Marc Lazar, professeur émérite d'Histoire et de sociologie à Sciences Po, Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde et Pierre-Henri Tavoillot, philosophe et maître de conférences à la Sorbonne étaient les invités du 8h20 de France Inter ce vendredi. Ils sont revenus sur l'état de notre démocratie.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 Et grand entretien en forme de table ronde politique ce matin, trois invités pour réfléchir
00:04 aux cent jours que se donne Emmanuel Macron pour tenter d'apaiser le pays après la
00:08 crise de la réforme des retraites.
00:10 Mission possible ou impossible ? On en débat ce matin avec Marc Lazare, professeur d'histoire
00:16 et de sociologie émérite à Sciences Po et à l'université Luice à Rome, Pierre-Henri
00:22 Tavoyeaux, philosophe, maître de conférences à la Sorbonne, président du Collège de
00:27 Paris et Françoise Fresseau, éditorialiste au quotidien Le Monde.
00:31 Bonjour à tous les trois et bienvenue sur Inter.
00:34 Cent jours d'apaisement, d'unité et d'action au service de la France.
00:39 Tels sont donc les mots et le cap fixé par le président de la République pour relancer
00:44 le quinquennat après ces mois de contestation de la réforme des retraites.
00:48 Il donne rendez-vous le 14 juillet pour faire le point.
00:50 Voilà, c'est comme dans le théâtre classique, on a une unité de temps et une unité d'action.
00:56 Même question à tous les trois pour commencer.
00:59 Françoise Fresseau, vous avez la parole en premier.
01:02 Le président de la République cherche à rebondir, à tourner la page, à apaiser.
01:06 Pensez-vous tout simplement qu'il puisse y parvenir ?
01:09 Alors sur l'apaisement, je pense qu'il peut, il y a une petite marge de manœuvre.
01:13 Sur l'unité, ça sera beaucoup plus compliqué.
01:15 Sur l'apaisement, ça va être le calendrier, il va être jalonné par des rendez-vous importants.
01:19 C'est évidemment la mobilisation du 1er mai.
01:21 Et après le 1er mai, que devient le mouvement syndical ? Il y a aussi le recours
01:26 de l'opposition devant le Conseil Constitutionnel.
01:28 Est-ce qu'on peut faire un référendum d'initiative partagé pour essayer de faire tomber la réforme ?
01:33 Et là, de la réponse aussi dépendra l'état de l'opposition.
01:36 Donc on va voir à partir de la mi-mai s'il est possible d'apaiser.
01:40 Parallèlement, vous voyez et le président de la République et le Premier ministre
01:44 qui essayent de reconquérir, qui vont sur le terrain, qui essayent de lutter contre leur impopularité.
01:49 Donc le pari, c'est au fond d'essayer d'apaiser le ressentiment très fort qui reste encore là.
01:56 Mais alors après, reconstruire une unité et avancer, je trouve que c'est beaucoup plus compliqué.
02:01 Et on voit bien que la conférence de presse, enfin les annonces d'Elisabeth Borne
02:04 qui a borné ses 100 jours, ça manquait quand même terriblement de souffle.
02:08 L'apaisement possible, Marc Lazare ?
02:11 Je suis plus dubitatif parce que je crois d'abord qu'il y a une impopularité record d'Emmanuel Macron.
02:17 Et ça, c'est très difficile à remonter, comme on sait.
02:19 Le tout dans un climat de défiance politique généralisée.
02:23 Et puis surtout, cette amorce des 100 jours, qui sont maintenant plus que 78, apparemment,
02:28 montre, je crois, au grand jour, toutes les contradictions du macronisme,
02:31 à la fois sur la méthode et à la fois sur le contenu.
02:34 À la méthode, parce que je ne vais pas employer l'expression "passage en force" qui me semble déplacé,
02:39 mais tous les instruments de ce qu'on appelle le parlementarisme rationalisé
02:43 ont été utilisés pour faire passer cette réforme.
02:46 Il a vaincu, mais il n'a pas convaincu.
02:48 Et ici, maintenant, c'est avec Elisabeth Bergborn l'idée de trouver des négociations,
02:53 d'essayer de renouer un dialogue.
02:54 Donc ça, c'est les contradictions du macronisme dans la méthode.
02:57 Et sur le fond, après avoir fait justement passer cette réforme des retraites
03:01 qui a clivé dans la société française et même qui a été rejetée majoritairement,
03:05 il y a l'idée d'essayer de trouver justement des sujets consensuels
03:08 sur les questions écologiques, sur un certain nombre de sujets,
03:11 quelques aussi créations d'emplois, près de 6000 assistants médicaux qui ont été annoncés,
03:16 puis des mesures de sécurité aussi, 150 gendarmes en plus sur la frontière franco-italienne.
03:20 Donc on voit ici à la fois sur le contenu comme sur la méthode
03:24 toutes les contradictions du macronisme qui apparaissent au grand jour.
03:27 Et puis alors surtout l'exfiltration de la loi sur l'immigration.
03:30 On repousse alors que quand même...
03:31 - C'est à l'automne.
03:32 - Oui, et le président de la République avait dit que c'était une de ses priorités
03:35 comme la réforme des retraites, qu'elle passerait en bloc ou alors pas petit morceau.
03:39 Et là, maintenant, c'est repoussé à l'automne.
03:41 Donc là, on voit quand même de la navigation à vue.
03:44 Et avec un capitaine au bord, si je veux poursuivre ma métaphore,
03:46 au bord, à la commande d'un bateau et qui vraiment navigue en fonction des tempêtes.
03:50 - Pierre-Henri Tavoyau, votre analyse ?
03:52 - Oui, l'image qui me vient, la métaphore qui me vient,
03:55 c'est que vous venez de terminer votre texte sur votre ordinateur et puis il plante.
03:58 Voilà, et donc vous le redémarrez.
04:00 Et on est... C'est 100 jours, c'est la phase...
04:02 On voit la barre de téléchargement qui...
04:04 Voilà, avec l'espoir qu'il y a un truc qui démarre, redémarre, mais c'est pas gagné.
04:08 Et donc c'est effectivement une logique de petits pas,
04:11 c'est-à-dire des petites mesures qui sont aigrénées.
04:14 Mais on voit très bien que dans cette période-là, c'est ça le drame.
04:17 C'est que là, le président paye vraiment assez cher l'absence totale de campagne électorale.
04:24 Et le fait qu'il n'y a pas eu un logiciel qui permet, pour refiler cette métaphore...
04:29 - Métaphore informatique, oui.
04:31 - ...qui permette d'assurer le redémarrage.
04:33 - Il n'y a pas un socle selon vous.
04:35 - Ce sont des thèmes qui sont... Qui partent dans tous les sens.
04:38 Le cap, pour reprendre la métaphore de navigation, est très incertain.
04:44 Et donc on est dans cette logique d'ententisme avec un seul objectif, la désescalade.
04:49 - Un mot, Emmanuel Macron repart sur le terrain, il affronte des comités d'accueil rugueux.
04:55 Il dit « je vais au contact » pour entendre les difficultés des Français,
04:59 avoir des idées nouvelles, ressentir ce qui est compris, ce qui n'est pas compris,
05:03 et aussi pouvoir traiter des colères.
05:05 Est-ce que Françoise Fressoz, y aller, tout simplement, sur le terrain,
05:10 permet de faire baisser cette température ?
05:13 - En tout cas, ne pas y aller, je pense que ce serait une faute grave.
05:15 - Oui, l'inverse est pire.
05:16 - L'inverse, à mon avis, est pire, parce que qu'est-ce qu'on lui reproche ?
05:19 C'est être arrogant, être déconnecté du terrain, méconnaître totalement nos souffrances.
05:25 Toute la campagne des retraites menée par la gauche, c'est faite quand même sur la souffrance au travail.
05:30 Le fait que vous alliez pénaliser ceux qui étaient le plus durs à la tâche.
05:34 Et donc, il y a vraiment un fossé à combler.
05:37 Là-dessus, moi, je nuancerais sur l'absence de socle et l'absence de lisibilité de la politique de Macron.
05:43 Je pense qu'au contraire, il est extrêmement cohérent, mais il a un socle à peu près de 28-30%.
05:48 Et ce qui s'est passé à la dernière séquence électorale, c'est que ce socle de 30% a été percuté
05:54 par le résultat des élections législatives, où au fond, vous voyez le paysage politique en tripartition,
06:01 une majorité relative. Et tout le débat aujourd'hui, c'est est-ce qu'Emmanuel Macron aurait dû tenir compte
06:07 de la situation législative pour mener sa réforme des retraites ?
06:10 Ou est-ce qu'il aurait dû rester dans la logique de sa campagne présidentielle, de dire
06:14 « je veux que la France travaille plus parce que mon objectif, c'est le plein emploi et c'est assurer le financement ».
06:20 Je pense qu'il est extrêmement logique avec lui-même, mais qu'il se heurte à un pays qui n'a pas compris,
06:25 en tout cas l'autre partie du pays, qui refuse absolument cette logique et qui veut lui faire payer très cher.
06:31 Un mot sur ces déplacements présidentiels et les fameuses casserolades.
06:35 Elles disent quoi selon vous ? Est-ce qu'elles sont une manifestation comme une autre,
06:40 la forme contemporaine des vieux charivaris, ou elles ont quelque chose de spécifique
06:46 qui mérite d'être analysé dans le contexte de la France de 2023, Marc Lazare ?
06:50 Je crois que d'abord il faudra mesurer la réalité de ces manifestations.
06:57 Je n'ai pas leur importance, mais quand on voit des images, on a l'impression que ce sont des petits groupes plutôt bien organisés,
07:02 ce qui ne veut pas dire que ça n'a pas une importance auprès de ceux qui s'opposent à Emmanuel Macron.
07:07 C'est, je crois, très symbolique aussi. C'est-à-dire qu'on ne veut pas t'écouter,
07:11 donc on tape sur les casseroles parce qu'on considère que tu as rompu tout dialogue.
07:15 Donc là, on est dans une situation d'affrontement et d'absence de possibilité même de renouer un débat démocratique.
07:23 Alors en même temps, je crois qu'il faut être très prudent là-dessus.
07:24 J'ai vu une série d'accusations qui venaient d'ailleurs plutôt de la Macronie cette fois-ci,
07:28 parce qu'on est dans une période d'excès, de tous côtés,
07:31 et qui considèrent que ces casserolades sont des actes fascistes.
07:36 Du calme, je veux dire, le fascisme entre 1919 et 1922, il gagne la bataille de la rue
07:42 à coups de matraques, à coups de gourdins, à coups d'huile de ricin.
07:46 Il brûle les locaux des partis politiques d'opposition, enfin les partis de gauche,
07:50 les partis socialistes, le petit parti communiste qui venait de naître, les organisations syndicales.
07:53 Donc attention à ce type de métaphore qui est utilisé.
07:56 Je crois que c'est important d'essayer justement d'assainir, de calmer le débat démocratique.
08:02 On va y venir parce qu'il y a un certain nombre de mots qui sont prononcés effectivement en ce moment,
08:06 qui méritent analyse sur ces casserolades.
08:09 Vous avez un point de vue, Pierre-Henri Tavoyau, elles disent quoi du pays en ce moment ?
08:15 Non, je pense qu'effectivement, il y a une tension, il y a des contestations, il y a une impopularité.
08:21 La mesure me paraît importante parce que je ne suis pas persuadé que ce soit un mouvement général.
08:27 Il y a eu des mouvements de ce type en Islande, par exemple,
08:29 une révolution qui s'appelait la révolution des casseroles et donc les mouvements ont existé.
08:34 Effectivement, on est dans une situation où, sur le plan des argumentations aujourd'hui,
08:39 les excès sont sidérants.
08:41 Si on entend des choses, effectivement, les casseroles sont fascistes,
08:44 le gouvernement est-il libéral ? On en reparlera.
08:47 Ou autoritariste ?
08:51 Les institutions de la Ve République sont d'une logique dictatoriale.
08:56 Là, franchement, on est dans une perspective où d'ailleurs les minorités parlementaires,
09:01 je trouve que c'est de ça qui est peut-être inquiétant,
09:04 sont en train de détruire des institutions qui leur permettraient éventuellement,
09:09 si elles arrivaient au pouvoir, de gouverner.
09:11 Donc, d'une certaine façon, elles sont en train, par excès,
09:14 de scier la branche sur laquelle elles sont assises.
09:17 Donc, je trouve que cette période-là des 100 jours, c'est aussi le moment où on va reprendre un tout petit peu raison.
09:22 Nous ne sommes pas en dictature.
09:24 La meilleure preuve d'ailleurs, c'est que dans une dictature,
09:27 quand on brûle l'effigie du président de la République,
09:29 en général, on n'a pas beaucoup de jours de vie devant nous.
09:32 Alors, je disais qu'un certain nombre de mots circulaient effectivement dans l'espace public.
09:37 À ce micro, cette semaine, Yannick Jadot pointait la dérive illibérale d'Emmanuel Macron,
09:44 je le cite, « qui utilise l'autoritarisme comme moyen et le populisme comme discours ».
09:51 Qu'en pensez-vous, Marc Lazare, vous qui publiez une tribune précisément sur le sujet, ce matin dans Libération ?
09:56 Je crois qu'il faut faire vraiment très attention aux mots.
09:58 On peut critiquer la conception et la pratique des institutions par le président de la République.
10:03 On peut critiquer la doctrine et l'organisation du maintien de l'ordre.
10:07 On peut proposer des réformes, justement, d'un certain nombre d'articles de la Constitution
10:11 qui apparemment, aujourd'hui, le fameux 49.3, apparaissent insupportables.
10:16 On peut même, pourquoi pas, proposer, comme le fait la France insoumise, un débat sur la VIème République.
10:21 Ça, ça relève du débat démocratique.
10:22 Mais comment c'est à dire qu'aujourd'hui, en France, Emmanuel Macron est un tyran, un despote,
10:28 Caligula a déclaré la présidente de la France insoumise à l'Assemblée nationale.
10:33 Je ne connaissais pas cette déclaration d'Yannick Jadot que j'avais entendue en général un peu plus nuancée dans ses propos.
10:39 Je pense que, un, c'est faux, parce qu'il faut bien voir ce que ça veut dire une démocratie libérale.
10:44 C'est-à-dire que c'est un régime d'autorité dans lequel il n'y a plus de liberté des médias,
10:47 dans lequel les partis politiques sont muselés,
10:50 dans lequel il y a une répression plus ou moins forte selon les moments.
10:53 Et on a des exemples au cœur de l'Europe, c'est-à-dire la Pologne et la Hongrie.
10:57 Et de dire que la France est déjà là-dedans, je pense que c'est une erreur et c'est dangereux.
11:03 C'est dangereux parce que les mots n'ont plus aucun sens.
11:07 Françoise Fressoz ?
11:08 Oui, mais moi, je trouve que ça montre l'emprise, au fond, de la France insoumise sur tout le bloc de gauche.
11:13 Et ça, c'est aussi l'événement, ce qui s'est produit aux législatives,
11:16 où le coup de politique de Jean-Luc Mélenchon, c'est de dire
11:20 « Je réunifie la gauche à mes conditions en faisant miroiter l'idée que je peux être
11:24 le premier ministre de cohabitation d'Emmanuel Macron ».
11:27 Il ne pouvait pas y arriver, mais il a réussi à ressouder une gauche qui, au fond,
11:32 est un peu dans cette dérive-là.
11:34 Parce que toute cette critique sur les institutions, sur l'illibéralisme d'Emmanuel Macron,
11:41 vous commencez aussi à l'entendre dans la gauche réformiste.
11:44 Donc, effectivement, attention.
11:46 Attention d'autant plus que, par ricochet, ça peut donner du grain à moudre à Marine Le Pen,
11:51 qui va dire « Moi, je symbolise l'autorité, je ne suis pas du tout dans la remise en cause des institutions,
11:56 et si vous voulez l'ordre, votez pour moi ».
11:58 Donc, c'est vrai que la période, de ce point de vue, elle est assez dangereuse.
12:01 Et j'aimerais savoir comment vous avez reçu les mots de l'historien Pierre Rosanvalon,
12:05 qui a vu dans la séquence des retraites et le moment que traverse la France aujourd'hui,
12:09 une véritable crise démocratique.
12:11 Il déclarait, c'était dans l'émission « Quotidien »,
12:13 « Nous sommes en train de traverser, depuis la fin du conflit algérien,
12:16 la crise démocratique la plus grave que la France ait connue ».
12:20 Selon lui, Emmanuel Macron aurait perdu de vue l'esprit des lois,
12:24 essentiel pour garder l'esprit de la démocratie.
12:26 « Nous sommes entrés dans une crise qui peut être gravissime, parce que c'est une pente glissante ».
12:32 Vous recevez ces mots comment, Pierre-Henri Tavoyau ?
12:35 « Bah, je suis en total désaccord avec l'analyse, voilà.
12:37 Donc, pour plusieurs raisons.
12:39 Je trouve que, d'abord, nous avons une déconstitution…
12:42 Pour un historien, je trouve que ce propos est un peu troublant,
12:46 parce qu'il y a eu de nombreuses crises,
12:49 et d'ailleurs, on perd la mémoire de ces crises qui ont été très, très vives en France, successives.
12:54 Donc, à chaque fois, on a l'impression que c'est une crise démocratique.
12:56 Un historien devrait avoir, justement, le recul, le sang froid pour analyser ça.
13:01 Par ailleurs, nos institutions ne sont pas tellement en cause.
13:04 Je trouve d'ailleurs, de ce point de vue-là,
13:06 qu'autant Emmanuel Macron avait pris les fâcheuses habitudes de « tricher »
13:11 avec les institutions de la Ve République,
13:13 en inventant, par exemple, la Convention citoyenne sur le climat, qui était hors cadre,
13:17 en inventant le Conseil national de la refondation,
13:19 autant son attitude sur le plan de la séquence législative,
13:24 où il s'est forcé, maintenant il le regrette, paraît-il, de ne pas intervenir…
13:28 Alors, les syndicats le lui reprochent en disant « la porte était fermée ».
13:30 Mais oui, pour une bonne raison.
13:32 Pendant une séquence législative, le président ne doit pas parler,
13:35 parce qu'on laisse les parlementaires faire le Premier ministre.
13:38 C'est très, très important de le faire.
13:40 Donc, son attitude, de ce point de vue-là, a été très respectueuse.
13:42 Même d'ailleurs, il en porte d'une certaine façon préjudice.
13:45 Il est intervenu uniquement après le 49-3, premièrement,
13:48 et ensuite, après la décision du Conseil constitutionnel, deuxièmement.
13:51 Donc, de ce point de vue-là, il a été d'une sobriété rare chez lui,
13:55 et de ce point de vue-là, il a été respectueux des institutions.
13:58 En même temps, un sondage récent, publié par Libération,
14:02 indiquait que 76% des Français interrogés considéraient que la démocratie,
14:08 aujourd'hui, en France, est en mauvaise santé.
14:11 54% des Français estimaient que la pratique du pouvoir d'Emmanuel Macron
14:18 était trop autoritaire.
14:19 Comment recevez-vous ces éléments-là ?
14:23 Qu'importe les mots que puissent prononcer les uns ou les autres.
14:26 Marc Lazare, par exemple.
14:27 Je crois qu'incontestablement, il y a une forme d'interrogation,
14:32 pour ne pas dire d'essoufflement, de notre démocratie.
14:36 Incontestablement.
14:37 Parce que, justement, il y a ce climat de défiance,
14:39 il y a cette interrogation sur les pratiques,
14:42 en l'occurrence du président Emmanuel Macron,
14:44 il y a ce sentiment que les Français "ne sont pas écoutés".
14:48 Donc, il y a un vrai problème, on le savait depuis des années,
14:52 et ça ne fait que s'amplifier.
14:53 Et de l'autre côté, je trouve, et là, me semble-t-il,
14:57 y compris dans les propos de Pierre Ronzanvalon,
14:59 qu'il commence à y avoir une musique qui consiste à remettre en cause
15:02 la démocratie représentative en elle-même.
15:05 Et ça, et notamment, c'est vrai du côté de la gauche,
15:08 vous avez raison, je suis d'accord avec Françoise Fréjus,
15:10 ça vient de la France insoumise, ça contamine,
15:13 et de ce point de vue-là, la démocratie représentative en elle-même
15:16 commence à être mise en cause au profit de la démocratie directe.
15:19 Et la position intermédiaire, disons, celle qui devrait être nuancée.
15:22 - Mais c'est peut-être parce qu'elle est en crise, la démocratie représentative.
15:25 - Bien sûr, mais justement, je pense qu'aujourd'hui, ce qui est sur la table,
15:29 ce qui est à discuter, c'est 1) quel type de réformes institutionnelles peuvent être faites ?
15:33 Apparemment, le président de la République y pense.
15:35 Ça va être là aussi quelque chose à voir.
15:37 Qu'est-ce qu'il va prendre comme initiative ?
15:39 Est-ce qu'il est capable de le faire ? Est-ce qu'il est capable de créer du consensus ?
15:42 Deuxièmement, mais je sais que tout le monde n'est pas d'accord là-dessus,
15:44 il y a des possibilités d'élargir les pratiques démocratiques.
15:48 Et c'est vrai, les questions de conventions, par exemple,
15:51 sont une expérience intéressante, à condition qu'on comprenne le rapport
15:55 avec la démocratie représentative et la prééminence de la démocratie représentative.
16:00 Et ça, c'est un élément important.
16:02 Mais ce qui se profile, c'est de plus en plus l'idée de la démocratie directe.
16:05 C'est l'idée, puisque la souveraineté populaire ne s'exprimerait pas uniquement par les élections,
16:10 elle s'exprimerait par la rue, et donc, on a le droit de dire que le président est illégitime.
16:16 - Pierre-Henri Taboyot ?
16:17 - Je pense que sur ces questions, le diagnostic est important,
16:20 parce qu'on a un diagnostic de la crise de la démocratie.
16:23 Aujourd'hui, c'est une crise de la représentation.
16:25 Or, je pense que ce n'est pas une crise de la représentation, personnellement.
16:28 Je pense que c'est vraiment une crise de l'action politique et de l'impuissance publique.
16:31 Il me semble, vous voyez, dans la démocratie, il y a Demos et Kratos.
16:34 Demos, c'est le peuple, est-ce qu'on le représente bien ?
16:36 Kratos, c'est le pouvoir, est-ce qu'on agit bien ?
16:38 Il me semble que c'est plutôt du côté du Kratos.
16:40 Et c'est ça qui me paraît être le cœur de la colère et de la crise démocratique aujourd'hui.
16:45 En fait, on pourrait même dire aujourd'hui que jamais les Français n'ont été mieux représentés.
16:49 Les députés essaient de chercher leur intention, leur sentiment, leur souffle, les sondages.
16:55 Du côté de l'impuissance publique, en revanche, c'est sidérant.
16:58 C'est-à-dire qu'on a un système où les Français sont en quelque sorte résignés à considérer comme normal ce qui est anormal.
17:06 Il y a plein d'anormalités, plein de murailles d'impossibilité sur les questions de politique migratoire,
17:11 sur les questions de politique sociale, sur les questions environnementales.
17:14 On voit assez bien ce qu'il faudrait faire et personne ne le fait.
17:18 Pourquoi ? Parce que les politiques ont en quelque sorte intégré leur impuissance, leur incapacité d'agir,
17:24 parce qu'il y a aussi des empêcheurs en quelque sorte et des contre-pouvoirs qui fonctionnent très bien quand il s'agit d'abus de pouvoir,
17:32 mais qui, d'une certaine façon, empêchent l'action politique au-delà de ça.
17:36 Et donc, on a une situation de blocage. Voilà. Le blocage de l'action plus que la crise de la représentation.
17:41 - Françoise Presque. - Alors, le blocage de l'action, moi, je trouve que c'est une donnée française importante,
17:46 parce que je vois aussi notamment le quinquennat Sarkozy, qui était extrêmement dans le volontarisme.
17:51 Il disait "Voilà, il y a des réformes à faire", et qui au fond, au bout d'un moment, est resté bloqué,
17:56 parce qu'il n'arrivait pas à entraîner l'appareil d'État.
17:58 Et ça, je pense qu'il y a effectivement une crise de l'action politique, dont est redevable la gauche, la droite et maintenant le macronisme.
18:06 Et je pense que ça, ça fait un terreau qui est très mauvais, parce qu'au fond, ce sont des impuissances relatives qui sont en train de se challenger.
18:13 Et quelqu'un, Marine Le Pen, qui n'a jamais gouverné, qui se dit "Moi, je ferai mieux que les autres, parce qu'ils se sont tous plantés".
18:18 Ça, c'est très dangereux. Deuxièmement, je pense quand même qu'il y a une crise de la représentation politique,
18:22 parce que vous regardez les taux d'abstention aux élections qui augmentent énormément,
18:27 et vous avez quand même le grand risque, c'est qu'une frange de la population estime que ça ne vaut plus le coup de voter.
18:32 - Oui, mais pourquoi ? - Parce qu'ils n'y arrivent pas, ou parce qu'on ne prend pas en compte leurs aspirations.
18:38 Et ça, c'est aussi quelque chose à régler.
18:40 Et alors, j'ajoute à la crise l'actuelle, je pense qu'on est en train de remettre des éléments de quatrième république dans la cinquième.
18:46 Autrement, on avait un pouvoir assez vertical, et tout d'un coup, une assemblée qui peut compter bien plus qu'elle ne l'a fait,
18:53 mais qui n'a pas le mode d'emploi, parce qu'elle est dominée par des extrêmes qui n'ont pas envie d'aller au compromis.
18:58 Et je pense qu'on est dans ce moment-là, où au fond, il y a plein de problèmes à régler.
19:02 Je pense que sur la santé, par exemple, les Français n'ont pas du tout envie de voir leur hôpital ou les services publics s'affaisser,
19:09 mais il n'y a pas le mode d'emploi qui fait qu'on peut s'accorder sur un diagnostic commun, et sans forcément adhérer à tout,
19:18 essayer d'avoir un programme d'action qui, en quatre ans, rend la France beaucoup plus efficace.
19:22 - Pierre-Henri Tavoyau ?
19:23 - Oui, sur l'abstention, je pense que, précisément, pourquoi voter pour des politiques qui, d'une certaine façon,
19:28 avouent eux-mêmes leur impuissance, et qui, d'une certaine façon, admettent qu'ils sont pourris ?
19:33 Parce que, évidemment, c'est pas eux, mais c'est l'autre. Et donc, ça revient.
19:36 Et si on fait des lois de moralisation de la vie politique, si on limite le cumul des mandats, si on limite les mandats,
19:42 si on fait des conventions citoyennes, d'une certaine façon, c'est reconnaître qu'on peut rien faire,
19:46 et qu'en plus, on n'est pas légitime pour le faire. Donc, d'une certaine façon, il y a un courant politique,
19:50 de la part des élus eux-mêmes, qui admettent qu'ils ne sont pas en place pour le faire.
19:55 - Mais une convention citoyenne, c'est pas une manière pour vous de revivifier la démocratie ?
20:00 - Si ! Ça peut être un instrument d'art politique. C'est pour ça que, ce que disait Marc Lassard, me paraît très très important,
20:05 c'est que la convention citoyenne, c'est pas de la démocratie directe, c'est un instrument de la démocratie représentative,
20:10 sur un sujet bloqué, d'organiser un débat et de produire des décisions.
20:15 Autant la convention citoyenne sur le climat a été un échec total dans la création du consensus,
20:19 autant c'est vrai, et ça c'est un bon indice, la convention sur la fin de vie est beaucoup plus intéressante,
20:24 parce que, quelle est sa réponse ? Les médias en parlent assez peu, justement, la réponse de cette convention,
20:29 c'était de dire "le sujet est très complexe". Voilà, ça c'est un boulot, le boulot est bien fait.
20:34 Et le boulot est bien fait, pourquoi ? Parce que le président et la présidente de l'Assemblée nationale
20:39 est venue les voir en disant "c'est pas vous qui allez décider, vous êtes un élément de la consultation,
20:42 un élément parmi d'autres, mais c'est le Parlement qui garde la main".
20:46 - Marc Lassard ? - Oui, rapidement, je crois qu'il y a dans notre pays une aspiration à plus de démocratie, paradoxalement.
20:52 Il y a une enquête récente qui démontre que les Français en faveur d'un régime autoritaire, c'est 19%, donc c'est une minorité.
20:58 Mais il y a une grande aspiration à avoir plus de participation démocratique, et c'est vrai aussi, plus d'efficacité.
21:04 Mais la dimension de participation, je crois que la grande... Enfin, ce qui est en jeu, c'est justement comment répondre à cette demande de participation.
21:13 Et de ce point de vue-là, les conventions sont importantes.
21:16 Une enquête élabe au mois de mars montrait aussi qu'une grande majorité de Français se félicitaient de ce Parlement s'il était capable de trouver des compromis.
21:23 C'est-à-dire qu'une grande partie des Français disent "oui, il faudrait que nos politiques trouvent des compromis".
21:27 Et donc, je pense qu'un hiatus entre l'aspiration des Français à des pratiques démocratiques, de participation, de recherche de compromis,
21:34 et une attitude de certaines forces politiques qui visent justement à polariser le tout, à extrémiser le tout.
21:40 Et on est dans cette contradiction.
21:42 Enfin, j'ajoute un point important, c'est que les formations qu'on appelle, pour aller vite, "populistes", se présentent aujourd'hui comme les meilleures des démocrates.
21:49 Et que par conséquent, la réponse pour satisfaire cette participation démocratique, elle doit passer, me semble-t-il, par quelques réformes des institutions telles qu'elles sont aujourd'hui,
21:58 et d'autre part, effectivement, par la multiplication des formes de participation démocratique au-delà du vote tous les cinq ans,
22:05 qui reste quand même, je le précise, absolument déterminant et prééminent.
22:08 - Françoise Fressoz ?
22:10 - Moi, j'ai eu la chance de pouvoir assister aux conventions citoyennes, à la fois sur le climat et la fin de vie.
22:15 Et ce qui m'a beaucoup frappé, c'est la fierté des participants à pouvoir élaborer une décision qui puisse servir l'intérêt général.
22:23 Et le processus d'élaboration, c'est-à-dire s'approprier le sujet, tenir compte de ce que dit l'autre,
22:29 ils ne parlaient qu'en levant la main, en s'écoutant les uns les autres,
22:33 et dans la rédaction, j'ai assisté à la rédaction du communiqué final sur la convention de la fin de vie,
22:37 c'était formidable, parce que c'était un exercice à vous redonner confiance dans la démocratie.
22:42 On a l'impression qu'à partir du moment où on se remet dans un processus de discussion et d'élaboration collective, on peut y arriver.
22:49 - Alors, deux questions d'auditeurs sur l'application de France Inter.
22:52 Marco, est-ce que vous ne noircissez pas à l'extrême la situation de notre pays ?
22:57 Votre grille d'analyse n'est qu'autour d'Emmanuel Macron, comme s'il était le seul à avoir une action sur la France.
23:03 C'est ridicule, cette analyse monarchique.
23:07 Hervé, qui va dans le même sens avec d'autres mots, la politique doit se réinventer totalement, tout simplement.
23:13 Pourtant, Emmanuel Macron a fait un grand ménage en 2017, la classe politique a été renouvelée de A à Z.
23:19 Laissez du temps au temps. Il y a plus d'optimisme, peut-être, chez nos auditeurs qu'autour de cette table, non ?
23:26 - Je pense que le pessimisme absolu, c'est de dire qu'effectivement, on vit une crise démocratique.
23:30 L'optimisme doit être toujours pondéré, c'est de dire effectivement, nos institutions tiennent.
23:36 Il n'y a pas de guerre civile, il n'y a pas de situation de conflictualisation.
23:42 Il y a un débat, on pourrait dire, ça vit.
23:44 Et donc, oui, de ce point de vue-là, veillons à ne pas trop noircir.
23:49 Dans l'espace public, les mots extrêmes « fasciste », « dictature », « autoritarisme », « crise démocratique » sont, de ce point de vue-là, très dangereux.
23:57 - Petit point d'optimisme ?
23:59 - Oui...
24:01 - Vous avez le droit ou pas !
24:03 - Non, je crois qu'on est dans une situation quand même compliquée, préoccupante, incontestablement,
24:08 parce que justement, il y a ce malaise démocratique important.
24:10 La France n'en a pas le monopole, incontestablement.
24:13 Mais c'est vrai que les institutions restent solides.
24:16 C'est vrai que s'il y a des réponses à porter, justement, encore une fois, d'après moi,
24:20 cette aspiration démocratique, c'est quelque chose qui peut permettre peut-être de sortir de cette crise.
24:25 Après, il y a tous les autres grands enjeux.
24:27 Ça a été rappelé, l'enjeu du climat, l'enjeu de la santé, l'enjeu du travail, l'enjeu des inégalités.
24:34 Bon, ça, c'est des questions aussi fondamentales qui doivent être résolues autant que possible.
24:40 - Françoise Fressoz, sur la réaction de nos deux auditeurs.
24:42 Je partage assez leurs points de vue dans la mesure où je trouve que la France n'est pas du tout bloquée.
24:46 On voit quand même qu'il y a des réductions du chômage,
24:49 que vous vous baladez un peu sur les territoires, comme on dit.
24:54 Alors, il y a des régions où ça ne va pas du tout,
24:57 et d'autres où il y a des initiatives locales très importantes.
25:00 Mais il y a un art français, au fond, de ne pas arriver à agréger tout ça pour faire un message positif.
25:07 Et on sent qu'il y a toujours une rivalité entre l'État et les collectivités locales,
25:12 entre Macron et ses opposants.
25:14 Et je pense qu'effectivement, ça, ça pollue beaucoup la capacité de pays à montrer qu'au fond, ça ne va pas si mal.
25:20 - Merci à tous les trois.
25:22 Françoise Fressoz, Pierre-Henri Tavoyau, Marc Lazare.
25:25 Merci d'avoir été à notre micro ce matin.