• l’année dernière
Voilà plusieurs années que les institutions culturelles françaises, publiques comme privées, affrontent des difficultés de recrutement, un turnover important, voire des pénuries dans certains champs de compétences. Comment expliquer cette désaffection ? De fait, beaucoup de structures se sentent démunies face aux charges administratives et financières qui pèsent sur elles, mais aussi, et c’est plus récent, face aux attentes nouvelles des jeunes générations (besoin d’une organisation plus encadrante, d’un management plus assumé, donc davantage à l’écoute, d’une évolution des carrières plus claire…). Comment répandre, dans ces institutions si essentielles, une culture managériale, attirer, retenir et faire grandir les talents ? Comment conjuguer liberté de créations et normes managériales ? « L’Obs » et l’Afdas sont heureux de s’associer pour un cycle de quatre conférences dédiées la question critique et cruciale, du management dans la culture.

Category

🗞
News
Transcription
00:00:00 Je suis Julie Joly, la directrice générale de l'Obs.
00:00:02 Je suis très contente d'être là.
00:00:04 Et moi, je ne vais pas rester très longtemps,
00:00:06 mais je m'assieds quand même.
00:00:08 Très contente d'être là aujourd'hui.
00:00:10 Je voudrais remercier, évidemment,
00:00:12 les Printemps des Comédiens, Montpellier, Cyclorama,
00:00:16 l'Univers de la Culture qui nous soutient,
00:00:17 et bien sûr, Lavdas,
00:00:19 qui soutient ce cycle de conférences
00:00:21 que, donc, on a initié cette année avec l'Obs.
00:00:23 Sur le sujet un petit peu polémique,
00:00:26 il faut le dire,
00:00:28 c'est le 2 du management dans la culture.
00:00:30 Alors, je voulais juste vous dire en introduction,
00:00:32 je ne suis pas comédienne,
00:00:33 je ne suis pas directrice de théâtre,
00:00:35 je ne suis pas une artiste.
00:00:37 J'ai été journaliste pendant 15 ans,
00:00:39 et j'ai vu ce que c'était qu'il y avait parfois des médias
00:00:40 qui avaient des petits problèmes de gouvernance et de management.
00:00:45 Après ces 15 années de journalisme,
00:00:47 où j'ai aussi croisé la souffrance au travail,
00:00:50 des problèmes de discrimination,
00:00:52 pour ne pas dire parfois de harcèlement,
00:00:54 j'ai mesuré l'importance, sans doute,
00:00:56 de la formation sur ces points-là,
00:00:58 au point que je me suis orientée vers la formation moi-même.
00:01:01 J'ai dirigé pendant 10 ans
00:01:03 le centre de formation des journalistes,
00:01:04 en me disant un peu naïvement
00:01:07 que peut-être en formant des jeunes journalistes
00:01:09 à la réalité de leur travail, qui, effectivement, évolue,
00:01:12 on pouvait aussi les amener à manager différemment
00:01:15 et à poser les bonnes questions sur leurs droits et leurs devoirs.
00:01:18 C'était passionnant,
00:01:19 et ça m'a amenée aujourd'hui à diriger l'Obs.
00:01:22 Donc, je suis la directrice générale de l'Obs,
00:01:23 où ces questions se posent au quotidien,
00:01:25 et c'est pour ça que, quand on a discuté avec Thierry
00:01:28 de ces enjeux qu'on connaît un petit peu,
00:01:29 puisqu'on en avait déjà parlé au CFJ,
00:01:31 des difficultés qu'ont peuvent avoir les institutions culturelles
00:01:33 à garder les talents, à les recruter,
00:01:36 à les faire grandir,
00:01:38 mais aussi la question qui se pose
00:01:40 à tous les directeurs et administrateurs de théâtre,
00:01:43 de pouvoir collaborer avec des artistes,
00:01:45 de pouvoir nourrir un dialogue social,
00:01:47 de pouvoir construire ensemble un projet collectif
00:01:50 dont on sait bien que les parties prenantes
00:01:52 sont toutes très, très différentes
00:01:54 et animées par des contraintes très différentes.
00:01:57 Ce sujet-là nous passionne parce qu'il nous concerne
00:02:00 au titre de ce qu'on connaît, nous, à l'Obs,
00:02:01 mais aussi au titre de ce que défend l'Obs au quotidien,
00:02:04 c'est-à-dire une culture riche, une culture ouverte,
00:02:06 une culture créative.
00:02:08 Je sais pas si vous avez l'Obs dans les mains,
00:02:09 mais vous verrez qu'on consacre chaque semaine
00:02:12 plus de 20 pages à la culture,
00:02:14 et c'est pas un petit choix
00:02:15 quand on connaît l'économie de la presse.
00:02:17 On le fait parce qu'on veut, nous aussi, à notre niveau,
00:02:19 participer de cette discussion et de ce débat.
00:02:21 Donc, vraiment, encore une fois, merci.
00:02:23 Merci, Thierry, d'avoir voulu créer ce cycle avec nous.
00:02:26 Et merci au printemps des Comédiens de nous accueillir
00:02:28 parce que c'est une première conférence
00:02:30 qui va ouvrir d'autres et qui va nous amener, j'espère,
00:02:32 à trouver des pistes de solutions
00:02:34 parce qu'il y a des problèmes réels.
00:02:36 Il faudra pas qu'on se cache derrière les bonnes intentions.
00:02:40 On est journaliste avant tout.
00:02:42 On sait qu'on provoque parfois des débats
00:02:43 qui peuvent être un petit peu polémiques.
00:02:44 On veut pas de polémiques stériles.
00:02:46 Absolument pas.
00:02:47 Ca nous intéresse absolument pas à l'Obs.
00:02:48 Ce qu'on souhaite, c'est entendre les parties prenantes
00:02:52 et construire ensemble.
00:02:53 Donc merci à tous d'être là
00:02:54 et très bon après-midi avec nous.
00:02:57 Thierry, c'est toi.
00:02:58 (Applaudissements)
00:03:01 -Je préfère que ce soit moi, comme j'ai peu de choses à dire.
00:03:07 Sinon, vous vous accueillir et remercier nos partenaires.
00:03:10 Vous les avez cités.
00:03:13 Merci d'être là, merci de nous accompagner.
00:03:15 Je rajouterai le département de Leroux
00:03:17 puisque nous sommes ici en terre départementale,
00:03:20 alors qu'au nord, nous sommes en terre métropolitaine,
00:03:23 mais tout ça fonctionne dans une entente parfaite et harmonieuse.
00:03:27 C'est ce qui fait que ce festival peut se déployer depuis 1987,
00:03:31 à savoir depuis les lois de décentralisation
00:03:33 au Mitterrand de fer sur ce domaine,
00:03:35 et qui a trouvé sa vocation.
00:03:37 C'est un choix politique fort du département
00:03:40 dont on mesure aujourd'hui la justesse.
00:03:46 Je pense que lorsque le président Sommat, dans 87,
00:03:48 a lancé ce festival, il n'imaginait peut-être pas
00:03:51 ce qu'allait devenir ce domaine d'eau,
00:03:54 avec la totalité, l'ensemble des équipements,
00:04:00 la filière théâtrale qui s'est développée à Montpellier
00:04:03 avec une école nationale, aujourd'hui le Cours Florent.
00:04:08 Donc cette vision politique est à noter.
00:04:11 Et elle nous accompagne au quotidien dans notre travail.
00:04:15 Alors, vous avez dit que vous n'étiez pas comédienne.
00:04:18 Moi, je ne suis pas directeur de théâtre.
00:04:20 Je suis comédien.
00:04:22 Dans mon métier, je le fais un peu par usurpation.
00:04:26 Et je suis passionné de ce qui va être dit sur le "management".
00:04:29 Voilà.
00:04:30 Je passe la parole à...
00:04:38 -C'est parfait. J'espérais que tu me la passes.
00:04:42 -Non, mais bonjour à toutes et à tous.
00:04:45 C'est bien ce qui a présidé au départ
00:04:47 à l'histoire de ce cycle de conférences,
00:04:49 c'est de se dire...
00:04:50 Déjà, est-ce que ce mot a sa place dans nos registres,
00:04:56 même nos éléments de langage pour piloter des lieux ?
00:05:00 Et finalement, on ne va pas forcément...
00:05:04 Je laisserai parfois même Pascale le faire.
00:05:06 Pascale le l'a dit tout à l'heure.
00:05:07 Mais la relecture du livre d'Efipia Pellos
00:05:11 sur "Artiste contre manager"
00:05:13 et la critique artistique du management,
00:05:17 je vous assure que c'est un livre qui a été écrit en 2011, je crois.
00:05:20 Et 13 ans plus tard,
00:05:22 ça devient quelque chose d'hyper prégnant dans nos structures.
00:05:25 C'est-à-dire que finalement, on refuse ce mot
00:05:28 et pour autant, on fait du management
00:05:30 au sens où il existe tous les jours dans les lieux.
00:05:33 Et donc, on peut continuer à faire semblant que ça n'existe pas.
00:05:37 En fait, ça existe.
00:05:38 Alors après, si on veut jouer les vierges et faroucher,
00:05:42 on peut dire qu'on ne va pas utiliser ce mot-là.
00:05:44 Et avec Julie, je ne sais pas si tu te rappelles,
00:05:45 la première fois qu'on s'est parlé, on s'est dit
00:05:47 "Ah non, mais ça serait bien de ne pas utiliser ce mot-là."
00:05:50 Et après, on s'est dit "Mais pourquoi pas ?"
00:05:52 Parce que le vrai sujet, c'est surtout pas de poser un socle
00:05:58 à une importation mécanique de techniques de management
00:06:02 qui existent dans le champ interprofessionnel.
00:06:03 On sait déjà que ça ne marchera pas.
00:06:05 Et nous, on le sait d'autant plus
00:06:07 qu'on a ouvert des programmes de formation sur ces sujets-là
00:06:11 qui ont été des échecs retentissants.
00:06:12 C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'on a essayé
00:06:15 de dire "On va prendre une grande école",
00:06:16 je ne vais en citer aucune pour bien que ces personnes,
00:06:18 et on va y mettre une majeure,
00:06:21 "management des activités artistiques",
00:06:24 ça a été un fiasco.
00:06:25 Parce que finalement, c'est presque semer le troupe dès le départ,
00:06:28 c'est-à-dire de mettre des gens qui n'ont pas la même ambition
00:06:31 dans ce projet-là.
00:06:33 Et en général, ça ne donne pas grand-chose en pédagogie
00:06:35 quand on mélange des gens qui n'ont rien à voir entre eux.
00:06:37 Et donc, du coup, on s'est d'abord posé la question
00:06:39 "Est-ce qu'on garde "management" ?"
00:06:40 D'ailleurs, le cycle s'appelle "diriger autrement dans la culture".
00:06:44 On a évacué le truc.
00:06:45 Je fais confiance aux spécialistes des médias
00:06:48 pour choisir les titres.
00:06:49 C'est vrai que ce n'est pas mon travail.
00:06:51 Mais quand même, méthodologiquement,
00:06:52 il y avait un petit sujet autour de la question du management.
00:06:55 Et puis, le deuxième sujet, c'est de se dire
00:06:57 que est-ce que pendant toute cette année,
00:06:58 où on est d'abord au Printemps des Comédiens,
00:07:00 et merci de nous accueillir,
00:07:01 de, ensuite, on sera, je crois, au MAMA,
00:07:04 ensuite, on sera au BIS de Nantes,
00:07:05 et enfin, on sera à Paris, chez L'Obs et Le Monde,
00:07:10 et Télérama,
00:07:12 l'idée, c'est est-ce qu'à la fin,
00:07:14 on peut essayer de sortir une forme de livre blanc ?
00:07:16 C'est très à la mode.
00:07:17 Encore une fois,
00:07:18 est-ce qu'on utilise tous ces registres linguistiques ?
00:07:21 Mais une espèce de référentiel d'activité,
00:07:25 de qu'est-ce que c'est, demain, diriger un lieu ?
00:07:28 Déjà, aujourd'hui, ce serait bien.
00:07:30 D'ailleurs, qu'est-ce que ça a été, hier, aussi ?
00:07:31 Parce que c'est compliqué de sortir des trajectoires du passé
00:07:34 pour écrire le présent,
00:07:36 et encore plus pour écrire une forme de futur.
00:07:40 Pour pouvoir, derrière nous,
00:07:41 pourquoi l'AFDAS est au milieu de ce truc-là ?
00:07:43 Parce que, nous, notre travail,
00:07:45 c'est faire de l'observation prospective de l'emploi,
00:07:47 c'est faire de l'ingénierie pédagogique,
00:07:53 et 3, de financer les formations.
00:07:55 Si on continue de financer des formations qui servent à rien,
00:07:58 on ne fait pas notre travail.
00:07:59 Et donc, on a besoin de retisser le lien
00:08:03 entre observation, ingénierie et formation qu'on finance,
00:08:06 et c'est pour ça que nous, nous sommes là, aujourd'hui.
00:08:09 - Je fais court, mais...
00:08:10 - Donc, la table ronde...
00:08:18 Moi, je reste là et Agnès vient. Ah, d'accord.
00:08:20 Et donc, j'appelle le rédacteur en chef adjoint de l'Obs,
00:08:24 qui va nous animer, au cours de cette séquence,
00:08:26 les uns, les autres.
00:08:28 J'ai l'impression que...
00:08:29 - Tenté d'animer, c'est pas...
00:08:31 Allez-y, installez-vous, Agnès.
00:08:32 Peut-être, Jean, vous serez dans la deuxième table ronde.
00:08:34 Pardon, il y a eu des petits changements,
00:08:36 c'est un peu compliqué.
00:08:37 Mettez-vous ici, Agnès.
00:08:39 Agnès est arrivée.
00:08:40 On improvise beaucoup, c'est normal, on est sur scène.
00:08:43 Ils sont désolés, il y a du direct.
00:08:45 Eh bien, bonjour à tous. Merci beaucoup, effectivement.
00:08:48 Je suis Arnaud Gonzague, rédacteur en chef adjoint
00:08:50 du magazine l'Obs.
00:08:51 C'est terrible, j'ai vraiment le soleil dans les yeux.
00:08:54 - C'est pas un métier.
00:08:55 - C'est ça. Je me rends compte, c'est pas le mien, de métier.
00:08:58 Effectivement.
00:08:59 Très content de parler, effectivement, de ces questions
00:09:03 qui...
00:09:05 Comment dire ?
00:09:06 Des enjeux politiques, des enjeux d'avenir.
00:09:09 On va parler beaucoup de jeunesse
00:09:10 lors de cette première table ronde.
00:09:12 Avec vous, donc Thierry Teboul, je ne vous présente plus.
00:09:15 Et vous, Agnès Salle, merci d'être là.
00:09:17 Je crois que vous êtes arrivée avec un peu...
00:09:20 Il y a eu des petits problèmes de transport,
00:09:22 mais vous êtes là, c'est l'essentiel.
00:09:24 Vous êtes haute fonctionnaire,
00:09:25 chef de la mission Expertise culturelle internationale
00:09:27 au ministère de la Culture.
00:09:29 Et vous, vous êtes chargée des questions de discrimination
00:09:33 au ministère de la Culture.
00:09:35 C'est de ces questions-là qu'on va parler.
00:09:36 Avec vous, Thierry, et avec vous, Agnès,
00:09:39 avec cette idée qu'effectivement,
00:09:41 le secteur de la culture doit prendre en compte,
00:09:44 doit prendre conscience
00:09:46 qu'il y a aussi un certain nombre de discriminations
00:09:48 qui sont à l'oeuvre dans ce secteur comme dans bien d'autres,
00:09:51 mais qui peuvent empêcher, d'une certaine manière,
00:09:53 le renouvellement des générations.
00:09:55 Alors peut-être pour commencer, Thierry,
00:09:57 est-ce que vous voudriez peut-être pointer un aspect des choses
00:10:02 qui n'est pas forcément très connu,
00:10:04 mais que vous observez vous à l'AFDAS,
00:10:05 qui est cette difficulté à attirer, retenir,
00:10:10 fidéliser les jeunes générations ?
00:10:12 Est-ce que ça, c'est quelque chose qui est mesurable,
00:10:14 mesuré, observable, observé ?
00:10:17 - Sans paraphraser l'article du WLOF,
00:10:19 parce que si vous avez lu avant, vous avez vu que...
00:10:22 J'explique que malheureusement, on ne sait pas l'objectiver.
00:10:25 Et c'est un vrai problème qui a probablement à voir
00:10:28 avec le fait que les méthodes de recrutement dans ce monde-là
00:10:34 ont souvent été des méthodes de recrutement par cooptation.
00:10:37 Enfin, c'est compliqué de savoir combien il y a d'offres d'emplois
00:10:40 pour voir dans le monde du spectacle.
00:10:42 Moi, je suis pleinement impliqué dans le monde de la culture,
00:10:47 mais je suis aussi impliqué, du coup, avec mes confrères
00:10:49 dans tous les autres secteurs de la vie professionnelle.
00:10:51 Quand on va dans une réunion au ministère du Travail,
00:10:53 chacun pose ses chiffres en disant,
00:10:56 "Moi, j'ai besoin de 50 000 emplois dans les trois ans qui viennent.
00:10:58 Moi, de tant d'emplois. Moi, de tant d'emplois."
00:11:01 Et quand arrive mon tour, je dis, "Moi, j'ai besoin d'emplois,
00:11:05 mais je ne sais pas de combien."
00:11:07 Parce qu'en fait, on ne voit pas vraiment les offres d'emplois
00:11:11 dans le champ culture, et on est plutôt dans des formes de ressentis
00:11:14 qui, pour autant, ne doivent pas être méprisées.
00:11:16 C'est-à-dire que, manifestement, il y a un problème aujourd'hui
00:11:20 d'attractivité, sans doute, car on en reparlera tout à l'heure,
00:11:22 quand on cherche du personnel aujourd'hui dans nos secteurs,
00:11:25 on a du mal à en trouver.
00:11:27 Sauf que dans cette économie du grand nombre,
00:11:30 il faut à chaque fois dire "combien".
00:11:32 Nous, on est pénalisé par le fait qu'on a du mal à faire exprimer
00:11:36 les employeurs sur le "combien".
00:11:38 Et deux, en plus, on est confronté à un autre souci,
00:11:40 qui est qu'on a peu d'emplois à pourvoir dans plein de métiers.
00:11:45 Et c'est une vraie différence, par exemple,
00:11:47 avec ce qu'on observe chez mes confrères de l'hôtel et restauration
00:11:52 ou de l'industrie, qui disent, "Moi, j'ai besoin de X serveurs,
00:11:55 de X personnes, d'ingénieurs,
00:11:58 si on prend le monde de l'informatique.
00:12:00 Nous, en fait, on a des petites cordes partout,
00:12:03 qui nous manquent et qui nous empêchent pour autant,
00:12:06 parce que tout ça fait à la fin système,
00:12:09 de faire fonctionner correctement le secteur.
00:12:11 Et pour la première fois, c'est vrai qu'on est dans une forme
00:12:13 de médiatisation de la question de l'attractivité des secteurs.
00:12:16 Mais je pense aussi, et c'est aussi ce qui a présidé
00:12:19 à la mise en place de ces cycles,
00:12:21 c'est que le secteur s'est cru aussi attractif,
00:12:25 s'est cru trop longtemps attractif par nature.
00:12:28 C'est-à-dire que, parce qu'on était sur des métiers passion,
00:12:31 alors, vaille que vaille, coûte que coûte,
00:12:34 le jeu en vaut la chandelle,
00:12:36 c'est le prix à payer, ce que vous voulez,
00:12:40 on ne s'est pas assez intéressé à ce que c'était
00:12:43 la qualité de l'emploi dans nos secteurs.
00:12:45 Alors, tantôt, il y a des tensions sur les rémunérations,
00:12:48 mais je pense que sans tenir à la question des rémunérations
00:12:51 ne suffit pas, il y a des sujets autour de comment
00:12:55 on anime ces secteurs-là d'un point de vue professionnel,
00:13:00 comment on arrête de nier qu'on fait vraiment du management,
00:13:03 alors que, voilà, je pense qu'aujourd'hui, j'ai vu Jean à midi courir partout
00:13:07 parce que la météo ne lui est pas favorable,
00:13:09 il commet des actes managériaux, il est obligé de dire aux uns et aux autres...
00:13:12 - Je ne m'attache pas à des astres, quand même.
00:13:15 - Non, mais quand même...
00:13:17 - C'est la formation pour la météo, parce que là, franchement, on n'est pas...
00:13:20 - Mais on peut voir s'il y a une formation qui existe sur le sujet.
00:13:23 - Dans les cas de figure, on voit bien que cette question de la qualité du management
00:13:26 n'a pas été assez traitée dans nos secteurs, voire elle a été maltraitée.
00:13:30 Et du coup, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ?
00:13:32 Eh bien, la pathologie prend le pas sur la thérapeutie,
00:13:35 c'est-à-dire que c'est les risques psychosociaux dans les lieux,
00:13:39 c'est les violences et le harcèlement sexiste et sexuel,
00:13:43 et ce qui sont plus graves, moins graves que dans d'autres secteurs professionnels,
00:13:46 moi, j'aimerais bien qu'on me le démontre, sauf que médiatiquement,
00:13:48 aujourd'hui, c'est quand même nos secteurs...
00:13:51 - Qui ont une place considérable médiatiquement.
00:13:53 - Qui sont probablement démesurés par rapport à la réalité des choses.
00:13:56 - Et donc, soit nous, on construit petit à petit des choses pour essayer de corriger ça,
00:14:01 soit on dit, est-ce qu'on peut faire un peu de prévention sur le sujet ?
00:14:05 Et comment, dans cette prévention, on aide les directions ?
00:14:11 Mais je pense que... Julie va se marrer parce que je trouve que le mot le plus important
00:14:17 dans notre société en ce moment, c'est le mot de consentement,
00:14:19 on en parlait en revenant là, le consentement à la République,
00:14:22 le consentement à l'impôt.
00:14:24 Tout à l'heure, je disais, je crois que j'ai même parlé de consentement au management,
00:14:28 c'est-à-dire que, finalement, les directeurs ne consentent pas à manager
00:14:33 et les salariés ne consentent pas à être managés non plus.
00:14:36 Et donc, ça pose quand même un petit problème dans cette histoire
00:14:40 qu'il va falloir résoudre parce que sinon, on va rester scotché
00:14:43 sur ces grandes pathologies qu'on a dans le secteur,
00:14:47 et je pense que, puisque tu parlais d'attraction des talents,
00:14:51 on va avoir une grosse, grosse désillusion sur le renouvellement
00:14:55 et, pour plager la ministre de la Culture, la relève dans ce secteur-là.
00:15:01 - Effectivement, c'est une vraie question et c'est une question sur laquelle
00:15:03 vous travaillez, Agnès Salle, parce que qui dit renouvellement en relève,
00:15:08 dit aussi évolution des pratiques et aussi nécessité d'aller peut-être regarder,
00:15:14 d'aller chercher vers des populations qui, jusqu'ici, ne sont pas très représentées
00:15:18 dans le monde de la culture.
00:15:20 Est-ce que c'est quelque chose, cette idée qui a un entre-soi
00:15:24 dans le monde de la culture, dans ce secteur-là,
00:15:26 est-ce que c'est quelque chose que vous observez réellement,
00:15:29 qui a évolué, qui a évolué comment ?
00:15:31 Comment vous prenez ça en charge ?
00:15:33 - Je crois que c'est une évidence.
00:15:35 En réalité, le titre que vous avez retenu, "Diriger autrement",
00:15:38 implique peut-être que d'autres dirigent.
00:15:41 Et en réalité, il me semble qu'on est arrivé à un moment de l'histoire,
00:15:48 avec un grand ou un petit H, où il faut, d'une certaine manière,
00:15:53 casser les codes qui ont prévalu jusqu'à présent,
00:15:55 sortir, comme le disait Thierry à l'instant, de l'entre-soi,
00:15:59 d'un dispositif de cooptation qui a pu fonctionner longtemps,
00:16:03 pas si mal que ça, mais qui est aujourd'hui, je pense,
00:16:08 un élément de rejet pour beaucoup.
00:16:12 Pour beaucoup, pour qui ?
00:16:14 Pour celles, pour ceux qui ont été très longtemps écartés, finalement,
00:16:17 à la fois des métiers, des responsabilités,
00:16:21 de l'accès aux moyens de création et de production.
00:16:23 Si la ministre, aujourd'hui, parle de relève,
00:16:25 ce n'est pas pour rien.
00:16:27 C'est parce que, précisément, on se dit que beaucoup de critères
00:16:29 d'empêchement, d'exclusion, de mise à l'écart
00:16:33 qui tiennent aux inégalités entre les femmes et les hommes,
00:16:37 qui ne sont pas une découverte,
00:16:39 mais contre lesquelles on a enfin, depuis quelque temps,
00:16:42 mis en place des mesures effectives.
00:16:45 Efficaces, je ne sais pas, mais en tout cas, effectives.
00:16:47 - Est-ce qu'on peut en savoir plus, justement, sur ces mesures ?
00:16:49 - Bien sûr.
00:16:50 - On est tous d'accord qu'il faut travailler,
00:16:51 mais concrètement, qu'est-ce que le ministère a fait ?
00:16:53 - Très concrètement, depuis les années 2017-2018,
00:16:57 et grâce au soutien politique très fort
00:16:59 des différents et différentes ministres de la Culture,
00:17:02 Françoise Nyssen d'abord, Frank Reister, Roselyne,
00:17:06 Vacheron Arquin, aujourd'hui, Rima Abdelmalak,
00:17:08 on a décidé de sortir des discours.
00:17:12 Parce que les inégalités entre les femmes et les hommes,
00:17:14 on les connaît depuis longtemps.
00:17:15 On a un observatoire de l'égalité qui sort tous les ans, en mars,
00:17:19 depuis 2013, et dont les tableaux, il y en a 80, 90,
00:17:23 démontrent avec...
00:17:25 de façon éclatante à quel point les inégalités existent
00:17:30 dans pratiquement tous les secteurs de la culture,
00:17:32 des arts, de la communication,
00:17:34 et à quel point ces inégalités perdurent,
00:17:37 d'une année sur l'autre,
00:17:38 et n'évoluent pas du tout dans le bon sens.
00:17:41 Là, on s'est dit qu'il n'était absolument pas possible,
00:17:47 la pression sociale, sociétale s'accentuant,
00:17:50 et il n'était que temps,
00:17:51 il n'était pas possible de se contenter d'organiser
00:17:53 de temps en temps un séminaire, un colloque, une table ronde
00:17:56 sur les inégalités femmes-hommes dans les arts et dans la culture.
00:17:59 Donc les mesures, finalement, elles ont été assez simples à prendre,
00:18:04 et je pense que nous pourrons les transposer
00:18:06 dans d'autres domaines, dont on parlera tout à l'heure,
00:18:09 sur les autres critères de discrimination.
00:18:11 Les mesures, quelles sont-elles ?
00:18:13 C'est d'abord sortir des idées fausses.
00:18:17 Pendant combien d'années, on nous a dit,
00:18:19 on aimerait tellement nommer des femmes,
00:18:22 mais il n'y a pas de viviers. -Il n'y en a pas.
00:18:24 -Ce qui est faux, ce qui est absolument faux,
00:18:26 il suffit de regarder les chiffres des élèves, filles et garçons,
00:18:30 dans nos écoles, les écoles d'art, les écoles d'architecture,
00:18:33 les conservatoires, la FEMIS,
00:18:35 l'Institut national du patrimoine, les filles sont majoritaires.
00:18:38 Elles sont entre 58 et 60 %. On les forme.
00:18:41 Donc il faut bien qu'au sortir de ces études,
00:18:44 elles puissent accéder à, or elles n'accèdent pas.
00:18:47 Et donc le problème est là. Ce n'est pas un problème de vivier,
00:18:49 c'est un problème de reconnaissance, de visibilité et de nomination.
00:18:53 Donc nommer et prendre des mesures assez déterminées
00:18:59 sur un processus de nomination qui,
00:19:02 et on l'a vu au cours des 4 dernières années,
00:19:05 a fait ses preuves,
00:19:06 c'est parce qu'on a eu une forme d'inversion de tendance.
00:19:09 On a nommé des femmes, par exemple,
00:19:11 à la tête des centres dramatiques nationaux.
00:19:14 On en avait à peu près 20 % de femmes dirigeant des CDN
00:19:19 dans les années 2015-2016.
00:19:21 On est aujourd'hui à 42 %.
00:19:23 Et je vous assure que ça change la donne à tout point de vue,
00:19:25 à la fois dans la manière dont les CDN
00:19:28 s'emparent des sujets de société,
00:19:30 mais également dans la manière
00:19:33 dont les programmations sont pensées, conçues, mises en œuvre,
00:19:37 dont la relation avec les publics évolue.
00:19:39 Donc à tout point de vue, c'est extrêmement intéressant
00:19:42 de diversifier les regards.
00:19:44 La deuxième idée fausse, c'était de dire...
00:19:47 Enfin idée fausse, pardon, c'est mon point de vue,
00:19:50 c'est le point de vue du ministère de la Culture.
00:19:51 C'est de dire, commencer à s'intéresser
00:19:55 à la catégorisation "femme, homme"
00:20:00 ou autres critères de discrimination
00:20:02 est un risque majeur pour la liberté de création,
00:20:06 la liberté d'expression.
00:20:08 On ne veut pas entrer dans ces débats-là.
00:20:10 Or, au contraire, je crois profondément
00:20:13 que non seulement il faut y entrer sans crainte,
00:20:16 sans agressivité non plus, avec une forme de sérénité,
00:20:20 mais une volonté absolue d'avancer,
00:20:22 parce que finalement, faire en sorte que les femmes,
00:20:26 d'une part, la moitié de l'humanité quand même,
00:20:28 donc ce n'est pas une petite partie de notre société,
00:20:31 et que les autres personnes écartées, exclues jusqu'à présent
00:20:35 sur des critères sociaux, sur des critères économiques,
00:20:38 sur des critères territoriaux,
00:20:40 sur des critères d'origine ethno-raciale,
00:20:43 ces personnes-là, finalement, qui composent notre société,
00:20:46 sont des éléments, me semble-t-il, majeurs
00:20:50 pour enrichir le phénomène de création,
00:20:53 pour enrichir les programmations,
00:20:55 pour enrichir, pour diversifier les récits.
00:20:57 Donc, casser ces idées fausses
00:20:59 constitue déjà une partie très importante
00:21:02 des barrières mentales qui sont érigées en chacun de nous,
00:21:06 peut-être, et chacune de nous,
00:21:07 mais également dans le milieu culturel et artistique.
00:21:10 Donc, nommer, donner accès aux moyens de création et de production...
00:21:13 -Pardon, je vous interromps, mais vous dites "nommer".
00:21:14 Autant nommer les discriminations hommes-femmes,
00:21:17 comme vous le disiez, il y a des observateurs
00:21:18 qui existent depuis très longtemps,
00:21:20 les discriminations sociales, ethno-raciales,
00:21:23 socio-culturelles dont vous parlez,
00:21:25 est-ce qu'il existe des outils
00:21:27 sur lesquels on peut s'appuyer aujourd'hui en France,
00:21:29 en disant "Regardez, à la tête de telle ou telle structure
00:21:31 du monde de la culture, c'est pas possible,
00:21:33 parce qu'il y a un entre-soi social, socio-ethnique,
00:21:36 socio-culturel".
00:21:37 Qu'est-ce que...
00:21:39 Parce que ces outils-là existent-ils en France ?
00:21:41 -C'est tout l'enjeu.
00:21:42 On est, par rapport à d'autres pays,
00:21:44 notamment anglo-saxons,
00:21:46 nous sommes mal outillés pour l'instant,
00:21:48 parce que la réponse quasi...
00:21:52 Enfin, classique, traditionnelle, qui est faite,
00:21:57 notamment sur le critère de l'origine ethno-raciale,
00:22:00 sur les critères sociaux, économiques,
00:22:02 on a quand même d'autres façons d'identifier les empêchements,
00:22:06 sur les critères territoriaux, évidemment, aussi,
00:22:08 mais sur le critère ethno-racial,
00:22:10 on a très longtemps considéré que l'interdiction,
00:22:14 qui est une réalité,
00:22:16 des statistiques ethniques en France,
00:22:18 empêchait toute forme de mesure.
00:22:20 Or, on a bien vu que dans plein d'autres secteurs,
00:22:23 économiques, sociaux, politiques,
00:22:26 statistiques, aussi, avec les études
00:22:28 de l'Institut national d'études démographiques, l'INED,
00:22:31 il est tout à fait possible de mettre en place
00:22:33 des dispositifs de mesure
00:22:35 qui, dans le respect absolu des données personnelles,
00:22:39 en conformité avec tout ce que la CNIL, à juste titre, impose,
00:22:43 qui permettent de prendre la mesure
00:22:46 de l'écart entre la composition de la société,
00:22:48 telle qu'elle est aujourd'hui,
00:22:50 à peu près le tiers de la société française,
00:22:53 est composée de personnes issues de l'immigration,
00:22:56 directement ou à la 2e ou à la 3e génération.
00:23:00 Le tiers de la population française...
00:23:02 - Immigration récente seulement.
00:23:03 On sait que c'est beaucoup plus, mais c'est l'immigration récente.
00:23:06 - Parents et grands-parents.
00:23:08 Et donc, ça dit bien quelque chose.
00:23:10 Est-ce qu'on est sûrs que cette proportion du tiers
00:23:14 se retrouve, plus ou moins,
00:23:16 pas de façon mathématique et mécanique,
00:23:19 mais est-ce que cette proportion du tiers se retrouve
00:23:22 dans nos professions culturelles et artistiques ?
00:23:25 Vous répondrez sur le point de place.
00:23:27 - Point de suspension, a priori, le silence montre
00:23:30 que probablement pas.
00:23:31 - Alors justement, tout l'enjeu va être de se doter,
00:23:35 et tous les professionnels avec lesquels je travaille,
00:23:38 dans le secteur du spectacle vivant,
00:23:40 dans le secteur du cinéma et de l'audiovisuel,
00:23:42 dans le secteur des musées,
00:23:44 dans le secteur du patrimoine au sens large,
00:23:46 tous les professionnels, aujourd'hui, se disent
00:23:49 qu'on ne peut plus...
00:23:51 Oh, si on ne veut pas prendre de risques inconsidérés,
00:23:55 on ne peut plus repousser longtemps cette question-là.
00:23:58 Et donc, qu'il faut se doter des outils, des instruments
00:24:02 permettant de mesurer d'abord,
00:24:03 mais pas simplement pour le plaisir d'avoir des chiffres,
00:24:06 pas simplement pour le plaisir de mesurer,
00:24:09 mais pour décrypter les points de blocage,
00:24:12 les points d'empêchement,
00:24:13 et pour prendre des mesures positives,
00:24:15 comme on en a pris au titre de l'égalité
00:24:18 entre les femmes et les hommes.
00:24:19 Et j'y reviens, parce que cette démarche,
00:24:21 qui est finalement transposable assez aisément
00:24:24 à tous les critères de discrimination,
00:24:26 pour les femmes dont, je le disais, on a nommé,
00:24:28 mais on a également regardé de quelle manière
00:24:30 ces femmes à la tête de structures,
00:24:32 à la tête de compagnies, réalisatrices de films,
00:24:36 étaient ou n'ont doté des mêmes moyens financiers
00:24:39 pour créer, pour produire, pour diffuser.
00:24:42 Et malheureusement, ce n'est pas encore le cas.
00:24:44 -D'accord. Vous avez noté que,
00:24:46 quand on est une femme à la tête d'une structure,
00:24:48 on n'est pas aussi avantagé
00:24:50 que quand on est un homme à la tête d'une structure.
00:24:51 -Je vous renvoie à l'Observatoire de l'égalité.
00:24:54 Les tableaux sont cruels, mais justes.
00:24:56 -Incroyable. C'est extraordinaire.
00:24:57 Est-ce que vous avez cette idée que renouveler...
00:25:02 Comment dire ? Participer de la relève,
00:25:05 c'est aussi participer d'une programmation culturelle à la fin.
00:25:08 Vous l'avez évoqué un peu rapidement.
00:25:09 Vous avez dit que cette mise en conformité
00:25:11 avec la réalité de ce qu'est la société française,
00:25:13 ça a permis de modifier aussi les projets,
00:25:16 de modifier la nature des projets, etc.
00:25:18 C'est vrai que c'est quelque chose, en France,
00:25:20 qu'on n'accepte pas forcément.
00:25:21 On se dit que ce n'est pas parce que c'est une femme
00:25:22 qu'elle va faire des programmes de femmes.
00:25:23 Ce n'est pas comme ça que ça se passe.
00:25:25 Alors comment ça pourrait se passer
00:25:27 si on est sur cette ligne de la nécessité d'une relève
00:25:30 qui soit plus conforme à ce que la société est ?
00:25:33 Comment on arrive à expliciter, en quelque sorte,
00:25:35 qu'avec un renouvellement des gens,
00:25:38 il y ait un renouvellement de l'offre
00:25:40 et donc aussi un renouvellement de l'attractivité publique ?
00:25:43 -C'est tout à fait lié.
00:25:44 D'ailleurs, j'en viens aussi à ce dernier volet
00:25:46 qui me semble très important.
00:25:47 Dans la mesure où la nature même du public
00:25:50 est la nécessité de le renouveler,
00:25:52 de l'entretenir, d'une part,
00:25:54 de le renouveler aujourd'hui et demain,
00:25:56 passe également, me semble-t-il,
00:25:59 par une diversification des modes de création
00:26:03 et de l'expression de cette création.
00:26:05 Et en effet, il ne s'agit absolument pas d'assigner
00:26:07 qui que ce soit à quoi que ce soit.
00:26:10 Il ne s'agit pas de dire
00:26:11 que les femmes ont une certaine manière d'écrire des histoires,
00:26:14 que les personnes d'origine ethno-raciale différente
00:26:17 ou résident en dehors du 5e arrondissement de Paris
00:26:20 raconteront des choses spécifiques.
00:26:23 Non, il s'agit simplement de se dire
00:26:24 qu'ouvrir le regard et donner à plus de personnes
00:26:29 toutes talentueuses, compétentes, inventives, créatives,
00:26:33 les moyens, dans tous les sens du terme,
00:26:36 de créer, d'inventer, de produire, de montrer,
00:26:39 est incontestablement et inévitablement
00:26:42 un enrichissement du regard.
00:26:44 Si on reste dans cet entre-soi
00:26:47 qui a quand même assez longtemps caractérisé
00:26:49 nos milieux culturels et artistiques,
00:26:51 inévitablement, on risque justement de se restreindre,
00:26:54 de s'enfermer et d'empêcher, comment dire,
00:26:59 à la fois un renouvellement des regards, des pensées,
00:27:03 des modes de créer, de la relation avec le public aussi.
00:27:06 Et donc, c'est plus un appauvrissement
00:27:09 qu'une façon de... comment dire,
00:27:12 d'assigner qui que ce soit à un rôle ou à une façon de créer
00:27:16 qui serait prédéterminée.
00:27:18 - Du coup, je reviens à la question de la formation,
00:27:21 pour le coup, Thierry.
00:27:23 Est-ce que, parce que là, comme ça, on n'a pas de chiffres,
00:27:27 mais enfin, il suffit d'avoir un tout petit peu conscience
00:27:29 des organigrammes des grandes institutions culturelles françaises,
00:27:32 on voit bien qu'il y a quand même un certain entre-soi
00:27:35 que c'est compliqué.
00:27:36 Est-ce que, pour reprendre un peu l'ancienne dont vous parlez,
00:27:39 est-ce qu'il n'y aurait pas un problème de vivier au départ ?
00:27:42 C'est-à-dire, est-ce que dans les écoles de création,
00:27:45 les écoles qui sont destinées à peupler ce secteur,
00:27:48 ce secteur culturel,
00:27:49 est-ce qu'il n'y a pas un problème de représentativité ?
00:27:51 Parce que ça ne sert à rien de se donner des objectifs
00:27:54 si le vivier n'est pas là.
00:27:55 Qu'est-ce que vous en pensez, Thierry ?
00:27:58 - Sans faire de la sociologie de comptoir,
00:28:02 l'école ne répare pas les mécanismes de reproduction sociale.
00:28:07 Je veux dire, elle a la même tendance à les renforcer.
00:28:10 Donc, si on dit que dans les écoles, le vivier est là,
00:28:14 il est là, mais il est déjà préconstitué
00:28:17 par une trajectoire sociale.
00:28:19 Là, pour le coup, on a des chiffres et des données
00:28:22 sur le fait que ce n'est pas si simple que ça.
00:28:26 Et alors là, pour le coup,
00:28:27 ça recouvre et les artistes et les techniciens.
00:28:30 Ce qui est intéressant,
00:28:31 c'est que ce n'est pas que la question de l'artiste qui est en jeu.
00:28:34 C'est qu'on a plus de chances de devenir artiste
00:28:37 quand on est enfant d'enseignant,
00:28:39 enfant d'artiste que quand on est enfant...
00:28:41 - Devenir technicien quand on n'est pas enfant d'enseignant,
00:28:43 vous voulez dire ? - Oui.
00:28:45 Mais aussi pour des raisons d'orientation scolaire.
00:28:50 Je pense qu'il y a un petit enjeu
00:28:53 que nous, on va embarquer assez rapidement, d'ailleurs,
00:28:55 sur la question de la promotion des métiers,
00:28:58 qui est peut-être d'éviter l'autocensure au moins.
00:29:01 C'est-à-dire qu'on ne va pas infléchir des trajectoires sociales
00:29:04 qui sont profondes et structurelles.
00:29:06 Mais en revanche, au moins sur la question de l'autocensure,
00:29:10 moi, j'ai discuté avec la ministre déléguée
00:29:13 à l'enseignement et à la formation professionnelle,
00:29:15 qui me disait "tu te rends compte, 80 % des gamins
00:29:19 qui font un CAP électricien,
00:29:22 arrêtent leur CAP en cours de route.
00:29:25 En gros, on fabrique des décrocheurs
00:29:27 à partir de process d'orientation
00:29:29 qui ne sont pas voulus, pas souhaités, etc."
00:29:33 Je me suis dit "c'est bizarre",
00:29:34 parce que là, en ce moment, je discute avec tous les grands patrons des salles
00:29:38 qui me disent qu'ils ne trouvent pas de technicien, d'électricien, etc.
00:29:43 Une fois que j'ai dit ça, je me suis dit "c'est pas bizarre".
00:29:46 En fait, est-ce qu'on adresse une promotion des métiers
00:29:49 et de ce que c'est de travailler dans notre secteur
00:29:52 à ces jeunes-là ?
00:29:53 Moi, je ne crois pas.
00:29:54 Et donc, je suis en train de regarder avec elle, notamment,
00:29:57 comment on pourrait, dans sa réforme des bacs professionnels,
00:30:01 essayer de créer des parcours.
00:30:03 Et c'est là où on a un côté ingénieur,
00:30:05 et nous, on le fera à notre petite échelle,
00:30:07 mais au moins à notre petite échelle,
00:30:09 d'expliquer à un gamin qui a été orienté un peu,
00:30:13 pardon pour le mot, mais violemment vers ces choses-là,
00:30:15 c'est quand même le produit souvent d'échecs scolaires
00:30:17 qui les amène là,
00:30:18 de se dire "tu sais, c'est pas grave,
00:30:21 parce que ta deuxième chance, elle n'est pas là où tu crois,
00:30:24 elle est dans le fait que tu peux faire carrière dans un secteur,
00:30:28 et encore une fois, avec tout le respect que j'ai pour le bâtiment,
00:30:31 autre que le bâtiment ou la chaudronnerie".
00:30:35 Et nous, on l'a fait il y a 5 ans, je crois, 5-6 ans.
00:30:41 On a, avec "Ouais, je dis moi", "Dalla Colline" et d'autres,
00:30:45 ouvert un programme pour des réfugiés qui arrivaient
00:30:50 dans ce qu'on a appelé le programme "Aupe",
00:30:52 où chaque grand théâtre parisien et des théâtres privés
00:30:55 ont pris un réfugié.
00:30:57 C'est bizarre, ils n'avaient pas forcément d'appétence,
00:31:01 ils n'avaient pas été spécialement orientés sur ces métiers-là,
00:31:03 et les 14 personnes ont été tous recrutées
00:31:07 dans chacun des théâtres à la fin,
00:31:09 ils ont tous trouvé un boulot, deux à l'Opéra de Paris,
00:31:11 un à la Comédie française,
00:31:13 alors évidemment dans des lieux où il y avait de quoi travailler
00:31:17 sur ces sujets-là, avec des bâtiments.
00:31:19 Mais finalement, tout d'un coup, la question,
00:31:22 pour le coup de l'orientation, elle ne se pose plus.
00:31:25 Et donc, je pense que cette mécanique d'autocensure,
00:31:30 mais elle est quand même aussi consubstantielle.
00:31:33 - Ce que j'allais vous dire, c'est qu'elle ne date pas du moment
00:31:37 où les jeunes commencent à s'orienter, elles commencent.
00:31:39 - Ces entrées dans la carrière supposent soit une grande vocation,
00:31:44 et vous savez qu'on parle de crise des vocations en ce moment,
00:31:48 soit l'acceptation, le consentement à des formes d'emploi
00:31:52 dont j'ai l'impression qu'elles ne sont plus tout à fait à la mode
00:31:54 chez nos jeunes générations.
00:31:56 C'est-à-dire finalement une forme de précarité,
00:31:59 une forme de contrainte horaire.
00:32:03 C'est tout bête, mais travailler dans nos secteurs,
00:32:06 c'est travailler le soir, c'est travailler le week-end.
00:32:08 Je pense que de ce point de vue, d'ailleurs,
00:32:10 la crise Covid n'a pas arrangé nos problèmes.
00:32:12 Parce que nous, on a noté qu'à peu près 8 000 intermittents
00:32:15 ont quitté le spectacle vivant pour aller vers le spectacle enregistré.
00:32:19 Si on leur pose la question, c'est parce que probablement
00:32:22 que là, ils ont trouvé une autre forme d'équilibre,
00:32:24 vie professionnelle, vie privée.
00:32:25 Vous savez, au bout d'un moment, le discours dominant dans la société
00:32:30 qui consiste à leur dire qu'ils ne vont pas faire leur métier
00:32:32 toute leur vie.
00:32:33 Ma génération à moi, c'était "vous ne ferez pas carrière
00:32:36 dans la même entreprise".
00:32:38 Eux, on leur dit "vous ne ferez pas le même métier toute votre vie".
00:32:40 Ça se complique.
00:32:42 Et puis maintenant, on leur dit "il faut veiller à l'équilibre
00:32:45 vie professionnelle, vie privée".
00:32:46 On leur dit "ça se trouve en CM1 ou en CM2".
00:32:48 Au bout d'un moment, c'est pas assez étonnant qu'eux-mêmes se disent
00:32:52 "bah oui, c'est pas idiot, en fait, je devrais faire gaffe".
00:32:54 Non, mais voilà, il y a tout un terreau aujourd'hui dogmatique qui fait...
00:33:01 - Ce qui est paradoxal, c'est que dans le même temps,
00:33:03 on n'a jamais autant parlé de sens aux métiers qu'on veut faire.
00:33:06 Ce qui est extraordinaire, c'est que les métiers du secteur culturel,
00:33:08 en termes de sens, il n'y a pas à discuter beaucoup.
00:33:12 C'est quand même un métier dans lequel il y a effectivement...
00:33:14 On va faire des belles programmations, il y a des choses...
00:33:17 Avec cet appétit culturel, etc.
00:33:19 Vous voulez dire quelque chose, Agnès ?
00:33:21 - Oui, ce que je voulais dire sur les trajectoires
00:33:23 et ce sur quoi Thierry revenait, c'est évidemment très important.
00:33:27 Nous, on a un réseau, au ministère de la Culture,
00:33:30 on a un réseau de 99 écoles, j'en parlais tout à l'heure,
00:33:33 c'est à peu près 37 000 étudiantes et étudiants,
00:33:36 qui sont dans des formations qui conduisent
00:33:38 aux métiers culturels et artistiques.
00:33:40 Encore une fois, école d'art, école d'architecture,
00:33:42 école de cinéma, école de cirque, conservatoire d'art dramatique,
00:33:46 les deux conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse.
00:33:49 Et on s'est bien rendu compte que le travail à mener
00:33:53 pour diversifier les viviers, et donc diversifier les talents
00:33:57 et conduire d'autres profils vers les métiers culturels et artistiques,
00:34:00 supposait en effet un travail en amont de l'entrée dans ces écoles.
00:34:05 On a, pour vous donner un ordre de grandeur,
00:34:07 parce que c'est important, enfin, c'est intéressant,
00:34:09 pas important, c'est intéressant comme grille d'analyse,
00:34:12 on a 28 % de boursiers et de boursières dans nos écoles,
00:34:17 alors que le taux national tourne plutôt autour de 38 %.
00:34:21 Donc, on se dit que la diversité sociale
00:34:25 est peut-être moins assurée dans nos écoles
00:34:28 qu'elle l'est dans d'autres secteurs
00:34:29 de la formation de l'enseignement supérieur.
00:34:32 Donc, on s'est dit, avec les ministres de la Culture
00:34:36 et notamment avec l'Actuel,
00:34:38 qu'il y avait là un travail très important
00:34:41 à effectuer en amont de l'entrée dans les écoles,
00:34:44 et notamment, ça n'est pas la seule clé d'entrée,
00:34:48 ça n'est pas la seule piste,
00:34:50 mais notamment en développant beaucoup plus qu'il ne l'est
00:34:53 le dispositif d'apprentissage,
00:34:55 qui est encore très faible, très peu mis en oeuvre.
00:34:58 -C'est souvent une manière de faire venir, effectivement,
00:35:01 dans certains secteurs, on a vu ça dans l'ingénierie,
00:35:03 de faire venir dans certains secteurs
00:35:05 des populations qui ont peur d'avoir des études trop longues,
00:35:08 d'être coupées du marché, etc.
00:35:10 Culturellement, c'est compliqué,
00:35:12 et ça peut permettre, effectivement...
00:35:13 -Tout à fait.
00:35:14 Donc, l'apprentissage est déjà une possibilité,
00:35:16 mais également un travail en amont,
00:35:18 peut-être dès le collège,
00:35:20 mais en tout cas certainement dès le lycée,
00:35:23 et les lycées professionnels également,
00:35:25 pour faire connaître les métiers,
00:35:26 pour faire connaître les débouchés,
00:35:28 et pour indiquer que, finalement,
00:35:31 ces métiers-là, ces professions,
00:35:33 rassurer les parents aussi,
00:35:34 pour dire que ce ne sont pas que des métiers de saltimbanques,
00:35:37 et qu'il peut y avoir un avenir professionnel formidable,
00:35:40 et pas inintéressant, pas trop mal rémunéré,
00:35:45 en tout cas que c'est une piste possible,
00:35:47 mais il faut tenir ce discours le plus en amont possible
00:35:52 pour qu'ensuite, les accès vers les formations supérieures
00:35:55 qui conduisent à nos métiers soient davantage ouverts.
00:35:59 Et le dispositif de relève que vous évoquiez tout à l'heure, Arnaud,
00:36:03 est un élément également très important,
00:36:05 puisque la ministre, notre ministre de la Culture,
00:36:08 en parlera certainement dans quelques semaines
00:36:10 ou dans quelques mois.
00:36:11 Il s'agit là d'identifier des talents
00:36:14 sur la totalité du territoire métropolitain et ultramarin,
00:36:21 qui sont des personnes qui n'ont pas forcément aujourd'hui
00:36:25 de responsabilité dans le champ culturel et artistique,
00:36:29 mais qui ont vocation,
00:36:30 moyennant un accompagnement, une formation,
00:36:33 un mentora spécifique,
00:36:35 à occuper des postes de management,
00:36:40 là, si on veut y revenir,
00:36:41 à la tête des institutions culturelles.
00:36:43 Donc on voit bien que la diversification des viviers,
00:36:45 finalement, elle peut jouer de manière extrêmement variée
00:36:49 à partir du moment où on en a la volonté
00:36:51 et où on se dote des moyens pour y parvenir.
00:36:54 Et encore une fois, j'insiste, il faut jouer sur...
00:36:57 Enfin, j'insiste, je n'ai pas à insister,
00:36:59 mais en tout cas, mon point de vue
00:37:00 est qu'il faut jouer sur tous les leviers,
00:37:02 à la fois le levier social,
00:37:03 le levier de l'origine ethno-raciale,
00:37:06 le levier économique, le levier territorial,
00:37:08 et évidemment, je dirais presque avant toute chose,
00:37:11 parce que c'est une conviction intime,
00:37:14 le levier de l'égalité entre les femmes et les hommes,
00:37:16 où on se rend compte,
00:37:17 parce qu'il ne faut pas se dire que, après "me too",
00:37:20 après 4 ou 5 années d'actions très résolues,
00:37:23 et l'AFDAS a été formidable à nos côtés,
00:37:26 notamment pour mettre en place des formations
00:37:27 sur la prévention des violences et du harcèlement sexuel, sexiste,
00:37:31 qui sont une réalité quotidienne dans nos secteurs.
00:37:34 Ce n'est peut-être pas pire qu'ailleurs,
00:37:35 en tout cas, ce n'est pas mieux.
00:37:36 Donc là-dessus, on a fait des choses,
00:37:38 mais je pense qu'il ne faut absolument pas se dire
00:37:44 qu'on est arrivé au bout du chemin.
00:37:46 C'est faux, on a encore un chemin considérable.
00:37:50 On a encore un chemin à parcourir,
00:37:51 et donc se dire que toutes ces actions-là
00:37:53 doivent s'ancrer dans le réel, dans la durée également,
00:37:57 et que sur l'égalité femmes-hommes,
00:37:58 on a encore beaucoup de travail à faire.
00:38:00 -Une petite remarque sur la relève,
00:38:01 parce que c'est important quand même.
00:38:04 Si j'avais à instruire un dialogue
00:38:05 avec le ministère de la Culture sur le sujet,
00:38:07 c'est un unique clin d'oeil,
00:38:09 je mettrais en garde sur une chose.
00:38:13 Il ne s'agira surtout pas de totémiser des personnes,
00:38:16 il faut arriver à totémiser des parcours.
00:38:19 Tu parlais de l'apprentissage,
00:38:20 c'est majeur de le faire comme ça.
00:38:22 -Pardon, c'est quoi ? Je n'ai pas compris.
00:38:25 -Parce qu'on va trouver des personnes,
00:38:29 et puis on va dire, regardez, c'est la relève.
00:38:31 Je pense que c'est comme si,
00:38:33 pour parler de l'action de l'art nominé,
00:38:36 qui est là, qui est apparu tout à l'heure,
00:38:38 sur la comédie de Saint-Etienne,
00:38:39 on parlerait de Rachida Bragni,
00:38:40 on dirait, c'est formidable, regardez,
00:38:42 elle vient de la comédie de Saint-Etienne et de son école.
00:38:45 Moi, je crois que ce n'est pas ça qu'il faut faire.
00:38:46 En revanche, moi, je fais souvent la promotion de,
00:38:50 j'en suis à l'origine le penseur,
00:38:52 je le dis avec une plus grande humilité,
00:38:54 je ne savais pas où on allait sur cette histoire,
00:38:56 mais j'ai participé à la création
00:38:58 et j'ai écrit le programme de l'académie à la comédie française
00:39:01 des jeunes élèves comédiens.
00:39:03 Évidemment, tout le monde, à ce moment-là,
00:39:05 et je vous parle de ça il y a 15 ans,
00:39:07 il y a 15 ans, faire de l'apprentissage
00:39:09 avec des élèves comédiens,
00:39:10 enfin, ce n'était pas de l'apprentissage,
00:39:11 mais de l'alternance, en l'occurrence,
00:39:13 mais c'est le même principe, avec des élèves comédiens.
00:39:16 Déjà, certains intermittents m'ont expliqué
00:39:18 qu'ils allaient prendre la place d'intermittents
00:39:20 dans l'histoire, etc.
00:39:22 Eh bien, un des moyens que j'ai trouvés pour dire
00:39:24 qu'il fallait quand même s'accrocher sur ce programme,
00:39:27 c'était de dire que la voie de l'alternance
00:39:30 permettait de doubler les chances de rester comédien
00:39:34 une fois qu'ils en sortaient,
00:39:36 par rapport à ceux qui sortaient directement d'un conservatoire.
00:39:39 Ce qui veut dire que si on veut attirer des personnes,
00:39:42 aujourd'hui, dans nos secteurs d'un genre nouveau,
00:39:45 il faut surtout sécuriser l'entrée dans la carrière.
00:39:47 Parce que, finalement, le vrai sujet, il va être là.
00:39:50 C'est l'inégalité des chances à l'école,
00:39:55 mais l'inégalité des chances, ensuite,
00:39:57 elle est dans l'accès à la professionnalité.
00:39:59 C'est-à-dire, qui a accès, par quel réseau, etc.
00:40:02 La chance qu'avaient ces élèves comédiens,
00:40:04 qui venaient un peu de tout horizon,
00:40:06 au départ, ils ne venaient que des conservatoires,
00:40:08 puis après, on les a ouverts au Studio Danier, etc.
00:40:11 La chance de ces élèves comédiens,
00:40:13 c'est qu'à force de voir défiler tous les metteurs en scène
00:40:17 qui passent au français,
00:40:18 avoir des masterclass avec les uns et les autres,
00:40:20 à force aussi, et c'était ça la force de ce programme,
00:40:23 de pouvoir aller voir tous les métiers du français.
00:40:25 C'est la chance du français de pouvoir regarder tous les métiers.
00:40:28 Ils ont même construit des parcours d'autres choses que comédiens,
00:40:31 quand ils s'étaient attachés autant au secteur qu'au métier.
00:40:35 Du coup, quand le métier n'est pas au rendez-vous,
00:40:37 au moins le secteur peut l'être.
00:40:38 Ça, en tout cas, c'est des choses qui méritent,
00:40:41 dans des programmes de relève, d'être regardé de très près,
00:40:44 parce que sinon, on va prendre deux, trois personnes,
00:40:46 c'est ça que j'ai pris la totémisation,
00:40:48 et puis on va dire, regardez, formidable, la relève est là,
00:40:51 et puis on va les compter, même, on va dire, regardez,
00:40:53 dans la relève, il y a 50 % de gens qui viennent de tel quartier, etc.
00:40:58 Moi, je suis plus aujourd'hui,
00:41:00 c'est peut-être un peu éthnocentrique
00:41:02 par rapport à notre métier à nous,
00:41:03 mais je suis plus aujourd'hui pour totémiser, justement,
00:41:05 des parcours, des modalités par lesquelles
00:41:08 on casse les barrières et on casse les inégalités d'accès,
00:41:11 plutôt que de sortir 10 personnes qu'on va mettre en avant sur scène,
00:41:15 à qui on va faire une petite vidéo, qu'on va mettre à l'ONICEP
00:41:18 et qu'on va envoyer à tous les collèges et lycées pour diffusion.
00:41:21 Pardon d'être caricatural,
00:41:23 mais c'est un peu ce qui pourrait se passer
00:41:24 si on ne fait pas ce travail de fond.
00:41:27 - Mais ce qui est très... Pardon, Arnaud.
00:41:29 Mais ce qui est très intéressant, c'est de constater
00:41:31 qu'au-delà de la comédie française,
00:41:33 beaucoup de nos structures culturelles
00:41:35 se sont auto-convaincus de la nécessité d'agir.
00:41:39 On a l'Académie de l'Opéra national de Paris,
00:41:41 on a la maîtrise populaire de l'opéra comique,
00:41:44 qui crée cette année une académie également,
00:41:47 pour accompagner, pour former, pour donner leur première chance,
00:41:52 pas seulement à des chanteuses, à des chanteurs,
00:41:54 mais également à des chefs de chant,
00:41:56 à des pianistes accompagnateurs,
00:41:57 à des metteurs en scène et metteuses en scène.
00:41:59 Donc on voit bien que cette préoccupation
00:42:01 d'identifier de jeunes personnes prometteuses
00:42:06 et de les accompagner tout au long d'un parcours,
00:42:09 on la trouve, et que nos établissements publics,
00:42:11 c'est heureux d'ailleurs,
00:42:12 s'en sont fait une ardente obligation.
00:42:16 De même, dans le cinéma, on voit qu'au-delà de la FEMIS,
00:42:19 on a eu d'autres modalités d'ouverture
00:42:21 vers les métiers du cinéma.
00:42:22 On pense à la Cinéfabrique, à Court-Rajmet, etc.
00:42:27 Et on voit bien que là, il y a une possibilité de renouvellement
00:42:32 qui est sacrément intéressante.
00:42:34 - Merci Agnès, merci Thierry.
00:42:37 Je vais maintenant tautémiser Vincent Cavaroc.
00:42:40 (Applaudissements)
00:42:42 Vincent Cavaroc, bonjour.
00:42:44 Vous êtes directeur artistique de la Guillette Lyrique à Paris
00:42:46 et directeur général et artistique de ce qu'on appelle la HAL Tropisme,
00:42:50 ce que je crois qu'on connaît assez bien ici.
00:42:52 Je vous laisse la parole, c'est vous qui officiez,
00:42:54 maintenant tout seul.
00:42:56 - Je pensais qu'on m'avait invité à une table ronde,
00:42:58 je me disais "c'est bien, je ne prépare rien", comme d'habitude.
00:43:01 Et j'apprends hier que je suis face à vous comme ça.
00:43:04 Moi, c'est quelques réflexions en vrac.
00:43:07 C'est-à-dire, excusez-moi déjà, s'il n'y a pas un fil conducteur,
00:43:11 mais quelques réflexions sur la façon dont je perçois, moi,
00:43:15 au regard de mes 20 ans d'expérience dans la culture,
00:43:18 l'évolution un petit peu des modes managériaux.
00:43:21 Et à commencer par le fait que là, aujourd'hui,
00:43:25 j'ai la chance d'opérer entre deux lieux, une institution parisienne,
00:43:28 qui est un établissement de la ville de Paris,
00:43:32 la Guile Télérique, qui est un lieu que j'avais contribué à ouvrir
00:43:35 il y a une douzaine d'années et j'en suis parti pendant quelques années.
00:43:38 Et de l'autre côté, un tiers-lieu, c'est-à-dire ce nouveau type de lieu aussi,
00:43:44 qui a émergé il y a quelques années,
00:43:46 qui a ouvert d'autres voies aussi pour la culture.
00:43:49 Et on ne peut pas parler pour moi d'un management univoque dans la culture,
00:43:54 parce que la culture est plurielle et notamment nous amène à le type de lieu
00:43:59 et le type de gouvernance peut amener des types de management différents.
00:44:03 Je m'explique par exemple pour l'haltropisme, derrière l'haltropisme,
00:44:06 il y a une coopérative dont je suis co-gérant qui s'appelle Illusion et Macadam.
00:44:10 Ça fait maintenant plus de 20 ans qu'on travaille et qu'on a intégré d'entrée de jeu
00:44:15 la question des fonctions support de la culture avec un centre de formation.
00:44:18 On travaille très régulièrement avec l'AFDAS, mais aussi des bureaux de production,
00:44:22 des bureaux de médiation, on fait la médiation de tous les musées de l'art contemporain de la région,
00:44:26 le KRAK, le MRAC.
00:44:27 On a un bureau de production pour des événements dans l'espace public
00:44:31 comme les ZAT à Montpellier et d'autres.
00:44:33 Et on avait l'intuition qu'il fallait qu'on accompagne justement des parcours
00:44:37 il y a une vingtaine d'années.
00:44:38 On a fait le choix d'être en coopérative et aujourd'hui,
00:44:41 je vois que l'équipe de l'haltropisme a le choix à un moment donné d'entrée de jeu.
00:44:47 Chaque personne qui est salariée peut devenir sociétaire,
00:44:50 être sociétaire de son projet,
00:44:52 c'est-à-dire pas simplement employée, mais être complètement partie prenante
00:44:56 de tous les choix stratégiques qu'on va faire au cours de l'année.
00:45:00 Comment on va employer l'argent à la fin de l'année, s'il en reste ?
00:45:04 Quelles grandes orientations stratégiques on peut prendre ?
00:45:08 Être sociétaire d'une structure, c'est très différent.
00:45:11 C'est-à-dire que clairement, il y a une implication qui n'est pas la même.
00:45:13 Là aujourd'hui, je me le prends comme une baffe
00:45:15 parce qu'évidemment, j'ai un miroir déformant
00:45:17 qui est le rapport que j'ai entre la Guételérique aujourd'hui,
00:45:19 une structure qui a une douzaine d'années,
00:45:21 avec des gens qui sont là pour certains depuis une dizaine d'années aussi.
00:45:26 Et de l'autre, l'agilité absolue de l'haltropisme,
00:45:30 où on n'a pas un rond, pour vous dire,
00:45:32 on a en fonctionnement à peine 2 % d'argent public.
00:45:36 Et avec ces 2 % d'argent public, on arrive à faire plus de 500 projets
00:45:40 et avec une équipe qui, moi, me surprend tous les jours,
00:45:42 qui est d'un dévouement absolu,
00:45:44 et où je retrouve effectivement des réflexes qu'on a pu avoir
00:45:49 au début de ma carrière, où effectivement, mon premier stage,
00:45:51 par exemple, je me rappelle à Montpellier-Dens,
00:45:52 c'était mon tout premier stage, en communication,
00:45:56 j'étais corvéable à merci.
00:45:58 Clairement, on pouvait me dire de faire tout et n'importe quoi
00:46:00 parce que la culture était mon horizon, était mon objectif de vie.
00:46:04 Et je rejoins ce que vous disiez tout à l'heure sur certaines choses.
00:46:07 Moi, j'ai un parcours très atypique, j'ai un CAP, BEP, mécanicien.
00:46:10 Je suis mécanicien automobile à Rodez, voilà, jusqu'à une vingtaine d'années.
00:46:14 Donc la culture, quand elle s'est imposée à moi,
00:46:16 elle s'est imposée à moi.
00:46:18 Ça n'a pas été une option de...
00:46:19 Je n'étais pas à Sciences Po me disant,
00:46:21 je prends option droite, gauche ou culture.
00:46:23 C'était une nécessité.
00:46:24 J'ai eu une rencontre avec la culture, la même année,
00:46:27 j'ai réparé les voitures, et là, Pasolini, Stravinsky
00:46:30 et John Coltrane, pour citer ces trois références,
00:46:32 se sont imposés à moi et j'ai compris que ma direction
00:46:35 ne pouvait être que là.
00:46:36 Donc le jour où j'arrive à mettre un pied dans une institution culturelle,
00:46:39 on pouvait me faire tout, tout faire et n'importe quoi.
00:46:42 Mon objectif, c'était de rester là.
00:46:44 Donc ne pas compter les heures,
00:46:46 donc ne s'en foutre à peu près de tout,
00:46:48 si ce n'est de se dire,
00:46:49 je dois me faire une place à cet endroit-là.
00:46:52 Évidemment, je ne suis pas en train de faire l'apologie de ce mode-là,
00:46:55 parce qu'évidemment, il bafouait énormément d'acquis sociaux
00:46:59 pour lesquels il y a une lutte qui est essentielle
00:47:02 et quotidienne aujourd'hui
00:47:04 et qui permet à chacun et chacune de pouvoir s'appuyer
00:47:08 sur des règles objectives et concrètes.
00:47:11 Cependant, je vois que...
00:47:13 Je parle de ce nouveau mode de gouverne...
00:47:15 Ce mode de gouvernance où les gens se sentent complètement impliqués
00:47:17 parce qu'ils sont directement sociétaires,
00:47:20 ça a une vraie implication.
00:47:23 Nous, on a fait le choix, par exemple, de, en général,
00:47:26 commencer toujours par embaucher les personnes en stagiaire,
00:47:29 en tout début.
00:47:30 On parlait de l'alternance, on renonce une autre façon.
00:47:33 Les personnes autour de moi, ma directrice adjointe aujourd'hui,
00:47:35 elle a commencé comme une stagiaire il y a 3 ans,
00:47:38 elle est devenue chargée de production,
00:47:40 elle est devenue responsable de production,
00:47:42 directrice de production, directrice adjointe.
00:47:44 Tout ça en 3 ans.
00:47:46 Parce qu'il y a un rapport de confiance qui s'est instauré,
00:47:48 parce qu'il y a un rapport de créer un objet commun,
00:47:51 elle est sociétaire aussi.
00:47:52 Et à partir de là,
00:47:53 clairement, la notion de management est très différente.
00:47:56 C'est-à-dire, on a une implication, on travaille un bien commun.
00:47:59 Quand on est dans une structure plus institutionnelle
00:48:02 où chaque 4 ans, 5 ans, 6 ans,
00:48:05 une nouvelle direction peut être amenée,
00:48:08 c'est le cas de la gaieté lyrique,
00:48:09 où en 12 ans, on est la 4e direction,
00:48:13 le personnel permanent a l'impression, à un moment donné,
00:48:17 de faire partie des meubles,
00:48:19 mais surtout d'être souvent, clairement,
00:48:22 la dernière roue du carrosse de cette machine à désir.
00:48:24 C'est-à-dire, ils vont se dire, en l'occurrence, la ville de Paris,
00:48:27 pour la gaieté lyrique,
00:48:28 mais c'est le cas du ministère
00:48:31 et d'autres jeux de collectivité pour un CDN ou un CCN,
00:48:35 moi, je viens de 7 ans de centre chorégraphique,
00:48:38 ils vont se dire, OK, je vais prendre l'exemple du CDN,
00:48:41 alors, aujourd'hui, je travaille pour Jean-Claude Fall,
00:48:44 là, il y a une nouvelle direction, je travaille pour Jean-Marie Bessé,
00:48:47 et demain, je travaille pour Rodrigo Garcia.
00:48:49 La personne qui est venue, à un moment donné,
00:48:51 dans ce CDN pour travailler avec une vision artistique,
00:48:55 avec un goût qui était une vision du théâtre,
00:48:58 et là, on lui dit, au bout de 5 ans,
00:49:00 ces personnes que vous voyez rarement quand même apparaître,
00:49:02 si ce n'est une fois par an à un conseil d'administration
00:49:04 auquel vous n'êtes pas convié,
00:49:06 viennent de prendre la décision de changer complètement
00:49:08 de direction humaine et de direction de cap, c'est-à-dire,
00:49:12 et vous allez vous adapter.
00:49:14 Évidemment, là, il y a un facteur de démotivation,
00:49:16 au bout de moment, quelquefois de motivation.
00:49:18 Il y a des heureux...
00:49:20 soit des reconductions ou des heureuses transitions,
00:49:24 mais il peut y avoir un facteur de démotivation
00:49:25 qui fait qu'à un moment donné,
00:49:27 quand on a 10 ans, 15 ans, 20 ans de boutique,
00:49:29 3, 4, 5 directions différentes derrière,
00:49:32 à quoi on va se rattacher ?
00:49:34 Ce n'est non plus à son goût pour la culture.
00:49:36 On va se rattacher à essayer d'objectiver
00:49:38 un certain rapport au travail, en se disant,
00:49:40 j'ai peut-être autre chose de plus important dans ma vie,
00:49:44 et donc, je vais m'appliquer les 35 heures,
00:49:47 je vais m'impliquer dans le CSE,
00:49:49 et naturellement, essayer derrière
00:49:52 d'avoir un rapport beaucoup plus normé, normalisé au travail.
00:49:57 Ce à quoi a beaucoup échappé la culture pendant des années,
00:50:00 par cette machine à désir qu'elle incarne,
00:50:02 mais elle peut aussi broyer ses désirs à d'autres endroits.
00:50:05 Donc voilà, je dirais qu'il y a quand même ces changements-là.
00:50:08 Et pour peut-être dire que...
00:50:13 Moi, je vais avoir 45 ans,
00:50:15 je suis arrivé dans la culture il y a une vingtaine d'années,
00:50:17 et j'avais l'impression de marcher sur les pas
00:50:19 de ceux qui avaient ouvert en grand la culture.
00:50:22 C'est-à-dire pour moi, le fait...
00:50:24 Moi, je suis profondément à gauche,
00:50:26 et j'ai été profondément biberonné, imprégné
00:50:30 par l'arrivée de la gauche en 81,
00:50:33 et par l'appel d'air que ça a constitué pour la culture,
00:50:35 avec évidemment tout le courant de décentralisation.
00:50:38 Et forcément, je me suis inscrit dans ce sillage-là,
00:50:41 c'est-à-dire que j'ai l'impression d'être...
00:50:43 qu'il y avait un passage de témoin,
00:50:45 et qu'il fallait que je sois aussi, moi, le porte-voix
00:50:47 de cette grande lutte qui avait fait que la culture
00:50:50 avait acquis cette aide de noblesse.
00:50:54 Et cette histoire, aujourd'hui, c'est sûr que ce n'est pas forcément
00:50:56 l'histoire de nouvelles générations,
00:50:59 on en parlait avec Arnaud par téléphone,
00:51:01 aujourd'hui, pour une nouvelle génération,
00:51:02 ce que j'ai vécu en 81, c'est l'équivalent de ce que j'aurais pu vivre
00:51:07 avec Malraux, c'est-à-dire qu'il y a un recul qui est plus long.
00:51:13 Et du coup, forcément, vu qu'il n'y a pas forcément
00:51:16 une conscience de ces changements,
00:51:19 qu'il y a surtout eu une raréflexion
00:51:22 des moyens publics dans la culture,
00:51:25 donc, finalement, on se dit que voilà,
00:51:29 cette espèce de folie qu'on pouvait avoir à se dire,
00:51:33 on est dans un milieu qui, sans arrêt, réinvente,
00:51:36 a un grand enjeu sociétal, ces grandes figures,
00:51:38 où on dit, voilà, l'artiste a un rôle, peut-être,
00:51:42 une vision très, très... qui peut être au-dessus de certains enjeux.
00:51:47 Mais ça, ça a nourri, ça nourrit des parcours,
00:51:51 ça nourrit des envies, ça nourrit le fait de se lever le matin,
00:51:54 de se dire, je ne compterai jamais les heures.
00:51:56 Et effectivement, il n'y a pas vraiment de management dans ma vie,
00:51:58 c'est-à-dire que c'est juste un management au désir,
00:52:00 parce que je suis complètement passionné par cette équipe artistique
00:52:02 qui va venir en résidence, et moi, je les accompagnerai
00:52:04 jusqu'au bout de la nuit.
00:52:06 Et ça, ça change à un moment donné,
00:52:07 parce que, forcément, on se sent...
00:52:10 Ce n'est pas forcément pour quelqu'un de 30 ans,
00:52:12 c'est-à-dire que ce n'est pas forcément son histoire,
00:52:14 ce n'est pas forcément son envie.
00:52:16 Et encore une fois, il va être quelquefois dans une boutique
00:52:18 qui a vu passer beaucoup, beaucoup de directions.
00:52:21 Et ça, je pense que ça modifie quand même grandement
00:52:25 l'implication qu'on peut avoir.
00:52:27 Moi, c'est vrai qu'aujourd'hui, en tant que directeur de lieu,
00:52:30 depuis 5 ans, les mots qui se sont invités
00:52:33 à chaque jour dans ma vie sont "maltraitance au travail",
00:52:36 sont "qualité de vie au travail",
00:52:39 qui n'existaient pas, clairement, dans ma vie.
00:52:40 C'est-à-dire qu'on ne se posait même pas la question
00:52:42 de la qualité de vie, on était au travail avec une idée
00:52:44 de se dire, on s'en fout, on est mal payé,
00:52:47 on est vaguement un SMIC amélioré,
00:52:49 on est dans un endroit qui crée du sens en permanence.
00:52:51 Sauf que là, il y a quand même un sens du monde
00:52:54 qui va vers des très, très grands enjeux sociétaux et écologiques
00:52:58 dans lesquels la culture n'est pas forcément
00:53:00 le premier acteur aujourd'hui.
00:53:02 C'est-à-dire qu'elle l'est à part endroit,
00:53:04 mais OK, la culture est un outil qui peut aller alimenter
00:53:10 un récit, des grands changements sociétaux,
00:53:12 mais elle alimente un récit, elle n'est pas faiseuse
00:53:15 des transformations au premier sens du terme.
00:53:18 Elle le fait en partie, mais on peut se rattacher
00:53:21 dans l'idée que la culture vient aussi,
00:53:25 est un moteur pour créer du lâcher-prise
00:53:27 et permettre justement aux gens de s'émanciper
00:53:30 de ces angoisses permanentes qui sont au quotidien.
00:53:34 Mais en tout cas, ces grandes valeurs, peut-être,
00:53:37 aujourd'hui, sont moins motrices dans le désir
00:53:41 d'être dans ce domaine.
00:53:44 -Je parlerai juste, pour peut-être conclure, sur deux minutes.
00:53:49 On parle souvent, effectivement, des métiers qui sont en tension,
00:53:53 notamment dans les recrutements.
00:53:56 Et c'est vrai que tous les métiers
00:53:59 ne sont pas là aussi au même endroit.
00:54:01 C'est-à-dire, moi, je vois, je recrute régulièrement des personnes,
00:54:05 il y a quand même les métiers, je dirais, du back-office,
00:54:08 c'est-à-dire ceux qui sont dans l'ordre des fonctions support,
00:54:13 c'est-à-dire l'administration, la compatibilité,
00:54:16 la gestion de paye, la gestion RH,
00:54:18 qui, ça, sont des métiers transversaux à tous les domaines
00:54:21 et qui sont des métiers très difficiles, aujourd'hui,
00:54:24 à capter par la culture,
00:54:25 parce que notre politique salariale est fragile,
00:54:30 que notre politique RH est un peu bricolée par moment,
00:54:34 même si elle tend à l'être de moins en moins.
00:54:37 Et finalement, pour ces métiers-là,
00:54:38 être attractif, plus attractif qu'une grosse boîte
00:54:42 ou dans n'importe quel autre secteur,
00:54:44 sachant que ces métiers-là vont être très, très peu en lien
00:54:47 avec les artistes et donc avec ces valeurs qui nous font tenir,
00:54:50 c'est compliqué.
00:54:51 Là où, aujourd'hui, moi, j'ai aucun problème de recrutement
00:54:54 sur chargé de relations publiques, chargé de communication,
00:54:57 chargé de production,
00:54:58 parce que ces métiers-là sont complètement en lien directement
00:55:01 avec le propos, avec l'artiste,
00:55:03 et donc avec les valeurs que ça incarne.
00:55:04 Et donc, ces valeurs-là deviennent ce moteur
00:55:06 qui vient compenser peut-être la faiblesse
00:55:09 dont je parlais tout à l'heure en termes de salaire,
00:55:13 en termes de RH et autres.
00:55:15 Et sauf qu'on est donc obligé de changer les règles
00:55:19 qui ne peuvent plus être uniformes entre les salariés
00:55:23 et on fait rentrer le loup dans notre demeure,
00:55:25 dans le sens...
00:55:26 Moi, par exemple, à Tropisme, aujourd'hui,
00:55:27 je gère un lieu qui est assez important
00:55:31 et où la question du bar et restaurant est très importante.
00:55:34 C'est-à-dire que ça nous assure le fait de...
00:55:35 J'arrive à dégager 250 000 euros de marge
00:55:38 pour payer l'artistique grâce à ça.
00:55:40 Et sauf qu'aujourd'hui, par exemple, le chef en cuisine,
00:55:43 il est mieux payé que moi en direction,
00:55:45 parce que sinon, je ne peux pas avoir de chef,
00:55:47 parce que ce ne sont pas les mêmes politiques salariales.
00:55:51 Et donc, idem pour un comptable.
00:55:54 Aujourd'hui, si on va avoir un bon comptable...
00:55:56 Donc, c'est très difficile aujourd'hui
00:55:58 d'arriver à réhomogénéiser une politique sociale juste
00:56:03 pour tout le monde,
00:56:04 parce qu'il y a certains métiers qui sont très en tension
00:56:07 et pour lesquels on est peu attractif.
00:56:09 Et voilà, dans les grandes lignes, ce que j'avais à vous dire.
00:56:14 (Applaudissements)
00:56:19 -Merci. Merci beaucoup.
00:56:22 -Eh bien, c'était des grandes lignes très convaincantes.
00:56:24 Merci beaucoup. J'appelle Jean Varela, Arnaud Meunier, Pascal Leveille.
00:56:29 On pourrait souhaiter au César d'appeler déjà.
00:56:32 Il n'y a que 3 micros.
00:56:34 On va se partager les micros.
00:56:37 -Eh bien, écoutez, merci beaucoup, Vincent.
00:56:38 Effectivement, au cas d'Aroc,
00:56:40 nous allons nous pencher sur d'autres situations concrètes
00:56:43 vécues par des institutions de la culture.
00:56:47 Donc, avec nous, il y a Jean Varela.
00:56:49 Je ne vais pas vous représenter Jean Varela.
00:56:51 Si vous êtes ici, vous savez qui est Jean Varela.
00:56:52 Pascal Leveille, bonjour. Merci d'être avec nous.
00:56:55 Vous venez de Lyon, parce que vous êtes professeur associé
00:56:58 à l'Université de Lyon III
00:57:00 et vous êtes directrice du bureau d'études Le Nouvel Institut, notamment.
00:57:05 Et avec nous, Arnaud Meunier, dont le nom bruit depuis tout à l'heure.
00:57:09 C'est lui, Arnaud Meunier, le voilà.
00:57:11 Vous êtes donc metteur en scène.
00:57:12 Vous avez longtemps dirigé la Comédie de Saint-Étienne,
00:57:16 maison qui, on peut le dire, a connu une petite renaissance grâce à vous.
00:57:21 Et depuis 2021, vous êtes à la tête de la MC2,
00:57:24 la Maison de la culture de Grenoble,
00:57:25 qui est, on peut le dire, la plus grosse scène nationale,
00:57:28 avec 22 000 m2 pour 4 salles de spectacle et 3 salles de répétition.
00:57:33 Donc, ce qui est intéressant, c'est que l'idée,
00:57:36 c'est qu'on puisse nouer un dialogue entre vos trois regards
00:57:39 sur justement les questions de direction, de management, etc.
00:57:44 Je vais me tender vers vous, Jean, pour commencer.
00:57:47 Donc, depuis 2011, vous dirigez le Printemps des Comédiens.
00:57:50 Comment vous définiriez, vous, votre manière de faire travailler les gens ?
00:57:55 On ne va pas dire "management".
00:57:56 On va dire votre manière de faire travailler les équipes,
00:57:58 de faire travailler les gens.
00:58:00 Est-ce que c'est le management en passion ?
00:58:02 Est-ce que c'est le management du désir, comme on l'a entendu tout à l'heure ?
00:58:04 Comment c'est quoi, votre...
00:58:05 - D'abord, c'est très amusant, parce que depuis ce matin
00:58:07 et l'intervention de notre ami Thierry,
00:58:11 le secteur automobile est au cœur de la réflexion.
00:58:16 Ce matin, l'automobile, Vincent et moi,
00:58:20 quand j'étais au collège étudiant moyen,
00:58:23 que je cherchais désespérément dans les documents des CIO,
00:58:27 je crois que ça s'appelait, une école de théâtre,
00:58:30 la conseillère CIO m'a dit "il faut que vous fassiez mécanicien".
00:58:35 - On avait la même.
00:58:37 - On avait la même.
00:58:38 Et en fait, je crois qu'elle avait raison,
00:58:40 parce que je suis un mécanicien.
00:58:42 - C'est ça que vous faites.
00:58:44 - Et je gère tous les jours, j'essaie d'harmoniser
00:58:48 et de resserrer les choses.
00:58:51 Et c'est ça, ma façon de...
00:58:54 Comme disaient nos prédécesseurs de la décentralisation,
00:59:00 je suis plutôt un animateur.
00:59:03 - D'accord.
00:59:04 - Et j'ai essayé de réunir,
00:59:05 parce que je me retrouve totalement dans le propos de Vincent,
00:59:08 je suis arrivé au Printemps des Comédiens,
00:59:09 qui était une association avec un engagement passion de l'équipe.
00:59:14 Un festival n'a rien à voir avec une maison,
00:59:18 parce que le temps calendaire est contraint.
00:59:20 Donc l'énergie est une énergie temporelle.
00:59:24 Et il y avait encore cette...
00:59:27 Il y a toujours au Printemps des Comédiens, dans l'association,
00:59:30 cette passion de l'événement.
00:59:35 Cette énergie-là.
00:59:37 - Combien de personnes, le Printemps des Comédiens,
00:59:38 sur une période très courte ?
00:59:39 - J'ai réduit deux aujourd'hui.
00:59:41 - D'accord. Pas mal.
00:59:44 - Nous sommes deux permanents.
00:59:45 - Vous êtes un cost-killer, ça.
00:59:46 - Et 600 pendant le mois. Oui, oui.
00:59:48 Parce que je voulais pas être encombré
00:59:51 par ce que je ne sais pas faire, le management.
00:59:54 En revanche, sachant faire peu de choses,
00:59:58 j'ai essayé d'attirer autour de moi
01:00:01 une troupe, je le dis sciemment, une troupe de talons.
01:00:07 Et ensemble, nous discutons.
01:00:13 Et chacun amène
01:00:17 l'endroit où il est le meilleur, peut-être.
01:00:21 Et chacun m'amène un point de vue.
01:00:25 Et de ce point de vue, je fais mon miel,
01:00:29 prenant en compte
01:00:33 le territoire où nous sommes, son histoire
01:00:37 et sa trajectoire.
01:00:40 J'essaie de me positionner toujours
01:00:45 dans un temps long, un temps brodélien, finalement.
01:00:49 De dire là d'où on vient et où on veut aller.
01:00:53 Ça, je sais à peu près.
01:00:55 J'en connais pas les moyens,
01:00:57 mais je sais à peu près où je veux aller.
01:00:59 Et ceux qui m'accompagnent me donnent des pistes.
01:01:03 Et les pistes du débat.
01:01:06 Et une fois que cette vision est établie,
01:01:12 les collaborateurs sont finalement libres
01:01:18 d'avancer.
01:01:21 Et je suis là pour réparer,
01:01:26 trouver des solutions,
01:01:30 éteindre les feux,
01:01:35 accompagner. C'est tout.
01:01:39 Je n'ai pas d'autre talent,
01:01:41 sinon celui de l'énergie, de la passion.
01:01:43 Et je vois bien,
01:01:47 puisque nous sommes en train de fusionner
01:01:49 cette association avec un établissement public
01:01:51 dont j'ai la direction artistique, où il y a 25 personnes,
01:01:54 que je ne suis pas du tout au même endroit.
01:01:56 Et la baffe qu'a prise Vincent,
01:01:59 entre la gaieté lyrique et...
01:02:02 Je tends l'autre joue, moi.
01:02:05 On n'est pas du tout au même endroit.
01:02:07 Et je suis très inquiet.
01:02:09 Parce que je pense que le théâtre
01:02:14 ne peut pas se déployer
01:02:17 dans des endroits trop contraints
01:02:19 et dans une société plus largement trop contrainte.
01:02:22 Nous sommes un espace de liberté, d'agilité.
01:02:27 - J'aimerais vous entendre, justement,
01:02:29 ça a été beaucoup évoqué sur les jeunes générations.
01:02:31 Comment vous considérez, aujourd'hui,
01:02:34 ces différents générationnels qu'on a évoqués ici et là ?
01:02:39 Vous les constatez, vous ? Vraiment, elles sont...
01:02:42 - Moi, je crois beaucoup aux jeunes générations.
01:02:45 Je les trouve beaucoup plus...
01:02:48 beaucoup plus mûres,
01:02:50 beaucoup plus ouvertes que nous.
01:02:53 Moi, quand j'avais 20 ans à Béziers,
01:02:56 pour aller à Paris, c'était une aventure considérable.
01:02:59 Non, mais ça fait rire, mais si vous voulez...
01:03:03 Je vous l'ai dit, au téléphone,
01:03:06 c'est l'histoire de la Révolution française
01:03:09 et d'une journée à cheval pour aller à la préfecture.
01:03:12 Nous, c'était aller à Paris.
01:03:15 Je me souviens, la première fois que j'ai vu Avignon,
01:03:18 c'était un train de nuit où j'allais à Paris
01:03:21 et j'ai vu des remparts illuminés.
01:03:23 Je me disais, mais c'est merveilleux, cet endroit.
01:03:26 Je ne savais pas, moi, que c'était Avignon, vous vous rendez compte.
01:03:29 Aujourd'hui, tout ça, c'est à la fois réduit géographiquement,
01:03:34 mais considérablement ouvert.
01:03:37 Donc, j'ai confiance.
01:03:41 Je pense que les jeunes générations ne trouvent pas
01:03:44 le même désir chez nous
01:03:47 parce que peut-être que le geste politique
01:03:50 qui nous a accompagnés s'est éteint.
01:03:55 Et que nous sommes, moi, je crois, des étoiles mortes.
01:03:58 - Déjà mortes, toi, à ce moment-là.
01:04:01 - Oui, oui, mais on va renaître.
01:04:03 Si vous voulez, ce qu'on a connu, ce qu'a dit Vincent
01:04:06 de ce grand mouvement, de la décentralisation,
01:04:09 c'est comment les responsables politiques considéraient nos maisons.
01:04:14 - Considérer et comprendre les financiers, vous voulez dire ?
01:04:20 - Jusqu'en 2014, j'ai des élus à Montpellier
01:04:23 que nous ne prenons pas, formidables,
01:04:26 qui nous accompagnent.
01:04:29 Mais jusqu'en 2014, élection municipale,
01:04:32 j'avais rencontré des élus
01:04:36 qui, ayant eux-mêmes vécu la décentralisation,
01:04:40 parlaient du même endroit que nous.
01:04:43 J'ai vu des élus qui ont connu l'avant-décentralisation
01:04:47 et la contrainte, le corset préfectoral,
01:04:50 et qui se sont engagés dans un vaste mouvement
01:04:54 d'accompagnement des talents et de développement.
01:04:59 En 2014, j'ai vu une rupture générationnelle.
01:05:05 Aujourd'hui, il faut réinventer cet endroit-là.
01:05:09 Il faut retrouver...
01:05:12 - Par quoi passe cette rupture générationnelle ?
01:05:16 Comment vous la qualifieriez ?
01:05:19 - Je peux donner un exemple bête, mais qui m'éclaire.
01:05:22 Avant 2014, je connaissais les élus comme spectateurs.
01:05:26 - C'est ça.
01:05:29 Et maintenant, ce n'est plus le cas.
01:05:33 On ne fréquente pas les mêmes salles.
01:05:36 - D'accord.
01:05:37 Arnaud Meunier, j'aimerais vous entendre.
01:05:40 Merci, Jean.
01:05:41 On l'a dit, vous dirigez la MC2.
01:05:45 On est en pénurie de micro.
01:05:47 Il y a des pénuries de jeunesse.
01:05:49 Vous dirigez la MC2 de Grenoble, maison importante.
01:05:53 Est-ce que vous observez aussi
01:05:55 cette évolution générationnelle, ces différences générationnelles,
01:06:00 des choses qui ont été évoquées par Vincent, par Thierry ?
01:06:05 - Ce qu'a dit Vincent, c'était remarquable.
01:06:08 Bravo.
01:06:09 Je me suis reconnu complètement par rapport à mon propre parcours.
01:06:13 J'ai fait Sciences Po, mais par accident.
01:06:20 - Vous ne vous excusez pas.
01:06:23 - Oui, mais quand même.
01:06:25 J'ai grandi entre Cognac et Angoulême.
01:06:28 Rien ne me prédestine à être devant vous aujourd'hui,
01:06:31 ni à être metteur en scène de théâtre, ni à diriger une institution.
01:06:36 Ce que je dois à la démocratisation, à la décentralisation,
01:06:40 à la mise en cohérence des petits conservatoires
01:06:43 ou des écoles de musique de province
01:06:46 avec les profs éducation nationale, l'université,
01:06:49 le fait qu'on puisse continuer ces pratiques artistiques
01:06:53 et ce formidable réseau du théâtre public,
01:06:56 je sais ce que je dois à cet endroit-là.
01:06:59 Je rejoins ce que dit Jean.
01:07:01 Vous posiez la question de savoir si les choses ont changé.
01:07:04 Mon grand frère dans le métier, c'est un certain Stanislas Nordé.
01:07:08 En 1998, quand il devient directeur du théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis,
01:07:12 il devient directeur du théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
01:07:15 parce qu'il vient faire plusieurs succès coup sur coup comme metteur en scène.
01:07:19 Le ministère lui demande s'il voudrait bien diriger
01:07:22 le théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis,
01:07:26 il est intéressé, donc il dit oui.
01:07:29 Et on lui offre 3 millions de francs supplémentaires
01:07:32 pour l'aider à démarrer son projet, pour donner un élan au projet.
01:07:35 Aujourd'hui, j'ai dirigé Saint-Etienne pendant 10 ans
01:07:38 et maintenant Grenoble.
01:07:41 Quand vous voulez diriger une institution,
01:07:44 vous répondez à une annonce Télérama ou dans la lettre du spectacle,
01:07:47 vous écrivez une bafouille de 3-4 pages, ensuite on vous présélectionne,
01:07:50 vous écrivez un projet d'entre 20 et 30 pages sur 3 ans
01:07:54 qui est composé de l'ensemble des financiers publics,
01:07:57 et ensuite le jury propose votre nom et ensuite la ministre dit c'est vous.
01:08:02 Et si vous avez la chance de maintenir les subventions,
01:08:07 c'est déjà pas mal, d'accord ?
01:08:09 Parce que la nouvelle direction du théâtre du rond-point des Champs-Elysées,
01:08:12 par exemple, son welcome package, c'est moins de 100 000 euros, je crois,
01:08:16 pour démarrer.
01:08:18 - Pardon, on n'arrive pas à comprendre si de fait,
01:08:21 cette nouvelle manière de recruter, d'investir les gens dans les institutions,
01:08:25 finalement c'est plus professionnel qu'à l'époque de Stanislas Nordet,
01:08:28 dont on sait ce qu'il a fait, mais qui aurait pu aussi être une catastrophe absolue,
01:08:32 après tout, c'est vrai qu'un choix, totalisation d'une personne,
01:08:35 c'est toujours le risque.
01:08:36 Est-ce que vous regrettez ce temps-là et vous dites que c'était formidable,
01:08:38 ou est-ce que ça participe finalement d'un changement du niveau du théâtre ?
01:08:40 - Non, ce que je veux dire par là, c'est que, en fait,
01:08:44 dans votre article, je l'ai lu dans le train, sur le deuxième article,
01:08:47 dans l'Obs, sur la question aussi des DSP, le fait de passer en délégation
01:08:50 politique pour que les élus se débarrassent, on va dire,
01:08:53 de la question du financement d'élus.
01:08:56 Pour moi, on parle de désir, on parle de machine à désir,
01:09:00 on parle de ce que sont, etc.
01:09:02 Et puis, effectivement, moi je suis né en 1973,
01:09:04 donc les années Mitterrand et les années Langue,
01:09:07 je ne les ai pas connues dans ma chair, mais j'ai bien vu ce que ça a transformé
01:09:10 dans ma vie, etc.
01:09:12 Moi, j'ai participé comme élève aux célébrations du bicentenaire
01:09:15 de la Révolution française, grâce aux idées de Jacques Langue,
01:09:19 et encore, j'étais en troisième, c'était un moment très fort.
01:09:22 Donc, je pense qu'on a changé de paradigme très fort,
01:09:26 et donc c'est vrai que ça nous met, nous, en tant que directeurs d'institution,
01:09:30 devant des équations impossibles.
01:09:32 Parce que, effectivement, l'équation qui consiste à se dire,
01:09:35 le modèle français, encore aujourd'hui, tient par un niveau de subvention
01:09:39 publique élevé.
01:09:40 Donc, les subventions publiques, pour beaucoup d'institutions,
01:09:44 en tout cas les plus grosses, comme celle que je dirige,
01:09:46 le niveau de subvention, c'est environ 70% pour 30% de recettes propres.
01:09:50 D'accord ?
01:09:51 Donc, cette équation-là fait que tout notre système,
01:09:55 tout l'écosystème, tout le modèle économique, est pensé là-dessus.
01:09:58 Mais si ces subventions ne bougent pas, alors que le coût de la vie augmente,
01:10:04 évidemment, vous avez un effet ciseau qui devient taille haie.
01:10:08 Donc, depuis l'explosion de l'inflation et l'explosion des coûts bâtimentaires,
01:10:13 avec notamment le coût de l'énergie, etc.,
01:10:15 là, il y a une équation impossible qui fait que ça nous met en arrêt très fort.
01:10:19 Et ça nous met tellement en arrêt parce qu'en plus,
01:10:21 on sort de deux années avec un écran de fumée extraordinaire
01:10:24 qui a été, effectivement, le quoi qu'il en coûte.
01:10:26 Parce que ce quoi qu'il en coûte a fait tout d'un coup...
01:10:28 - Vous dites écran de fumée, mais vous êtes plutôt favorable.
01:10:30 - Évidemment.
01:10:31 - Parce que l'écran de fumée, on a l'impression que ça a été une espèce d'entourloupe.
01:10:33 - Ah non, non, non, pas du tout.
01:10:35 - C'est pour ça que je préfère vous préciser.
01:10:38 - Ça n'a pas du tout été une entourloupe.
01:10:39 Au contraire, je pense qu'on est probablement le pays
01:10:41 qui a été le plus aidé au monde. Enfin, ça, c'est évident.
01:10:43 Mais ce que je veux dire, c'est qu'en 2020 et en 2021,
01:10:45 les questions de 2019 ont disparu.
01:10:49 C'est-à-dire que du coup, les problématiques sur lesquelles
01:10:52 tout d'un coup ont disparu.
01:10:53 Et d'ailleurs, c'est intéressant parce que cet argent qui est arrivé,
01:10:56 qui n'arrivait pas du ministère de la Culture,
01:10:57 qui est arrivé de Bercy, tout d'un coup,
01:11:01 c'était de l'argent de manière conséquente, mais c'est pas non plus...
01:11:03 - Mais c'est donné quand même à Renaud.
01:11:04 Si Bercy a donné de l'argent, c'est parce que le ministère de la Culture...
01:11:07 - Absolument, absolument. On est bien d'accord.
01:11:10 Mais ce que je veux dire, c'est que pour une fois,
01:11:12 on n'est pas allé uniquement tirer du côté du ministère de la Culture.
01:11:14 C'est ça que je voulais dire à Agnès,
01:11:16 pour ne pas me faire dire ce que je n'ai pas dit.
01:11:18 Mais du coup, maintenant, on est en 2023.
01:11:22 En 2022, il reste quelques coups de comète de cet argent spécial
01:11:27 lié à la pandémie. En 2023, il n'existe plus.
01:11:30 Et en 2023, effectivement, il y a cette équation qui se pose.
01:11:35 Je me suis un petit peu perdu, mais il faut rattraper.
01:11:38 Par rapport à la question des vocations, par rapport à la jeune génération,
01:11:41 moi, je rejoins complètement Jean.
01:11:44 Je suis quelqu'un qui me suis toujours appuyé sur la jeunesse.
01:11:47 Et la jeunesse...
01:11:49 Moi, j'ai eu la chance de diriger Saint-Etienne.
01:11:50 Saint-Etienne, c'était un centre dramatique national
01:11:52 et une école supérieure d'art dramatique.
01:11:54 Une manière de rappeler aussi,
01:11:55 parce qu'Agnès ne l'a pas dit tout à l'heure,
01:11:56 mais que comme on a progressé sur certains sujets,
01:11:58 par exemple, sur les écoles supérieures d'art dramatique,
01:12:01 dans les programmes d'égalité des chances,
01:12:02 il y en a huit en France,
01:12:03 et que du coup, la sélection des élèves issus de milieux populaires,
01:12:08 elle a quand même progressé.
01:12:09 Saint-Etienne vient de recruter sa dixième promotion,
01:12:11 et du coup, ça, c'est quand même une fierté.
01:12:13 - Sachant que Saint-Etienne n'est pas la ville la plus bourgeoise de France,
01:12:15 par ailleurs.
01:12:16 - C'est même la ville la plus populaire de France.
01:12:17 C'est la grande ville la plus populaire de France.
01:12:18 40 % des étudiants sont boursiers à Saint-Etienne.
01:12:21 Et donc voilà, effectivement, c'était une question importante.
01:12:25 Donc, sur la crise des vocations,
01:12:27 pardon, je disais qu'il y avait une école à Saint-Etienne,
01:12:29 et que donc, cet appui sur la jeunesse,
01:12:30 le fait, par exemple, d'avoir une école dans un théâtre,
01:12:32 c'est tellement merveilleux,
01:12:33 parce que vous avez votre contradiction permanente.
01:12:36 C'est-à-dire que la jeune génération,
01:12:38 elle conteste constamment ce que vous faites,
01:12:40 ce que vous dites, et l'institution.
01:12:41 Et ça, c'est vraiment très précieux.
01:12:44 Voilà.
01:12:45 Donc, moi, je me suis aussi beaucoup appuyé sur la jeunesse.
01:12:48 Donc, sur la question du recrutement actuellement,
01:12:50 moi, je dirais que je rejoins ce que disait Vincent.
01:12:53 Ce qui est problématique, c'est que, vu de l'extérieur...
01:12:55 D'abord, voilà, vu de l'extérieur,
01:12:57 on voit bien que ça ne va pas très bien.
01:13:00 C'est-à-dire que...
01:13:02 Je vais donner un exemple très clair.
01:13:04 Ma directrice adjointe de Saint-Etienne,
01:13:06 elle est devenue psy.
01:13:07 Ma précédente directrice adjointe, elle est devenue coach.
01:13:11 Cyril Puig, que vous avez dans l'op, ce matin,
01:13:14 il est consultant.
01:13:15 Et moi, j'ai mis un an, un an,
01:13:18 pour recruter mon administratrice,
01:13:20 qui va commencer au 1er septembre.
01:13:22 Et cette administratrice,
01:13:24 je l'ai recrutée par un cabinet de recrutement
01:13:26 grâce à l'AFDAS, merci l'AFDAS,
01:13:28 en la débauchant de l'université.
01:13:31 Donc, elle ne vient pas du secteur culturel.
01:13:33 Et moi, ce qui me frappe,
01:13:34 c'est que les administrateurs, les DAF du secteur culturel,
01:13:37 ils ont disparu.
01:13:39 Et pourquoi ils ont disparu ?
01:13:40 C'est parce qu'ils savent qu'ils sont face à une crise
01:13:44 du modèle économique comme jamais auparavant.
01:13:47 Moi, quand j'ai créé ma compagnie en 1997,
01:13:50 mon professeur de théâtre me disait "quel courage".
01:13:52 Donc, le fait que la culture soit en crise permanente,
01:13:56 ça, on le sait.
01:13:57 Mais quand même, là, aujourd'hui,
01:13:58 il se passe un truc qui ne se passait pas auparavant.
01:14:01 C'est qu'effectivement, le modèle économique
01:14:04 qui tient fortement part de la subvention publique
01:14:06 de manière majoritaire,
01:14:08 du coup, on en veut toujours ou on n'en veut pas.
01:14:11 C'est-à-dire, nos financeurs, nos gouvernants, nos élus,
01:14:15 veulent-ils toujours de ce modèle ?
01:14:17 Et il s'agirait d'y répondre à cette question.
01:14:19 Et de ne pas nous laisser tout seuls
01:14:21 face à des questions insolubles.
01:14:23 Parce qu'effectivement...
01:14:24 Alors, Grenoble, c'est intéressant
01:14:27 parce que c'est une scène nationale.
01:14:29 Donc, quand je suis arrivé, on m'a dit...
01:14:31 Je savais que j'arrivais dans une maison compliquée,
01:14:33 c'était documenté dans la presse, etc.
01:14:36 Bon, mais c'est censé être la première des scènes nationales.
01:14:39 Donc, on me disait "c'est quand même incroyable,
01:14:41 tout l'argent qu'on met dans cette boutique,
01:14:42 et finalement, les résultats ne sont pas plus brillants
01:14:45 que dans d'autres scènes nationales".
01:14:47 OK, très bien, mais finalement,
01:14:49 j'ai essayé de renverser la vapeur
01:14:51 et de faire une prise de judo.
01:14:53 Donc, je me suis dit "en fait, on va arrêter
01:14:54 de se comparer aux autres scènes nationales
01:14:55 parce qu'en fait, cette maison de la culture, elle est très atypique".
01:14:58 Vous le disiez, c'est 4 salles de spectacle.
01:15:01 L'AMC2 peut accueillir 3500 spectateurs par soir.
01:15:04 Il n'y a pas d'autre institution publique capable de faire ça.
01:15:07 Et par ailleurs, donc du coup, si on se compare
01:15:09 avec d'autres maisons qui sont comparables en termes de budget,
01:15:12 je pense au Théâtre national de Bretagne à Rennes,
01:15:14 je pense au Théâtre national populaire à Villeurbanne,
01:15:16 je pense au Théâtre Nanterre à Mandier,
01:15:18 je pense au Théâtre nationaux, Lodéon, Chaillot, etc.
01:15:22 Eh bien, on se rend compte d'une chose assez extraordinaire.
01:15:25 Et ça, je crois que le ministère n'avait pas dans ses chiffres.
01:15:26 Moi, j'ai regardé les superficies.
01:15:28 -Ah oui ? -Puisque, ben oui,
01:15:30 car les gens qui sont propriétaires ici,
01:15:31 ils savent que quand même, les millièmes, ça compte.
01:15:34 Donc, on a 22 000 m2 à Grenoble.
01:15:37 C'est l'institution publique la plus grande de France.
01:15:40 Et en même temps, si on regarde les subventions publiques,
01:15:42 ce sont les plus faibles subventions publiques.
01:15:45 Et du coup, en équivalent temps plein,
01:15:46 mon nombre de salariés permanents actuellement
01:15:48 est le plus faible de toutes ces grandes institutions.
01:15:50 Donc, en fait, il ne faut pas avoir fait non plus HEC et Polytechnique
01:15:53 pour comprendre pourquoi il y a des tensions RH.
01:15:55 Et pourquoi, effectivement...
01:15:56 -Il faut compter en m2. Il faut compter les subventions en m2.
01:15:59 -Et en mission. C'est-à-dire que par ailleurs...
01:16:01 -C'est intéressant. -C'est-à-dire que...
01:16:02 Et en mission, parce que par ailleurs, la question,
01:16:04 ça serait de se dire... -Moi, j'ai 23 hectares ici.
01:16:06 -Bravo. Bravo, Jean.
01:16:08 Mais... -Un point pour Jean-Gal.
01:16:10 -La question, du coup, qui se pose pour la MC2, elle est passionnante.
01:16:12 C'est que, soit on se dit...
01:16:14 Bon, ben, finalement, on a qu'à se dire que c'est une scène nationale.
01:16:16 Et donc, ma mission principale,
01:16:17 c'est de programmer, grosso modo, 80 spectacles
01:16:20 et faire 200 présentations par an.
01:16:21 Et ça, au jour d'aujourd'hui, avec les financements qu'on a
01:16:23 et le personnel qu'on a, ça tient à peu près...
01:16:26 Combien de temps ? On sait pas trop, mais ça tient à peu près.
01:16:29 Mais moi, j'ai été élu... J'ai été nommé sur un...
01:16:33 Sur un... C'est intéressant. -C'est intéressant.
01:16:36 -Intéressant. -Vous êtes élu par qui ?
01:16:37 Vous ne savez pas ? -On sait pas trop, d'ailleurs.
01:16:38 -Vous êtes un élu.
01:16:39 -Sur le fait de faire de cette maison une maison de production.
01:16:42 D'accord ? De faire une maison de création.
01:16:43 Parce qu'elle a abrité un centre dramatique national,
01:16:46 pas n'importe lequel, le centre dramatique national des Alpes,
01:16:49 qui est un centre dramatique national historique,
01:16:50 dont nous avons toujours le fantôme, on va dire, derrière nous,
01:16:52 puisque la maison l'a mangé en 2014.
01:16:54 Et donc, du coup, il fallait redonner une impulsion par rapport à ça.
01:16:59 Mais on fait comment ?
01:17:01 Et en même temps, c'est une question hyper intéressante,
01:17:03 parce que par rapport aux artistes, par rapport aux compagnies,
01:17:07 si c'est pas à Grenoble qu'on fait de la création,
01:17:10 alors qu'on a 3 salles de répétition et 4 salles de spectacle,
01:17:14 et qu'on peut faire l'ensemble du champ disciplinaire,
01:17:17 mais où est-ce qu'on le fait ?
01:17:19 Donc, on a besoin de ces outils-là.
01:17:22 On en a absolument besoin.
01:17:23 On en a d'autant plus besoin qu'on ait un écosystème.
01:17:25 C'est-à-dire que quand on se réjouit que les gros perdent de l'argent,
01:17:29 pour reprendre une petite ancienne qu'on trouve dans certains partis politiques,
01:17:34 pour redistribuer, soi-disant, vers les plus petits,
01:17:36 mais comme c'est le même écosystème...
01:17:38 Donc, en fait, la question, c'est plutôt l'enveloppe globale.
01:17:42 L'enveloppe globale. -L'anti-ruissellement, on dirait.
01:17:43 -C'est-à-dire que ce qui a beaucoup changé aussi,
01:17:45 c'est que le champ disciplinaire s'est vraiment...
01:17:49 Moi, quand j'ai commencé...
01:17:51 Je suis un petit peu plus vieux que Vincent, vous avez compris,
01:17:53 mais quand j'ai commencé, il y avait le conservatoire de Paris,
01:17:56 il y avait le TNS, il y avait la rue Blanche.
01:17:59 Maintenant, il y a 12 écoles supérieures de dramatique
01:18:01 qui délivrent toutes le même diplôme.
01:18:04 L'école de Montpellier délivre le même diplôme que le conservatoire.
01:18:07 On ne fait plus Montpellier + Le Conse, c'est fini.
01:18:10 On fait ou Montpellier ou Le Conse. D'accord ? Très bien.
01:18:13 Bon, donc, maintenant, on forme des super générations
01:18:16 de jeunes comédiennes, de jeunes comédiens.
01:18:18 En plus, on leur apprend à être porteurs de projets.
01:18:20 Donc, ils peuvent ensuite faire des compagnies, des collectives,
01:18:23 faire des productions.
01:18:24 Maintenant, on a le cirque contemporain
01:18:25 qui s'est complètement développé.
01:18:27 La danse a pris une place formidable, la magie, etc.
01:18:31 Donc, on a un champ artistique et un poumon
01:18:34 qui se développent de manière extraordinaire.
01:18:36 Et l'argent, lui, côté culture,
01:18:38 lui, il va plutôt se contraignant et se résorbant.
01:18:42 Moi, par ailleurs, j'ai un président de région
01:18:43 qui ne m'a toujours pas dit
01:18:45 combien j'avais de subventions pour 2023.
01:18:47 -On a le même, alors. -Voilà.
01:18:49 -Bien.
01:18:50 -Voilà. Donc, avec ça, aller attirer, aller recruter.
01:18:54 -C'est compliqué.
01:18:56 -Et en même temps, pourtant, je recrute comme jamais.
01:18:58 C'est-à-dire que là, au jour d'aujourd'hui,
01:18:59 j'ai 4 annonces.
01:19:01 Mais je suis obligé de passer par des cabinets de recrutement
01:19:04 pour aller chercher les talents.
01:19:05 -Ca prend un an pour aller en ligne administratrice.
01:19:07 -Voilà.
01:19:08 -Pascal Leveille, je vais vous laisser la parole.
01:19:09 Tout le monde est très bavard sur cette table ronde,
01:19:11 mais c'est très intéressant.
01:19:12 Je rappelle que vous êtes professeure associée à Lyon 3
01:19:15 et directrice du nouvel institut.
01:19:17 Comment vous observez, justement, vous,
01:19:18 les évolutions du secteur de la culture ?
01:19:20 On a l'impression qu'il y a vraiment beaucoup de standards,
01:19:23 si on peut dire, à revoir des évolutions.
01:19:26 Il y a une sorte d'adjornamento à mettre en place.
01:19:29 Comment vous l'observez ?
01:19:31 -Bonjour.
01:19:33 Alors, je l'observe en le comparant.
01:19:36 Je ne l'observe pas en le regardant exclusivement,
01:19:39 mais en le comparant.
01:19:40 On est à un moment où, je crois, vous l'avez tous évoqué
01:19:44 depuis le début, tout le monde,
01:19:46 dans le secteur de la culture, dans le secteur de la santé,
01:19:49 évidemment, dans le secteur de l'énergie,
01:19:51 dans le secteur de l'enseignement, etc.,
01:19:52 tout le monde est à la recherche...
01:19:53 -Vous avez des véhicules de voiture ?
01:19:55 -Non, pas d'automobiles.
01:19:56 -Pas de secteur automobile.
01:19:57 -Pas de sujet qui fâche.
01:19:59 Pardon, de l'automobile, évidemment.
01:20:01 Bref, tout le monde est à la recherche
01:20:04 d'une nouvelle dynamique de progrès,
01:20:07 d'une nouvelle dynamique de progrès social,
01:20:09 économique, écologique, etc.
01:20:11 Et donc, effectivement, toutes les organisations,
01:20:14 d'une manière ou d'une autre, sont en crise.
01:20:16 Mais qu'est-ce qui est en crise ?
01:20:17 Est-ce que c'est le management, les modèles d'exploitation,
01:20:21 la crise des talents, etc. ?
01:20:23 On est au bout d'un modèle et on est en train d'essayer
01:20:26 de réinventer des nouveaux modèles organisationnels.
01:20:29 Et il me semble que dans la spécificité,
01:20:31 mais encore une fois, dès qu'on compare, tout est spécifique.
01:20:35 Donc, voilà, il y a quand même une spécificité
01:20:38 dans le domaine culturel qui est...
01:20:41 Effectivement, vous l'avez évoqué,
01:20:43 de mon point de vue, elle est triple.
01:20:45 Elle est, d'une part, dans le travail.
01:20:46 Vous avez parlé du travail passion.
01:20:48 Évidemment, le travail passionné, c'est votre horizon.
01:20:51 C'est l'éthos du travail, alors que quantité de gens chez vous
01:20:55 vivent la passion par procuration,
01:20:57 ou en tout cas, en étant au service du travail
01:21:01 qui revendique, lui, d'être un travail passion.
01:21:03 Quel travail artistique ?
01:21:05 Combien les artistes sont, quoi ?
01:21:07 20 %, 30 % des emplois, si on peut dire, du secteur.
01:21:13 Donc, on voit bien que c'est un horizon,
01:21:15 alors que ça n'épuise pas du tout le sujet.
01:21:17 Bon, une des caractéristiques du travail passion,
01:21:20 c'est que, précisément,
01:21:21 ils ne se confrontent pas directement à la réalité.
01:21:25 S'ils devaient se confronter à la réalité,
01:21:27 la dureté du travail de création, l'incertitude du résultat,
01:21:32 l'immense compétition entre les uns et les autres,
01:21:34 enfin, bref, c'est un travail qui a comme caractéristique,
01:21:37 comme beaucoup de travaux vocationnels,
01:21:39 d'activités de travail vocationnels,
01:21:41 qui a quand même comme caractéristique
01:21:42 de sublimer, si on peut dire, le travail réel
01:21:46 et les conditions réelles d'exercice de l'activité.
01:21:49 On peut passer ses nuits, ses jours et ses nuits,
01:21:52 parce que c'est le métier qui ose ça.
01:21:55 Donc, ça, c'est une première spécificité.
01:21:56 La deuxième spécificité, j'accélère,
01:21:58 c'est sur les questions d'organisation.
01:22:00 L'organisation et l'organisation du travail comme activité,
01:22:03 encore une fois, et pas juste comme dimension expressive
01:22:06 des artistes.
01:22:07 L'organisation, elle est très peu pensée chez vous,
01:22:10 alors que, précisément, elle présente un niveau de complexité
01:22:13 très, très élevé.
01:22:14 Les frontières de vos organisations,
01:22:16 elles sont totalement disjointes.
01:22:17 L'organisation économique, l'organisation physique,
01:22:20 l'organisation juridique, l'organisation humaine,
01:22:22 tout ça, c'est des frontières complètement disjointes.
01:22:25 Et donc, l'exercice du management,
01:22:27 c'est soit le chef d'orchestre,
01:22:30 soit l'homme orchestre, qui s'épuise aussi complètement,
01:22:34 ou toutes les métaphores que vous avez pu filer les uns et les autres.
01:22:37 Mais, en tout cas, il y a un enjeu à aussi considérer
01:22:42 les formes organisationnelles.
01:22:43 Parce que tant qu'on est sur un point aveugle
01:22:46 de comment on peut innover,
01:22:49 et il me semble que ce que vous avez évoqué tout à l'heure
01:22:51 était extrêmement illustratif de cela,
01:22:53 c'est l'oresto qui crée la valeur.
01:22:57 Alors, quelle valeur ? J'en sais rien.
01:22:59 Mais, en tout cas, la valeur d'un projet collectif.
01:23:01 Et du coup, c'est vrai que cette impensée de la question d'organisation,
01:23:05 elle est un énorme problème.
01:23:07 Parce que, pourquoi on fabrique des organisations ?
01:23:11 Pourquoi on s'embête à fabriquer des structures aussi lourdes
01:23:17 à faire fonctionner pour de l'action collective ?
01:23:19 Parce qu'on ne peut pas travailler sans organisation.
01:23:22 Alors, après, on y plaque des modèles de management
01:23:24 plus ou moins bien foutus,
01:23:26 des outils de gestion plus ou moins adaptés aux caractéristiques.
01:23:28 Mais si on ne pense pas à l'organisation,
01:23:31 on ne risque pas de pouvoir penser correctement
01:23:32 des modèles de management
01:23:34 et on va dans des démarches de rationalisation,
01:23:36 de "new public management".
01:23:37 - Qui viennent d'autres secteurs qui n'ont aucun rapport, effectivement.
01:23:40 - Donc, la question des talents, c'est une question qui est sympa,
01:23:43 mais, à mon avis, c'est le symptôme d'un problème qui est ailleurs,
01:23:46 qui est l'impensée.
01:23:47 La talentualisation, comme disait Pierre-Michel Menger,
01:23:52 la talentualisation du sujet,
01:23:55 c'est peut-être une fausse bonne question.
01:23:59 - Vous voulez dire qu'on a focalisé le regard sur les talents
01:24:03 pour ne pas regarder...
01:24:04 - Oui, les talents, ils ne sont pas suspendus en l'air.
01:24:06 Il s'est engagé dans un dispositif d'action collective.
01:24:09 Et ce dispositif d'action collective,
01:24:11 il est façonné par la conception qu'on a même de l'organisation.
01:24:14 Vous avez parlé même de la configuration des lieux.
01:24:16 Tout ça, c'est des ressources pour une organisation.
01:24:18 On ne fonctionne pas pareil
01:24:19 si on n'est pas propriétaire de ces deux salles de répèt'.
01:24:22 Enfin, bon, bref.
01:24:23 Donc, il y a bien une conception de l'organisation,
01:24:25 une conception de l'organisation des systèmes de travail.
01:24:28 Et puis ensuite, là-dessus, un système de management,
01:24:31 des pratiques de management, des outils de gestion, etc.
01:24:34 Et des services supports qui sont souvent le noyau dur
01:24:38 des effectifs de la structure mère, si on peut dire.
01:24:41 Les autres, la structure artistique,
01:24:43 tout ce qu'il y a autour de l'activité événementielle,
01:24:46 ils arrivent à la faveur des projets.
01:24:48 Mais ceux qui sont là tout le temps,
01:24:49 c'est une structure servante, en fait.
01:24:53 Sauf que quand la structure servante,
01:24:55 elle est biberonnée à des modèles de contrôle hyper...
01:24:58 En surplomb de l'activité, je ne veux pas savoir,
01:25:00 voilà mes indicateurs, etc.
01:25:02 Mais évidemment que ça fait des étincelles.
01:25:03 Ça ne peut pas marcher.
01:25:05 - C'est l'heure de passer la parole au public.
01:25:08 Avez-vous des questions ?
01:25:10 Avez-vous des remarques, des interpellations,
01:25:12 y compris sur les tables rondes et les interventions précédentes ?
01:25:15 Parce qu'évidemment, tout le monde est à peu près là à disposition.
01:25:18 Est-ce que vous avez... Je vais faire passer le micro.
01:25:20 Avez-vous des envies de dire des choses ?
01:25:24 Poser des questions ?
01:25:25 Oui.
01:25:26 Le micro est là.
01:25:29 - Bonjour.
01:25:32 Moi, je travaille dans un festival de musique actuelle
01:25:34 en région PACA.
01:25:35 Quelqu'un a dit tout à l'heure, mais je ne sais plus qui,
01:25:39 que les managers ne consentaient pas à être managés,
01:25:42 et les jeunes ne consentaient pas à être managés.
01:25:45 Non, l'inverse.
01:25:46 Que les managers ne consentaient pas à manager.
01:25:48 - Thierry Teboul. - Bon, voilà.
01:25:50 Je voudrais savoir à quoi on voit que les jeunes
01:25:52 ne consentent pas à être managés,
01:25:53 parce que moi, j'ai l'impression que c'est tout le contraire.
01:25:54 Ils ont vraiment besoin, au contraire, d'être entendus.
01:25:57 - Thierry.
01:25:58 - Et non pas en roue libre, comme ils le sont actuellement.
01:26:00 En tout cas, moi, c'est l'impression que j'ai sur mon festival.
01:26:02 D'où vient cette impression que vous avez ?
01:26:05 - Je passe le micro en direct. Thierry qui répond.
01:26:08 - Alors, ça embrasse toujours des réalités un peu différentes,
01:26:13 selon les lieux.
01:26:14 Mais en fait, c'est plus le produit de débats
01:26:18 qu'on a beaucoup en ce moment les uns les autres
01:26:20 sur cette jeunesse qui a une espèce d'attraction-répulsion
01:26:25 pour les questions d'indépendance et d'affranchissement,
01:26:29 de liens, de subordination, etc.
01:26:31 Oui, mais pour ça, il faudrait qu'ils le soient tout le temps.
01:26:39 Et il faudrait qu'ils aient envie de le rester.
01:26:41 Et nous, ce qu'on observe en ce moment,
01:26:44 c'est que si ça coûte beaucoup d'argent à former beaucoup de gens,
01:26:48 c'est parce qu'il y a beaucoup de gens qui rentrent et qui sortent dans le métier.
01:26:52 Et du coup, et souvent, on rigolait tout à l'heure à midi
01:26:55 sur le fait de faire des pauses.
01:26:57 Vous avez beaucoup de jeunes qui vous expliquent
01:26:58 qu'ils ont besoin de faire des pauses maintenant.
01:27:00 Mais moi, je trouve ça plutôt bien.
01:27:03 Ça les enrichit.
01:27:04 Ce que je veux dire, c'est qu'il y a des sujets aujourd'hui
01:27:08 sur un nouveau rapport au temps,
01:27:12 un nouveau rapport au temps du travail
01:27:14 qui ne s'inscrit pas forcément dans une demande sociale de cédélisation.
01:27:18 Par exemple.
01:27:19 Et ça, c'est des sujets...
01:27:21 On peut dire qu'ils n'existent pas,
01:27:23 que c'est un...
01:27:25 Je vais reprendre le terme d'impensé.
01:27:27 C'est un pensée chez eux, etc.
01:27:29 Vous ne pouvez pas nier que c'est de plus en plus important dans nos secteurs
01:27:34 et qu'il faut l'orchestrer.
01:27:35 C'est comme si...
01:27:37 Comment on les appelait tout à l'heure, les intermittents en cravate ?
01:27:41 Ça, c'est un truc qui commence à beaucoup, beaucoup...
01:27:44 -Peut-être que c'est les intermittents en cravate.
01:27:46 -Non, parce qu'on parlait du fait que le modèle de l'intermittent,
01:27:49 c'est un modèle, par exemple...
01:27:51 Moi, je connais bien le niveau de précarité.
01:27:54 Ce n'est pas aujourd'hui un métier...
01:27:57 Enfin, un métier...
01:27:58 Une condition d'exercice facile pour la majeure partie des intermittents.
01:28:03 Et pour autant, c'est marrant,
01:28:05 comme il peut faire fantasmer de temps en temps d'autres populations.
01:28:10 Et on parlait des cadres et des fonctions support, par exemple.
01:28:12 Si Arnaud ne trouve pas de gens dans ces fonctions support,
01:28:15 moi, je sais aussi pourquoi,
01:28:16 parce que d'autres entreprises connaissent ce problème-là.
01:28:18 On a du mal, aujourd'hui, à fixer les gens dans un CDI.
01:28:23 Et ils en arrivent à déployer des stratégies,
01:28:25 et personne n'en parle, mais...
01:28:28 -Ce que je pense, c'est que c'est inverse.
01:28:30 Moi, je pense qu'il y a du turnover
01:28:31 parce que les jeunes sont très mal managés,
01:28:33 mais qu'ils se barrent.
01:28:35 -Bah, ça, ça me paraît être une vision unilatérale des choses
01:28:39 qui, je vous invite à vraiment aller voir,
01:28:41 en ce moment, dans les écoles, etc.,
01:28:44 les discours, on a animé...
01:28:45 (Propos inaudibles)
01:28:48 -Oui, particulièrement dans le privé.
01:28:50 C'est-à-dire que, là, moi, j'ai animé des ateliers, par exemple,
01:28:52 avec les journalistes, puisque l'Obs est là.
01:28:55 Il y avait les assises du journalisme autour de la table.
01:28:58 Il y avait des jeunes qui étaient là,
01:29:00 et c'était vachement bien fait, parce que, pour une fois,
01:29:02 à l'inverse de cette configuration-là,
01:29:04 on n'a pas seulement réuni les patrons et les écoles
01:29:06 pour parler de la chose,
01:29:07 on a fait venir des jeunes qui étaient en école.
01:29:09 Vous verriez le décalage de représentation
01:29:11 entre ce que les jeunes demandent à l'école
01:29:13 et ce qu'elles demandent aux employeurs,
01:29:15 et ce que leur offre l'école comme perspective,
01:29:18 et ce qu'elles leur offrent en plus les employeurs
01:29:20 comme perspective, c'était assez passionnant.
01:29:22 Moi, bien sûr, et encore une fois,
01:29:24 si vous cherchez à me faire dire
01:29:26 que c'est de la faute de l'absence de management
01:29:28 que les gens n'en restent pas,
01:29:29 on va tomber dans ce mauvais débat entre la poule et l'œuf.
01:29:32 Mais...
01:29:34 (Propos inaudibles)
01:29:35 -Non, mais je pense qu'aujourd'hui,
01:29:38 ce qui n'arrangerait pas tous les gens
01:29:42 qui sont contre l'intermittence,
01:29:44 aujourd'hui, il y a quand même quelque chose
01:29:46 qui ressemble à ça,
01:29:47 qui est en train de s'inventer dans plein de secteurs.
01:29:48 En tout cas, moi, je le vois dans...
01:29:51 Moi, j'ai 400 salariés,
01:29:52 donc je passe mon temps à recruter.
01:29:54 Je peux vous dire qu'il y a cette aspiration
01:29:57 à s'affranchir d'un lien de subordination quel qu'il soit,
01:30:01 ou alors à en être sociétaires.
01:30:03 C'est-à-dire que...
01:30:04 Moi, j'aime bien cette idée-là aussi.
01:30:05 C'est-à-dire qu'il y a des cabinets
01:30:06 qui ont trouvé une solution un peu comme ça, finalement,
01:30:09 de se dire "je suis dans une coopérative,
01:30:11 "alors là, j'ai ma place,
01:30:12 "parce que du coup, j'ai ma place de liberté."
01:30:14 Mais je ne suis pas sûr que ça ait à voir
01:30:15 avec des questions de management,
01:30:17 ça a à voir avec des questions de gouvernance,
01:30:18 ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
01:30:20 -Peut-être pour rebondir sur ce que vient de dire Thierry
01:30:25 sur votre question,
01:30:27 mais également sur ce que disait Arnaud tout à l'heure,
01:30:29 à savoir la moindre appétence pour les fonctions support.
01:30:34 On en revient peut-être, justement,
01:30:36 à la question de départ qui nous réunit cet après-midi,
01:30:39 à savoir diriger autrement.
01:30:41 Est-ce que le découpage radical,
01:30:44 et on en parlait avec Thierry au démarrage de la réflexion,
01:30:47 le découpage radical entre...
01:30:50 Pardon d'être un peu caricatural,
01:30:51 mais pour bien faire comprendre l'idée,
01:30:54 entre l'artiste avec un grand A
01:30:57 et ceux qui, derrière, pédalent un peu les...
01:31:02 ont à gérer, finalement,
01:31:04 mettre les mains dans le cambouis et gèrent l'administratif,
01:31:07 les questions de personnel, les questions budgétaires,
01:31:10 les questions juridiques, les marchés,
01:31:11 les relations avec la tutelle, avec les collectivités locales,
01:31:16 est-ce que ce découpage n'est pas arrivé un peu à terme ?
01:31:22 Et je pense aussi que la non-attractivité aujourd'hui,
01:31:27 ou la moindre attractivité des fonctions support
01:31:30 tient également peut-être à la manière dont...
01:31:33 Partout, il ne faut pas généraliser de façon stupide,
01:31:36 mais dans un certain nombre de cas,
01:31:39 cette sectorisation, finalement,
01:31:43 entre l'artistique et l'administratif,
01:31:46 et la manière également d'exercer le primat de l'artistique,
01:31:52 a peut-être, à un moment donné, découragé ou dissuadé
01:31:57 ou écarté ou exclu un certain nombre de personnes
01:32:01 talentueuses dans leur domaine,
01:32:03 mais qui, peut-être, avaient une ambition également
01:32:06 d'être davantage associées,
01:32:09 de travailler de manière plus fluide et plus intelligente
01:32:14 avec l'artiste ou les artistes.
01:32:16 Je me demande si ce n'est pas également une cause aujourd'hui
01:32:19 de cette moindre attractivité et d'une désaffection relative.
01:32:26 - Oui, tout à fait.
01:32:27 Je pense qu'il y a eu des travaux super intéressants
01:32:30 qui ont été conduits là-dessus et qui montrent,
01:32:33 enfin, qui évoquent à quel point un certain nombre
01:32:36 de cadres spécialistes des fonctions-supports
01:32:39 en ont assez de...
01:32:41 Le chercheur en question, il s'appelle Mathieu Deschessard,
01:32:44 il dit de nourrir des machines de gestion.
01:32:47 Et j'aime beaucoup cette expression,
01:32:48 c'est-à-dire, à un moment donné, leur boulot n'a plus aucun sens.
01:32:51 Ils ne soutiennent pas les opérations concrètes d'un projet.
01:32:55 Et donc, ça revient quand même aussi à la question du management.
01:32:57 C'est-à-dire que, qu'est-ce qu'on manage ?
01:32:59 On manage des indicateurs ?
01:33:01 On manage des données, bureaux technos ?
01:33:05 Enfin bon, ou est-ce qu'au contraire,
01:33:07 on soutient une activité en train de se faire ?
01:33:09 Et là, effectivement, il y a à réinventer
01:33:12 ce que Richard Sennett appelle une éthique de la coopération.
01:33:17 C'est de dire que, voilà, l'action collective,
01:33:19 c'est un truc super noble,
01:33:21 et ce n'est pas quelque chose dans lequel
01:33:22 il y aurait un travail dominant,
01:33:26 le travail médical dans les hôpitaux ou les cliniques,
01:33:28 le travail artistique dans le secteur artistique ou de la culture, etc.
01:33:32 Mais c'est bien une éthique de la coopération
01:33:35 qui permet d'imaginer cette nouvelle dynamique de progrès.
01:33:40 Et sans cela, on est condamné effectivement à des caricatures
01:33:45 ou à des oppositions un peu stériles.
01:33:46 J'aime bien l'idée d'arrêter de nourrir des machines de gestion.
01:33:50 - Moi, ma réalité, Agnès,
01:33:54 elle n'est pas du tout celle que tu décris,
01:33:56 et elle n'était pas du tout comme ça non plus à Saint-Etienne.
01:33:58 Moi, j'ai l'impression que c'est un modèle qui n'existe plus
01:34:00 ou qui a déjà beaucoup, beaucoup évolué.
01:34:02 Moi, ce que je dirais, c'est que, en fait,
01:34:08 notre secteur, comme les autres,
01:34:10 est entraîné par la révolution en cours.
01:34:13 On est en train de changer de modèle de société de manière globale.
01:34:15 Enfin, on le voit bien, on le sent bien,
01:34:17 la question des valeurs, les co-responsabilités,
01:34:20 la manière dont les chefs d'établissement
01:34:27 aussi portent un certain nombre maintenant sur leurs épaules
01:34:29 des sujets de manière...
01:34:30 Parce que cette question que disait Jean, qui est très intéressante,
01:34:32 c'est le fait qu'on soit perçus au départ comme étant des artisans.
01:34:36 Le fait qu'on dise qu'on dirigeait du plateau,
01:34:38 le fait que Jean a dit qu'il était comédien,
01:34:40 moi, je suis metteur en scène, etc.,
01:34:42 que ça soit une force, une qualité, etc.
01:34:44 Là, moi, je vois bien que c'est absent total du champ de réflexion.
01:34:49 La question, c'est bel et bien les fiches de poste,
01:34:53 leurs canigrammes, les process, les négociations, etc.
01:34:59 Enfin, voilà.
01:35:00 Et la question de "sommes-nous une entreprise, oui ou non ?"
01:35:04 Question intéressante.
01:35:07 Parce que du coup, il y avait le mot "management",
01:35:08 mais il y a le mot "entreprise".
01:35:11 Au dernier CSE, mon délégué syndical dit,
01:35:13 "oui, quand même, cette question de l'entreprise."
01:35:16 Je me dis, tiens, c'est étonnant,
01:35:17 parce qu'en fait, l'histoire de la décentralisation,
01:35:20 les pères de la décentralisation, ils ont fondé des sociétés privées.
01:35:24 Tous les centres dramatiques sont des sociétés privées.
01:35:26 Il n'y a pas un établissement public en centre dramatique national.
01:35:29 À la base, c'était des SCOP, des coopératives ouvrières,
01:35:32 et ensuite, c'est devenu plutôt des SA ou des SARL.
01:35:34 Donc, quand vous êtes directeur de centre dramatique,
01:35:36 vous êtes PDG.
01:35:38 Et c'est quand même intéressant de se le redire.
01:35:41 Et par ailleurs, évidemment, on a toujours quelque chose
01:35:47 qui s'appelle les accords d'entreprise, quand même,
01:35:49 qui vont... Il y a le Code du travail,
01:35:51 il y a la Convention collective,
01:35:52 et puis après, il y a l'accord d'entreprise.
01:35:54 D'accord ? Et puis, par ailleurs,
01:35:56 quand on est salarié, du coup, de droit privé,
01:35:59 on est quand même content d'être dans ces accords d'entreprise,
01:36:01 parce qu'on a le droit au NAO,
01:36:03 aux négociations annuelles obligatoires,
01:36:05 alors que sinon, on est un fonctionnaire.
01:36:06 Donc, on a 3,5 % au 1er juillet après 8 ans de gel.
01:36:09 Donc, ce n'est pas exactement le même sujet.
01:36:11 Donc, il y a tout un tas de confusion.
01:36:12 Et cette confusion, elle vient, à mon avis,
01:36:14 sur la question des valeurs.
01:36:15 Parce que tout notre secteur est fondé
01:36:17 sur des convictions très puissantes,
01:36:19 qui sont issues du Conseil national de la résistance.
01:36:21 Donc, nous, on a la sensation qu'on est là pour...
01:36:25 C'est presque messianique,
01:36:26 qu'on est là pour déployer, rendre possible pour les autres
01:36:29 ce qui a été possible pour nous-mêmes,
01:36:31 apporter la culture pour tous, si je reprends mal le rôle,
01:36:34 faire rencontrer l'art avec le peuple.
01:36:36 Et on est toujours porteur de cette question-là,
01:36:38 et ça nous anime très, très, très fortement.
01:36:40 On cherche comment est-ce qu'on va faire,
01:36:41 comment est-ce qu'on va rencontrer des plus jeunes,
01:36:44 des gens éloignés de la culture, etc.
01:36:46 On déploie des trésors d'invention, d'atelier, d'expérience, etc.
01:36:51 Sauf qu'au même temps qu'effectivement,
01:36:53 on est probablement le pays du monde
01:36:55 qui a été le plus aidé pendant la pandémie, ça c'est sûr.
01:36:58 Mais en même temps, ça a pris un choc très frontal.
01:37:00 En même temps, c'est cette question du non-essentiel.
01:37:04 C'est-à-dire que du coup...
01:37:05 - Le secteur essentiel et non-essentiel,
01:37:07 la culture a été rangée du côté...
01:37:08 - Très, très, très puissant.
01:37:10 - Avec les libraires.
01:37:11 - Très, très puissant.
01:37:13 C'est-à-dire que du coup, les tournées...
01:37:15 Parce que la profession a pris une décision historique
01:37:17 pendant la pandémie, il faut quand même le saluer.
01:37:19 On a décidé de ne pas faire jouer la force majeure.
01:37:22 C'est-à-dire que du coup, on a décidé de payer les représentations
01:37:26 malgré le fait que ça ne joue pas.
01:37:28 Et comment payer les représentations ?
01:37:30 Les artistes, en tout cas pour le secteur du théâtre,
01:37:33 je sais bien parce que j'ai entendu la jeune femme
01:37:35 qui travaille dans les SMAC,
01:37:36 je pense que pour les musiques, ça a été beaucoup plus dur.
01:37:37 Mais en tout cas, dans le secteur du théâtre,
01:37:39 on a payé les tournées malgré que les tournées n'avaient pas lieu.
01:37:42 Donc les gens ont fait leurs heures
01:37:44 et donc ont pu continuer à avoir leur statut.
01:37:46 Et ça, c'est la question aussi de l'année blanche qu'il faut saluer.
01:37:48 C'est ce qui nous a permis tous de surnager.
01:37:51 Donc ça, c'est quand même exceptionnel.
01:37:52 Mais en même temps, on était payés pour être le cul sur notre canapé.
01:37:56 Donc heureusement qu'il y a eu quelques expériences.
01:37:58 Je me souviens, par exemple,
01:37:59 l'initiative de Wajdi au théâtre de la Colline.
01:38:02 Et donc du coup, mes élèves comédiens,
01:38:03 mes acteurs qui étaient au téléphone à lire des poèmes, etc.
01:38:07 Donc il y a eu des choses qui se sont inventées.
01:38:09 L'initiative d'Emmanuel de Marcimota au théâtre de la Ville,
01:38:12 le lien avec les hôpitaux.
01:38:14 Mais quand même, c'était comme...
01:38:17 Et le lien avec l'éducation nationale s'est brisé,
01:38:19 de mon point de vue aussi, à ce moment-là.
01:38:21 C'est-à-dire que du coup, c'est comme si on était chacun face à nos réalités.
01:38:24 Donc il y a quelque chose qui s'est raté à ce moment-là.
01:38:27 Mais aussi le fait que face à un événement exceptionnel,
01:38:30 c'est-à-dire qu'il fallait trouver des solutions exceptionnelles,
01:38:33 les administrateurs ou les DAF se sont retrouvés
01:38:36 à gérer des trucs qu'ils ne savaient pas gérer,
01:38:38 avec des questions juridiques qui étaient ahurissantes.
01:38:41 Et en plus, avec cette espèce d'épidémoclèse
01:38:44 sur l'obligation de sécurité pesant sur le chef d'établissement.
01:38:49 Là, il y a une forme de tétané, vous êtes collé contre le mur en disant
01:38:52 "c'est de votre faute si jamais je ne sais pas quoi".
01:38:54 Donc c'était quand même très particulier.
01:38:56 Et donc on ne peut pas s'étonner que maintenant,
01:38:57 ils sont tous devenus consultants, ils font de la mission,
01:39:00 ils sont tranquilles le soir, ils ne bossent plus le week-end,
01:39:03 ils sont payés trois fois plus à la facture.
01:39:06 Parce que par ailleurs, nos salaires ne sont pas non plus délirants.
01:39:09 - Vous allez faire fuir les jeunes de l'Assemblée ?
01:39:12 - On peut les faire revenir à mon avis par autre chose,
01:39:14 qui est par le sens.
01:39:15 Mais si le sens, ils y croient.
01:39:18 C'est-à-dire si nos institutions par ailleurs se transforment
01:39:21 et s'adaptent bel et bien à ce que les jeunes attendent de ces institutions.
01:39:25 Vincent parlait de la question du tiers-lieu.
01:39:28 Oui, d'une certaine manière, la métamorphose,
01:39:30 c'est d'arriver à être à la fois une institution
01:39:32 qui peut accompagner les artistes et les compagnies,
01:39:33 et en même temps garder cette agilité, cet esprit du tiers-lieu.
01:39:38 Et que les valeurs, égalité femmes-hommes,
01:39:42 diversité au centre, transformation écologique,
01:39:46 tout ce qu'attendent les jeunes,
01:39:47 que l'institution soit en capacité de dire "oui, c'est possible".
01:39:50 Et ça fait quand même un sacré challenge,
01:39:52 parce que du coup, ça veut dire qu'il faut qu'on se transforme à cet endroit-là,
01:39:55 qu'on invente un nouveau modèle économique,
01:39:57 parce qu'on n'est pas bien sûr quand même qu'on ait compris
01:39:59 que la subvention publique va augmenter.
01:40:01 On est même plutôt à peu près sûr d'avoir compris
01:40:03 que c'est plutôt l'inverse qui va se passer.
01:40:06 Et ça fait quand même un sacré défi.
01:40:08 Et pour affronter ce défi, il faut arriver à serrer les coudes,
01:40:11 parce que sinon, on fait le jeu du pouvoir qui cherche à nous diviser.
01:40:14 En tout cas, moi, c'est ma sensation.
01:40:15 - Une autre remarque, question ?
01:40:20 Une dame devant, directrice générale de l'Obs,
01:40:24 un petit, un fanzin qui s'appelle l'Obs.
01:40:26 - En fait, on vous écoute. - Julie Joly.
01:40:29 - Bonjour, pardon.
01:40:30 Vous avez en commun d'avoir à chaque fois une double casquette,
01:40:35 vous avez des parcours à la fois artistiques
01:40:38 et des fonctions de gestion.
01:40:41 On a parlé souvent de cette histoire de binôme à la tête des lieux.
01:40:46 Et ça, encore une fois, ça rappelle beaucoup les médias,
01:40:49 puisque, et pardon, mais le fait d'avoir été moi-même journaliste
01:40:53 et de diriger un journal, ce n'est pas pareil.
01:40:54 Moi, je pense que ça me permet de comprendre un peu différemment
01:40:59 ce qui se passe dans une rédaction.
01:41:01 Et en même temps, ça me met à un endroit, évidemment,
01:41:03 qui n'est pas celui de la rédaction.
01:41:05 Ce n'est pas facile à vivre ça, d'être dedans et en même temps dehors,
01:41:08 d'être parfois un peu oublié aussi ou en étau.
01:41:11 Mais ça fonctionne en tout cas aujourd'hui à l'Obs
01:41:15 parce que je suis en binôme avec une directrice de la rédaction
01:41:18 et qu'il y a entre nous un respect mutuel très fort.
01:41:22 Et qu'effectivement, le sens que moi, je trouve dans mon travail,
01:41:25 c'est d'être au service de son projet et de la rédaction.
01:41:30 Est-ce que ça, pour vous, cette idée d'avoir eu à la fois
01:41:33 cette double casquette, ce double parcours,
01:41:35 d'abord, est-ce qu'il est important ?
01:41:36 Est-ce qu'il faut, pour bien diriger un lieu,
01:41:38 avoir une expérience ou une connaissance artistique ?
01:41:41 Et où est-ce que vous trouvez vos binômes ?
01:41:43 - Moi, mon expérience... - Prenez le micro, Jean.
01:41:48 Parce qu'en fait, on est filmé.
01:41:49 - Mon expérience de plateau me nourrit tous les jours.
01:41:52 Parce que je peux entretenir une relation aux artistes en permanence.
01:41:58 Je...
01:42:00 Oui, j'ai une discussion de plateau.
01:42:08 Quand je vois une répétition, là, à ce moment,
01:42:11 je peux dire à Gosselin ou à un tel, il me semble que...
01:42:17 Voilà.
01:42:19 Mais c'est pas que ça me nourrit, c'est que c'est moi-même.
01:42:22 Et c'est ce qui m'anime pour après aller au combat.
01:42:28 Parce que nous menons des combats.
01:42:30 Et ce mot "messianique", je l'ai entendu,
01:42:33 parce que je travaille beaucoup sur Gabriel Monet actuellement,
01:42:36 et quand on les entend, les premiers de la décentralisation,
01:42:39 il y a quelque chose de messianique.
01:42:43 Ils ont quelque chose même de...
01:42:45 Il y a un discours qui tient de la magie.
01:42:48 Quand on voit le catalogue de photos de la comédie de Saint-Étienne,
01:42:56 des spectateurs, je ne sais plus comment ça s'appelle,
01:42:59 le photographe,
01:43:01 - Je vais revenir sur ça.
01:43:03 - Il y a quelque chose de ça.
01:43:06 Comment on amène les ouvriers de cette région-là
01:43:10 à écouter "L'école des femmes".
01:43:14 Donc c'est ce qui m'anime, moi.
01:43:16 Et comme je ne sais pas travailler seul,
01:43:19 parce que la réplique au théâtre, on peut faire en monologue,
01:43:24 mais ils vont me faire des...
01:43:27 Et toutes les grandes aventures théâtrales de Planchon, de Villa,
01:43:33 elles se sont faites en binôme,
01:43:36 avec un administrateur et un directeur artistique.
01:43:39 Ma vie est en permanence en échange avec Laurent Parigot,
01:43:44 ou Martin, ou Éric Barthes,
01:43:47 pour savoir jusqu'où je peux prendre le risque.
01:43:52 Sinon...
01:43:55 Et il me semble, et ça m'affraie souvent, je dis,
01:44:01 mais certains épics de mon voisinage
01:44:04 pourraient vivre sans le plateau.
01:44:07 - C'est ça.
01:44:11 - C'est-à-dire qu'il y a des structures administratives
01:44:15 qui ne se souviennent plus que...
01:44:18 Et même, des fois, je me dis que le plateau les ennuie.
01:44:23 Enfin, qu'il y ait un plateau, ça peut...
01:44:26 Mais pourquoi, finalement, il y a un plateau ?
01:44:30 Et donc, pourquoi il y a des artistes, pourquoi il y a des spectateurs ?
01:44:33 Et il me semble que si on ne replace pas
01:44:36 cette permanence artistique au cœur de nos maisons,
01:44:39 et c'est là où je pense que le réseau scène nationale,
01:44:45 tout ça doit être complètement repensé.
01:44:48 D'abord parce que le réseau scène nationale
01:44:51 a été conçu à un moment où le ministère parlait avec des maires
01:44:54 et non pas des présidents d'agglomérations et de métropoles,
01:44:57 et la relation est totalement différente.
01:45:00 Et plus largement, l'affaiblissement de la commune
01:45:04 participe de l'affaiblissement du rapport politique des Français
01:45:08 à leurs élus.
01:45:11 Or, les Français sont ontologiquement politiques.
01:45:14 Et il me semble qu'aujourd'hui, il faut délabéliser
01:45:19 pour mieux labéliser.
01:45:23 J'en suis sûr, parce que sinon, on s'expose
01:45:30 à ceux qui ont été nommés rapidement les DSP.
01:45:33 - Et les questions de service public ?
01:45:38 - Demain, des entrepreneurs iront voir nos élus
01:45:44 en leur disant "moi je vous prends les 22 000 m2
01:45:48 et ici les 23 hectares, et je suis en mesure
01:45:52 de vous offrir le dernier Waman Cho et le meilleur
01:45:56 orchestre baroque pour tant de personnel en moins
01:46:02 et tant d'argent en moins. Et tous vos soucis,
01:46:05 M. le Président, vous ne les avez plus."
01:46:08 Et je pense qu'on doit répondre à ça
01:46:11 par la présence artistique et l'audace.
01:46:14 - Alors le scénario que tu décris est déjà...
01:46:18 - C'est déjà un peu...
01:46:19 - C'est malheureux, mais c'est compliqué.
01:46:22 Nous, par exemple, on est passé à la guette hélérique d'une DSP...
01:46:25 - Il faut que je parte régler les problèmes de pluie.
01:46:28 - Merci Jean-Barret.
01:46:32 On vient de passer d'une DSP à une CSP.
01:46:35 - Sans venir se voir ici, t'as qu'à faire.
01:46:37 - Moi je pars dans 10 minutes, parce que j'ai un enfant à aller chercher.
01:46:40 Et donc on était en délégation de services publics,
01:46:43 qui était déjà un mieux par rapport à ce qu'on vient d'avoir,
01:46:47 mais on a répondu là désormais à une CSP, une concession de services publics,
01:46:50 avec 1,2 million de moins de la ville de Paris par an.
01:46:53 C'est-à-dire on arrive à 30% d'argent de la ville de Paris.
01:46:56 Ce même bâtiment, avant qu'il décide d'en faire une CSP,
01:46:59 il y a une très grande hésitation au sein de la ville de Paris
01:47:03 de dire "est-ce qu'on le vend tout simplement,
01:47:06 comme on a fait la bourse du commerce, comme on le fait pour d'autres,
01:47:09 on peut mettre soit un très grand Zara, soit mettre un très grand théâtre privé.
01:47:13 Et derrière, on sait très bien qu'aujourd'hui,
01:47:16 il y a plein de gros acteurs qui sont à cheval
01:47:20 entre l'entertainment, le luxe et autres,
01:47:22 qui peuvent se faire le cadeau de s'acheter une gaieté lyrique
01:47:25 et c'est 9000 m² en troisième arrondissement.
01:47:27 C'est possible. Et on échappe.
01:47:29 Après pour la question de la direction, moi je ne suis pas artiste,
01:47:33 même si j'exerce par ailleurs des fonctions créatives aussi dans d'autres secteurs,
01:47:38 mais c'est clair qu'on sait qu'il y a eu un découpage de la scène nationale,
01:47:42 directeur classique, un CDN, directeur artiste,
01:47:45 un CCN, directeur artiste, un CDC, directeur classique.
01:47:48 Bon, ça a été des découpages comme ça.
01:47:51 Le tout, c'est que quoi qu'il arrive aujourd'hui, et je rejoins,
01:47:54 on est dans des technostructures tellement complexes qu'évidemment,
01:47:57 un artiste ne peut pas faire cavalier seul dans la direction d'un lieu,
01:48:01 parce qu'on n'a pas cette compétence-là.
01:48:05 Donc on est naturellement dans des binômes avec des gens qui ont une vraie expertise
01:48:09 de la complexité structurelle des choses.
01:48:11 Moi par ailleurs, au-delà de mes fonctions, je travaille en production,
01:48:14 je fais depuis très longtemps, dans ce contemporain,
01:48:17 je produis le travail de Xavier Leroy et de Mathilde Monnier.
01:48:19 Mathilde, avec qui je travaille depuis plus de 20 ans,
01:48:22 parce qu'elle m'avait fait l'honneur, au Centre chorégraphique à l'époque.
01:48:25 Mathilde, à un moment donné, on lui a proposé de prendre la direction du CND,
01:48:33 le Centre national de la danse, pour la première fois,
01:48:36 proposer à une artiste d'être à la direction, mais lui proposer,
01:48:40 non pas en tant qu'artiste, lui proposer en tant que directrice générale,
01:48:43 qui n'avait plus le droit, dans le cadre de l'exercice de sa fonction,
01:48:46 d'exercer son métier d'artiste au sein du CDN.
01:48:49 Là, on se dit, tiens, est-ce que ça va révolutionner quelque chose ?
01:48:53 Oui, entre guillemets, ça a fait des grandes avancées.
01:48:56 Camping est né, il y a des grands projets structurants,
01:48:59 mais ça a été une énorme déflagration aussi.
01:49:01 Je me rappelle de Mathilde, c'est au bout de six mois,
01:49:04 qui est un peu honteuse, me disait "je vais arrêter, c'est pas possible".
01:49:07 On ne me parle que de négociations, effectivement, de NAO,
01:49:10 de choses pour lesquelles on l'avait toujours protégée.
01:49:13 Moi, ça faisait sept ans que je travaillais au Centre chorégraphique avec elle,
01:49:16 où elle était directrice, mais avec un directeur délégué.
01:49:19 Et nous, tout notre rôle à nous, c'était de la protéger de tout ça,
01:49:22 pour qu'elle ait une liberté de créer la plus grande possible.
01:49:24 Mais c'est vraiment, on se le figurait comme ça, on disait,
01:49:27 avec toutes les emmerdes, on lui évite, on évite, on évite, il faut qu'elle soit là.
01:49:31 Après, c'est un peu romantique, mon histoire.
01:49:33 Mais ce que je veux dire, c'est que la nécessité de ces binômes, elle est importante,
01:49:39 mais elle est importante aussi de les valoriser à part entière.
01:49:42 C'est-à-dire que je pense qu'il y aurait une vraie nécessité à mettre
01:49:48 la compétence artistique et cette compétence structurelle
01:49:52 de façon assez valorisée au même endroit, parce qu'on est trop manichéen.
01:49:57 Soit on survalorise l'artiste qui a la direction d'un lieu,
01:49:59 soit on survalorise le technicien qui a la direction d'un lieu.
01:50:03 Et dans les deux cas, ça ne fait pas du bien en termes de représentation
01:50:07 aux binômes absents.
01:50:09 - Merci. Est-ce qu'il y a une dernière remarque, question ?
01:50:12 Ah, une dame ici.
01:50:14 Si vous voulez y aller, Vincent, il ne faut pas que votre enfant
01:50:21 reste à pleurer devant l'école, ce serait terrible.
01:50:24 - Bonjour, je suis Elie Soma, administratrice générale
01:50:29 du Théâtre des 13 Vents, centre dramatique national de Montpellier.
01:50:33 Merci beaucoup pour ces échanges.
01:50:36 Je partage la majorité des constats qui ont été faits,
01:50:43 en particulier par vous, Arnaud Meunier.
01:50:46 Moi, je suis jeune administratrice et pas encore partie élevée
01:50:51 des chèvres en Lozère, même si effectivement,
01:50:54 c'est ce qu'on entend beaucoup, que nos métiers sont effectivement
01:50:59 difficiles en termes d'administration.
01:51:01 Mais ce qui me frappe le plus, moi, en ce moment,
01:51:04 en termes de perte d'attractivité de notre secteur,
01:51:07 puisque effectivement, je constate aussi des difficultés
01:51:11 plus grandes à recruter aujourd'hui qu'il y a quelques années,
01:51:14 c'est...
01:51:16 Alors, ça a été évoqué par plusieurs personnes,
01:51:19 mais d'abord, le contexte financier, effectivement,
01:51:21 dans nos structures de services publics fortement fragilisées
01:51:25 aujourd'hui.
01:51:26 Je vous donne un exemple.
01:51:28 Là, en deux semaines, j'ai reçu deux demandes de reclassement
01:51:31 d'autres théâtres qui mettent en place des licenciements économiques.
01:51:34 Et donc là, je me dis, voilà, c'est pas rien.
01:51:38 Ils ont cette obligation de consulter les autres théâtres
01:51:41 et donc, voilà, je commence à en recevoir.
01:51:43 Nous, quand on a des départs en retraite,
01:51:45 on remplace pas nécessairement, on remplace sur des mi-temps.
01:51:49 Voilà, on est dans des contraintes financières
01:51:51 qui sont vraiment de plus en plus importantes
01:51:54 et qui vont, en fait, avoir un impact,
01:51:57 qui commencent déjà à avoir un impact important sur l'emploi.
01:52:01 Donc ça, ça me semble... Voilà, c'est toujours pareil.
01:52:03 C'est le nerf de la guerre.
01:52:04 Ça fragilise évidemment nos activités, déjà,
01:52:07 avec des baisses d'activité, des choix à faire,
01:52:10 effectivement, avec des structures
01:52:12 qui reposent sur de l'emploi permanent et aussi intermittent,
01:52:15 mais donc qui vont avoir des répercussions fortes
01:52:18 de plus en plus, je pense, pour les années à venir.
01:52:21 Et je partage totalement l'analyse sur la sortie de crise Covid,
01:52:24 où, effectivement, on a pu avoir des aides pendant 2 ans,
01:52:27 et là, on se retrouve en grande difficulté,
01:52:30 je dis "nous", mais au sens du réseau des scènes labellisées
01:52:35 et à l'échelle du syndéat,
01:52:37 des difficultés qui sont vraiment importantes.
01:52:41 Voilà, donc moi, c'est vrai que je m'interroge
01:52:44 sur cette question des emplois,
01:52:46 de ce qui a été évoqué au début, aujourd'hui,
01:52:49 sachant que je pense qu'il y aura, dans les années à venir,
01:52:53 moins de postes, il faut se rendre à l'évidence,
01:52:55 moins de compagnie, pour le plan artistique.
01:52:58 Voilà, donc comment on fait face à ça ?
01:53:00 Quel tournant on prend ?
01:53:02 Voilà, c'est des questions que je trouve passionnantes
01:53:04 à se poser aujourd'hui.
01:53:06 Et le deuxième point sur lequel je voulais insister,
01:53:09 c'est la question de l'administrativisation forte
01:53:13 de nos métiers,
01:53:16 qui, effectivement, a été évoquée tout à l'heure aussi
01:53:18 par Mme Sall.
01:53:20 Je pense que, voilà, sur la question du sens,
01:53:23 on est tous, aujourd'hui, là, noyés, effectivement,
01:53:27 d'indicateurs, de données à rendre,
01:53:30 et d'un cadre aussi réglementaire et légal
01:53:33 qui est très, très fort pour nos structures,
01:53:36 et qui, effectivement, vient, à un moment donné,
01:53:38 écraser le sens qu'on peut avoir,
01:53:41 même s'il est toujours là.
01:53:43 Et je tiens à le dire, même, moi, j'ai une comptable
01:53:45 qui est passionnée de théâtre,
01:53:46 et c'est le cas de la plupart, en fait, des gens de l'équipe,
01:53:50 qui sont en attachement très, très fort à notre théâtre
01:53:53 et aux projets des co-directeurs.
01:53:56 Voilà.
01:53:57 Mais néanmoins, voilà, je dirais qu'il y a l'administrativisation
01:54:00 et le numérique aussi, qui va aussi un peu avec,
01:54:03 mais qui, comme partout dans la société,
01:54:06 on a l'impression que ça nous simplifie les choses,
01:54:09 mais souvent, ça nous éloigne,
01:54:11 donc, perte de sens aussi,
01:54:13 et puis, ça complique aussi notre travail.
01:54:16 Voilà.
01:54:17 -Merci beaucoup pour ce témoignage.
01:54:19 Est-ce que...
01:54:21 Alors, une dernière remarque,
01:54:23 car il y a des trains à prendre, figurez-vous.
01:54:26 -Et nous devons rendre le théâtre.
01:54:27 -Et nous devons rendre le théâtre, par ailleurs.
01:54:28 À un moment, il va falloir partir, messieurs, dames.
01:54:30 Ça ne va pas être possible, ça.
01:54:32 Donc, dernière question.
01:54:33 -Juste un constat, je travaillais dans un opéra municipal
01:54:39 comme directeur technique,
01:54:40 et d'un seul coup, la municipalité m'a convié
01:54:42 à un parcours de formation autour du management,
01:54:44 et je me suis retrouvé, on m'a dit, "Voilà, vous êtes manager."
01:54:48 Et là, moi, je me suis braqué, vraiment.
01:54:50 J'ai dit, "Non, je ne suis pas manager,
01:54:51 "je suis directeur technique."
01:54:53 Alors, depuis que j'ai évolué,
01:54:55 j'en arrive à dire aujourd'hui,
01:54:57 je suis directeur technique avec des missions de manager,
01:55:01 mais je ne suis pas un manager, je fais un métier de patient.
01:55:03 Ça, c'était, voilà, un témoignage.
01:55:06 Et sur la passion et sur le sens,
01:55:08 pour lire les offres d'emploi qu'il y a aujourd'hui
01:55:10 dans "Le spectacle vivant",
01:55:11 je suis désolé, mais elles ne feront pas envie,
01:55:13 les offres d'emploi.
01:55:14 Elles parlent, elles décrivent toutes des missions de management.
01:55:18 On ne parle pas de sens, on ne parle pas d'envie,
01:55:21 on ne parle pas de participation au travail du plateau,
01:55:24 ou très peu, je trouve que c'est mis de côté.
01:55:26 Et donc, si on répond à la lettre, à ces offres d'emploi,
01:55:29 on s'éloigne du plateau, on s'éloigne du sens.
01:55:32 -Peut-être Thierry ?
01:55:35 -Oui, peut-être.
01:55:36 -Voulez-vous dire un mot là-dessus ?
01:55:38 Ah non ? S'il vous plaît, non ?
01:55:40 Vous les avez tous séchés, bravo, monsieur.
01:55:43 -Je peux vous lire juste quelque chose ?
01:55:45 -Prenez le micro.
01:55:46 -Eve Chiapello, son bouquin, il date de 1998, j'ai vérifié.
01:55:50 Oui, elle en a réécrit après plusieurs articles,
01:55:54 et elle démarre, j'ai un petit article,
01:55:57 je voulais répondre au monsieur, j'avais envie de vous lire ça,
01:55:59 je trouve ça extra, pardon.
01:56:01 Chiapello, où elle est ?
01:56:03 Non, alors attendez, j'ai une promesse de Gascon.
01:56:08 Où est-ce qu'elle est, Chiapello ?
01:56:10 -Qui est Eve Chiapello ?
01:56:12 -Eve Chiapello, franchement...
01:56:15 Thierry, aide-moi pendant que je cherche...
01:56:17 -Sociologue du travail.
01:56:19 -Je ne sais pas très bien.
01:56:20 -Sociologue du travail qui a travaillé avec Boltanski
01:56:24 sur la question aussi des économies-monde,
01:56:28 qui sont aussi des choses intéressantes
01:56:30 sur comment on se représente dans notre univers.
01:56:32 Ca dit des choses de ce que vous venez de dire
01:56:34 sur qui je suis, en fait.
01:56:36 Je suis un manager ou j'ai un métier ou j'ai une fonction.
01:56:40 Et d'ailleurs, dans notre société aujourd'hui,
01:56:42 c'est le vrai problème.
01:56:43 On ne sait plus si on a un métier ou une fonction.
01:56:48 -Eve, elle écrit au sujet d'une représentation
01:56:50 de Lina Chevet et de Schubert.
01:56:52 "1. L'orchestre contre 4 oboïstes.
01:56:55 "Ceux-ci n'ont rien à faire pendant de longs moments.
01:56:57 "Leur nombre pourrait être réduit
01:56:58 "et leur travail mieux réparti tout au long du concert.
01:57:00 "Les 12 violonistes jouent à l'unisson.
01:57:02 "Un cas de prolifération de postes superflue.
01:57:04 "Leur nombre doit être réduit considérablement.
01:57:07 "Si on désire obtenir un volume sonore d'une certaine ampleur,
01:57:09 "on peut y parvenir au moyen d'amplificateurs électroniques."
01:57:12 Je suis presque finie.
01:57:13 "La production de demi-tons à raffinement superflu
01:57:16 "exige trop de temps.
01:57:17 "Il serait souhaitable de les supprimer
01:57:19 "en relevant toutes les notes.
01:57:20 "On pourrait recourir au service de débutants
01:57:22 "et dépendre beaucoup moins de spécialistes hautement qualifiés."
01:57:25 Je termine.
01:57:26 "Nombre de passages sont répétés trop souvent.
01:57:29 "Il est superflu, par exemple, que les instruments avant
01:57:31 "reprennent une mélodie déjà jouée par les violons.
01:57:33 "Après l'élimination de tous les passages inutiles,
01:57:36 "il serait parfaitement possible d'exécuter le concert en 20 minutes
01:57:39 "au lieu des deux heures nécessaires actuellement."
01:57:41 Si l'auteur Schubert avait travaillé de façon plus rationnelle,
01:57:45 il serait certainement parvenu à achever cette symphonie.
01:57:48 (Rires)
01:57:50 (Applaudissements)
01:57:53 -Merci beaucoup.
01:57:54 C'est sur ces mots à la fois absurdes et drôles
01:57:56 que nous avons terminé cet échange.
01:57:57 Merci à vous d'avoir été ici avec nous.
01:58:01 Et puis, on vous donne rendez-vous pour de prochaines réflexions
01:58:05 sur ces questions que nous n'avons pas finies de traiter
01:58:08 l'Obs et l'Optas. Merci beaucoup !

Recommandations