• il y a 3 ans
La fibromyalgie est une maladie chronique méconnue en France, et difficile à diagnostiquer. Douleurs articulaires, fatigues chronique… Yoann Caron a accepté de nous raconter son témoignage dans notre série « A visage découvert », à travers son errance médicale notamment.

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Transcription
00:00 J'ai l'impression parfois de me réveiller et de vivre dans le corps d'un vieillard de 90 ans.
00:04 J'étais aide-soignante, donc comme je disais, j'ai vécu des années formidables dans ce métier.
00:19 C'est un métier quand même qu'on choisit, qu'on tient à cœur.
00:21 Et ma vie a basculé du jour au lendemain, sans prévenir, un quart de seconde.
00:27 J'avais une matinée du mois de janvier qui était tout à fait logique au travail.
00:32 Et je me suis retrouvé dans la capacité de mettre un patient au fauteuil
00:37 qui pesait 70 kilos.
00:40 Étant un homme qui travaillait à l'hôpital,
00:43 c'était quelque chose qui était bon et courant qu'on se débrouille tout seul.
00:46 Donc un patient qui pèse 100 kilos,
00:48 c'était facile, donc 70 kilos, je ne comprenais pas.
00:52 De là, une fatigue est arrivée, s'est installée, des douleurs,
00:56 sans qu'il n'y ait rien pour justifier en fait, ceci.
01:00 Et je me suis retrouvé du jour au lendemain dans l'incapacité de faire ma tâche.
01:05 J'ai prévenu ma hiérarchie, qui m'a envoyé voir la médecine du travail.
01:15 Médecine du travail qui, elle, m'a déclaré inapte, sans préciser de date de reprise
01:21 ce à quoi je leur ai posé la question et qui m'ont dit "mais monsieur,
01:23 il y a une maladie qui est en train de se déclarer, c'est très grave".
01:26 Donc votre métier, c'est fini, tout court.
01:29 La claque.
01:32 Je crois que voilà, c'est mon existence a changé en un quart de seconde
01:36 ou d'un seul coup sans comprendre.
01:37 On m'annonce une maladie grave, on m'annonce l'arrêt d'un métier que j'ai aimé.
01:41 De là, s'est suivi deux années de torpeur.
01:44 Ma femme venait, était enceinte de notre deuxième enfant,
01:48 donc a vécu deux ans d'angoisse et de stress dans la recherche d'une pathologie.
01:52 On a détecté qu'il y avait une maladie.
01:55 On ne savait pas laquelle.
01:56 On a cherché, j'ai vu des dizaines et des dizaines de spécialistes,
02:00 rhumatologues, j'ai vu des neurologues, des chirurgiens de la main, du bras,
02:06 sans donner aucun résultat.
02:10 Et au final, après deux ans de recherche,
02:15 je suis allé voir un nouveau médecin traitant
02:19 qui m'a parlé de cette pathologie.
02:21 Je ne la connaissais pas.
02:22 Elle m'a conseillé d'aller voir un médecin de la douleur.
02:24 Donc je suis allé à Pontoise en 1995,
02:26 aller voir un médecin de la douleur qui m'a fait faire passer des examens,
02:30 encore des examens, mais avec elle, son but de rechercher un diagnostic,
02:35 ce qui a été compliqué pendant de nombreuses années.
02:38 Pendant deux ans, je suis tombé sur des spécialistes
02:41 qui disaient qu'il se passait quelque chose et d'autres qui disaient
02:43 que cela était dans ma tête.
02:46 Je leur avais expliqué que moi, tout allait très bien
02:48 jusqu'avant que cette pathologie arrive et que j'aurais préféré
02:52 continuer mon métier et vivre la grossesse de ma femme
02:55 dans de meilleures conditions et dans la dignité.
02:57 Or, ce n'était pas le cas.
02:58 Je me suis retrouvé donc avec ce médecin de la douleur
03:01 qui a cherché à comprendre et qui, au final,
03:04 un jour que je n'oublierai jamais, a mis le nom sur une maladie,
03:09 la fibromyalgie.
03:12 Et c'est là que j'ai compris qu'au final, le plus important n'est pas de guérir,
03:15 mais de savoir de quoi on souffre.
03:18 Le jour où on m'a dit "vous avez la fibromyalgie",
03:21 deux ans étaient tombés d'un seul coup.
03:24 Deux ans de souffrance, deux ans de souffrance sans comprendre,
03:27 en se demandant si ce n'est pas nous qui devenons fous,
03:30 parce qu'au final, c'est au bout d'un moment
03:32 ce que les médecins finissent par nous faire croire pour certains.
03:35 J'ai eu la malchance de tomber sur un médecin expert
03:39 qui, normalement, était censé prolonger mes arrêts
03:42 ou de me permettre d'aller au travail et qui, au final, a fait son travail
03:45 d'une façon normale pendant un certain temps.
03:49 Et le jour où je suis allé le voir pour lui dire "c'est bon, je peux reprendre le travail,
03:52 l'administration m'autorise à prendre le travail en tant que secrétaire",
03:55 car ce sont des démarches lourdes aussi au niveau administratif,
03:58 qu'on ne parle pas beaucoup.
04:00 Et quand je lui dis "on a trouvé une pathologie",
04:03 j'ai eu droit et je vais utiliser les mots qu'il a dit "Monsieur, vous êtes un menteur,
04:06 vous êtes un schizophrène,
04:09 votre femme peut avoir honte d'être la vôtre
04:12 et vos enfants peuvent avoir honte que vous soyez leur père".
04:15 La claque, encore une fois,
04:19 là où on croit qu'on sort de quelque chose,
04:21 on retourne dans l'enfer.
04:24 Et au final, voilà, je me suis retrouvé avec ce médecin
04:27 qui m'a demandé une contre-expertise psychiatrique.
04:30 Alors, dans le cheminement de ma maladie, que je croyais imaginaire aussi,
04:33 je me suis retrouvé à avoir un psychiatre à lui expliquer ma situation,
04:37 ce qui s'est passé pendant deux ans.
04:38 Et au final, le psychiatre m'a fait le plaisir de me dire
04:41 comme quoi je n'étais pas fou et que la personne qui devait se trouver en face de lui,
04:44 c'était ce médecin.
04:45 Je lui ai demandé s'il voulait bien me faire un petit diplôme pour mon épouse,
04:48 pour l'afficher en haut du lit.
04:50 Il a refusé sur le principe, mais voilà,
04:51 c'était pour vous montrer qu'on garde quand même de l'humour dans tout ça.
04:55 Donc voilà, au bout de deux ans de recherche,
04:57 de bataille administrative et médicale,
04:59 on a enfin pu poser un mot, un nom,
05:03 sur cette pathologie qui fait beaucoup de victimes,
05:06 dont on parle peu, qui est très peu reconnue,
05:09 et qui est très peu acceptée, que ce soit par le côté médical,
05:14 l'entourage, la famille,
05:15 et quelquefois aussi par l'individu qui en souffre.
05:18 [Musique]
05:23 C'est une pathologie qui vous tombe dessus du jour au lendemain sans prévenir.
05:28 Il n'y a pas d'annonce faite.
05:30 Moi, elle est tombée, tout allait bien dans ma vie.
05:33 Je me portais très bien,
05:34 je l'ai aidé papa pour la deuxième fois d'une petite fille.
05:37 J'avais un travail que j'aimais par-dessus tout,
05:40 je venais d'acheter un logement,
05:41 donc tout allait pour le mieux et d'un seul coup, pouf !
05:44 Je crois que c'est le plus impressionnant, c'est qu'en un quart de seconde,
05:47 la vie peut changer radicalement du jour au lendemain.
05:50 Donc pour expliquer la fibromyalgie, réellement ce qu'est la fibromyalgie,
05:54 c'est compliqué car les symptômes sont divers, sont variés.
05:58 Même pour suivre les gens qui ont la fibromyalgie également,
06:01 on en a qui vont avoir plutôt des problèmes au niveau digestif et intestinal,
06:05 d'autres, douleurs musculaires,
06:06 des difficultés pour dormir, des insomnies.
06:09 C'est...
06:11 On a tous la fibromyalgie,
06:13 on a tous une façon différente de la ressentir,
06:16 mais on l'a.
06:18 C'est vrai qu'au début, quand la maladie arrive,
06:20 on pourrait penser "oh, c'est un coup de fatigue",
06:22 "oh oui, j'ai un peu mal".
06:24 C'est ce que ça fait au début.
06:26 Et en fait, d'un seul coup, on se rend compte que
06:28 ça arrive de plus en plus régulièrement, de plus intensément
06:31 et que les crises commencent à augmenter.
06:33 C'est un peu le schéma, j'allais dire, de la sclérose en plaques,
06:37 ce que j'appelle sa petite sœur.
06:38 Vous vous retrouvez avec des phases de pics de douleurs
06:40 et d'un seul coup, ça descend.
06:41 On se demande pourquoi est-ce qu'on est malade.
06:43 D'un seul coup, ça remonte, mais plus le temps passe et plus ça monte.
06:46 Plus les crises montent haut.
06:48 Si je devais donner une phrase simple pour ma situation au mois,
06:52 j'ai l'impression par moment, j'ai 31 ans aujourd'hui,
06:54 quand la maladie est tombée sur moi, j'en avais 26.
06:57 J'ai l'impression parfois de me réveiller
06:59 et de vivre dans le corps d'un vieillard de 90 ans.
07:02 On a l'impression qu'on vous enfonce un couteau dans le dos
07:04 et qu'on vous lacère.
07:06 On a l'impression qu'on est au Moyen-Âge
07:08 et qu'on vous écartelle les bras
07:09 et qu'on est en train de se dire "pitié, que ça s'arrête".
07:12 Quelquefois, on cherche nos mots.
07:13 Il n'y a pas de moment propice.
07:15 Le temps agit comme le nain pourrait agir pour des crises de gouttes,
07:19 comme il pourrait agir pour l'arthrose.
07:23 Il n'y a pas de facteur psychologique.
07:25 C'est sûr que le facteur psychologique est très présent,
07:28 mais il faut se dire quelque chose.
07:29 Ce n'est pas le facteur psychologique qui crée la fibromyalgie.
07:32 C'est la fibromyalgie qui va provoquer une souffrance psychologique.
07:38 Et la souffrance psychologique, c'est intimement lié ensemble.
07:43 Ça, c'est pour les souffrances physiques.
07:45 Il y a aussi la souffrance morale.
07:48 On est malade.
07:49 On n'aime pas ça.
07:50 Personne ne voudrait être malade.
07:52 La situation d'un fibromyalgique est que lui ne semble pas être malade.
07:56 À 26 ans, quand je n'avais pas de traitement efficace,
07:59 j'ai été obligé de marcher avec une canne.
08:00 C'est une souffrance aussi, car on perd d'un seul coup une autonomie précieuse.
08:05 Je ne pouvais plus porter ma fille dans mes bras.
08:08 Expliquer à son enfant qu'on ne peut plus la porter dans ses bras
08:11 parce qu'on est malade, c'est compliqué,
08:13 surtout quand on n'a pas de diagnostic.
08:15 D'où le fait que j'ai écrit un livre sur la fibromyalgie dédiée aux enfants,
08:20 pour leur expliquer à eux,
08:23 car c'est déjà difficile d'expliquer à un adulte qu'on est malade et de quoi on souffre,
08:28 surtout quand on part du principe que c'est une maladie invisible.
08:31 Là, je voulais expliquer à ma propre fille.
08:33 Et j'ai une pensée aujourd'hui pour tous les parents qui sont fibromyalgiques,
08:36 les grands-parents, les oncles, les tantes.
08:39 Si je ne peux pas faire ça, si je ne peux pas t'emmener là,
08:41 si je ne peux pas te prendre dans les bras,
08:43 c'est parce que je suis malade et je vais te l'expliquer.
08:46 Moi, ma fille a découvert ma maladie, je lui ai caché.
08:49 Je ne savais pas, je sortais du médecin, on me disait "c'est peut-être un cancer".
08:54 Entrer à la maison avec votre femme qui est enceinte de trois mois de grossesse
08:56 et avec votre fille, vous ne savez plus quoi dire.
08:58 On m'a promis une sclérose en plaques,
09:00 on m'a promis une maladie de Parkinson.
09:02 Et un jour, je penserais à Johnny Hallyday,
09:05 mais Johnny Hallyday quand il nous a quittés,
09:06 nous regardons la télé comme chaque parent,
09:09 sans voir que nos enfants sont à côté.
09:10 Et là, ma fille m'a demandé "mais papa, qu'est-ce qui se passe ?
09:13 Pourquoi les gens sont tristes à la télé ?"
09:14 Et je lui ai dit "parce qu'il y a un chanteur qui est mort".
09:17 Et là, ma fille a eu cette réflexion du haut de ses quatre ans,
09:20 et c'est toujours difficile de le dire,
09:22 elle m'a dit "ah, comme papa bientôt, parce que papa il est malade".
09:27 La claque, encore une claque en tant que papa,
09:30 de dire à sa fille "non, je ne vais pas mourir
09:34 et je vais t'expliquer exactement ce qui se passe".
09:36 Donc voilà, aujourd'hui pourquoi moi je me bats ?
09:37 Pour faire reconnaître une pathologie,
09:39 parce qu'aujourd'hui la souffrance qui est la nôtre,
09:40 c'est qu'elle n'est pas reconnue.
09:42 Les médecins y croient ou n'y croient pas.
09:45 Et c'est le problème de cette pathologie,
09:46 c'est qu'elle crée une souffrance,
09:47 car on a du mal à l'expliquer aux médecins,
09:49 parce qu'elle n'est pas visuelle,
09:50 on n'a pas de pustules partout.
09:52 Les proches, c'est compliqué de leur expliquer qu'on est malade,
09:54 ça ne se voit pas.
09:56 C'est compliqué parce que voilà,
09:57 on n'est pas des gens qui ne se plaignent sans cesse d'avoir mal,
10:00 au contraire, la plupart des gens fibromyalgiques
10:02 vont se taire dans leur souffrance et ne pas en parler à autrui.
10:05 Moi d'ailleurs, à ce petit jeu-là,
10:06 je vais te dire, en prenant soin des autres
10:09 et en arrêtant de prendre soin de moi,
10:12 j'ai perdu des proches.
10:15 À travers la bataille qui est la mienne aujourd'hui,
10:17 je perds aussi beaucoup.
10:18 Voilà, aujourd'hui je suis là pour vous dire,
10:20 la fibromyalgie, elle existe,
10:22 elle fait souffrir,
10:23 elle fait souffrir autant physiquement qu'humainement.
10:26 D'où le principe pour moi d'être là aujourd'hui
10:27 pour vous dire que voilà,
10:29 la fibromyalgie, elle existe.
10:32 Et vous ne vous rendez pas compte
10:34 du nombre de choses qu'elle peut provoquer
10:36 dans notre entourage.
10:37 C'est difficile.
10:38 J'allais dire, j'ai plusieurs messages
10:46 à différentes personnes,
10:47 parce que différentes personnes sont aujourd'hui touchées différemment.
10:51 J'allais dire aux médecins d'abord.
10:53 J'ai dit, les médecins font un travail formidable,
10:55 encore plus aujourd'hui,
10:56 avec tout ce qui se passe dans le monde
10:58 et surtout dans notre pays.
10:59 Je voudrais leur dire,
11:01 prenez en considération la souffrance
11:04 d'un individu, quel qu'il soit.
11:07 Ce n'est pas parce que la douleur ne se voit pas,
11:11 qu'elle ne se ressent pas.
11:13 Et toute douleur,
11:14 quel que soit l'endroit d'où elle provient,
11:16 doit être prise en charge.
11:18 Après, je crois que j'ai un message
11:20 pour les familles de personnes
11:23 qui souffrent de fibromyalgie
11:25 ou même d'autres handicaps.
11:27 Vous êtes,
11:29 vous devez,
11:31 et je dirais surtout vous êtes,
11:32 et ça vous devez le savoir,
11:34 le premier soutien de vos proches.
11:37 Mon épouse, mes enfants, ma famille,
11:39 mes amis sont mon premier soutien.
11:41 Sans eux, je ne serais pas debout encore aujourd'hui.
11:44 Il est important que vous le sachiez,
11:47 car quelquefois on parle de celui qui souffre de la pathologie,
11:50 mais on oublie souvent les premiers aidants.
11:52 J'allais dire non pas dans la guérison,
11:55 mais j'allais dire dans le bonheur de celui qui souffre.
11:59 Et mon dernier message sera pour les personnes
12:02 qui souffrent de fibromyalgie.
12:03 Je voudrais leur dire, tout simplement,
12:06 vous n'êtes pas seuls.
12:08 Nous sommes tous ensemble.
12:10 Notre pathologie est réelle,
12:12 elle fait souffrir,
12:13 mais c'est tous ensemble que nous la combattrons.
12:16 Par nos actions, à droite, à gauche.
12:18 À travers mon roman, vous, demain,
12:20 à travers des articles,
12:22 à travers des réunions.
12:26 Vous êtes des gens formidables,
12:28 et ça, vous ne devez pas l'oublier.
12:30 On souffre,
12:32 on ne se plaint pas,
12:34 mais nous nous battons.
12:36 Et plus que de nous battre pour la reconnaissance de la fibromyalgie,
12:40 nous nous battons pour ce que nous aimons,
12:43 pour la souffrance qu'ils ont subie,
12:45 et pour la souffrance que nous, nous subissons tous les jours.
12:50 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
12:53 [Musique]

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