Entretien avec Benoit Califano, directeur de l'ESJPro, l'école de journalisme à Montpellier qui fête ses 20 ans.
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00:00 L'école de journalisme de Montpellier, le SJPRO de Montpellier fête ses 20 ans.
00:04 Deux jours de fêtes, vendredi et samedi. Claire, ce matin nous sommes avec le
00:08 directeur de l'école. - Bonjour Benoît Califano. - Bonjour. - Forment-on les
00:12 journalistes de la même manière aujourd'hui qu'il y a 20 ans ? - Ah bah pas
00:15 du tout parce qu'en 20 ans évidemment la presse et les médias ont vraiment
00:19 beaucoup bougé. Il y a 20 ans j'avais pas de smartphone, il n'existait pas encore.
00:23 J'avais un vieux Nokia, vous savez on appuyait sur les touches, les chiffres
00:27 pour avoir des lettres. J'achetais le journal papier, ça existait et on le
00:32 lisait tous. Voilà, rue 89 et médiapart n'existaient pas. Les réseaux étaient
00:38 balbutiants et entre temps effectivement il y a eu une révolution numérique qui a
00:42 fait qu'on a demandé aux journalistes et donc aux jeunes journalistes
00:47 conformes d'avoir des compétences multiples pour pouvoir publier à la fois
00:52 sur le web, sur l'antenne, sur les réseaux, sur le papier, à la radio.
00:57 Donc effectivement les choses ont énormément bougé. - En 20 ans on a dû
01:01 faire face aussi à l'arrivée des fake news, de la communication qui existait
01:06 déjà mais qui s'est vraiment développée, à la sur-information, aux réseaux sociaux.
01:11 À quoi ça sert un journaliste dans tout ça, dans tous ces enjeux ?
01:15 - Alors régulièrement on nous dit que peut-être qu'un monde sans journaliste
01:19 serait peut-être quelque chose en perspective. Moi je crois qu'on n'a
01:23 jamais autant besoin de nous justement par rapport à ça. C'est vrai que vous
01:26 avez raison, les fake news se sont développés sur les réseaux.
01:29 Finalement tout le monde peut publier de l'information et le citoyen se retrouve
01:32 effectivement dans une espèce d'infobésité, dans un univers où il ne sait
01:36 plus qu'est-ce qui est de l'ordre de l'info, de la vraie info, qu'est-ce qui est
01:40 de l'ordre de la communication, qu'est-ce qui est de l'ordre des stratégies pour
01:45 déstabiliser, pourquoi pas des pouvoirs aussi. On a vu ça évidemment avec
01:49 les États-Unis, avec les campagnes électorales et face à ça
01:54 effectivement des îlots de vérification de l'information, des endroits où les
01:58 citoyens peuvent aller et se dire peut-être que là il y a des gens qui
02:02 ont fait leur boulot, peut-être que là il y a des professionnels qui ont vérifié
02:05 l'info et qui la publient effectivement, des fois en se trompant peut-être, mais
02:09 en tout cas qui ont fait le travail qui est nécessaire.
02:12 Ça n'a jamais été aussi important et on voit bien comment aujourd'hui le citoyen
02:17 en même temps est en défiance vis-à-vis des journalistes et en même temps attend
02:21 de l'info de qualité, de la vraie info de notre part.
02:24 - Alors il y a effectivement de la défiance, c'est-à-dire que le public dit aussi
02:30 oui mais en fait dans les médias traditionnels, d'ailleurs il y a maintenant
02:33 une espèce de dichotomie entre les médias traditionnels et les autres,
02:36 on nous ment en fait, on nous dit pas tout. - Oui, alors ça c'est une impression,
02:40 après il soulève la question de l'indépendance des journalistes et donc
02:43 des modèles économiques, qui paye l'info ?
02:47 Mediapart disait "les seuls qui peuvent nous acheter c'est les lecteurs" et je pense
02:54 que l'enjeu effectivement du financement de l'info, il est fondamental parce qu'il
02:59 est lié à l'indépendance. Quand c'est gratuit, le produit c'est nous.
03:03 Donc c'est extrêmement important aussi d'être vigilant sur comment on finance
03:07 l'info, comment on a une info indépendance en France et ces modèles
03:13 économiques qui sont pas encore trouvés, notamment sur la presse écrite,
03:16 puisque les gens avaient pris l'habitude d'avoir du contenu gratuit avec le web
03:20 et c'est tout l'enjeu à venir pour les médias. - Comment le SJPro, l'école de
03:24 journaliste de Montpellier, est né il y a 20 ans ? - Alors c'est une histoire qui traverse...
03:28 - Je suis sûre que vous allez me parler de Georges Defreche, il était partout à l'époque.
03:31 - Il y a toujours une histoire qui démarre par Georges Defreche à Montpellier.
03:33 Il y a 20 ans, dans les années 90, il y avait une autre école de journalisme en
03:37 France qui était installée à Montpellier et qui avait fermé ses portes.
03:41 Et puis Georges Defreche, à l'époque, il était président de l'agglomération de
03:45 Montpellier et maire de Lille et s'est dit "mais il n'y a pas de grande ville sans
03:50 grande école de journalisme" et donc, sur les conseils de confrères locaux,
03:54 il est allé voir l'ESJ Lille qui est l'école de référence en France en termes
03:59 de journalisme en leur disant "si vous voulez, venez à Montpellier, ouvrez
04:03 une antenne, à Grammont à l'époque, et on vous aidera effectivement à vous
04:06 implanter". Et à l'époque à Lille, et ça c'est extrêmement important, à Lille
04:10 il y avait une vraie préoccupation. Ils avaient tendance, avec leur formation
04:13 initiale, à former toujours un peu les mêmes profils des jeunes qui étaient de
04:18 milieux sociaux favorisés, qui avaient fait des parcours type Sciences Po, et il
04:22 y avait une vraie préoccupation de dire "on est en train de formater les
04:26 rédactions et les rédactions ne ressemblent pas à la société qu'ils
04:29 observent". Et donc l'idée c'était diversifier les parcours, les profils, les
04:34 filières, et donc à Montpellier on a misé sur l'alternance, en se disant
04:37 l'alternance formation gratuite où les étudiants sont payés. - C'est la
04:41 spécificité vraiment de l'ESJ Pro aujourd'hui, c'est-à-dire que finalement par exemple, radio,
04:47 presse écrite ou télé, les étudiants travaillent pendant deux ans dans une
04:51 rédaction et en même temps sont formés. C'est vraiment l'alternance qu'on peut
04:54 imaginer plutôt pour des métiers type manuel. - A l'époque effectivement
04:57 l'alternance n'allait pas de soi pour les métiers comme le journalisme,
05:00 aujourd'hui ça s'est imposé, c'est les parcours dominants pour former des
05:03 journalistes. Mais effectivement c'est toujours notre ADN, c'est d'essayer
05:07 d'aller chercher des profils différents. Socialement effectivement aussi on baisse
05:12 le curseur parce que c'est important que les rédactions ressemblent à la société
05:15 et on fait un gros boulot avec Radio France, avec France 3, avec l'AFP et avec
05:21 pas mal de médias de PQR, de Presse Quotidienne Régionale, avec Medi-Libre
05:25 mais aussi avec Ouest France, avec le Télégramme, et pour essayer d'avoir des
05:29 profils différents et jouer un petit peu notre petite musique différente et c'est
05:34 extrêmement important et on garde toujours ça extrêmement en tête à
05:36 Montpellier. - Les jeunes ont-ils envie encore d'être journaliste alors qu'on
05:41 le disait la défiance est importante vis-à-vis des médias ?
05:44 - Alors on choisit pas ce métier par hasard, aujourd'hui c'est un
05:49 métier qui est mal aimé, mal payé, assez précaire et fragile et
05:56 contrairement à ce que beaucoup pensent, et donc on préfère effectivement que son
06:00 fils devienne un moussafide, devienne ingénieur ou médecin, donc on le choisit
06:04 pas par hasard. Et on a encore des jeunes qui viennent nous voir en disant "je
06:08 m'intéresse à l'info, c'est important pour moi et je veux être utile à la société"
06:12 donc ce sentiment de faire un métier utile, un métier qui a du sens pour la
06:15 démocratie, pour la société, est encore très très fort chez nos jeunes. - Comme un
06:20 engagement citoyen quasiment. - C'est un engagement et pour nous
06:23 effectivement l'un des fondamentales de notre métier c'est de transmettre
06:28 de la responsabilité sociale. On a une responsabilité sociale qui est forte et
06:33 il faut qu'on défende ça dans nos métiers. - D'autant plus aujourd'hui qu'hier.
06:36 - Encore plus aujourd'hui qu'hier et ce sera encore plus demain notamment
06:41 avec l'intelligence artificielle qui va venir bousculer aussi le monde de la
06:45 formation et de la communication. On sait pas bien encore par quel bout on va le
06:48 prendre mais il va bien falloir qu'on s'empare de cette problématique.
06:52 - J'avoue très humblement que je me suis faite avoir par la photo du Pape en doudoune
06:56 20 secondes et pourtant je suis journaliste donc j'ai pris l'habitude
07:00 d'avoir l'esprit critique mais c'est vrai que c'est assez bluffant cette
07:03 intelligence artificielle. Merci beaucoup Benoît Califano.
07:08 - Voilà merci. Califano c'est joli aussi. - Directeur de l'école de journalisme de Montpellier,
07:14 l'ESJ Pro, vous allez faire la fête donc pour vos 20 ans vendredi et samedi à
07:18 l'Ecole et à l'Altropisme. - Puisqu'ils sont très festifs à côté de chez nous.
07:23 - Et ils sont voisins. Bon anniversaire à vous. Bonne journée. - Merci.