Le Musée national de l'histoire de l'Immigration rouvre avec une exposition permanente entièrement repensée. Constance Rivière, directrice générale du Palais de la Porte dorée abritant ce musée, et François Héran, professeur au Collège de France à la chaire "Migrations et sociétés", était à cette occasion les invités du 8h20 de France Inter, mardi 13 juin.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 Il est 8h23.
00:02 France Inter.
00:04 Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7 9 30.
00:08 Et avec Léa Salamé, nous vous proposons aujourd'hui un grand entretien consacré à la réouverture samedi du Musée National d'Histoire de l'Immigration à Paris.
00:16 Vos questions, amis auditeurs, amies auditrices, au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:24 Léa, deux invités pour en parler.
00:26 Constance Rivière est avec nous, directrice générale du Palais de la Porte Dorée où se situe le Musée National de l'Histoire de l'Immigration.
00:32 Bonjour à vous, merci d'être là.
00:34 Et François Héran, démographe, professeur au Collège de France, président du Conseil d'Orientation du Palais de la Porte Dorée, auteur de Immigration, le grand déni aux éditions du Seuil.
00:42 Soyez les bienvenus. Ce musée qui avait été voulu par Jacques Chirac, qui avait ouvert ses portes en 2007, rouvre donc ce samedi après trois ans de fermeture.
00:51 Dans un contexte politique et d'actualité sensible, on y reviendra dans quelques instants, en évitant aucune question.
00:58 Mais commençons d'abord par une courte visite guidée.
01:01 Qu'est-ce qui change dans ce nouveau musée de l'immigration dont 80% des œuvres ont été renouvelées ?
01:07 Quelle évolution conceptuelle dans la présentation de ces œuvres, dans ce que les visiteurs vont pouvoir découvrir ?
01:14 Constance Rivière, dites-nous, soyez le guide. Suivons le guide.
01:18 Bonjour et merci beaucoup de nous permettre de parler de ce musée qui change en réalité presque intégralement.
01:24 C'est un musée qui repose sur l'idée de montrer l'histoire de France depuis trois siècles.
01:30 En réalité, la question à laquelle répond ce musée, c'est comment nous sommes devenus la France et comment devient-on français à travers le temps ?
01:37 Et c'est un musée, c'est-à-dire que c'est une exposition.
01:39 Et un musée, ça veut dire qu'on n'a pas un livre sur les murs.
01:43 On est dans un lieu qui est joyeux, vivant, coloré, moderne et dans lequel on va…
01:48 Ce qui n'était pas le cas avant sa fermeture il y a trois ans.
01:51 En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, on a vraiment voulu montrer à la fois des documents historiques.
01:57 Donc, qu'est-ce que le visiteur voit quand il arrive au musée ?
02:00 Il va voir la maquette du navire L'Aurore qui permet de mesurer ce qu'a été la traite des esclaves.
02:06 Il va voir le dossier de Picasso étranger qui n'a jamais été naturalisé français.
02:10 Mais aussi des œuvres d'art contemporains et des parcours de vie, des parcours intimes de personnes
02:16 qui ont donné des objets personnels au musée.
02:20 Et ça, je crois que c'est très important pour pouvoir rentrer dans cette histoire.
02:24 C'est à la fois des données scientifiques, de la connaissance, mais c'est aussi des hommes et des femmes et des visages.
02:30 L'équipe de La Matinale est allée hier au musée visiter en avant-première, puisqu'il ouvre samedi.
02:34 Il a trouvé vraiment le musée.
02:36 Ce qui les a marqués, ce qu'ils nous ont dit, c'est le côté très enrichissant, la diversité des œuvres.
02:41 Il y a effectivement des archives, des films, des pièces d'art contemporain, mais aussi de la musique.
02:47 Il y a un studio où on peut écouter de la musique de tous les artistes, comme Dalida, comme Aznavour, comme Reggiani,
02:51 qui viennent de l'immigration.
02:53 Et on peut même danser ensemble sur Rachita ou Enrico Macias.
02:55 Voilà, c'est vivant, c'est ça.
02:57 Il n'y a pas un côté sinistre, c'est vraiment vivant.
03:00 Et l'idée, c'est vraiment d'en faire un musée.
03:03 François Héran, puisque vous y êtes allé également, rendre accessible une histoire complexe pour tous.
03:09 C'est-à-dire pour les familles, pour les jeunes.
03:11 On comprend les choses pour les enfants et aussi pour les férues d'histoire.
03:15 Il y en a pour tout le monde.
03:16 Alors, la nécessité que ce musée soit lisible par les jeunes, c'est Constant, ce qui a beaucoup insisté là-dessus.
03:21 Je lui rends hommage là-dessus.
03:23 La difficulté que nous avions, que j'avais, c'était qu'on disposait d'un volume, d'un livre de quasiment 500 pages,
03:30 "Les Rapports Boucheron", qui était extrêmement riche,
03:35 qui racontait toute l'histoire de France à travers l'immigration.
03:38 Mais il fallait extraire de tout ça des choses qui soient exposables, qui soient lisibles.
03:45 Et donc, l'idée, ça a été cette fois de suivre un parcours chronologique,
03:49 avec une douzaine de dates, de grosses dates repères, de dates un peu épaises.
03:52 Ce n'est pas juste ce qui se passe l'année-là, mais ce sont des dates qui symbolisent un peu des périodes.
03:57 Et on suit le temps.
03:58 Et donc, ce fil chronologique, il a quelque chose de très didactique, mais pas didactique au sens lourd.
04:04 Quand on sort du musée, il faut qu'on ait le sentiment d'avoir appris quelque chose,
04:08 d'avoir appris effectivement avec tout le guets-avoir que ça suppose.
04:13 Et c'est vrai que l'édition précédente, elle était très intello.
04:16 Les cartels, ou comme on dit, les notices étaient peu lisibles, etc.
04:20 On a changé tout ça.
04:21 Il y a une lisibilité, on a beaucoup insisté là-dessus.
04:23 Et en même temps, c'est vraiment les acquis de la recherche depuis une quinzaine d'années qui sont intégrés dans ce nouveau musée.
04:28 Constance Rivière, le guet-savoir.
04:30 Le guet-savoir, c'est surtout l'idée de faire un musée pour tout le monde.
04:34 Un musée d'abord pour mieux connaître notre passé.
04:37 Et je crois qu'il y a un très grand souci de reconnaissance aussi pour un certain nombre de personnes
04:43 qui sont venues en France, ou les parents ou grands-parents sont venus en France,
04:46 que leur histoire soit bien connue.
04:48 On a vu le très grand succès autour du film "Tirailleur" avec Omar Sy,
04:53 qui a permis de mettre aussi en valeur des figures qui étaient des figures oubliées de l'histoire.
04:57 Donc il y a d'abord ce souci de reconnaissance.
04:59 Il y a un souci aussi pour le présent.
05:01 Comment est-ce qu'on éclaire le présent ?
05:03 Comment est-ce qu'on arrive à dissoudre les préjugés et les stéréotypes dans la connaissance ?
05:07 Et puis je crois qu'il y a aussi un défi pour l'avenir.
05:10 C'est comment est-ce qu'on arrive à bâtir un destin commun ?
05:12 Et si on ne reconnaît pas en France qu'aujourd'hui, près d'un Français sur trois est issu de l'immigration,
05:17 que ça fait près de deux siècles que la France est un pays d'immigration,
05:21 c'est une réalité ?
05:22 Certains s'en réjouissent, d'autres s'en peinent.
05:25 Mais c'est la réalité.
05:27 Si on n'est pas capable de regarder ça en face,
05:29 comment est-ce que vous voulez qu'on arrive à faire une France unie ?
05:31 C'est pour ça qu'il est important d'avoir un musée de l'immigration,
05:36 de l'histoire de l'immigration en France, François Héran.
05:38 Un lieu spécifiquement dédié.
05:40 C'est-à-dire que le musée, c'est le musée national d'histoire de l'immigration.
05:44 Et donc ce que l'on a voulu montrer, c'est que l'histoire de l'immigration fait partie de l'histoire de France.
05:48 C'est ce que vient de dire Constance.
05:50 Or, évidemment, il y a quand même une tendance assez répandue à considérer que l'immigration,
05:54 c'est quelque chose d'un peu marginal, qui serait arrivé tardivement,
05:57 qui n'est pas extérieur au cœur de l'identité française.
06:02 On a voulu rappeler, de façon très factuelle, avec des recherches historiques qui sont considérablement développées,
06:08 que non, l'histoire de l'immigration fait partie de l'histoire de France.
06:12 En fait, on en sort et on donne des clés pour ceux qui critiquent l'immigration,
06:18 ou qui disent que ça n'a jamais existé, ou que c'est récent, comme vous dites.
06:22 Eh bien, vous donnez des clés pour répondre historiquement.
06:26 En fait, je crois qu'on donne des clés d'abord à tout le monde,
06:29 pas seulement à ceux qui critiquent, pour mieux connaître.
06:32 On a fait un sondage pour l'ouverture du musée,
06:36 dans lequel on a interrogé les Français sur leur connaissance de l'immigration
06:40 et sur leur perception de l'immigration.
06:42 Et ce qui ressort très nettement de ce sondage, c'est que les Français connaissent mal.
06:47 On a posé 6 questions de connaissance à 1000 personnes.
06:51 Sur 1000 personnes, on en a une qui répond correctement.
06:54 Une seule !
06:55 Une seule personne qui répond aux 6 questions correctement.
06:58 Et les Français le savent, parce que quand on leur demande
07:00 "Est-ce que vous pensez que vous êtes bien informés sur l'immigration ?"
07:02 ils sont 78% à dire qu'ils sont mal informés.
07:05 Et ils sont 75% à considérer que le débat ne peut pas être serein.
07:09 Et donc c'est ça aussi notre rapport au débat actuel,
07:13 c'est d'essayer de donner de la connaissance.
07:16 Et de donner de la connaissance à travers les faits scientifiques,
07:20 mais encore une fois, j'insiste là-dessus, à travers les voix et les visages,
07:24 à travers les paroles de personnes qu'on n'entend pas toujours assez.
07:27 Alors les 6 questions étaient les suivantes.
07:29 Quelle proportion de la population représente l'immigration ?
07:32 Quelle est la part des immigrés non-européens dans les immigrés vivant en France ?
07:37 Quelle est la proportion des femmes dans la population immigrée ?
07:40 Quelle part de la population est issue de l'immigration ?
07:44 Quelle proportion des immigrés sont diplômés ?
07:47 Les mariages entre Français et étrangers représentent quelle proportion des unions ?
07:52 Et donc voilà.
07:53 Et sur ces 6 questions, ce qui est intéressant, c'est que sur ces 6 questions, la réponse se trompe.
07:57 On voit clairement que les Français...
07:58 On vous propose des réponses !
07:59 Bien sûr, bien sûr !
08:00 Sauf que les Français ont tendance à estimer que les immigrés sont plus nombreux que ce qu'ils sont,
08:05 qu'ils sont plus masculins, alors que les femmes c'est 50%,
08:08 qu'ils sont plus extra-européens, alors que ce n'est pas le cas,
08:12 qu'ils sont moins diplômés, alors qu'à 40% ils sont diplômés.
08:16 Mais ce que montrent en réalité les choses, c'est effectivement une perception de l'immigration
08:21 qui est très décalée avec une immigration où plus de 40% des immigrés sont diplômés du supérieur,
08:26 plus de 50% sont des femmes,
08:28 donc aussi l'importance qu'il y a à remettre de l'objectivité sur ce mot qui est souvent une généralité un peu vague et donc aveuglante.
08:38 Votre analyse du résultat de ce questionnaire, François Héran ?
08:42 Alors, ce sont des questions assez difficiles.
08:45 Je ne suis pas sûr que les chercheurs eux-mêmes seraient capables de répondre correctement.
08:49 C'est quand même des questions difficiles.
08:51 Il est normal que le français moyen ne connaît pas la réponse.
08:55 Alors, on surestime l'importance de l'immigration parce que les français ont tendance à inclure la deuxième génération,
09:00 celle qui est née en France d'au moins un parent immigré, qui n'est pas immigré puisqu'elle n'a pas franchi la frontière.
09:05 On a tendance à inclure aussi les domiens et les enfants des domiens, des anciens départements d'outre-mer, etc.
09:12 Donc oui, c'est classique, cette surestimation est classique.
09:16 Mais quand on regarde les enquêtes internationales sur le même sujet, avec le même genre de questions,
09:19 la France est un des pays où il y a le plus de surestimation de l'immigration.
09:23 Et ça, c'est lié au débat public tel qu'il se tient.
09:26 Alors, le débat public parle du coup, oui.
09:28 Je voudrais ajouter un mot sur le sondage.
09:30 C'est qu'il est aussi porteur d'espoir en quelque sorte.
09:33 Parce que quand on demande aux français s'ils pensent qu'il y a trop d'étrangers en France,
09:37 qu'ils répondent à plus de 60% oui.
09:40 Mais quand on leur demande aussi si la France s'est construite grâce à l'immigration,
09:44 ils sont 66% à répondre oui.
09:46 Et quand on les interroge sur leur cycle familial, amical ou professionnel,
09:49 ils sont aussi près de 70% à considérer que c'est un apport.
09:52 Et donc, en réalité, le sondage montre qu'on est autour de 15% de personnes
09:57 qui sont vraiment très réfractaires, aussi bien en termes de connaissances que de perceptions.
10:01 Alors moi, en tout cas, j'y vois un signe d'espoir.
10:03 Vous y voyez vous un signe d'espoir.
10:05 Reste que quand on regarde le sondage, vous avez envie de le lire de manière avec le verre à moitié plein.
10:10 On peut aussi le lire d'autres manières, parce qu'il y a d'autres chiffres quand même.
10:13 Comme vous dites, 60%, 62% des français répondent oui à trop d'immigrants en France.
10:17 Et puis, par ailleurs, à la question de savoir si l'immigration est une chance pour la France,
10:22 une majorité de français répondent non, ce n'est pas une chance pour la France.
10:26 Il faut l'entendre aussi.
10:27 Ça reste quand même, il y a, et François Héran, vous le savez,
10:30 puisque vous êtes spécialiste de cette question,
10:31 il y a quand même un malaise qu'on ne peut pas esquiver autour de l'immigration.
10:36 C'est clair, c'est absolument clair.
10:38 Toute une série de sondages de longue date,
10:40 et d'ailleurs, ils sont menés un peu partout en Europe, aux Etats-Unis,
10:43 donnent toujours à peu près les mêmes proportions.
10:45 C'est-à-dire entre 60% et 65% de gens qui trouvent qu'il y a trop d'étrangers,
10:50 qui considèrent par exemple qu'ils ne font pas d'efforts pour s'intégrer,
10:53 qu'on ne se sent plus chez nous en France, etc.
10:57 Ces questions sont posées de longue date dans plusieurs questionnaires.
10:59 Maintenant, quand on les regarde de près, quand il y a des effectifs suffisants,
11:04 on voit par exemple que c'est très dépendant de la filiation politique.
11:07 Les électeurs du Rassemblement national sont à 95% à penser cela.
11:12 Les chiffres descendent à 20% à l'autre extrémité du spectre politique.
11:16 Ce ne sont pas des constats objectifs, ce sont des jugements politiques, fondamentalement.
11:21 C'est ça qui est important.
11:23 Et lors de la crise du Covid, par exemple,
11:27 c'était très intéressant de voir que pour la première fois,
11:29 dans l'enquête sur les fractures françaises,
11:31 qui est une des grandes enquêtes spécialisées dans ce genre de sujet,
11:33 la proportion de gens qui pensaient que les immigrés faisaient pas des efforts pour s'intégrer a chuté.
11:39 Parce qu'on s'est aperçu qu'ils jouaient un rôle important dans les emplois essentiels,
11:43 ce qui font assurer la continuité de la vie sociale et économique.
11:46 Reste Constance Rivière, pardon, qu'il y a eu quand même autour de la création même de ce musée,
11:51 beaucoup de malaise.
11:53 C'est un musée qui a été voulu par Jacques Chirac,
11:55 qui a été inauguré en 2007 sans Nicolas Sarkozy président.
11:59 C'était en plein débat sur l'identité nationale.
12:01 Et là, il rouvre aussi à un moment où il y a une loi que prépare le gouvernement,
12:06 qui veut durcir les conditions, qu'il prépare avec LR.
12:08 On est quand même... On ne peut pas s'extraire du contexte politique et social et du débat public actuel.
12:14 Non, alors moi, c'est vrai que ça fait 20 ans que je travaille sur les questions des droits,
12:18 et en particulier sur les questions des droits des étrangers.
12:20 Et 20 ans que quasiment tous les ans, il y a une nouvelle loi sur l'immigration
12:24 et qu'on dit qu'on ne peut pas en parler de manière sereine ou apaisée,
12:28 parce que la situation est difficile.
12:30 Donc, je ne vois pas de particularité au moment que nous traversons.
12:34 J'y vois plutôt une constante qui est à travers les 20 dernières années.
12:39 Mais en réalité, quand on reprend l'histoire, et c'est bien ce que montre le musée,
12:43 toutes les vagues d'immigration, elles se sont constituées aussi avec des montées de xénophobie,
12:47 avec des violences, avec la peur de l'autre.
12:50 C'est ça le sujet central.
12:51 C'est que l'autre est toujours d'abord quelqu'un d'indistinct
12:54 et quelqu'un dont on a peur parce qu'on ne le connaît pas.
12:56 Et c'est pour ça précisément que ce musée, il est important.
12:59 C'est pour lutter contre l'indistinction et pour remettre des visages et de la connaissance au cœur du débat.
13:06 Dans votre livre Immigration, le grand déni, François Héron,
13:10 vous pointez le retour obstiné de la question migratoire dans le débat public
13:14 à l'occasion des campagnes électorales, mais aussi des faits divers, des faits d'actualité à faire le là.
13:20 Par exemple, là c'est le drame d'Annecy qui réactive la question migratoire
13:24 parce que l'assaillant est un réfugié syrien qui a vu sa demande d'asile rejetée quelques jours avant de poignarder les enfants.
13:31 La droite et le Rassemblement National ont pointé le chaos migratoire,
13:35 la faillite de la politique migratoire française,
13:38 pointé également les règles du droit d'asile en demandant à ce qu'elles soient revues.
13:43 Comment réagissez-vous à l'ensemble de ces propos et que répondez-vous à cela ?
13:49 Alors, il y a un contraste formidable entre le soin méticuleux qu'on a mis à rédiger tous les cartels de l'exposition du musée,
13:58 le travail qui a duré plusieurs années par des jeunes chercheurs, généralement affiliés à l'Institut Convergence Immigration,
14:05 et l'extraordinaire rapidité de tous les échanges qu'on se jette comme ça dans l'arène politique à propos de l'immigration.
14:14 Le contraste est saisissant. Sur l'affaire d'Annecy, moi je voudrais dire ceci,
14:18 l'idée que la politique migratoire est responsable de l'attentat,
14:22 l'idée qu'il suffirait de réduire drastiquement la demande d'asile pour que les Français soient davantage protégés contre ce genre d'événements n'a aucun sens.
14:30 En Turquie, il y a actuellement 3,8 millions de réfugiés syriens. En France, on en a accueilli 38 000 depuis 2014.
14:38 Il y a 100 fois plus d'immigrés syriens en Turquie qu'en France. 100 fois plus.
14:43 Il y en a 18 fois plus en Allemagne qu'en France. On n'a pas 100 fois plus d'attentats en Turquie, on n'a pas 18 fois plus d'attentats en Allemagne.
14:50 Donc l'idée qu'il y aurait une corrélation entre la politique d'asile et la probabilité ou le risque d'avoir des attentats,
14:58 et donc la protection assurée à l'égard de la population, c'est une idée qui n'a pas de sens.
15:04 Et je trouve que les raccourcis qu'on a pu entendre, du genre "la politique migratoire tue",
15:09 qui est quand même un extraordinaire raccourci, c'est Olivier Marlex qui a dit ça, me semble complètement en dehors de la réalité.
15:16 Constance Rivière ?
15:18 Non, c'est absolument ce que dit François Herand, c'est que certains font le choix de tout mélanger sur des sujets comme cela,
15:23 et particulièrement quand il s'agit de politique migratoire. Là, c'est ce qui vient d'être appelé, on parle d'un réfugié syrien,
15:29 plusieurs millions de Syriens qui ont dû fuir leur pays depuis quelques années, qui a obtenu l'asile en Suède et qui était présent en France.
15:38 Quelles conséquences voulez-vous qu'on en tire sur la politique migratoire ?
15:41 Dénoncer la convention de Genève ? Sortir de l'Europe ? Réviser notre constitution ?
15:46 On est en train de tout mélanger et ce qu'on essaye de faire au musée, c'est le contraire, c'est ne pas mélanger.
15:53 Question sur l'application de France Inter de Sonia Rose, le problème n'est pas l'immigration mais l'intégration,
15:59 le fait de vouloir s'intégrer comme l'ont fait mes quatre grands-parents.
16:03 Qui veut réagir à ce point ? François Herand ?
16:07 Je veux bien, on a des résultats d'enquête absolument passionnants.
16:11 On sait maintenant depuis peu de temps qu'il y a 31% des Français qui sont liés à l'immigration sur une, deux ou trois générations,
16:17 c'est-à-dire qu'ils sont soi-même immigrés ou enfants d'un ou deux immigrés ou petits-enfants d'un, deux, trois ou quatre immigrés.
16:24 Mais que seul 5% de la population française a ses quatre grands-parents immigrés.
16:29 Il n'y a aucune contradiction entre ces deux chiffres, ça veut dire que dans l'intervalle, à la première génération un peu,
16:34 à la deuxième génération beaucoup, à la troisième génération bien davantage, il y a un brassage.
16:39 Il y a des unions mixtes au fil des générations et donc les populations immigrées d'origine immigrée d'un côté,
16:45 native de l'autre, ne se séparent pas, ne s'éloignent pas, elles se rapprochent.
16:49 Et ça, c'est un élément absolument fondamental et ça nous dit que l'identité française,
16:53 ça va inclure de plus en plus les gens qui ont des patronymes, on l'a déjà fait pour les patronymes ashkénazes,
16:58 pour les patronymes séfarades, arméniens que sais-je, italiens, mais ça va continuer pour les patronymes arabes,
17:03 pour les patronymes qui viennent de l'Afrique du Sud-Ouest.
17:07 - Alors pourquoi cette défiance chez les Français ? Parce que là, vous nous répondez sur les réactions des hommes politiques,
17:13 c'est la question qu'on vous a posée, mais quand on voit les sondages,
17:17 pourquoi est-ce qu'il y a ce côté passionnel sur la question de l'immigration, voire hystérisée à chaque fois ?
17:24 Et ce malaise quand même que ressentent...
17:27 - Oui, bien sûr, il est évident que les attentats islamistes, j'en parle d'ailleurs dans mon livre de façon très directe,
17:31 ont joué un rôle considérable dans la peur que suscite l'immigration.
17:37 Il faut lutter évidemment contre le djihadisme, contre la radicalisation, etc.
17:41 Je pense que dans l'affaire d'Annecy, c'est davantage la capacité à déceler par les signaux faibles de la radicalisation,
17:49 ou de la folie qui est en jeu, que les critères de la politique migratoire, qui sont définis par la Convention de Genève.
17:55 - Mais même si on met de côté le djihadisme, le terrorisme ou cet attentat d'Annecy,
18:01 il y a aussi des critiques, et on le voit dans les questions des auditeurs, sur l'intégration, sur la montée du communautarisme en France.
18:09 Vous entendez ça, qu'il y a quand même un malaise sur des populations qui veulent moins s'intégrer au modèle français qu'auparavant.
18:16 Est-ce que vous l'entendez ça ou ça n'existe pas ?
18:18 - Je ne suis pas... Franchement, je ne partage pas ce diagnostic.
18:22 Il y a évidemment des problèmes de communautarisme, il y a des problèmes de séparatisme, comme on l'a dit,
18:27 mais pas tels qu'on puisse penser que de façon générale, les populations musulmanes se séparent de plus en plus de la population générale.
18:36 Ce n'est pas le cas. On a vraiment toute une série d'indicateurs dans le sens contraire.
18:39 Je rappelle que lorsqu'on a des sondages extrêmement précis, comme celui de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme,
18:45 qui entre dans le détail de toutes les pratiques de l'islam, par exemple, pour dire "mais qu'est-ce que vous en pensez ?",
18:49 pas seulement les caricatures de Mahomet, mais l'ayat al-Khabir, le Ramadan, etc.
18:54 La tolérance augmente.
18:56 Et il y a un indicateur de tolérance qui a été créé par les chercheurs de Sciences Po qui ont travaillé là-dessus,
19:01 qui montre que malgré des oscillations, malgré des combats culturels parfois d'arrière-garde,
19:06 quand même globalement, la tolérance augmente, et notamment chez les jeunes,
19:09 parce qu'ils sont de plus en plus familiarisés à une certaine altérité.
19:13 Et en même temps, ils savent qu'on peut, à travers ce contact, créer une vie commune qui marche.
19:22 - Alors on va passer au standard. On nous attend Romain. Bonjour Romain, bienvenue !
19:26 - Bonjour ! - On vous écoute !
19:28 - Merci d'avoir pris ma question. Alors je ne suis pas historien, donc je ne serai peut-être pas très précis,
19:33 mais je pense que dans le ressenti de l'immigration, il joue aussi, qu'on ait passé dans notre histoire,
19:39 de l'hyper-assimilation au début du XXe siècle, où quand même la France a maté les identités régionales
19:46 de manière extrêmement violente, par exemple les Bretons, les Alsaciens, les Basques, les Corses,
19:51 où les enfants ne pouvaient pas parler leur langue régionale à l'école sous peine d'être punis et humiliés,
19:58 à une hyper-… et ça va aussi dans le sens de la colonisation, où on apprenait l'histoire de France aux colonies,
20:05 à une hyper-ghettoisation à la fin de la colonisation, où on a parqué des étrangers dans des grands centres extraits urbains,
20:15 dans lesquels les services d'État prioritaires, comme la sécurité, l'éducation et tout, sont extrêmement dégradés.
20:24 Et donc on est passé d'un matage de l'État systématique à, finalement, la dernière roue du carrosse.
20:30 Merci Romain pour cette question et cette lecture de l'histoire. Qui veut y répondre ? François Héran, Constance Rivière ?
20:38 Ce qui est vrai, c'est que ce que montre l'histoire, c'est à quel point l'accueil des immigrés et leur intégration dans la société française
20:48 s'est faite à travers l'école, à travers le travail, à travers les services publics, de manière très puissante.
20:54 Je ne suis pas complètement convaincue qu'on pourrait dire qu'aujourd'hui, c'est autrement.
21:01 Qu'il y a la peur que ça le soit, oui, mais je crois qu'il y a aussi beaucoup de fantasmes.
21:07 On a dans l'exposition, à la fin, un très joli film d'une artiste de Valérie Mereggen, qui a interrogé des adolescents de Sarcelles,
21:15 Sarcelles vraiment représentant la ville-monde avec 80 origines différentes, et elle demande à ces adolescents "Qu'est-ce que vous voulez faire plus tard ?"
21:23 Mais ils répondent la même chose que tous les adolescents en France, ils veulent être psychologues, footballeurs, sortir leur famille de la galère, avoir un bon métier.
21:33 Et c'est ça aussi que dit ce musée-là, c'est "N'ayez pas peur en réalité de ceux qui vivent avec nous et qui veulent la même chose que nous."
21:42 Et c'est pour ça que vous parlez d'espoir sur ce musée ?
21:45 Oui, et bien c'est aussi, je parle d'espoir, parce que s'il n'y a plus d'espoir, on arrête tout quoi.
21:49 François Héran ?
21:50 Alors, c'est pas un espoir qui flotte comme ça sur le vide, évidemment. Je crois qu'on se fait des idées sur ce qu'était l'assimilation autrefois.
21:58 On a eu deux grandes expériences d'assimilation, le terme à utiliser pour les juifs assimilés, ça ne leur a pas évité la persécution.
22:05 Et puis il y avait les élites arabes assimilées en Afrique du Nord, mais qui n'ont jamais réussi à obtenir l'égalité des droits.
22:12 Et donc nos deux expériences de l'assimilation ont échoué, et c'est pour ça qu'on est passé à un modèle d'intégration.
22:17 Mais s'imaginer que les anciennes communautés immigrées ont été naturellement assimilées, c'est complètement faux.
22:23 Et là, l'histoire le montre. Il y a eu, et l'exposition est très éloquente là-dessus, des résistances acharnées.
22:30 Il y a eu des attaques mortifères, etc., contre les immigrés, y compris ceux qui aujourd'hui nous paraîtraient les plus assimilables.
22:38 Les Espagnols, par exemple, c'était pas des catholiques. Les Espagnols, c'était des rouges qui avaient le couteau entre les dents. Ils étaient menaçants.
22:44 Donc la vision rétrospective qu'on se fait que l'assimilation c'était simple, c'était linéaire autrefois, est un récit complètement erroné.
22:52 Il reste une minute. Quelle est l'oeuvre préférée que vous avez l'un et l'autre, ou l'une et l'autre, de ce musée,
22:58 s'il y a quelque chose pour donner envie aux auditeurs d'y aller ? Constance Rivière, ce que vous préférez dans le musée ?
23:04 Il y a une oeuvre que je trouve extrêmement forte parce qu'elle a aussi un écho à l'actualité, qui est une oeuvre de Barthélemy Togo,
23:10 qui est une barque posée sur une mer de bouteilles avec des grands bâlots de toutes les couleurs qui montrent la fragilité des embarcations sur lesquelles les migrants traversent la mer.
23:21 Et vous, François Héran ?
23:22 Moi, j'aime bien le grand panneau mural sur lequel on a des dizaines et des dizaines de dessins humoristiques de la restauration.
23:29 C'est l'époque où Balzac faisait sa comédie humaine et que ça représente les différents types d'étrangers qui vivent à Paris.
23:35 Il y en a au moins une trentaine et c'est un ensemble assez magnifique. Il y avait l'idée qu'on pouvait décrire des types sociaux et les étrangers, ça faisait partie de tous les types sociaux qu'il y avait dans la société française.
23:46 Merci à tous les deux.
23:47 À partir de samedi.
23:49 À partir de samedi, François Héran, Constance Rivière, merci d'avoir été à notre micro ce matin.