Deuil périnatal : le besoin de sensibilisation, Sans Filtre avec Sophie de Chivré

  • il y a 2 ans
Le 15 octobre se tient la Journée Mondiale du Deuil Périnatal. Une journée de sensibilisation pour accompagner les parents endeuillés, leur créer un espace de parole, mais aussi faire connaître leurs droits pour faciliter leurs démarches administratives et professionnelles. Sophie de Chivré, créatrice du podcast Au Revoir Podcast, nous a partagé son histoire et nous a expliqué l'importance de cette sensibilisation, que l'on soit concerné directement ou non.

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Transcription
00:00 La plupart des gens ne se rendent pas compte que passé un certain terme, en fait, on accouche.
00:03 J'ai eu une péridurale, j'étais dans une maternité, dans une salle de naissance.
00:07 On a accueilli notre bébé, on l'a eu dans nos bras, on lui a dit bonjour, et puis on lui a dit au revoir ensuite.
00:14 Bonjour, je m'appelle Sophie Dechivrey, j'ai 35 ans, j'habite à Caen en Normandie,
00:22 et je suis la créatrice d'Au revoir podcast, le podcast qui porte les voix du deuil périnatal.
00:28 Alors j'ai créé ce podcast en septembre 2020, parce que j'ai vécu moi-même un deuil périnatal
00:35 dans le contexte d'une interruption médicale de grossesse, une IMG, en décembre 2017.
00:41 C'était ma première grossesse, c'était ma première petite-fille,
00:45 et à cette époque, le terme de deuil périnatal, je ne l'avais jamais entendu.
00:49 J'étais bien consciente qu'une grossesse pouvait s'interrompre pendant le premier trimestre,
00:53 ou les arrêts naturels de grossesse.
00:55 La première écho pour moi, c'était un boulevard, et ce boulevard allait aboutir à un accouchement
01:00 avec un bébé en bonne santé.
01:01 Donc on a dû encaisser ce choc de l'annonce, de nous dire "voilà, il y a un problème".
01:06 On a pris cette décision d'interrompre la grossesse, donc j'ai accouché par voix basse,
01:12 en décembre 2017, un accouchement tout ce qu'il y a de plus normal,
01:16 si ce n'est que mon bébé n'a pas poussé de cri.
01:19 Après c'est la solitude, une tristesse, mais dans des proportions inouïes,
01:24 et une solitude énorme.
01:26 Je me sentais seule dans les émotions que je ressentais.
01:29 Je me sentais seule aussi parce que je mettais les jambes à l'aise,
01:32 je me sentais seule parce que je me rendais compte que ce que je vivais,
01:36 ça ne faisait même pas partie du champ des possibles, si on n'en parle pas.
01:40 C'est un monde sans aucun repère, c'est un monde souterrain dans lequel on se sent très très seule.
01:46 Selon l'OMS, le deuil périnatal commence lorsqu'on perd son bébé à partir de 22 semaines d'améliorée,
01:52 donc en gros 4 mois, 4 mois et demi de grossesse, jusqu'à 7 jours après la naissance.
01:57 C'est une définition qui est complètement désincarnée, qui est très administrative presque,
02:04 puisque 22 semaines d'améliorée c'est aussi le terme à partir duquel en France
02:08 on peut avoir ses 16 semaines de congé maternité.
02:10 Aussi ça ne nous dit rien ce genre de définition du poids, du tabou
02:14 concernant le deuil périnatal dans notre société.
02:17 Pour le podcast, j'ai fait le choix d'avoir une définition qui est plus large que celle de l'OMS,
02:23 en disant que le deuil périnatal c'est le fait de perdre son bébé durant la grossesse
02:28 ou quelques temps après sa naissance.
02:30 Si je définis le deuil périnatal de manière trop restrictive,
02:33 il y a encore des gens qui vont se sentir mis de côté.
02:36 Le deuil périnatal c'est pleurer un être que personne n'a connu à part nous qui l'avons porté et le coparent.
02:44 C'est un deuil qui est marqué par un silence assourdissant.
02:47 Et c'est vrai, en fait c'est le silence de la société, c'est parfois le silence de l'entourage,
02:52 mais c'est aussi le silence au moment de l'accouchement,
02:54 parce que le bébé, eh bien il ne poussera parfois aucun cri.
02:59 C'est le silence qui envahit notre foyer, là où il devait y avoir des pleurs.
03:04 En général, quand on nous annonce une grossesse ou une naissance,
03:07 bon ben voilà, on est heureuse pour la personne qui nous l'annonce.
03:10 Mais quand on a vécu un deuil périnatal, la première annonce de grossesse, la première annonce de naissance,
03:15 là on se dit "Waouh, il y a quelque chose qui ne va plus, c'est quoi cette émotion que je ressens,
03:21 pourquoi je suis jalouse, pourquoi je suis en colère, pourquoi je suis triste ?"
03:25 Ce sont des émotions qu'on pensait ne jamais vivre, qui peuvent nous submerger encore plusieurs années après.
03:31 À cette date-là, il aurait dû faire ses premiers pas, là il aurait dû commencer à manger des purées,
03:37 là il aurait dit son premier mot. Et parfois c'est pleurer seul parce que l'entourage,
03:41 peut-être qu'il s'en souvient de cette date de notre accouchement,
03:43 mais très rarement il va nous accorder de l'attention ce jour-là.
03:48 C'est aussi ne pas savoir répondre à la question "Combien vous avez d'enfants ?"
03:51 C'est dire "Ben j'ai pas d'enfants", alors qu'on en a perdu un, ou "J'ai un enfant", alors qu'on en a eu deux.
03:57 Alors c'est très compliqué de sensibiliser. On sait que c'est effrayant, c'est stressant,
04:01 personne n'a envie de savoir que ça peut se passer.
04:04 C'est environ 7000 familles par an. Pourquoi c'est important de sensibiliser ?
04:08 Parce que toutes les personnes qui vivent un deuil périnatal vont mettre en avant la solitude, le manque de repères.
04:14 Il faut briser la solitude, il faut que les personnes qui vivent ce deuil se disent "Je ne suis pas seule,
04:19 il y a des ressources, il y a des associations".
04:22 Je pense notamment à une association formidable, Petite Émilie, dont le forum m'a sauvé la vie.
04:28 Mais il y a aussi d'autres associations, comme Agapa, qui organise des cafés rencontres, des groupes de parole.
04:33 Si on en parlait un petit peu plus, eh bien ces ressources, elles seraient beaucoup plus facilement identifiables.
04:39 C'est pas seulement pour les personnes qui le vivent à l'instant T, c'est aussi pour les personnes qui le vivront peut-être un jour,
04:45 pour celles qui ne le vivront peut-être jamais, mais qui auront quelqu'un dans leur entourage qui l'aura vécu.
04:50 Parce que quand on a des clés pour comprendre ce qui se passe, l'entourage forcément va être beaucoup plus à même
04:56 de se hisser à la hauteur de cette douleur.
04:59 C'est important de planter des petites graines dans l'esprit des gens pour leur dire "Voilà, ça vous arrivera peut-être pas à vous personnellement,
05:05 mais ça arrivera peut-être à quelqu'un de votre entourage et cette personne, elle aura besoin de soutien,
05:09 elle aura besoin d'écoute, elle aura besoin de ressources, elle aura besoin qu'on lui demande comment elle va".
05:13 En 2022, il y a des inégalités territoriales qui sont énormes dans la prise en charge du deuil pérennital.
05:19 Et ça relève presque du combat de sensibiliser, parce que c'est inadmissible aujourd'hui.
05:24 On arrive dans des services d'état civil où on nous dit "Non, votre bébé est mort-né, je ne peux pas inscrire le prénom dans le livret de famille".
05:31 Ça, ce n'est pas normal.
05:33 Et quand en plus on doit encaisser ce genre de choses et batailler pour faire entendre nos droits alors que c'est inscrit dans la loi,
05:39 ça rajoute de la violence à la violence.
05:42 C'est par exemple certaines CAF qui ne veulent pas délivrer la prime à la naissance,
05:46 auquel on peut avoir le droit en fonction du terme de la grossesse.
05:50 Cette prime à la naissance, bien sûr que le bébé est décédé, mais des obsèques, quand on décide d'en organiser, ça coûte très cher.
05:56 Et souvent, cette prime à la naissance, elle sert à ça.
05:59 C'est important de sensibiliser pour qu'on se sente moins seul, pour que l'entourage comprenne ce qu'on vit,
06:04 pour que la loi, elle, soit respectée.
06:06 Dans le cadre du travail, il y a certaines femmes qui sont obligées, encore une fois, d'engager des démarches administratives très lourdes
06:14 pour faire comprendre à leur employeur que, oui, leur bébé est mort, mais oui, elles ont droit à leur congé maternité.
06:20 En cette Journée mondiale de sensibilisation de l'œil périnatal, je veux surtout témoigner tout mon soutien
06:25 aux personnes qui viennent de perdre un bébé ou qui ont vécu cette épreuve il y a quelques semaines, quelques mois,
06:34 et surtout te dire à toi, qui as perdu ton bébé, ne laisse personne te dire que ce que tu vis, ce n'est pas normal.
06:42 Te dire que tes émotions, elles sont trop intenses compte tenu de ce que tu as vécu.
06:46 Ta peine, elle est légitime. Le manque que tu ressens est légitime.
06:50 Et puis, petit à petit, t'arriveras de nouveau à sourire, de nouveau à sortir, à mettre un pied devant l'autre.
06:57 N'aie pas peur de l'oublier, parce que tu ne l'oublieras pas. Il sera toujours là.
07:01 Le deuil périnatal, c'est un peu comme une plaie béante qui, petit à petit, cicatrise.
07:06 Mais la cicatrice, elle disparaît jamais.
07:08 Je t'envoie tout mon soutien.
07:10 Merci.
07:11 [Musique]

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