Une photo de la Lune inédite, prouesse d'un quasi-amateur (source Arte)

  • l’année dernière
Ce cliché de la Lune a été réalisé grâce à l'assemblage de centaines de milliers de photos. L'astre, distant de 384 400km, nous paraît plus proche que jamais ! Avec un luxe de détails inédits qui a laissé la NASA bouche bée. Présenté par Sonia Devillers, le nouveau magazine qui analyse les images de notre époque.

Le 13 novembre 2021, en Arizona, l'astrophotographe Andrew McCarthy installe derrière sa maison deux télescopes et deux caméras capables de prendre 200 images monochromes par seconde. En collaboration avec un astrophysicien, il va réaliser une reconstitution de la Lune extrêmement détaillée. L'auteur de cette photo nous raconte sa démarche et le procédé technique qui lui a permis de produire une image presque plus vraie que nature. L'historien des sciences Nick Wilding nous raconte en quoi cette photo est construite pour répondre à nos attentes plus ou moins conscientes.

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Transcription
00:00 Bonjour, aujourd'hui la Lune comme personne ne l'avait encore jamais contemplée.
00:18 L'auteur de cette image est ce qu'on appelle un astrophotographe, l'américain Andrew
00:24 McCarthy.
00:25 Pour obtenir cette vue, il a assemblé des centaines de milliers de clichés.
00:29 L'astre, distante de 384 400 km, nous paraît ainsi plus proche que jamais avec un luxe
00:37 de détails qui a laissé la NASA bouche bée.
00:40 On a l'impression de pouvoir toucher la mer et les cratères lunaires.
00:44 Cette prouesse de quasi-amateurs en dit long sur notre fascination pour la Lune.
00:49 Une obsession vieille comme le monde.
00:51 Vous avez un doute ? Chassez-le ! Voici bien l'unique satellite naturel permanent
00:58 de la planète Terre, comme le disent les astronomes, la Lune.
01:02 Mais une Lune colorée, lumineuse, précise.
01:05 Cette nuit-là, elle n'est pas pleine.
01:09 Le soleil l'illumine depuis la droite de l'image, faisant ressortir ses contours, atténuant
01:15 les étoiles.
01:16 Son tiers gauche reste dans l'ombre.
01:18 Cette image inédite de la Lune contraste avec les photographies que nous avons l'habitude
01:23 de voir.
01:24 Elle a été prise le 13 novembre 2021 aux Etats-Unis, en Arizona, dans la petite ville
01:29 de Florence.
01:30 Dans l'arrière-cour de sa maison, Andrew McCarthy a installé deux télescopes et deux
01:35 caméras capables de prendre 200 images monochromes par seconde.
01:38 Il ne travaille pas seul.
01:40 En Louisiane, l'astrophysicien Connor Matern est quant à lui chargé de capter les données
01:45 des couleurs.
01:46 Depuis trois ans, les deux passionnés échangent et collaborent.
01:50 Le résultat, cette photo monstre, a un niveau de détail insensé selon Andrew.
01:56 174 mégapixels, soit plus de 80 fois la résolution d'un écran de télévision haute définition.
02:02 L'image a été partagée en août 2022 via son site personnel et les réseaux sociaux.
02:07 Succès immédiat.
02:09 Cette Lune n'est pas celle qui peuple notre imaginaire par nuit claire, ni celle qu'a
02:14 pu observer le télescope spatial Hubble.
02:16 C'est une Lune reconstituée.
02:19 Cette nuit-là, en effet, notre chasseur de Lune a capté 180 000 clichés en 30 minutes.
02:24 Pendant des mois, il va ensuite empiler sur chaque zone des paquets de 4000 photos et
02:29 les fusionner afin de gommer les distorsions dues au mouvement de la Terre.
02:34 D'où cette netteté quasi magique.
02:36 La résolution permet de zoomer sur cette rivière de lave, là où s'est posée la
02:42 mission Apollo 15 en 1971.
02:45 Plus au sud, voici Tycho, géant parmi les 300 000 cratères lunaires, 80 km de diamètre.
02:52 A l'ouest, les cratères de Kepler et Copernicus.
02:55 Les couleurs, elles, racontent l'histoire géologique de la Lune.
03:00 Le bleu, par exemple, ce sont des traces de titanes dans le magma gelé des zones plates,
03:06 ce qu'on appelle les mers.
03:08 Les astrophotographes ne sont pas des astronomes.
03:11 Leurs images ne sont pas des outils de recherche, mais une fin en soi.
03:14 Ce qui compte, c'est la bonne technique, la patience et surtout l'effet spectaculaire.
03:19 Andrew y passe toutes ses nuits.
03:21 Voici ses images de comètes, d'éclipses lunaires, d'explosions solaires ou encore
03:26 sa photo de la Station Spatiale Internationale, primée par le concours Astrophotographer
03:31 of the Year en 2022.
03:34 Dans une vidéo postée sur Twitter, on entend même sa surprise.
03:37 En effet, ses appareils viennent de capter l'ISS, passant à 25 000 km/h au-dessus de lui.
03:43 Rien ne prédisposait Andrew McCarthy à devenir un astrophotographe,
03:49 suivi par des centaines de milliers d'abonnés.
03:52 En 2017, cet ancien employé informatique s'est lancé dans la photo high-tech et l'astronomie.
03:57 Depuis, il s'est installé dans le désert de l'Arizona, où il a fait de sa passion
04:02 un métier, produire des images plus vraies que nature.
04:05 J'ai construit un observatoire dans mon jardin.
04:10 J'ai donc un télescope stationné en permanence sur un sol.
04:14 Comme ça, ça me permet de faire des photos tous les soirs.
04:17 En fait, quand j'ai pris cette photo, j'ai posté un gros plan de la Lune sur mon fil
04:21 Instagram pendant que j'étais en train de la capturer.
04:23 Et un de mes amis a répondu « Hey, moi aussi je suis en train de capturer la Lune ».
04:27 J'ai dit « Oh, c'est cool, pourquoi ne pas rassembler nos données et regarder ce
04:31 que ça donne ? ».
04:32 Les couleurs fournies par Connor m'ont permis de rehausser celles du régolithe,
04:41 la matière lunaire, et d'en révéler le contenu minéral.
04:44 L'orange, en fait, c'est de la rouille.
04:46 Oui, la Lune rouille, comme un vieux clou laissé sur un trottoir.
04:51 Ce sont des couleurs très, très subtiles.
04:54 On ne le voit pas à l'œil nu, mais sur une photo de très bonne qualité, elle commence
04:58 à ressortir.
04:59 Ce qui se passe, lorsque vous regardez quelque chose de très agrandi, qui est au-delà
05:04 de notre atmosphère, il y a de minuscules courants d'air qui déforment les choses.
05:09 Mais quand vous prenez des milliers de photos et que vous les empilez, les éléments se
05:14 superposent.
05:15 Cela gomme ces distorsions.
05:16 Donc, vous pouvez faire ressortir les détails.
05:20 À la fin, une fois que tout est compressé et empilé, j'obtiens entre 30 et 40 images
05:25 individuelles à partir de ces 180 000 images.
05:28 Et je peux travailler avec.
05:30 Je les assemble en mosaïque dans Photoshop, et ensuite, il faut choisir.
05:34 Vers quel genre de style je veux aller ? Quel type de composition retenir ?
05:38 Mon travail consiste à révéler l'invisible.
05:42 Je cherche des couleurs cachées que je n'ai jamais ressenties.
05:45 Je cherche des détails cachés que je n'avais jamais fait ressortir auparavant.
05:49 Je cherche quelle différence de composition je peux faire.
05:53 Je dirais que c'est un mélange de photographie réelle, de photographie très scientifique,
05:58 de traitement très mathématique, mais fait avec un flair artistique.
06:01 Je photographie tout.
06:04 Si c'est là-haut, je le trouverai.
06:06 J'ai fait récemment l'actualité avec une comète que j'ai passé un mois à filmer.
06:10 C'était horrible pour ma santé, car je passais toute la nuit à la filmer, et la
06:14 journée suivante, à traiter l'image.
06:16 Je ne dormais plus.
06:17 Il y a des milliers d'astrophotographes partout dans le monde.
06:21 On échange, on discute, on partage des trucs et des astuces et des exemples de réussite.
06:25 C'est vraiment une communauté géniale.
06:27 La Lune, je la photographie souvent, car franchement, entre nous, c'est ce qui intéresse le plus
06:33 les gens.
06:34 Mais ma passion, c'est plus l'espace profond.
06:36 J'adore photographier les nébuleuses et les galaxies.
06:39 Mais la Lune me permet d'intéresser plus de gens à l'astronomie, ce qui est vraiment
06:45 bénéfique pour le monde.
06:46 Moi, je n'ai pas besoin d'un vaisseau spatial pour explorer l'univers.
06:50 Je le fais déjà.
06:51 Je le fais toutes les nuits, depuis mon jardin.
06:54 Ce que je fais est vraiment excitant.
06:56 C'est une manière pour moi de poursuivre vraiment mes rêves d'enfant, de contempler
06:59 ces merveilles de notre univers.
07:01 Et tout le monde peut en faire autant.
07:03 Nick Wilding est un historien des sciences installé à Atlanta, aux Etats-Unis.
07:10 C'est un spécialiste de Galilée, le physicien italien, qui, vers 1610, a pu observer la
07:15 Lune avec un télescope pour la première fois.
07:18 Ce qui intéresse Nick Wilding dans cette photo, c'est la manière dont elle est construite
07:23 pour répondre à nos attentes, plus ou moins conscientes.
07:25 La première chose que je me suis dit en regardant cette photo, c'est que cela ne ressemblait
07:33 pas vraiment à la Lune.
07:35 J'ai cru que c'était une interprétation artistique et non pas une photo.
07:39 La très forte saturation des couleurs et les détails incroyables font qu'on regarde
07:45 cette Lune comme si c'était une sorte d'illustration de science-fiction, une couverture
07:50 de livre des années 80, retouchée à l'aérographe.
07:52 La Lune a été représentée tout au long de l'histoire de l'humanité.
08:00 Elle apparaît partout et chaque culture a sa propre mythologie de la Lune.
08:06 Très souvent, dans la tradition chrétienne, dans les scènes de crucifixion, la pleine
08:11 Lune et le Soleil sont représentés derrière la croix, sur le point de provoquer une éclipse.
08:15 Puis lorsque nous passons à la phase scientifique de l'observation, des gens comme Galilée
08:22 en 1610 et Thomas Hario dessinent les premières images de la Lune telles qu'ils l'observent
08:27 au télescope.
08:28 Et puis, avec l'apparition de la photographie, la Lune devient un sujet très largement traité.
08:36 Cette ère de la photographie va en grande partie remplacer la production manuelle d'images
08:45 artistiques et nous dire ce qu'est la réalité.
08:48 Résultat, aujourd'hui, il est devenu très difficile de faire une image nouvelle de la
08:54 Lune.
08:55 Cet hyperréalisme, c'est la Lune que nous désirons aujourd'hui.
08:59 C'est un peu comme Google Maps.
09:03 On s'attend à pouvoir zoomer dans tout, agrandir toutes les images, tout explorer
09:07 par le biais du domaine numérique.
09:09 Maintenant, ça s'applique à la Lune elle-même.
09:13 Nous ressentons le besoin de nommer chaque cratère, de coloniser la Lune, si ce n'est
09:18 littéralement, au moins épistémologiquement, par le biais des images.
09:22 Cette photo ressemble aussi aux planètes que nous avons rencontrées au cinéma, peut-être
09:28 en haute définition.
09:29 Nous avons déjà rencontré ces objets célestes.
09:32 Nous savons à quoi ils ressemblent dans nos imaginaires et dans nos vies culturelles.
09:36 De fait, il y a un dialogue entre l'industrie du cinéma, qui imagine ces nouveaux mondes,
09:41 et les technologies spatiales et l'astrophotographie, qui enregistrent les mondes qui existent réellement.
09:45 Et ce n'est pas que nous découvrons quelque chose de nouveau et qu'ensuite cela arrive
09:51 sur les écrans de cinéma.
09:52 Cela va dans les deux sens.
09:55 Nous savons ce qu'il faut chercher parce que nous avons envie de le trouver.
09:59 Le défi maintenant, c'est, je pense, de revisiter notre Lune à la lumière de toutes
10:05 ces merveilles que nous avons découvertes.
10:07 Les nébuleuses et les planètes folles tournant les unes autour des autres, les nuages de
10:12 gaz et les naines rouges, etc.
10:14 En comparaison, la Lune paraît un peu banale.
10:16 L'une des choses qui est vraiment frappante avec cette image, c'est qu'elle rend la Lune
10:23 à nouveau excitante.
10:24 Elle la fait ressembler à un de ces mondes extraterrestres tout juste découverts.
10:29 Et pourtant, nous pouvons l'observer ce soir à travers notre fenêtre.
10:33 Fidèle à la tradition américaine de la conquête spatiale, Andrew McCarthy espère qu'à leur
10:41 modeste mesure, ses photos inciteront à lancer la colonisation de l'espace par l'Homme.
10:46 La NASA a affiché l'une de ses photos sur le site de lancement de la mission Artemis
10:51 et il en est très fier.
10:52 Artemis prévoit justement d'amener à nouveau des voyageurs sur notre chère Lune d'ici
10:58 2030 et d'y maintenir une présence humaine plus ou moins continue.
11:02 Le 11 décembre 2022, la capsule Orion est revenue d'une odyssée de 25 jours autour
11:08 de la Lune avec une moisson de photos incroyables.
11:11 Des clichés qui ont laissé Andrew bouche bée et qu'il rêverait un jour de faire
11:16 depuis l'espace.
11:17 C'était une enquête de Pierre-Olivier François pour le Dessous des Images.
11:22 Salut à tous !
11:23 [Générique]

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