• il y a 2 ans
Alain Damasio, auteur de science-fiction, co-auteur de "On ne dissout pas un soulèvement. 40 voix pour les Soulèvements de la terre" (Seuil), est l'invité de 7h50. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-19-juin-2023-7433000

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00:00 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin, est écrivain, auteur à succès de science-fiction.
00:10 Et bonjour, bonjour Alain Damasio.
00:12 Bonjour.
00:13 Merci d'être avec nous ce matin.
00:14 Vous êtes effectivement l'un des maîtres de la science-fiction française.
00:16 Vos romans d'anticipation sont attendus avec ferveur par vos fans.
00:20 « Les Furtifs » en 2019 avait été qualifié de livre d'une génération, les 20-35 ans
00:26 qui vous adultent tout simplement.
00:27 Quant à « La Horde du Contrevent » publié il y a 20 ans, c'est aujourd'hui un livre
00:31 culte.
00:32 Mais ce n'est pas du tout pour ça qu'on vous invite ce matin.
00:34 Ce n'est pas l'écrivain de science-fiction qu'on reçoit ce matin, mais l'homme engagé.
00:38 Vous avez en effet contribué à l'ouvrage collectif « On ne dit sous pas un soulèvement
00:41 », 40 voix pour les soulèvements de la Terre paru au seuil il y a quelques jours,
00:45 avec d'autres intellectuels, Virginie Despentes, Philippe Descola, Baptiste Morisot.
00:49 Un livre pour défendre donc ce mouvement qui avait notamment organisé la manifestation
00:53 contre les méga-bassines à Saint-Celine en mars dernier, ou qui s'opposait ce week-end
00:57 au Lyon-Turin.
00:58 Gérald Darmanin veut donc dissoudre les soulèvements de la Terre.
01:01 Ça devrait être fait ce mercredi en Conseil des ministres.
01:03 Pourquoi cette dissolution est une mauvaise idée à vos yeux ?
01:05 Ce n'est pas seulement une mauvaise idée, c'est une aberration totale, absolue pour
01:09 moi, au sens où les soulèvements de la Terre ramènent sur le devant de la scène un enjeu
01:14 majeur pour demain qui est l'eau.
01:16 L'eau c'est le nouvel or.
01:18 L'eau ça va être décisif parce que la sécheresse arrive, on le sait, elle devient constante.
01:23 Et que l'eau doit rester un bien commun.
01:25 Donc pour moi les soulèvements défendent cette idée de façon très simple en disant
01:29 que l'eau reste ce bien commun pour tous.
01:31 Également sur les terres, que les terres restent communes au maximum.
01:35 Et donc on ne peut que soutenir ça.
01:37 Les soulèvements de la Terre, c'est donc un collectif qui a été fondé en 2021 par
01:40 des militants venus pour la plupart de la ZAD contre Notre-Dame-des-Landes.
01:44 Ils se battent, vous le dites, contre l'artificialisation des terres, contre les projets agro-industriels.
01:48 Et ils revendiquent, et c'est là le problème si j'ose dire, et c'est pour ça que Gérald
01:52 Manin veut les dissoudre, des actions radicales comme les manifestations violentes à Sainte-Seline
01:57 ou encore récemment l'attaque d'une serre expérimentale à Nantes où ils ont arraché
02:00 des plantations et dégradé la serre.
02:02 Ils utilisent le sabotage, ils revendiquent une désobéissance civile, Gaëlle en parlait,
02:08 Yael en parlait, je suis complètement folle ce matin, pour faire avancer cette cause.
02:13 Cette radicalité, vous la comprenez ? Ça c'est la première question.
02:16 Et pensez-vous vraiment qu'elle fasse avancer la cause ?
02:19 Non seulement je la comprends, mais je la défends et je la promeux même.
02:24 C'est-à-dire qu'on est à un moment donné où l'accélération, on le voit, des réchauffements
02:28 climatiques est massive.
02:30 Donc il y a une vraie urgence à changer, à faire bierfliquer ce monde.
02:34 Et que donc il faut, si le gouvernement n'est plus capable, et n'a jamais été capable
02:38 en l'occurrence, d'entendre ces arguments écologiques, il faut passer à un niveau
02:43 supérieur d'action.
02:44 C'est-à-dire la violence ?
02:46 Mais c'est pas la violence, parce que là on parle vraiment, la violence c'est action
02:49 directe.
02:50 La violence, on regarde dans les années 80 où on mettait des balles dans la tête des
02:55 PDG des grands groupes comme Renault.
02:56 Là on était dans la violence.
02:58 Là on parle de gens qui découpent au cutter une bâche en plastique pour que l'eau des
03:03 mégabassines retourne en aphréatique et bénéficie justement à tout le monde.
03:06 On parle parfois de sillage de tuyaux.
03:10 Moi je n'appelais pas ça de la violence.
03:12 Là on est sur du démantèlement, on est sur la possibilité de redonner cette eau à
03:18 tout le monde.
03:19 Je n'appelais pas ça de la violence.
03:20 Gérald Darmanin, si, dans une note parle d'un mot.
03:23 Oui mais Gérald Darmanin, il faudrait déjà qu'il apprenne à ce que la police n'est
03:27 pas une force qui doit envoyer sa mille grenades de désencerclement en deux heures sur des
03:31 manifestants qui sont écolos, des familles et des poussettes.
03:33 La violence, je pense qu'il peut très bien en parler Darmanin, parce qu'il est porteur
03:37 de cette violence et il l'active contre des militants qui sont pacifiques.
03:41 Oui mais lui il reproche une extrême violence des soulèvements de la terre, des envahissements
03:45 d'entreprises, des destructions de biens, des exactions contre les forces de l'ordre.
03:49 Il parle des appels à l'insurrection.
03:51 Il donne des exemples.
03:54 Et puis plus largement, par exemple, quelqu'un comme Valérie Masson-Delmotte, la grande
03:58 climatologue du GIEC qui soutient les soulèvements de la terre, qui est contre leur dissolution,
04:03 elle s'est interrogée par exemple sur la dernière opération à Nantes en disant
04:06 dégrader une serre saccagée des cultures maraîchères.
04:09 Elle a tweeté "Ces destructions me plongent dans une complète incompréhension".
04:13 Oui mais il faut comprendre les stratégies à l'œuvre parce que quand on regarde comme
04:16 ça, ça paraît...
04:18 Quand vous allez à Saint-Sauline, vous voyez que pendant deux heures, il y a un nuage
04:23 absolu de lacrymo, des grenades, des blessés.
04:26 On a frôlé un mort quand même.
04:28 On est sur une stratégie de violence et d'attaque et d'escalade des violences de la part de
04:33 la police qui fait qu'en face, sur des jeunes, sur des gens qui essayent déjà de faire
04:36 entendre leur voix, ça crée des réactions.
04:38 Ça crée des réactions de colère.
04:39 Et cette réaction de colère, elle est compréhensible.
04:41 Mais on rentre dans un cercle vicieux qui est amorcé malheureusement par la police.
04:45 On le voit par exemple sur les manifs des retraites.
04:46 Vous ne pouvez plus faire une manif à Paris sans être nassé, sans être traqué, sans
04:50 être gazé, sans que cette violence se déclenche pour créer cet effet de colère.
04:53 Donc il faut que...
04:55 On mesure la responsabilité de Darmanin et du gouvernement dans cette activation des
04:59 colères-là.
05:00 Ensuite, il faut se dire que ces mouvements, pour la plupart, c'est des mouvements non-violents.
05:03 Si je prends Extinction Rebellion qui fait partie du Soulèvement de la Terre, dans la
05:06 charte d'Extinction Rebellion, dans les dix points d'Extinction Rebellion, il y a la non-violence.
05:10 Voilà.
05:11 Attaques et non-violents.
05:12 On a énormément de groupes qui sont absolument non-violents.
05:15 Et quand vous parlez de violence, encore une fois, c'est d'une douceur que je trouve assez
05:19 hallucinante.
05:20 Oui mais dégrader une serre maraîchère, à quoi ça sert ? Est-ce que c'est nécessaire ?
05:25 J'essaie de comprendre quel est l'intérêt de faire ça, d'humilier d'une certaine manière
05:31 les agriculteurs.
05:32 C'est des dizaines de milliers d'euros de pertes pour les agriculteurs.
05:35 Vous avez épuisé tous les recours démocratiques.
05:36 C'est-à-dire que vous avez épuisé toutes les façons douces de faire les choses.
05:40 Vous faites des livres, vous faites des articles, vous faites des tribunes, vous faites des
05:43 manifestations, vous faites des tracts, vous faites des actions tranquilles.
05:47 Aucune de ces actions sont écoutées.
05:49 Il y a un refus de dialogue absolu.
05:52 On l'a vu sur les retraites.
05:53 14 manifestations à plus d'un million d'individus.
05:55 Il n'y a absolument aucune inflexion.
05:58 Donc il faut faire quoi ?
05:59 Donc il faut passer à une étape supérieure à mon sens.
06:02 Il faut y avoir des actions effectivement qui concrètement démentent elles et empêchent
06:06 un certain nombre d'entreprises de faire des horreurs.
06:11 Quand vous prenez l'eau, on a de la sécheresse.
06:13 La réponse de ce gouvernement et de la FNSEO, c'est quoi ?
06:17 C'est accaparement.
06:18 On va accaparer l'eau.
06:20 On va la capitaliser, on va la stocker, on va la mettre en banque.
06:23 Il parle des méga-bassines.
06:24 Donc par rapport à l'accaparement, il faut réagir.
06:27 Ça c'est pour les agriculteurs, vous le savez aussi.
06:29 C'est les agriculteurs qui disent "on a besoin de ces méga-bassines".
06:31 Parce qu'on est dans des zones de plus en plus sèches.
06:33 Si vous prenez 16 agriculteurs, parce que c'est 6% des agriculteurs qui bénéficient
06:37 de ces méga-bassines.
06:38 Donc vous avez 16 agriculteurs, il y en a un qui bénéficie de cette eau.
06:42 Et les 15 autres, on leur dit "vous, vous n'aurez plus d'eau".
06:45 Et vous voulez qu'on fasse quoi ?
06:46 À un moment donné, moi je comprends les militants, moi je suis moi-même militant.
06:50 Il faut réagir effectivement.
06:51 Mais moi ce qui m'intéresse, c'est cette tendance récente philosophiquement.
06:55 Qu'est-ce qui se passe chez beaucoup d'intellectuels écologistes comme vous, comme le suédois,
06:59 le suédois Andreas Malm, qui déclare qu'il faut une forme de violence, ou en tout cas
07:04 de désobéissance civique.
07:06 L'idée, je cite Andreas Malm, "l'idée que la seule manière d'obtenir un gain de
07:09 cause serait la non-violence a été construite par des universitaires.
07:12 Il faut accepter qu'il n'y a pas de preuve que la non-violence et le chemin assuré vers
07:16 la victoire, ciblé les SUV ou les jets privés, peut aider les luttes".
07:19 Et vous-même vous dites "il faut arrêter de croire que les réseaux et le lobbying
07:22 vont sauver le monde, il faut des actions directes".
07:24 Le risque n'est-il pas...
07:26 Est-ce que ce discours-là est mobilisateur ? C'est ça que j'essaie de comprendre.
07:29 Le risque n'est-il pas de convaincre les convaincus et au fond d'effrayer tous les
07:32 autres ?
07:33 - Je pense qu'il l'est parce qu'on voit sur les mouvements historiques, ça a été
07:36 très analysé et notamment à gauche, sur l'impact entre non-violence, violence et
07:40 comment ça s'articule.
07:41 En réalité, c'est pas l'un ou l'autre.
07:43 En réalité, c'est souvent une grande masse d'individus, peut-être 90%, et je pense
07:47 que c'est à peu près le cas dans ces mouvements-là, 90% des militants sont sur la non-violence
07:52 stricto sensu.
07:53 Mais il faut qu'il y ait une portion aussi qui aille un peu plus loin, qui soit plus
07:57 radicale, qui fasse avancer les choses, qui crée des actions qui sont directes, et ça
08:00 veut vraiment dire ce que ça veut dire.
08:01 - Est-ce qu'elles font avancer les choses ?
08:03 - Ah bah oui, oui, oui, je pense que quand à un moment donné, vous découpez une méga-bassine
08:07 et que l'eau revient effectivement à la rivière, au Napfréatique et bénéficie
08:11 aux 15 autres paysans qui étaient privés de cette eau, sur les 16 dont on parlait,
08:14 bah oui, il y a une efficacité, il y a une efficacité réelle.
08:17 Donc moi je considère que ça c'est tout à fait utile.
08:21 Et pour moi, encore une fois, c'est absolument pas violent.
08:24 C'est radical au sens où oui, on revient à la racine du problème et on essaie de
08:27 la traiter, mais c'est pas du tout violent.
08:29 On touche à des biens, on touche pas à des individus.
08:32 Attention, quand vous blessez des militants, là vous êtes dans la violence.
08:35 - Et ça vous êtes évidemment contre.
08:37 Vous pensez, Alain Damasio, que l'écrivain a une responsabilité, un devoir de s'engager
08:41 à la manière de Sartre ou de Camus.
08:43 Vous ne venez pas d'une famille politisée, vous avez fait l'ESSEC.
08:46 Vous avez fait l'ESSEC.
08:47 - Oui, oui, tout à fait.
08:48 - D'où vient votre engagement politique ? À quel âge est-il né ? Est-ce que c'est
08:51 à l'ESSEC où vous vous êtes dit "je veux pas être un business manager et gagner de
08:54 l'argent" ?
08:55 - Il est né un peu au même âge que des militants actuels et ça, je trouve, c'est intéressant.
08:58 C'est-à-dire que c'est autour de la vingtaine d'années.
09:00 C'est-à-dire qu'on sort de l'enfance, on commence à prendre une conscience politique,
09:03 on commence à comprendre ce monde autour de nous.
09:05 Et à ce moment-là, effectivement, quelque chose bascule.
09:07 Moi, ça a été des influences aussi intellectuelles et artistiques.
09:11 Ça a été Gilles Deleuze à l'époque, ça a été Michel Foucault, ça a été Friedrich
09:15 Nietzsche.
09:16 C'est-à-dire que c'est des philosophes qui m'ont éveillé.
09:19 D'où l'importance, je trouve, de faire des livres comme le livre qu'on vient de sortir
09:23 là, on dit "Sous palais et soulèvements" où il y a effectivement une paloplie.
09:25 Moi, quelqu'un comme Baptiste Morisot, par exemple, que je lis beaucoup, que je connais,
09:29 je trouve que la prise de conscience qu'il donne de ce qu'est le vivant comme force active,
09:33 comme force pas seulement à défendre mais comme force qui a la capacité de s'auto-réparer,
09:37 c'est précieux.
09:38 - Ça vous inspire tellement que vous avez créé un projet, une zone.
09:42 Aujourd'hui, vous vivez dans une zone autogouvernée dans les Alpes.
09:45 - Oui, tout à fait.
09:46 - Sans portable, je précise, vous n'avez pas de portable.
09:48 - Pas du tout.
09:49 - Vous n'en avez jamais eu.
09:50 Les réseaux sociaux n'en parlent pas.
09:52 Comment vous vivez ?
09:53 - On a créé une école des vivants, justement, là-haut, qui fait des ateliers artistiques,
09:58 écologiques, politiques aussi, qui accueille des groupes militants, justement, comme Extinction
10:01 Rebellion, par exemple, ou les Faucheurs Volontaires d'OGM.
10:04 On fait des séminaires avec l'université également.
10:06 Et c'est un lieu où il y a du maraîchage, il y a le dévache de chevaux, enfin, on fait
10:10 plein de choses.
10:11 Et c'est une ZEST, on appelle ça une ZEST, on adore les acronymes.
10:13 Zone d'expérimentation sociale, terrestre et enchantée, on appelle ça, voilà.
10:17 Donc on essaie de faire advenir aussi ce monde.
10:19 Le but, ce n'est pas d'être contre tout le temps, c'est aussi de développer le monde
10:23 qu'on veut voir vivre.
10:25 - On ne dit sous pas un soulèvement.
10:26 40 voix pour les soulèvements de la Terre paru au seuil il y a quelques jours avec Alain
10:30 Damasio, Philippe Descola, Ferdinand Despentes, Baptiste Morisot et 40 autres.
10:34 Merci et belle journée.

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