Le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat avec Corinne Le Quéré

  • l’année dernière
Le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat montre avec une très grande précision, les défis qui sont devant nous. Qu'est-ce que cela signifie et en avons-nous les moyens ?
Transcript
00:00 Tout est sous nos yeux, l'évolution des températures, des émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences.
00:05 Le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat montre avec une très grande précision
00:09 les défis qui sont devant nous pour tenir nos objectifs climatiques.
00:13 Après une année 2022 jugée référence, une transformation de l'économie est nécessaire.
00:19 Qu'est-ce que cela signifie ? En avons-nous les moyens ?
00:22 La présidente du Haut Conseil pour le climat, climatologue elle-même, est notre invitée jusqu'à 13h45.
00:27 Bonjour Corinne Leclerc.
00:28 Bonjour.
00:29 Les auditeurs de France Inter peuvent dialoguer avec vous via le 01 45 24 7000 et l'appli France Inter rubrique Réagir.
00:35 En quoi 2022 est-elle une année référence ?
00:39 Déjà, 2022, on a vu des événements météorologiques et climatiques qui sont typiques du réchauffement climatique.
00:46 On a vu trois vagues de chaleur, mais le plus important c'est que la capacité de réponse de la France,
00:51 elle a vraiment été atteinte, voire dépassée.
00:54 Par exemple, 2000 communes ont été en tension d'eau, dont 7 ont manqué d'eau complètement pendant plusieurs jours.
01:00 On a eu 8000 communes qui ont déposé des demandes de catastrophes naturelles à cause des fissures dans les bâtiments,
01:05 qui ont coûté presque 3 milliards d'euros aux assurances.
01:09 On a eu 72 000 hectares de brûlés, baisse de la production agricole, baisse de la production hydroélectrique.
01:15 Et on voit bien que, bien qu'il y a eu des efforts monstres de tous les services pour réagir, on a été dépassés.
01:23 À propos des assurances, vous dites, c'est un exemple parmi d'autres, qu'on est à la limite effectivement de la capacité à répondre à tout ce que coûtent les effets du dérèglement climatique.
01:33 Voilà, des années comme 2022, on en aura encore beaucoup, de plus en plus, et de plus en plus intense.
01:38 Et le système d'assurance, dans sa configuration actuelle, il ne va pas tenir, parce qu'il est calibré sur le climat présent.
01:45 Donc il faut vraiment revoir la distribution de risques. Il faut arrêter de réagir aux événements passés et de commencer à se projeter dans l'avenir.
01:54 C'est ça la logique à adopter, arrêter de penser comme par le passé et se dire, on est déjà en 2030, voire 2040, voire 2050, et il faut agir comme si on l'était déjà.
02:03 Voilà, à chaque fois qu'on construit une nouvelle infrastructure, qu'on plante un arbre, qu'on fait un truc qui va durer longtemps,
02:09 il faut regarder le climat dans lequel cette infrastructure va opérer dans l'avenir, y compris les événements extrêmes.
02:16 Parce que le climat qui change à cause des gaz à effet de serre, des activités humaines, a une trajectoire prescrite.
02:24 Mais ensuite, il y a la variabilité interannuelle en plus.
02:28 Restons encore un instant sur le constat. Chaleur en 2022, +2,9 degrés par rapport à 1900-1930.
02:36 Déficit de précipitation en fort hausse là aussi par rapport à la décennie 91-2020, les décennies 91-2020.
02:45 Est-ce que cette accélération vous surprend vous-même et vous prend de court vous-même climatologue ?
02:50 Non, pas vraiment. Par contre, la France est particulièrement impactée par le réchauffement climatique.
02:58 On a plus de réchauffement en France qu'en moyenne mondiale. Et ça, on ne l'avait pas vraiment internalisé jusqu'à présent.
03:06 Donc on réagissait encore à ces moyennes mondiales alors qu'il faut vraiment réagir à ce qui se passe en France.
03:12 On est un pays en première ligne.
03:13 On est un pays absolument en première ligne.
03:16 Ce qui est frappant aussi à la lecture du rapport, c'est qu'au fond, dans la vie économique et dans la vie quotidienne,
03:21 alors vous avez cité des exemples lors de votre première réponse, quasiment tous les secteurs sont concernés.
03:26 Les rendements agricoles baissent, la production hydroélectrique baisse, surmortalité, les sols gonflés.
03:31 Vraiment tous les secteurs de l'économie sont concernés.
03:33 Exactement. Et c'est pour ça qu'il faut vraiment prévoir de manière préventive les impacts futurs
03:40 parce que toute l'économie est concernée, toutes les régions de la France, y compris l'Outre-mer, sont concernées.
03:46 Et en fait, les impacts qu'on voit, ce sont des impacts prévisibles.
03:50 Alors on ne peut pas dire que rien n'est fait.
03:52 Les émissions de gaz à effet de serre diminuent, -2,7% en 2022 comparé à 2021.
03:59 Baisse plutôt plus rapide que chez nos voisins.
04:01 Mais vous dites que ça ne suffit pas.
04:03 Voilà. Les émissions en 2022, elles ont poursuivi leur trajectoire à la baisse.
04:08 La France fait partie de 18 pays pour lesquels les émissions diminuent.
04:11 Par contre, on n'est pas au rythme attendu pour atteindre nos objectifs en France
04:17 et pour vraiment régler le problème.
04:19 Donc il faudrait que les émissions actuelles en France,
04:22 elles diminuent deux fois plus vite que ce qu'on a observé dans les trois dernières années.
04:26 Christophe Béchut promet un plan pour baisser de 140 millions de tonnes nos émissions d'ici à 2030.
04:30 Est-ce qu'on est dans les purs ? Ça ferait 17, 18 millions de tonnes de moins par an.
04:35 Elles ont baissé de 11 millions l'an dernier. Avec ce chiffre-là, 17, 18 millions de tonnes de CO2 en moins par an,
04:40 est-ce qu'on est dans le rythme nécessaire ? C'est ça qu'il faut ?
04:43 Oui, voilà. L'objectif est le bon, la stratégie est la bonne.
04:46 Il y a plein de plans qui se développent, immobilisent les acteurs.
04:49 Maintenant, il faut y aller, il faut avoir la politique économique d'ampleur derrière.
04:53 Alors on y va, avec la question d'Olivier d'abord au standard.
04:56 Bonjour Olivier.
04:57 Oui bonjour.
04:58 Vous êtes élu dans une commune semi-rurale, où ça ?
05:01 Oui, c'est sur l'agglomération de Lorient.
05:03 Sur l'agglomération de Lorient. Quelle est votre question ?
05:05 Et en fait, moi je m'insurge depuis quelques temps quand même,
05:08 parce qu'en fait, il n'y a aucun suivi des émissions locales de gaz à effet de serre, si vous voulez.
05:13 En 2022, on ne connaissait encore que les émissions de 2015.
05:16 Alors voilà, c'était aussi la question.
05:18 Donc l'agglomération est bonnement chargée de l'urbanisme et du transport,
05:23 qui sont fortement émetteurs, puisque j'ai fait un bilan carbone sur ma commune.
05:26 Oui.
05:27 Et en fait, comment peut-on arriver à nos objectifs, sachant qu'il y a déjà les plans climat-territoriaux,
05:32 en fait, on a plein d'outils, mais rien n'est fait, rien n'est suivi.
05:37 Voilà. Et puis les élus, ils disent "bah, c'est pas pour moi".
05:41 Vous vous sentez impuissant, vous, en tant qu'élu local ?
05:43 Ah ben, carrément. Et puis j'ai l'impression d'être un des seuls à me battre sur ce sujet-là, quoi.
05:48 Corinne Le Quéré, quand dans votre rapport, vous dites "il faut une transformation de l'économie", ça veut dire quoi ?
05:54 Donc, vous avez complètement raison, là, la question de monsieur à l'auditeur,
06:00 c'est qu'il y a un gros problème de suivi.
06:03 Et en fait, comme on a des stratégies qui tiennent bien la route,
06:06 le problème que l'on voit, c'est vraiment le financement de ces stratégies.
06:10 Et là, il y a des chiffres qui sont sortis, personne ne conteste les chiffres,
06:14 65 milliards d'euros par année d'ici 2030, avec environ la moitié qui doivent devenir de l'argent public.
06:23 Il faut que cet argent soit inscrit dans le budget de l'État, avec une trajectoire à long terme,
06:28 pour donner de la visibilité à tous les investissements privés, les entreprises et les ménages.
06:34 Et donc, il faut arrêter, du coup, d'un côté, les subventions qui vont implicitement à l'énergie fossile,
06:43 et mettre tout ça sur la trajectoire de financement.
06:47 43 milliards de niches fiscales consacrées aux énergies fossiles, par exemple.
06:50 Par exemple, le bouclier a réussi à protéger les gens,
06:56 et protéger les gens, bien sûr, c'est absolument fondamental,
06:59 mais on n'a pas besoin de le faire en finançant les énergies fossiles.
07:02 Je repose ma question sur la transformation de l'économie.
07:05 Est-ce que vous nous dites, on arrive au point, parce que quand on parle d'économie,
07:08 très vite, on en arrive à parler de vie quotidienne,
07:10 où notre vie quotidienne doit radicalement changer.
07:14 Dans les transports, dans l'industrie, dans la vie quotidienne, dans le bâtiment,
07:18 est-ce que vous nous dites, voilà, on n'aura plus la même vie qu'avant ?
07:22 On a besoin, effectivement, de décarboner l'ensemble de l'économie.
07:26 Mais là, on parle de faire des investissements pour sortir la voiture thermique,
07:30 pour basculer à la voiture électrique, pour isoler les bâtiments,
07:35 pour transformer notre agriculture.
07:38 Donc, on a besoin de se sortir de toutes ces infrastructures
07:42 qui causent les émissions de gaz à effet de serre,
07:44 et qui nous empêchent de vivre une vie en étant respectueux de l'environnement.
07:50 - Question de Nicolas, au Standard. Bonjour Nicolas.
07:53 - Bonjour. - Nous vous écoutons.
07:55 - Oui, effectivement, je voulais demander à Madame Leclerc
07:58 ce qu'elle pense de l'idée d'avoir un quota carbone individuel.
08:03 Est-ce que ça ne pourrait pas être le meilleur moyen, en final, de limiter nos émissions ?
08:07 C'est-à-dire, on pourrait dire, actuellement, en moyenne,
08:09 je crois qu'on doit être à 10 tonnes par là, par an, par habitant.
08:12 Est-ce qu'on ne pourrait pas dire, ok, on descend petit à petit vers 6 tonnes,
08:16 puis 4, puis 2 ? Qu'est-ce qu'elle pense de cette idée ?
08:19 Ou éventuellement d'avoir d'autres quotas peut-être plus adaptés aux changements climatiques,
08:23 comme des quotas sur l'eau, par exemple, ou sur le carburant ?
08:26 - Corinne Leclerc vous répond. Merci pour cette question.
08:28 - Oui, merci pour cette question.
08:30 Donc, l'efficacité de ces quotas carbone, on a très peu d'informations.
08:34 Par contre, on sait que sortir des énergies fossiles,
08:37 par exemple en électrifiant la plupart de nos usages, ça, ça marche.
08:41 Du coup, c'est vraiment au gouvernement de décider quels instruments ils vont mettre en place.
08:46 Par contre, peu importe ce qu'on va faire, que ce soit les quotas carbone,
08:49 ou que ce soit des quotas, par exemple, sectoriels,
08:52 parce que c'est un peu ça qu'on a en ce moment,
08:54 c'est des quotas sectoriels avec des plafonds qui diminuent.
08:57 En fait, ça n'empêche pas.
08:59 Tout ça, ça a besoin de financement et d'investissement à la fin.
09:03 - Mais on en a les moyens quand, par exemple, à propos du bâtiment,
09:06 on est à 66 000 rénovations par an contre des centaines de milliers attendus.
09:11 Au fond, est-ce qu'on a les moyens de répondre aux dérèglements climatiques ?
09:15 Les moyens financiers ?
09:16 - On a les moyens parce qu'on déploie déjà beaucoup d'argent vers les énergies fossiles.
09:21 On a des niches fiscales, on a ce bouclier tarifaire,
09:24 et là, on dépense déjà des dizaines de milliards d'euros par année.
09:27 Donc, en partie, il s'agit de remobiliser ces financements vers la transition bas carbone
09:34 et ensuite de trouver les sources de financement additionnelles.
09:39 Il faut bien voir aussi que si on ne fait rien, on va payer quand même,
09:43 parce qu'on va payer pour les impacts climatiques.
09:46 - Quand vous parlez de financement, est-ce qu'une part de contrainte est nécessaire ?
09:48 Question d'Élisa, est-ce qu'on peut contraindre les banques à ne plus financer les énergies fossiles
09:53 et préférer les énergies renouvelables ?
09:55 Est-ce qu'on en arrive au point où il faut une logique de contrainte ?
09:58 - Il y a beaucoup à faire avec les banques.
10:01 Les banques, elles ont une responsabilité aussi d'offrir aux ménages des options
10:07 pour qu'elles puissent investir, par exemple, dans la rénovation du bâtiment.
10:11 Donc, vous avez mentionné tout à l'heure, il faut arriver de plus en plus à une approche
10:17 où on a de la réglementation, on a du financement et éventuellement,
10:21 si ça ne marche pas, il va falloir aller vers la contrainte.
10:23 Les banques, elles ont vraiment un rôle central à jouer et c'est elles qui portent le financement à la fin.
10:29 - Et qu'est-ce que vous répondez à cet argument qu'on voit parmi les messages d'auditeurs ?
10:32 La France pèse peu dans le monde au niveau du CO2 émis.
10:36 On peut faire tout ce qu'on veut, notre efficacité est de fait réduite.
10:40 Vous répondez à cet argument qui revient souvent.
10:42 - Oui, il revient souvent, mais les émissions de gaz à effet de serre, c'est l'affaire de tout le monde.
10:47 Et en France, on a les émissions avec le poids de nos citoyens.
10:51 Les étrangers font aussi beaucoup de travail et tout ce travail qui est fait au niveau mondial,
10:57 ça se fait dans le cadre de l'accord de Paris.
10:59 Et on voit bien aussi au niveau mondial que les émissions, elles commencent à fléchir
11:03 à cause de ces politiques internationales.
11:05 Donc, ça marche la politique climatique, c'est juste qu'en France comme ailleurs, il n'y en a pas assez.
11:09 - Quand Emmanuel Macron disait il y a quelques jours à l'occasion du sommet de Paris
11:13 sur la transition climatique et l'aide aux pays pauvres,
11:16 des taxes pour financer la transition climatique, oui, mais des taxes internationales.
11:20 S'il n'y a que nous qui mettons en place la taxe sur les transactions financières
11:25 ou la taxe sur les billets d'avion, on y perd en compétitivité et on est perdant sur tous les tableaux.
11:32 La mise en place de taxes internationales, ça reste totalement une utopie ou on va aller vers ça ?
11:38 - Là, c'est vraiment au gouvernement de voir d'où va venir la source de financement.
11:44 Clairement, si la France était toute seule, il y aurait un problème,
11:48 mais la France n'est pas du tout toute seule. Elle agit avec l'Europe.
11:51 Les États-Unis ont mis des centaines de milliards de dollars américains dans la transition.
11:55 Le Royaume-Uni fait pareil. C'est une utopie de penser que la France, elle agit toute seule.
11:59 Bien sûr, tout le monde travaille pour essayer de régler ces problèmes de compétitivité
12:05 qui sont très importants, mais quand même, la France, elle peut même avoir un rôle de leadership dans tout ça.
12:11 - Vous n'avez pas prononcé le mot. Jean-Claude vous dit pourquoi ne parle-t-on jamais de décroissance ?
12:16 C'est, selon lui, la seule solution. Est-ce que c'est un mot que vous emploieriez ? Décroissance.
12:21 - Donc, il faut que les choix qui sont faits par le gouvernement entrent dans cet espace climatique réduit.
12:28 Donc, ça, ça inclut des investissements qui doivent être faits dans le cadre d'un budget de l'État.
12:34 Maintenant, si on a besoin de décroissance ou pas, c'est pas forcément nécessaire,
12:39 puisqu'on a besoin des investissements pour que l'on puisse avoir les infrastructures dont on a besoin.
12:45 - Il faut de l'activité économique pour financer... - Exactement.
12:48 - Est-ce que le tout numérique est sobre énergétiquement parlant, nous demande Sylvie,
12:54 est-ce qu'il est considéré comme neutre ou est-ce qu'on peut évaluer ses incidences ? Ce sera ma dernière question, Corinne Leclerc.
12:58 - Le numérique, il a lui-même des émissions à gaz à effet de serre et il doit les traiter, c'est sa responsabilité.
13:03 A lui, le numérique peut peut-être aider les autres à décarboner leurs émissions, mais ça commence par soi-même.
13:10 - Merci beaucoup Corinne Leclerc, présidente du Haut Conseil pour le climat, d'être venue au micro de France Inter.
13:15 On trouve les principaux enseignements de votre rapport sur votre site et sur le site de France Inter, franceinter.fr. Merci beaucoup.

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