2010 - l'écrivain Yasmina Khadra

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Yasmina Khadra relate dans un entretien à l’émission "expression livre" comment sous cette identité féminine se cachait un homme. Dans "L'écrivain", paru en 2001, le mystère est entièrement dissipé. Yasmina Khadra s'appelle de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, qui a déjà publié sous ce nom nouvelles et romans en Algérie. Officier dans l'armée algérienne, il a participé à la guerre contre le terrorisme. Il a quitté l'institution en 2000 pour se consacrer à sa vocation : écrire. Il choisit de le faire en français. Morituri le révèle au grand public. Aujourd'hui, écrivain internationalement reconnu, Yasmina Khadra est traduit en 33 langues.

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Transcript
00:00 Chers amis lectrices, chers amis lecteurs,
00:28 Bonsoir, bienvenue sur le plateau d'expression livre,
00:31 votre magazine littéraire et hebdomadaire sur Canal Algérien.
00:35 Alors vous avez pu constater bien évidemment que, tiens,
00:38 pas de décor d'expression livre, c'est pas le même environnement, bien sûr,
00:43 puisque j'ai eu la chance de pouvoir être accueilli dans le bureau de Yasmina Khadra,
00:50 qui, rappelons-le, est directeur du Centre culturel algérien à Paris,
00:54 et pour cela nous allons parler de son dernier ouvrage dont le titre est
00:59 "L'Olympe des infortunes". Bonsoir Yasmina Khadra, merci d'être avec nous.
01:04 Bonsoir et bienvenue à la maison.
01:06 Ben oui, tout de suite on se sent chez soi, on rentre,
01:09 il y a plein de livres, on voit des livres, pas seulement de vous, d'autres auteurs.
01:15 Alors, tout à l'heure, évidemment, moi je suis allé fouiller,
01:18 et puis je trouve, eh bien quoi, eh bien certains titres que vous avez,
01:22 de vos ouvrages, que vous avez écrits, Yasmina Khadra,
01:25 et traduits dans différentes langues, puisque je crois que vous avez été traduit
01:28 dans plus de 40 langues, c'est ça ?
01:30 40 pays, 38 langues.
01:32 Alors par exemple, là, j'ai Yasmina Khadra traduit en anglais, pour "La part du mort",
01:36 c'est un livre américain, mais il y a aussi en japonais, en finlandais, en danois,
01:42 en serbe, c'est ça ?
01:45 En serbe, oui.
01:46 En serbe, en croate.
01:47 Non, pas en serbe, en slovene.
01:48 En croate, en slovene, en slovene.
01:49 Alors bon, il y a plein de livres comme ça, on retrouve, extraordinaire quand même.
01:54 Ça prouve que la littérature algérienne a voix au chapitre,
01:59 et qu'il lui appartient d'ambitionner, de conquérir d'autres territoires.
02:05 Donc tout ce que je fais, toute ma réussite repose sur la réussite de KTBSC,
02:10 et j'espère que la réussite d'autres écrivains va reposer sur la mienne,
02:14 et c'est comme ça qu'on avance.
02:15 Absolument.
02:16 C'est pratiquement une compétition très heureuse.
02:20 Voilà, une saine compétition.
02:21 Oui, elle est saine, et j'espère que chaque écrivain va contribuer à l'essor d'autres écrivains.
02:26 Alors, Lola Desinfortunes, tout de suite, dès qu'il a été édite en France, ça fait pas longtemps,
02:33 commence, comme on dit, passez-moi l'expression, à cartonner.
02:37 J'ai la chance d'avoir un lectorat qui m'a aidé.
02:39 Fidèle.
02:40 Oui, il est fidèle, mais j'ai aussi pris un énorme risque en changeant complètement de registre,
02:47 et c'est une façon pour moi de mesurer un peu mon influence sur ce lectorat.
02:53 Alors, c'est paru aux éditions Julliard, mais que nos amis qui se trouvent en Algérie ne s'inquiètent pas,
03:02 parce que d'ici une semaine, dix jours, le livre va être réédité par une maison d'édition,
03:08 Cisa Constantin, qui s'appelle Media Plus, et donc on salue notre grand ami Hanachi,
03:14 qui est en même temps...
03:15 Et un libraire et un éditeur fantastiques.
03:17 Absolument, et qui est malheureusement, je crois, l'une des rares librairies à Constantin, si c'est pas la seule.
03:22 Non, et là, je crois, il a trois librairies.
03:24 À Constantin ?
03:25 Oui, oui.
03:26 Ah, c'est génial, il m'en a présenté deux.
03:27 Je pense, hein.
03:28 Ah, le Frélon.
03:29 Je lui ferai la remarque la prochaine fois.
03:31 Mais certains militants de la littérature, rien que pour ça,
03:35 je ne peux que m'incliner devant son engagement et son démunition.
03:39 Et c'est dur, hein, d'être éditeur et libraire en même temps, en Algérie.
03:43 C'est pas facile.
03:44 Je crois que j'ai déjà dit, quelque part dans un journal algérien,
03:48 que les gens qui méritent tous les égards, ce sont d'abord les libraires,
03:55 parce qu'ils continuent quand même de se battre pour le livre,
03:59 alors qu'ils pourraient gagner beaucoup d'argent en optant pour un métier de gargantier,
04:04 ou de fast-food.
04:05 C'est terrible à dire.
04:06 En plus, comme ils sont situés à des emplacements qui sont très recherchés,
04:11 justement, par des commerces de ce type,
04:13 et bien ils résistent et ils disent non, et on leur fait des propositions d'achat,
04:17 et chaque fois ils disent non, non, non, on restera libraire.
04:20 Bon, ils incarnent quelque part la gratitude.
04:22 Bah oui.
04:23 Parce que quand même, le livre nous a apporté beaucoup de choses.
04:25 Et ils sont défers à un moment où, justement,
04:30 les esprits sont en train de se fossiliser dans la médiocrité,
04:34 dans le prêt-à-porter, le prêt-à-réfléchir,
04:37 lorsque les gens se battent pour un livre qui leur permet quand même
04:42 de pousser un petit peu les fenêtres et d'aller vers d'autres univers,
04:47 d'autres imaginaires, et de s'enrichir de la culture et de l'esprit des autres.
04:52 Lola Désafortune.
04:53 Alors, vous m'étonnez toujours, Yasmin Arrabala,
04:56 parce que chaque fois que je prends votre ouvrage, votre nouvel ouvrage,
05:01 je commence à m'ouvrir, à aller à peu près à un milieu de lecture,
05:07 comme ça, je me dis mais c'est pas friable.
05:09 Un, ça y est, il a complètement changé, on va complètement ailleurs.
05:13 Alors, un autre monde, des personnages totalement différents,
05:17 c'est-à-dire, ça c'est sûr, vous allez me dire,
05:19 c'est les vérités de la paix, c'est ce que je dis là.
05:21 Mais non, mais là, complètement, complètement, c'est-à-dire,
05:23 vous allez dans un total autre monde, et vous changez,
05:26 non seulement votre style d'écriture, je dirais même y compris la vitesse d'écriture,
05:30 dans le sens où comment, par exemple celui-là, je l'ai dévoré,
05:35 dans le sens, il y a des façons différentes dont on dévore les livres.
05:38 Il y a ce qu'on goûte tranquillement, on est sage, parce qu'ils nous assagissent.
05:44 Puis il y a des livres où, oui, on est entraîné,
05:47 et parce que celui-là, Lola Désafortune, vos personnages nous traînent par la main,
05:51 je trouve, à une cadence excessivement rapide de lecture,
05:55 alors qu'étrangement, la situation est plutôt une situation, je dirais...
06:01 -D'inertie. -Oui, ça te sent comme ça calme.
06:04 C'est-à-dire, il n'y a presque pas de mouvement.
06:06 -Oui. -D'ailleurs, tout se passe dans un même endroit,
06:09 dans un même lieu, presque, presque, sauf vers la fin.
06:12 -Oui, c'est un lieu de méditation. -Ah oui !
06:14 -Oui, c'est un dépotoir, donc il y a des émanations qui titillent entre le cerveau.
06:20 Il y a aussi le regard que l'on porte sur la mer.
06:23 Il y a H.G. qui dit qu'on va s'allonger sur le sable,
06:26 on va regarder la mer jusqu'à ce que notre regard aille plus loin que les prophéties.
06:32 Moi, j'ai essayé, à travers ce livre, de me faire plaisir.
06:36 Et j'espère que ce plaisir sera partagé par mes lecteurs.
06:40 J'avoue que les livres que j'avais traités avant m'ont laminé.
06:45 J'écrivais sur des conflits, sur des absurdités atroces,
06:51 sur l'abjection, sur pas mal de choses qui m'ont un petit peu traumatisé.
07:01 Et j'avais besoin de me soustraire à cet univers-là et de me réinventer ailleurs.
07:06 J'ai créé pour moi ce dépotoir qui est le symbole du rejet de la société.
07:16 C'est là où tout ce que nous avons consommé, éronié, va se décomposer.
07:24 Et j'ai essayé d'adjoindre à cet univers des êtres humains.
07:27 Des êtres humains qui, comme ces déchets, sont rejetés aussi par la société.
07:32 Et je me suis dit pourquoi ne pas essayer de leur rendre un peu de leur humanité,
07:38 de leur rendre un peu de leur visibilité.
07:40 Essayer de trouver une décence à leur décadence, à leur faillite, à leur banqueroute.
07:46 Et d'un seul coup, je me suis aperçu que ce sont des personnages très attachants.
07:52 Et j'aimerais bien en avoir des amis comme ça.
07:55 Oui, alors, à primo, c'est vrai qu'il se passe des choses graves dans notre ouvrage.
08:03 C'est pas gay, c'est loin d'être gay, la façon dont on vit.
08:06 Ce n'est pas gay, mais c'est du cocasserie.
08:08 Mais voilà, mais c'est cocasse.
08:10 Et c'est plein de vie.
08:12 D'ailleurs, à un moment donné, vraiment vers la fin du roman,
08:15 il y en a un qui va aller à ce qu'on appelle la ville.
08:18 C'est-à-dire, obligé de toutes les perditions.
08:21 Il ne faut surtout pas aller en ville. Personne de ses clochards ne veut aller en ville.
08:25 Ils ont décidé qu'ils ont leur monde, puisque personne n'en veut dans la ville.
08:30 Et bien, eux vont construire leur propre monde.
08:32 Et qu'est-ce qui se passe ? C'est que quand il va déchirer ce qu'est la ville,
08:37 c'est encore plus terrible que le dépotoir dans lequel ils vivent.
08:40 Il y a le renoncement.
08:42 Ces gens-là ont choisi le renoncement.
08:44 Ils ont divorcé d'avec tout.
08:46 Avec leur passé, leurs souvenirs, leurs ambitions, leurs engagements.
08:51 Et puis d'un seul coup, ils se sont retrouvés sur un territoire,
08:54 et ils ont décidé d'en faire leur patrie.
08:57 Mais ils se donnent même un autre nom.
09:01 L'ÉHOR.
09:03 L'ÉHOR, oui. Parce qu'ils ont rompu avec les contraintes de tous les jours,
09:08 avec la frénésie du travail, l'anxiété de perdre ce travail.
09:16 Et puis, ils se croient libres, simplement parce qu'ils ont décidé un jour
09:21 de ne plus s'attarder sur quoi que ce soit, y compris sur eux-mêmes.
09:24 Mais en même temps, dans cette liberté, il y a une sorte de vie sauvage.
09:29 Il est très difficile pour certains de faire la différence entre la liberté et la vie sauvage.
09:35 Eux, ils sont en pleine décomposition.
09:38 Ils sont libres parce que rien ne leur appartient.
09:42 Il y a Hesch qui dit à Junior, la liberté c'est ne rien devoir à personne,
09:47 et la richesse c'est ne rien attendre des autres.
09:50 Donc voilà, c'est un immense mensonge qui les nourrit.
09:54 Ils se désaltèrent dans ce...
09:55 Est-ce que c'est vraiment un mensonge ?
09:57 C'est un mensonge. On a toujours besoin des autres.
10:00 Et on ne peut s'enrichir qu'avec les autres.
10:03 Et il est arrivé dans cet état d'échéance, Hesch qui a tout perdu,
10:06 il a trouvé dans Junior le simple et son monde.
10:10 Il est beau, oui, il s'est reconstruit un autre monde.
10:13 Un monde d'amour.
10:14 Quand vous n'avez plus de fortune, quand vous êtes pauvre,
10:17 aussi pauvre que les hommes, il vous restera toujours l'amour des autres.
10:21 Et avec cet amour, vous pouvez ressusciter,
10:24 vous pouvez prétendre à une rédemption, vous pouvez rebondir.
10:28 Voilà, et toute l'histoire de mon roman, justement, c'est ça.
10:32 Comment un homme comme Hesch LeBord, qui est musicien,
10:35 qui est une personne âgée,
10:38 a réussi à manipuler par le mensonge ce simple esprit qu'est Junior ?
10:44 Et puis, par la suite, comment la tentation devient plus forte que le délabrement ?
10:51 Il n'y a pas de défaite quand on vit. Il n'y a pas de défaite.
10:55 La vraie défaite, c'est la mort.
10:56 Mais tant qu'on est en vie, il reste toujours une porte quelque part qui est dérobée
11:01 et qu'il va nous falloir prouver pour sortir un peu de cette camisole de force
11:05 qui nous dit tous les jours, tu ne sers à rien, tu ne vois rien,
11:09 tu ne mérites pas d'égard.
11:12 Et jusqu'au jour où, sur ce terrain vague, va arriver quelqu'un, de la dame...
11:18 Qui va bouleverser la donne.
11:21 Vous savez, le premier titre de l'Olympe des infortunes, ça a été "L'appel de la ville".
11:27 C'était... Je faisais un clin d'œil à un livre qui m'a marqué quand j'étais jeune
11:32 et qui me marquera toujours parce que c'est un grand livre, écrit par un grand écrivain
11:36 qui s'appelle Jack London.
11:38 Et c'est "L'appel de la forêt".
11:40 Là où c'est le loup qui est écœuré par la cruauté des hommes,
11:44 par leur cupidité, par leur barbarie, leur sauvagerie,
11:48 et qui rêve un jour de rejoindre la horde,
11:50 qui vient chaque soir hurler à la lisière de la forêt.
11:54 Et mon livre, c'est un peu le sens contraire.
11:58 C'est l'opposé de ce médiéval.
12:00 C'est "Qui qu'est la ville" ?
12:02 Non, c'est "L'appel de la ville".
12:04 Le titre, c'était "L'appel de la ville".
12:06 Oui, mais c'est vrai qu'au début de votre roman,
12:08 des premiers moments, c'est Junior qui, petit à petit,
12:12 essaie de revenir à la ville.
12:14 Hache qui le surveille parce que Hache, c'est le clodo philosophique.
12:17 Mais est-ce qu'on veut vraiment retourner dans la ville ? Je ne le pense pas.
12:20 Il est fasciné par les voitures.
12:22 Donc il va au bord de l'autoroute et il le regarde.
12:25 Parce que c'est la civilisation, c'est le mouvement,
12:28 c'est le temps qui presse.
12:31 Ces gens-là courent vers quoi, finalement ?
12:33 Lui, quand il est dans son fourgon, dans sa maison,
12:36 qui est en réalité un panier à salade,
12:41 un vieux panier à salade,
12:43 c'est quoi ses rêves ? C'est quoi ses attentes ?
12:46 Que signifient les heures et les jours pour lui ?
12:48 D'ailleurs, il dit, chez nous, il n'y a pas d'heure.
12:50 Il n'y a pas d'heure. Il y a uniquement les jours et la nuit.
12:53 On dort quand on veut, on se lève quand on veut.
12:55 Oui, pour nous, il ne faut pas ruer dans le brocard pour se croire dans la ville.
12:59 Il suffit juste de se réveiller le matin.
13:02 Et on est en plein cœur de l'existence.
13:04 Donc il y a tous ces mensonges qui voilent un peu, à se simpler,
13:08 les appels de la ville.
13:10 Et à chaque fois que la brume de ces mensonges se dissipe,
13:13 il y a Hache qui intervient pour lui dire tout le mal qu'il pense de la ville.
13:16 Que c'est une angresse, que ça n'a pas de cœur,
13:19 que les voisins de Paris ne vous adressent pas la parole.
13:22 Et puis, c'est un pays où les gens ne s'attaquent jamais sur le bazar ou à quelqu'un.
13:27 Ils n'ont pas le temps, ils n'ont pas d'empathie.
13:30 C'est juste des robots, des gens qui sont dépersonnalisés.
13:34 On est dans une sorte de cybernétique.
13:36 On n'est plus dans la romance, on n'est plus dans la poésie.
13:41 Même le crissement d'une treuille n'interpelle personne.
13:46 Alors que lui, Hache, évidemment, a un discours magnifiquement politique,
13:51 lumineux, philosophique.
13:53 Par exemple, il y a des moments où...
13:55 Quand il parle de la mer, par exemple.
13:57 Quand la mer est agitée, pour les gens de la ville, il faut de mauvais temps.
14:01 Pour les "hor", la mer est en fête.
14:03 Et les "hor", ils ne sont pas comme les gens de la ville,
14:07 parce que les "hor" descendent de la musicalité dans chaque fracas,
14:11 parce qu'ils savent du artiste.
14:13 Donc voilà, on est dans cette beauté de l'âme, finalement.
14:18 Parce que les gens qui pensent comme ça ne peuvent qu'être des gens de bien.
14:22 Et en même temps, ce Hache, il a peur que ce simple-là lui échappe
14:28 et qu'il aille rejoindre la ville.
14:30 Et que va-t-il rencontrer après, lui ?
14:32 Avec qui va-t-il parler ? Avec qui va-t-il construire ou réinventer ses rêves ?
14:36 Donc il essaie par tous les moyens de le dissuader de ses rêves.
14:40 Et on le sait que, vraiment, vers la fin du roman,
14:44 ou presque au 3/4, quand ce personnage de Ned arrive,
14:49 on va voir qui c'est, ce rédompteur, beau d'ailleurs, magnifique.
14:54 Il marche dans le combouis et aucune solution ne m'atteint sa robe blanche.
15:01 L'acte est son.
15:03 Rien ne vous appartient, à part votre vie.
15:07 Ça rejoint un peu ma philosophie de vie.
15:11 Mais en même temps, je dis que...
15:14 Donc c'est quand même un roman aussi sur la tolérance.
15:17 Vous savez, les nations qui avancent, ce sont les nations qui disent
15:22 « chacun est utile à quelque chose ».
15:26 Les nations qui reculent, ce sont ces nations qui disent
15:29 « nul n'est indispensable ».
15:32 Dans mon livre, je suis en train de dire « chacun est utile à quelque chose ».
15:36 Et peut-être que ça va nous éveiller à nos responsabilités vis-à-vis des autres.
15:41 C'est vrai que lorsqu'on a tous les conforts du monde,
15:44 lorsqu'on a un petit travail,
15:47 on a peut-être le moyen de s'offrir des vacances,
15:52 ça nous éloigne un peu de notre humanité.
15:55 On entre dans une sorte d'animalité telle que définie par Jean-Jacques Rousseau.
15:59 Il dit, Jean-Jacques Rousseau, « l'animal est une créature dont la douleur se limite à sa propre souffrance ».
16:04 Si nous sommes capables de passer à côté d'un désarroi,
16:09 et ne pas emporter avec soi, ne serait-ce que quelques échos de ce désarroi,
16:15 eh bien nous sommes des animaux.
16:18 Parce que l'homme se doit d'avoir de l'empathie,
16:22 il se doit d'être réceptif de la détresse des autres,
16:25 il se doit d'être ému, voilà, il faut être ému par le chagrin des autres.
16:31 Et s'il y a possibilité d'aller au-delà de l'émotion,
16:34 c'est-à-dire s'il y a possibilité d'agir pour atténuer la souffrance de quelqu'un,
16:40 ou l'aider, ou le relever,
16:43 eh bien ce serait encore... on s'installe dans la noblesse.
16:47 Parce que l'émotion nous installe peut-être dans l'humanité,
16:50 et le courage d'aller vers l'autre, et le soulever,
16:54 eh bien, il nous installe dans la noblesse.
16:58 - Alors, Bismillahirrahmanirrahim, "Le nom des infortunes",
17:02 c'est aussi votre ouvrage, alors je dirais, le plus charnel,
17:07 c'est le premier roman que je lis de vous,
17:10 avec autant de descriptions de corps, et pas beau.
17:14 - Bien. - Non mais c'est vrai, c'est très charnel,
17:17 de beaucoup de couleurs, c'est un roman le plus coloré.
17:21 Il y a énormément de tons de couleurs, et le plus musical, bien évidemment.
17:25 - J'ai choisi, oui, j'ai choisi... - Oh, c'est vrai ?
17:28 - ...c'est très poétique, parce que c'est un peu l'influence de mon personnage,
17:32 le bon, sur moi, il est musicien.
17:35 Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais quand je parle d'un poète,
17:38 il faut que ce soit un poète. - Oui.
17:40 - Et c'est le plus grand piège que je me pose.
17:43 Dans "Aquarelulo", par exemple, il y a Sidali, le poète,
17:46 eh bien, il faut que ce soit, quand le lecteur va le rencontrer,
17:50 il faut qu'il ait, en face de lui, un poète.
17:53 Il ne s'agit pas seulement de mettre des titres à des personnages et de les oublier.
17:57 C'est comme ça que je conçois la littérature.
18:01 Eh bien, par exemple, Sidali, il m'a posé tous les problèmes du monde.
18:05 Il a fallu que je cherchais au plus profond de moi-même,
18:08 il fallait, je ne sais pas, il fallait se creuser la tête jusqu'aux arrières-pensées
18:13 pour essayer d'être à la hauteur de ce personnage.
18:16 Eh bien, avec Hache, j'étais tout de suite dans le personnage.
18:21 Et c'est lui qui m'a communiqué sa poésie.
18:25 Je l'ai écouté et je me suis surpris en train d'être son greffier, son arthyrographe.
18:32 - Il y a deux chansons, d'ailleurs.
18:35 La chanson que... - "Les clodos".
18:38 - "Les clodos" et la chanson qu'il compose pour Junior.
18:41 Mais en fait, Junior, celle qu'il préfère, c'est quand même "Les clodos".
18:44 - Ah oui, parce que vraiment... - Il adore ça.
18:47 Et pourtant, l'autre, elle lui est totalement consacrée, mais non.
18:50 - Lui, il préfère tout ce qui est épique, tout ce qui est charismatique, légendaire,
18:56 tout ce qui est fabuleux.
18:58 Et il se retrouve beaucoup plus dans la chanson "Les clodos"
19:01 que dans la chanson qui lui est dédiée.
19:04 - "Acheter", c'est pas dans nos habitudes.
19:07 C'est une hérésie, un acte contre nature.
19:09 Tu dois proscrire ce mot de ton esprit, le gommer de ta mémoire, le conjurer.
19:14 C'est pas un mot pour nous, Junior.
19:16 Combien de fois faut-il te le rappeler ?
19:18 Ça, c'est un mot pour dire à Junior, "Faut pas acheter, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"
19:23 Parce que la réponderie, elle lui dit, "Oui, comme ça, est-ce que je pourrais acheter quelque chose ?"
19:26 Mais non ! Ne tombe pas la main, n'achète pas. Défais-toi de tout.
19:29 - Oui, il est très à cheval sur les principes.
19:32 - Les principes. - Les principes d'erreur.
19:34 Voilà, on n'achète rien, on prend ce que la nature ou le hasard nous met sur nos doigts.
19:39 - Puis on dirait qu'il est presque des lois mosaïques.
19:42 - Oui, oui, c'est ça. - Il est table, il est 10 commandements.
19:44 - Oui, mais en même temps, c'est un personnage assez contradictoire.
19:47 D'un côté, il n'aime pas le blasphème, mais il ne se gêne pas de parler de Dieu de la façon la plus incroyable.
19:55 - Alors, Ned, ce personnage qui vient, là, comme ça, qui entre au milieu de tout ce...
20:01 - De cette foire. - Qui fait effondrer, qui tente de faire effondrer
20:06 tout ce qui s'était construit, tous ces clochards, aussi bien Pacha que...
20:10 Et qui entraîne dans son siège, quelques-uns.
20:13 Et qui, tout d'un coup, fait douter, Junior, du discours de Hache.
20:18 - Dans le dépotoir, il n'y a pas de contradiction.
20:24 C'est-à-dire, d'un côté, il y a les gens de la JT qui sont là pour se saouler la gueule, point à la ligne.
20:29 Ils ne s'occupent de rien. Ils sont un peu à l'état végétatif.
20:33 Ils n'ont pas la notion du temps, ils n'ont pas la notion des responsabilités.
20:37 Quand ils ont faim, ils vont chercher de quoi se nourrir dans le dépotoir ou bien dans les poubelles.
20:42 Et c'est tout. Et de l'autre côté, chez les Haches, il y a uniquement Hache qui est en train d'enfoncer,
20:47 de magnifier, de clodo, de déployer tout son art pour fasciner et se sampler.
20:54 Et puis un jour, il y a une autre voix qui arrive, un autre discours.
21:00 Et là, Junior, il est partagé entre les enseignements de Hache et les révélations de Ben Laden.
21:09 Et comme Ben Laden aussi a le sens très poussé de la rhétorique, il est fasciné par lui et il va douter, il va se poser des questions.
21:20 Mais c'est pour ça que je vous dis, pour moi, je tiens plus votre ouvrage d'un fable philosophique
21:27 parce qu'on peut être tout à fait d'accord, parce qu'on n'entend pas en contradiction,
21:31 par le discours de Hache comme par le discours de Ben Laden.
21:34 Ils ne sont pas antinomiques.
21:39 C'est vrai, mais ça reste quand même un roman.
21:44 Non, mais bien sûr.
21:46 Mais comme je le disais tout à l'heure, il propose plusieurs niveaux de lecture.
21:51 C'est-à-dire qu'on peut le lire comme un roman divertissant.
21:55 Oui, il est très divertissant.
21:57 On peut même le lire comme quelque chose de... comme une philosophie.
22:05 Et on peut s'attarder sur pas mal de repères, sur pas mal de perspectives, sur pas mal de suggestions.
22:12 C'est quoi, parce que c'est un livre qui pose beaucoup de questions, c'est quoi le client commun-visoire?
22:17 Et c'est quoi, qui sommes-nous par rapport à la tentation?
22:21 Qui sommes-nous par rapport à la fascination?
22:23 C'est quoi le mensonge? Est-ce que ce n'est pas lui qui nous aide à survivre et à triompher de toutes les impasses de la vie?
22:29 C'est quoi la vérité?
22:30 Est-ce que ce n'est pas une vieille femme vilipendée, hideuse, capable de nous renvoyer au fin fond des abîmes
22:38 parce qu'on n'a pas toujours les moyens de lui tenir face?
22:43 C'est quoi la déchéance finalement?
22:45 Est-ce qu'elle est en nous? Est-ce qu'elle est dans le regard des autres?
22:48 Voilà, il y a beaucoup de questions.
22:50 Je crois que si on essaie de s'attarder un peu sur tout ça, on pourrait se veiller à des petits détails qui font justement l'essence de l'existence.
23:02 Je suis un type du Sahara et Matri Bim a appris une chose essentielle, c'est que si on veut vraiment atteindre l'authenticité des choses,
23:11 il faut chercher cette authenticité dans la simplicité de ces choses.
23:16 Tout le reste n'est que le maquillage.
23:18 Vous savez maintenant quand vous prenez un livre qui est un peu très laborieux, qui est inexplicable, cybernétique,
23:24 c'est quelque part l'écrivain n'a pas les moyens et les arguments.
23:32 Et dans la simplicité, tout est là, tout est offert, c'est au lecteur de décider si c'est bien ou si c'est pas.
23:38 Comme tous les plus grands écrivains au monde, bien souvent ils écrivent d'une façon la plus simple possible
23:43 au confont avec une façon plus simpliste qui n'a rien à voir.
23:46 Non, la simplicité dans l'écriture c'est l'octave supérieure de l'écriture.
23:51 Et aussi l'écrivain, moi c'est ce que j'aime dire, l'élégance d'un écrivain c'est de s'effacer devant ses personnages.
23:59 Meksimilfo Yasmina Khattara, je rappelle le titre de votre ouvrage, L'Olympe des infortunes.
24:05 C'est un roman que nos amis du livre en Algérie trouveront très bientôt en librairie.
24:13 Algérienne.
24:14 Algérienne bien sûr, aux éditions Médias Plus.
24:18 Voilà, pour le moment on le trouve évidemment à l'étranger dans les éditions Romand Julliard.
24:23 Et puis je pense qu'il va être très bientôt traduit dans d'autres langues, très certainement.
24:28 J'espère, ça dépendra, vous savez.
24:32 Les mystères de l'édition.
24:35 Oui, ce sont les mystères de l'édition.
24:37 Merci encore mille fois Yasmina Khattara, doublement, d'avoir bien voulu être l'invité d'Expression Livre.
24:44 Et puis de vous nous avoir invité pour votre bureau, je le rappelle, au Centre Culturel Algérien de Paris.
24:50 Merci.
24:51 Eh bien, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Expression Livre.
24:55 Excellente fin de soirée sur votre chaîne Canal Algérie.
24:59 A la semaine prochaine.
25:01 [Musique]

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