 1, diagnostiqué à 30 ans.
01:48 Est-ce que ça veut dire qu'on va parler avec Adeline Lacroix de camouflage,
01:53 que pendant des années, vous sentiez qu'il y avait un problème et vous cherchiez à adapter votre comportement ?
01:58 Oui, c'est ça.
01:59 Moi, je passe pour quelqu'un qui est très sociable,
02:02 mais c'est vrai que je peux sociabiliser très bien pendant une heure ou deux.
02:05 Mais après, il me faut peut-être plusieurs jours pour m'en remettre.
02:08 Et donc, j'ai développé quand même beaucoup de ce qu'on appelle des comorbidités,
02:11 ou je préfère le terme co-occurrence, des troubles associés à l'autisme qui ont fait de ma vie un enfer.
02:18 J'ai quand même eu plusieurs hospitalisations en psychiatrie.
02:21 Est-ce que votre fille va pouvoir être prise en charge ?
02:23 Et quelle prise en charge appelle le diagnostic ?
02:27 Ma fille, elle bénéficie d'un accompagnement par un service qu'on appelle le CESAD,
02:30 donc un service d'éducation spécialisé de soins à domicile.
02:34 Et donc, on a une éducatrice qui vient toutes les semaines pour l'aider à progresser sur sa gestion des émotions, par exemple.
02:39 Merci, merci Savannah d'être intervenue au Standard.
02:42 Adeline Lacroix, quand cette dame dit "on ne nous croit pas", je trouve ça terrible.
02:46 Comment on explique ça ?
02:47 Oui, alors ça arrive effectivement parce que l'autisme, du coup, n'a pendant longtemps pas été reconnu chez les femmes.
02:54 Et c'est vrai qu'il y a encore des professionnels qui disent "vous ne pouvez pas être autiste puisque vous êtes une femme".
03:00 Donc c'est assez dramatique.
03:02 Je pense que les choses évoluent néanmoins beaucoup, puisqu'on entend quand même de plus en plus se parler de l'autisme chez les femmes.
03:09 Et on sait effectivement maintenant qu'elles peuvent présenter des caractéristiques qui sont un petit peu différentes de celles des hommes.
03:15 En quoi sont-elles différentes et est-ce que ça rend l'autisme plus difficile à diagnostiquer chez les femmes ?
03:21 Alors oui, en effet, je pense que ça rend les choses plus difficiles.
03:24 Alors les différences, c'est surtout les symptômes fondamentaux sont les mêmes.
03:29 C'est-à-dire ?
03:31 C'est les difficultés dans les interactions sociales et dans la communication et les intérêts qui sont sur une chose souvent.
03:39 Donc on appelle ça intérêt spécifique ou restreint. Et puis des particularités sensorielles, un besoin d'immuabilité, etc.
03:47 Et donc ça, c'est la même chose chez les hommes ou chez les femmes.
03:51 Mais parfois, chez les femmes, on retrouve de meilleures compétences socio-communicationnelles.
03:56 Elles arrivent un petit peu mieux à interagir avec les gens, comme le disait Savannah.
04:01 Elle peut avoir des situations d'interaction qui sont convaincantes, en tout cas, par rapport à l'auditoire.
04:12 Et du coup, on retrouve aussi des intérêts qui sont un peu mieux tolérés, qui sont un peu plus classiques.
04:20 Par exemple, une jeune fille, moi, c'était les animaux. Donc je passais mon temps auprès des animaux.
04:26 J'y allais, je passais mon temps dans le jardin avec mon chien, j'allais avec le fermier sortir des vaches.
04:32 Je passais mes vacances à faire des stages chez le vétérinaire. J'allais voir les chevaux tout le temps.
04:36 Et donc, ça peut sembler plus classique, mais c'est dans l'intensité qu'on va voir vraiment l'intérêt.
04:41 Et donc, ça complique le diagnostic parce que nos outils ne sont pas forcément déjà adaptés pour les femmes.
04:48 C'est ça. C'est-à-dire que les diagnostics reposent sur des cas cliniques qui sont des cas masculins.
04:55 Exactement. Vous avez tout compris. Effectivement, on a d'abord décrit des hommes autistes.
04:59 Donc, on a fait de la recherche plutôt sur les hommes autistes.
05:02 Donc, c'est eux qui sont le plus décrits.
05:05 Et du coup, les femmes qui sortent un petit peu parfois de ce cadre ne rentrent pas forcément dans ces critères-là, dans ces cas.
05:11 Alors, le chiffre qui revient, vous allez me dire si je raconte une bêtise.
05:15 Une femme diagnostiquée souffrant de troubles du spectre autistique pour trois à quatre hommes diagnostiqués.
05:20 Et pour la forme qui vous concerne, on parle même d'un rapport de une femme pour neuf hommes.
05:26 Est-ce que ça veut dire qu'il y a moins de femmes qui souffrent de ces troubles-là ou qu'il y a toujours un déficit de diagnostic ?
05:32 Que dit l'état de la science là-dessus puisque votre livre, il est hyper carré et il essaye de faire l'état de la science sur le sujet ?
05:39 Oui, alors je pense qu'il y a un peu des deux.
05:41 Alors, c'est une question à laquelle il est difficile de répondre, mais je pense qu'il y a effectivement des femmes qui ne sont pas diagnostiquées,
05:48 qui, on va dire, ne passent sous les radars. Et du coup, ça donne un peu ce sexe ratio parfois déséquilibré,
05:54 notamment dans la forme d'autisme, enfin sans déficience intellectuelle, où là, on a eu plus de mal à repérer les femmes.
06:01 Maintenant, effectivement, on parle de deux à trois hommes pour une femme autiste.
06:07 Et là, effectivement, le sexe ratio se rattrape un petit peu,
06:13 mais il peut y avoir quand même plus d'hommes autistes en raison de particularités, enfin de choses biologiques,
06:24 en fait, de particularités de développement liées à des processus biologiques qui peuvent conduire à ce qu'il y ait plus d'hommes autistes malgré tout.
06:32 On va revenir sur votre histoire à vous. Vous parliez de particularisme biologique.
06:37 Qu'est ce qu'on sait aujourd'hui dire ce qui provoque l'autisme ? Ce sont des causes génétiques uniquement, pas seulement ?
06:44 Alors, c'est essentiellement des causes génétiques, mais qui sont complexes.
06:47 Il n'y a pas un gène de l'autisme. C'est souvent plusieurs gènes qui, en interaction, vont donner des symptômes, les caractéristiques de l'autisme.
06:57 C'est aussi pour ça que l'autisme, c'est très varié, très hétérogène.
07:00 Donc, on n'a pas une forme d'autisme, mais un peu des formes d'autisme, même si maintenant, on catégorise tout dans le trouble du spectre de l'autisme.
07:08 Et après, il peut y avoir une interaction avec des facteurs environnementaux, mais peut-être au sens large, par exemple avec les hormones masculines, féminines.
07:17 Il peut y avoir des interactions aussi avec ça. Et pour ce qui est de l'environnement au sens même, là, on a des débuts de piste, mais on ne sait pas encore très bien comment ça se passe.
07:29 - Une remarque d'Emily sur l'application et ce qui va nous amener à votre histoire, c'est le parcours du combattant pour obtenir ou pas un diagnostic.
07:35 Le fait que certains autistes ne sont pas pris au sérieux quand ils essayent d'expliquer un mal-être, que ce soit dans le domaine familial ou médical,
07:41 sous prétexte qu'ils arrivent à vivre plus ou moins normalement quand il s'agit d'autisme léger.
07:46 Faut-il attendre un burn-out pour se lancer ? C'est un petit peu ce qui vous est arrivé.
07:50 Est-ce que c'est il a fallu un burn-out pour que vous soyez diagnostiqué ?
07:55 Parce que vous étiez donc enseignante en section spécialisée et puis burn-out, il y a eu le diagnostic à ce moment-là, c'est comme ça que ça s'est passé ?
08:01 - Oui, alors c'est vrai que c'est comme ça. Enfin, à ce moment-là, alors moi, j'ai toujours ressenti des différences, des difficultés dans mes interactions qui étaient compliquées.
08:10 Je ne savais pas comment les autres faisaient pour, apparemment, arriver à interagir de manière si aisée, alors que pour moi, c'était compliqué.
08:20 Puis bon, je pourrais dire plein plein de choses, mais en tout cas, donc je me suis interrogée, mais je n'ai pas fait démarche auprès d'un psychologue
08:28 avant effectivement de ne vraiment plus en pouvoir au niveau de ma vie professionnelle et personnelle.
08:35 - Pardon, je vous coupe une seconde. Vous dites "je pourrais dire plein plein de choses". Dans l'actualité, il y a le harcèlement.
08:40 Est-ce que les enfants qui souffrent d'autisme sont plus harcelés que les autres ?
08:44 - Oui, effectivement, ça c'est une problématique. J'ai eu de la chance, je n'ai pas eu à subir cela, mais c'est très fréquent parce que les personnes autistes
08:52 souvent présentent des particularités que les autres voient parfois mieux qu'elles-mêmes et du coup, les autres vont pointer du doigt ces particularités
09:01 et les enfants autistes se retrouvent, ou les adolescents autistes se retrouvent harcelés, discriminés à cause de cela.
09:08 - On en arrive au diagnostic. Comment ça se passe, un diagnostic ?
09:11 - Alors un diagnostic, ça se fait, c'est clinique déjà, donc c'est par rapport à des caractéristiques que l'on observe, il n'y a pas de test biologique
09:21 et on va faire à la fois des tests où on va observer la personne, des tests où on va interroger la personne sur la manière dont elle vit les choses
09:30 et on va aussi demander aux parents ou à des proches comment ça se passe parce que c'est important d'avoir quand même des regards extérieurs
09:38 pour n'avoir pas que le regard d'une personne qui peut être biaisé, que ce soit d'un côté ou de l'autre.
09:43 Donc on essaye d'avoir une multiplication de regards pour avoir un regard le plus précis possible
09:50 et ensuite, selon la personne, il y a des personnes pour qui c'est assez évident et c'est un peu plus rapide et puis des personnes pour qui ça peut prendre plus de temps.
09:58 - Et vous écrivez dans votre livre que pour vous, le diagnostic a été salvateur, il a répondu à beaucoup d'interrogations remontant jusqu'à ma petite enfance.
10:07 Quelle difficulté de 0 à 30 ans si j'ose dire et est-ce que ce fameux camouflage, vous aussi vous l'avez pratiqué, camouflage ou adaptation, je ne sais pas comment le dire ?
10:17 - Oui, les deux mots peuvent être justes mais effectivement, quand j'étais petite, je voyais bien que les autres enfants arrivaient à jouer et à interagir facilement
10:27 et moi j'avais quand même des copines mais j'avais vraiment du mal à interagir et je me souviens que je me posais des questions,
10:33 je me disais "mais c'est bizarre, à l'école on apprend plein de choses mais on n'apprend pas comment se faire des amis alors que pour moi c'est ça qui est vraiment compliqué"
10:40 et puis j'avais vraiment du mal à comprendre beaucoup de choses et du coup j'avais l'impression d'être vraiment bête et que le fait que je réussisse scolairement
10:48 masquait le fait que j'étais bête et j'avais l'impression que je m'en sortais comme ça et qu'il fallait que je continue à bien réussir à l'école
10:57 pour que les autres ne s'aperçoivent pas de la supercherie et que j'étais en fait complètement idiote.
11:03 Alors vous parliez de réussite scolaire et d'intelligence et ce rapport à l'intelligence,
11:08 on a l'image de personnes souffrant de troubles autistiques qui ont des talents particuliers,
11:12 les listes d'artistes, de chercheurs particulièrement brillants et qui souffrent de symptômes type Asperger,
11:19 encore une fois on ne dit plus comme ça mais c'est ce qui parle au grand public.
11:22 Là encore que dit l'état de la science là-dessus ?
11:25 Est-ce que souffrir d'un trouble de ce type là est associé avec une intelligence particulière ?
11:34 Alors pas forcément en fait dans les troubles du spectre de l'autisme, on a toutes les niveaux de QI qui peuvent s'observer.
11:42 Par contre la différence c'est que souvent les personnes qui ont un trouble du spectre de l'autisme,
11:47 elles sont très intéressées par un sujet, elles vont développer d'énormes compétences dans un sujet,
11:52 ce qui peut les rendre aussi très performantes. Donc il y a des personnes autistes qui ont un très haut QI,
11:56 d'autres qui n'ont pas forcément ce haut QI, mais en tout cas elles peuvent développer des pics d'habileté
12:01 et ça c'est souvent quelque chose qu'on observe chez les personnes autistes.
12:04 Il nous reste un peu plus d'une minute, je le disais en introduction, le gouvernement doit présenter sa feuille de route
12:09 pour aider les patients et les familles de ceux qui souffrent de troubles du neurodéveloppement.
12:14 Le besoin majeur c'est quoi ? C'est de personnes pour accompagner dans les écoles,
12:19 c'est de professionnels de santé pour les diagnostics, il est où le besoin majeur ?
12:22 En tout cas là il y en a beaucoup de besoins majeurs.
12:24 L'inclusion scolaire c'est vraiment important parce que là parfois on parle encore d'inclusion,
12:27 alors qu'inclure un enfant une heure par semaine ce n'est pas de l'inclusion.
12:31 Il y a la formation des professionnels parce que là on est encore très en retard,
12:35 même si ça faisait partie du dernier plan autisme, on n'a pas encore beaucoup évolué à ce niveau,
12:39 il faut vraiment que les professionnels dans leur formation de base puissent avoir une vraie formation à l'autisme
12:46 et aux stratégies d'accompagnement. Donc ça me semble être deux points vraiment essentiels.
12:51 Et puis continuer dans la recherche c'est aussi important.
12:54 Est-il possible, nous demande Delphine, que le diagnostic de l'autisme induise nécessairement un classement de handicap ?
13:00 Est-ce que vous savez répondre à cette question ? Je ne veux pas vous piéger.
13:03 Alors oui, en fait normalement effectivement on diagnostique l'autisme quand il y a un handicap
13:08 parce que sinon effectivement toute personne peut présenter on va dire des traits autistiques,
13:13 mais s'il y a des traits autistiques et que ce n'est pas majeur
13:18 et que ça ne présente pas finalement une altération des difficultés vraiment au quotidien,
13:24 et bien dans ce cas effectivement on ne va peut-être pas classer ça comme de l'autisme,
13:28 mais pas diagnostiquer l'autisme.
13:30 Autisme au féminin, approche historique, scientifique, regard clinique, Adeline Lacroix, édition UGA.
13:36 Merci d'être passée dans les studios de France Inter.
13:37 Merci beaucoup à vous.

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