Face à l'Info Été (Émission du 06/08/2023)

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Tous les soirs et pendant tout l'été, les chroniqueurs de #FacealinfoEte débattent de l'actualité du jour de 19h à 20h

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00:00 Bonsoir à tous, ravi de vous retrouver sur CNews, vous regardez Face à l'Info, même
00:05 l'été ce soir, Nathan Devers, Raphaël Stainville et Paul Sujit sont mes invités,
00:10 bonsoir messieurs, merci beaucoup d'être avec nous, je vous présente les thèmes dans
00:14 quelques instants, mais d'abord, c'est le journal de la rédaction présenté ce soir
00:17 par Clémence Barbier.
00:18 Un adolescent de 17 ans a été tué cette nuit dans un accident dans un parc d'attraction
00:26 du Cap d'Agde, une femme de 19 ans est gravement blessée, elle a été transportée au CHU
00:31 de Montpellier en urgence absolue.
00:32 Les deux victimes auraient chuté dans le vide en percutant des objets.
00:36 Quatre hommes, dont le gérant du loup-nappard, ont été placés en garde à vue.
00:40 Ils sont actuellement entendus par les enquêteurs.
00:42 La commission test pré-jeux olympiques de natation en eau libre a finalement été annulée.
00:49 Initialement, elle devait se dérouler hier dans la Seine.
00:52 La raison, une trop forte pollution du fleuve pour que les nageurs puissent s'y baigner.
00:57 Et malgré ce raté, les autorités assurent rester confiantes en vue des jeux.
01:01 En Italie, au moins 30 migrants portaient disparu après deux naufrages de deux bateaux
01:07 au large de l'île italienne de Lampedusa en raison de mauvaises conditions météorologiques.
01:12 Les bateaux étaient de petites embarcations de métal, apparemment partis jeudi de Sfax
01:17 en Tunisie.
01:18 Les gardes de côte italiens ont pu récupérer 57 survivants, mais ont retrouvé deux corps,
01:23 celui d'une femme et d'un mineur.
01:24 Merci beaucoup Clémence Barbier pour ce point complet sur l'information.
01:30 Au sommaire ce soir, c'est une lettre ouverte en forme de cri du cœur que signent des familles
01:35 de victimes dans le JDD.
01:37 Un sentiment d'abandon partagé dans les mots de ces familles qui se sentent ignorées.
01:41 Alors comment expliquer ce silence médiatique et politique autour de certaines affaires ?
01:46 Est-ce le symbole d'une France délaissée, voire oubliée ? Raphaël Stainville tentera
01:51 de répondre à ces questions.
01:52 Est-il encore possible de déconnecter lorsqu'on part en vacances ? 7 français sur 10 continuent
01:59 de répondre aux mails et aux appels professionnels même pendant leur congé.
02:03 Une tendance d'autant plus frappante chez les jeunes pour qui il est souvent plus difficile
02:07 de poser des limites.
02:08 Que dit ce phénomène sur notre rapport au travail ? Nathan Devers nous apportera son
02:12 éclairage.
02:13 Et puis nous irons aux Etats-Unis où le nombre de divorces explose.
02:17 Chez les plus de 50 ans, de plus en plus de seniors américains vivent seuls.
02:21 Un phénomène qui s'explique en partie par l'indépendance financière au sein des
02:25 couples et par la levée des tabous sur le mariage.
02:28 Alors quelles conséquences pour le niveau de vie des plus âgés aux Etats-Unis ? Et
02:31 surtout, qu'est-ce que cette tendance nous dit sur la société américaine et les bouleversements
02:36 qui la traversent ? On verra ça avec Paul Sujit.
02:39 Enfin, nous vous parlerons des inondations en Chine.
02:41 Les autorités ont décidé de sacrifier des villes de la banlieue de Pékin afin de préserver
02:46 la capitale des effets dévastateurs des pluies d'Illuyen.
02:50 Un choix qui pose question pour les habitants et plus généralement sur le rapport des
02:54 autorités chinoises à leur population.
02:57 Nathan Devers décryptera pour nous cette situation.
03:00 On commence avec vous Raphaël Stainville, aujourd'hui dans une lettre ouverte à Emmanuel
03:18 Macron que publie le journal du dimanche.
03:20 Des familles de victimes interpellent le chef de l'État.
03:23 Que demande-t-elle à Emmanuel Macron ?
03:26 Cette lettre ouverte à Emmanuel Macron a une genèse et elle fait d'abord écho à
03:32 un cri de colère et de douleur d'une maman, la maman d'Enzo, qui quelques jours s'était
03:38 exprimée dans les colonnes du Figaro, avait répondu à une interview.
03:42 Quelques jours après que son fils ait été tué d'un coup de couteau dans un petit village
03:50 normand, elle s'indignait.
03:53 Pourquoi ne parle-t-on pas de mon fils ? Parce qu'il ne vient pas d'une petite commune
03:57 de 1400 habitants, parce que nous sommes restés dans le respect, le silence et le calme.
04:01 Pourquoi notre chef de l'État ne vient pas nous rendre hommage ?
04:04 Derrière l'interpellation de cette maman endeuillée, il fallait lire la douleur de
04:11 toutes ces familles de victimes qui n'intéressent personne ou si peu de monde.
04:16 Ce qui est nouveau et pour ne pas dire assez inédit, c'est que jusqu'à présent, le
04:21 traitement médiatique de ces drames, de ces tragédies, pris isolément l'une après
04:27 l'autre, l'une chassant l'autre, comme pour oublier à chaque fois la précédente,
04:34 contribuait à donner l'impression, à entretenir en tout cas l'impression que ces drames n'étaient
04:38 qu'une succession de faits libaires.
04:40 Le fait même que ces familles s'expriment ensemble change la donne.
04:44 Et que disent ces familles de victimes ?
04:46 À mon sens, elles disent deux choses.
04:49 La première, et c'est ce que j'esquissais déjà à l'instant, c'est qu'en s'exprimant
04:53 ensemble, elles refusent que leurs drames soient considérés comme de simples faits
04:56 divers.
04:57 La lettre s'intitule « Nous ne sommes pas des divers ». C'est la manière dont
05:02 ils interpellent le chef de l'État dans le JDD.
05:04 Ce sont les parents d'Enzo, mortellement poignardé à la haie malherme, bien sûr,
05:09 qui signent cette lettre.
05:10 La maman de Maïlis, enlevée et tuée en 2017 à Pont-de-Bois-Voisin.
05:14 La mère de Grégory, marisadée, mortellement poignardée dans une rue d'Échirol.
05:21 En 2015, la femme et les filles de Philippe Monguillot, décédées des suites d'une
05:27 agression au volant de son bus, vous vous souvenez, en 2020 à Bayonne.
05:31 Et d'autres victimes encore qui s'expriment et qui signent cette lettre.
05:35 Alors, qu'est-ce qu'ils disent ? Ils disent que justement, ces drames dessinent
05:41 le visage d'une société inquiétante, une société dans laquelle des enfants, des
05:47 jeunes, des adultes ou des personnes âgées voient leur vie fracassée par des criminels
05:52 au profil trop récurrent.
05:54 En d'autres termes, ce qu'ils disent, c'est que ces faits divers, ce sont des faits de
05:58 société et il faut les analyser comme tels.
06:00 Ça, c'est la première chose.
06:01 Ça dit à la fois l'ensauvagement grandissant qu'on a l'habitude de commenter, mais aussi,
06:10 c'est la deuxième chose qu'ils disent à travers cette lettre, ils expriment aussi
06:13 d'une certaine manière la faillite de l'institution judiciaire ou le mépris parfois dans lequel
06:18 ils sont tenus.
06:19 C'est là ce qu'il faut retenir, je pense, d'essentiel dans cette lettre.
06:24 Ces familles se sentent abandonnées.
06:26 Elles ne réclament pas vengeance, mais de la considération, de la commisération même,
06:31 de l'écoute et non du mépris ou du silence.
06:33 À commencer donc par la justice qui trop souvent privilégie le droit des mises en
06:38 cause à celui des victimes et des familles des victimes.
06:41 Donc permettez-moi pour ne pas les trahir de lire précisément ce que ces familles
06:46 de victimes disent dans leur lettre.
06:48 Ce que nous avons en commun, au-delà du profil de nos agresseurs, c'est un parcours judiciaire
06:54 blessant.
06:55 Là encore, nous savons que la justice est faite pour punir les mises en cause, pour
06:59 protéger la société, pour prévoir leur réinsertion.
07:03 Mais nous aimerions simplement qu'elles se souviennent aussi qu'elles rendent la
07:07 justice à des victimes qui méritent un minimum de considération.
07:11 Nous ne mettons pas en cause le personnel judiciaire souvent dévoué, mais une institution
07:16 froide, débordée, lente, que les politiques ont centré sur les droits des mises en cause,
07:23 oubliant ceux des victimes.
07:25 Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'à la douleur que vivent ces familles, il faut
07:30 souvent ajouter le calvaire judiciaire de ces familles qui ont l'impression que le
07:34 droit des prévenus, c'est ce qu'ils disent, prime sur le droit des victimes.
07:38 Que faut-il entendre lorsque les familles de victimes parlent de mépris ou de l'indifférence
07:44 de l'institution judiciaire ?
07:46 Je vais vous donner quelques exemples qui vont éclairer ce mépris qu'expriment ces
07:52 familles à l'égard de l'institution judiciaire.
07:54 C'est l'exemple de Lauriane.
07:56 Elle avait 15 ans lorsqu'elle a subi un viol collectif dans son petit village.
08:00 Les criminels ont pris six ans de prison, certes, ils y sont restés à peine plus de
08:04 quatre ans.
08:05 Harcelée par la famille de l'un de ces violeurs, je crois qu'elle intervenait sur
08:08 votre antenne aujourd'hui, qu'elle témoignait, Lauriane a fini par déménager.
08:13 Vous trouvez ça normal ? C'est encore l'histoire affreusement banale de Stéphane et Sylvie.
08:18 Ils vivaient dans un HLM depuis trois ans, étaient régulièrement obligés d'aller
08:23 loger les jeunes qui dealaient, qui squattaient, qui dealaient dans leurs cages d'escalier
08:29 et jusqu'à se faire agresser en Réunion le 9 novembre 2022.
08:33 Une peine ferme mais aménageable a été prononcée à l'encontre de l'un des agresseurs,
08:40 le seul d'ailleurs poursuivi, malgré une récidive.
08:42 Eux ont été obligés de déscoloriser leurs enfants, menacés pendant deux mois, avant
08:47 de devoir déménager.
08:49 Est-ce que c'est normal ? Et je ne parle pas de ces familles de victimes
08:53 qui ont vu l'un des leurs mourir.
08:55 Le meurtrier sera peut-être condamné à la perpétuité mais elle ne sera pas réelle.
09:00 A l'inverse, ces familles ont été condamnées à souffrir à perpétuité.
09:04 Ce qu'ils disent, c'est que l'institution judiciaire ne pense pas suffisamment à eux.
09:10 Est-ce que cela passe par la création, comme le réclame d'ailleurs Juliette Méadel,
09:14 interviewée aussi dans le JDD, par un service public de lettre aux victimes ?
09:21 Je ne peux pas le répondre.
09:22 Mais ce qui est certain, c'est que le chef de l'État, le ministre de la Justice,
09:26 devrait pouvoir leur répondre.
09:28 Toujours dans le JDD, Maître Rajon esquisse un certain nombre de pistes
09:32 qui seraient nécessaires pour que ces familles de victimes, ces victimes parfois aussi,
09:37 voient la justice soucieuse de leur cas.
09:41 Ça commence dès la manière dont on peut porter plainte.
09:46 C'est aussi vrai lorsque il y a un procès dans la manière dont on va essayer d'éviter
09:51 que les familles de victimes croisent ou patientent en même temps
09:56 dans les mêmes salles que les prévenus.
10:00 Il y a tout un tas de choses.
10:01 C'est aussi le fait de pouvoir peut-être alerter, renseigner ces familles
10:06 de l'évolution de la procédure.
10:09 Ils sont le plus souvent dans le flou et le silence complet de certaines institutions judiciaires.
10:14 Il y a une réponse qui s'impose, une réponse qu'ils demandent
10:17 au chef de l'État et au ministre de la Justice.
10:20 Messieurs, de manière courte, que vous évoque cette tribune,
10:23 cette lettre ouverte que j'imagine vous avez lue, ce sentiment d'abandon
10:26 qui est partagé par un certain nombre de familles de victimes.
10:28 Paul, est-ce que ça vous a évoqué de lire ces témoignages ?
10:32 Ils sont très touchants, ces témoignages, d'abord parce que contrairement à ce que l'on peut imaginer
10:37 lorsque des victimes s'expriment, d'abord il n'y a absolument aucune soif de vengeance.
10:41 On le voit bien, chaque mot est pesé dans cette lettre.
10:45 Il y a une conscience aussi qu'il y aurait quelque chose d'irréaliste
10:49 à vouloir éliminer le crime si vous voulez.
10:51 Évidemment que la victime finalement poussera toujours un cri de souffrance
10:56 qui sera inextinguible et quels que soient les progrès que l'on peut espérer pour notre civilisation,
11:01 le crime malheureusement semble trop ancré dans la nature humaine
11:04 pour qu'il soit un jour possible de l'extirper complètement.
11:06 Simplement ce qu'ils disent c'est que les faits qui les ont soient endeuillés, soient profondément meurtris,
11:13 ne sont pas d'une nature simplement criminelle au sens banal
11:17 ou quasiment au sens du hasard de ce que cela peut revêtir,
11:21 mais qu'il y a des faits communs, des similitudes troublantes
11:23 et notamment les parcours judiciaires de la plupart des bourreaux qui les ont fait souffrir,
11:28 il y a des failles béantes qui font qu'effectivement ils se sentent solidaires
11:31 et même ils se sentent appartenir à une forme de communauté de malheureux
11:36 pour qui ces faits-là auraient pu être évités.
11:40 Je ne sais plus la phrase exacte mais ils disent "nous appartenons à la famille de ceux qui auraient dû".
11:45 C'est-à-dire nos agresseurs ou les agresseurs de nos enfants, de notre mari etc.
11:51 auraient dû se trouver en prison, auraient dû avoir un suivi judiciaire plus strict
11:56 et ça n'a pas été le cas.
11:58 Donc la nature si vous voulez évitable de chacun de ces crimes
12:01 compte tenu des parcours judiciaires à chaque fois des agresseurs
12:03 évidemment pose question et appelle à des réponses politiques fortes.
12:06 - Mme de Verre, il y a l'horreur qui touche ces familles
12:09 et puis il y a aussi le silence, l'abandon qu'elles ressentent après
12:12 et ça c'est aussi une réponse que l'État doit apporter selon vous ?
12:15 - Oui alors il y a plusieurs choses, je n'ai pas lu la lettre dans son intégralité
12:18 mais j'ai écouté votre éditorial, il y a plusieurs choses à mon avis.
12:22 D'abord je n'aime pas l'expression de "faits divers"
12:24 parce que "faits divers" ça signifie juste très concrètement d'un point de vue journalistique
12:28 que ce sont des faits dont on ne sait pas dans quelle rubrique on devrait les mettre
12:32 si on devait les classer.
12:33 - Ce ne sont pas des faits divers.
12:34 - Donc oui le terme en fait est problématique, c'est un petit peu comme si vous voulez le reste
12:38 le reste des pêches AFP dont on ne sait pas à quelle catégorie les situer.
12:44 Je parlerais plutôt de "faits tragiques"
12:46 et "faits tragiques" ça suppose évidemment de reconnaître la souffrance absolue
12:50 des familles, des proches et même des habitants des villages ou des quartiers concernés
12:55 et de la reconnaître d'autant plus qu'on ne peut pas se mettre à leur place
12:57 qu'on ne peut pas imaginer ce qu'ils ressentent et que c'est de l'ordre de l'inimaginable.
13:00 Ensuite il y a à mon avis deux choses à dire.
13:02 Décrire la justice comme une institution froide, à mon avis ce constat est juste
13:06 encore une fois moi je n'ai jamais été confronté à ce genre de situation
13:08 de perdre un proche et d'être confronté à la justice
13:10 mais je pense que ce constat est juste
13:12 mais que ce constat en fait est la définition même de la justice
13:14 et que la justice précisément dans un état de droit
13:17 elle est là pour punir les coupables et elle est là pour rendre justice
13:21 mais avec si vous voulez en passant par le tiers.
13:23 Donc on sort de la logique de la pitié et on sort naturellement aussi de la logique de la vengeance.
13:27 Donc je ne suis pas sûr qu'on puisse projeter sur la justice le fait de réparer un drame
13:32 et d'ailleurs très souvent c'est dans les témoignages dans des procès criminels
13:35 ou parfois même pour terrorisme, on attend du procès que ce soit comme une réparation
13:39 peut-être qu'il y a là une sorte de présupposé qui doit être remis en cause.
13:42 Et deuxièmement, je ne suis pas sûr non plus que les faits tragiques
13:46 soient la bonne porte d'entrée pour un débat politique
13:48 sur la délinquance et sur la criminalité, pour deux raisons.
13:51 D'abord parce qu'évidemment ils suscitent l'émotion, ils suscitent le scandale,
13:54 ils suscitent l'indignation et je ne pense pas que ce soit
13:57 dans la chaleur de ces émotions qu'on puisse avoir un débat rationnel
13:59 et deuxièmement pour une raison statistique.
14:01 C'est qu'à supposer que le nombre de crimes par an soit divisé par deux demain en France
14:07 et bien on continuera d'observer des faits tragiques, il y en aura deux fois moins.
14:10 Mais si vous voulez, si on se cantonne à l'étude des faits tragiques
14:13 on ne verra pas de changement dans la perception de ce qu'est la criminalité en France.
14:17 Or ça aura été divisé par deux et idem si c'est multiplié par deux aussi,
14:20 d'ailleurs dans les deux sens ça fonctionne.
14:21 Donc il me semble que sur ces sujets-là, il faut avoir une approche "purement rationnelle"
14:26 de voir comment, année par année ou mois par mois,
14:30 qu'en est-il de la délinquance, qu'en est-il de la criminalité dans la société française.
14:35 Alors on va complètement changer de sujet mais on reste avec vous Nathan Devers.
14:39 Vous allez nous parler de la déconnexion pendant les vacances.
14:41 On sait que c'est parfois compliqué.
14:43 Alors le Figaro a publié hier un article sur le fait que les jeunes particulièrement
14:47 n'arrivent pas à se déconnecter du travail.
14:49 Oui, c'est un article assez intéressant qui comportait à la fois des récits très incarnés
14:53 de jeunes qui partent en vacances, là c'est le moment,
14:56 et qui se retrouvent pris dans la logique du travail, soit volontairement, soit involontairement.
15:00 Mais déjà un tout petit mot sur le terme.
15:02 Aujourd'hui quand on parle du rapport au travail, on emploie le mot de "connexion" ou de "déconnexion".
15:07 On n'emploie pas le mot du loisir, on n'emploie pas le mot du repos,
15:10 on emploie vraiment ce mot-là, ou de "divertissement".
15:12 On est dans une logique d'ores et déjà numérique au travail.
15:15 Et donc si vous voulez, de la même manière, cette métaphore est intéressante,
15:17 parce que de la même manière que quand on part en vacances,
15:20 on va évidemment un peu moins utiliser les réseaux sociaux,
15:22 quand on est un peu addict aux écrans, on va moins scroller, on va moins passer de temps,
15:25 mais quand même, on reste dans cette logique de la connectivité permanente,
15:28 ne serait-ce que pour faire des stories ou des posts,
15:30 pour montrer à ses amis restés au travail qu'on est en vacances, sur des belles plages, etc.
15:35 Donc déjà cet imaginaire de la connectivité au travail, à mon avis, est très significatif.
15:39 Ensuite, l'article du Figaro est intéressant, parce qu'il y a des récits très incarnés
15:42 d'individus, par exemple, qui partent en vacances avec des amis,
15:45 et qui se retrouvent parfois pris, involontairement, dans la logique du travail.
15:48 Donc c'est quoi ? C'est le collègue, le patron qui leur écrit,
15:51 qui leur demande de continuer à faire des choses, une urgence pas réglée, etc.
15:54 66% des Français ont déjà été contactés par leurs collègues
15:58 pendant leur congé, rapport que le Figaro.
16:00 Et ensuite, et c'est le deuxième aspect qui est plus intéressant en fait,
16:03 ce sont les gens, et particulièrement dans la jeunesse, qui partent en vacances,
16:07 mais qui, volontairement, se remettent à travailler, soit par mauvaise conscience,
16:11 notamment dû au fait qu'aujourd'hui le monde du travail parle numérique toujours,
16:16 mais il est saturé d'urgence.
16:18 On fait toute cette expérience de recevoir en permanence des mails urgents.
16:20 Et évidemment que si on répond urgemment à tous les mails urgents,
16:22 on ne peut plus travailler, parce qu'on est sans cesse sollicité par ces mails-là.
16:25 Et donc il y a cette tentation pendant les vacances de rattraper, si vous voulez,
16:27 les mails de retard.
16:28 Et puis même, vous avez des Français qui en profitent,
16:32 deux Français sur cinq, qui profitent des vacances pour travailler sur les dossiers,
16:36 soit pour prendre de l'avance, soit pour rattraper du retard.
16:38 Je donne encore quelques chiffres qui sont intéressants.
16:40 71% des Français répondent aux mails et aux appels pendant leur congé,
16:44 et 49% consultent leur boîte mail plusieurs fois par jour,
16:47 ce qui est une augmentation très sensible par rapport à il y a deux ans.
16:50 Alors il y a deux analyses possibles.
16:51 L'analyse la plus simple, c'est d'estimer évidemment que les vacances,
16:54 c'est un immense acquis social, inutile de renvoyer au Front populaire à 1936,
16:58 mais si vous voulez que l'idée que la vie du travailleur
17:02 doit passer par des moments de séparation, par des moments de non-travail,
17:05 c'est non seulement une conquête politique,
17:06 mais c'est avant tout même une sorte de révolution anthropologique,
17:09 c'est que le travail ne doit pas prendre toute la place
17:11 et qu'il faut repenser la temporalité de l'individu.
17:13 Et donc dans cette logique, voir qu'aujourd'hui,
17:15 les congés payés ne sont plus perçus comme une coupure avec le travail,
17:18 mais comme une modalité, comme un temps qui est lui-même intégré au travail,
17:22 où juste on travaille un peu moins, mais où on ne coupe pas,
17:24 on pourrait percevoir ça comme une régression sociale,
17:26 c'est entre guillemets l'analyse intuitive ou du sens commun.
17:28 À revers, à mon avis, il y a une deuxième hypothèse qui est peut-être plus intéressante,
17:32 c'est d'essayer aussi de déconstruire le mythe des vacances.
17:35 Le mythe des vacances, au même titre qu'on pourrait déconstruire le mythe de la pause,
17:37 de la pause café ou de la pause cigarette, et d'ailleurs du congé.
17:41 C'est-à-dire cette idée-là que le bonheur, particulièrement dans le cas des vacances,
17:44 le bonheur, c'est cinq semaines par an,
17:46 et deux ou une semaine de voyage par an.
17:49 Donc si vous voulez cette idée qu'on accepte la perspective d'une micro-évasion,
17:55 et que cette acceptation-là implique au contraire de se résigner
17:59 à rester entre guillemets enfermé dans le cadre, pas toujours carcéral,
18:02 mais en tout cas contraignant, du travail.
18:04 Et peut-être qu'il y a là, dans cette révolution anthropologique,
18:06 manifestement c'est une affaire de jeunes et donc il y a une rupture générationnelle,
18:09 peut-être qu'il y a là aussi un changement de rapport aux vacances,
18:12 c'est-à-dire que par rapport aux générations précédentes,
18:14 on refuse de se dire "je suis malheureux toute l'année pour être heureux en vacances",
18:17 et donc d'ailleurs on remarque aussi que les habitudes,
18:20 et j'y reviendrai tout à l'heure, mais les habitudes de travail chez les jeunes ont changé,
18:22 qu'on travaille globalement de manière, qu'on est plus soucieux de son confort quand on travaille,
18:26 il y a des milieux pamplés. La médecine, les revendications des jeunes médecins
18:30 changent énormément par rapport à celles qui pouvaient avoir lieu il y a 30 ou 40 ans,
18:34 on pense beaucoup plus à son confort, etc., donc avoir une vie au travail qui est plus épanouissante,
18:39 mais évidemment ça suppose à l'inverse de se dire qu'en vacances on travaille un petit peu.
18:42 Est-ce que vous faites un lien avec l'influence et l'émergence du télétravail ?
18:47 Oui, alors bien sûr, le télétravail, on a tous découvert au moment du coronavirus,
18:52 on a découvert le télétout, et c'est vrai que le coronavirus a été un moment,
18:55 on l'a souvent dit, donc je ne veux pas trop épiloguer là-dessus,
18:59 mais ça a été un moment d'accélérateur de toutes les mutations qui étaient déjà à l'œuvre
19:02 de manière plus latente dans la société et qui auraient mis plus de temps à advenir
19:05 s'il n'y avait pas eu le coronavirus. Exemple typique, les plateformes de séries
19:12 dont on parlait d'ailleurs hier, que tout le monde s'est mis à regarder massivement,
19:14 mais évidemment qui auraient menacé très sérieusement le cinéma, même sans le coronavirus.
19:18 D'ailleurs ça, en théorie politique, ça s'appelle, c'est la théorie de l'état d'exception.
19:22 C'est que quand un État prend des mesures dans un état d'urgence,
19:25 par exemple anti-terroriste ou anti-épidémie, évidemment qu'il reste,
19:29 en tout cas il est très probable qu'il reste quelque chose de ces mesures exceptionnelles
19:33 au niveau juridique dans la normalisation ensuite.
19:36 Et à l'image de cet état d'exception juridico-politique,
19:39 on pourrait parler d'un état d'exception sociale.
19:41 Ça veut dire que sans même passer par la loi, pendant une période comme le coronavirus,
19:46 on a tous contracté des habitudes, des habitudes de consommation,
19:49 des habitudes même de séduction, les applications de rencontres qui ont connu des records à ce moment-là.
19:53 Donc des habitudes qu'on contracte et dont après on ne se défait pas.
19:56 Alors ce qui est intéressant dans le cas du télétravail, c'est qu'il y a eu une réaction très ambivalente.
20:00 Dans le début, surtout juste après le coronavirus, enfin au début du coronavirus,
20:04 disons sans être trop caricatural, mais que le monde du patronat avait globalement très peur du télétravail.
20:09 Parce que le télétravail, ça voulait dire plus de bureaux, plus de visibilité du salarié,
20:13 donc plus de contrôle et donc possibilité de mentir pour le salarié.
20:17 Cette crainte, un peu, entre guillemets, je caricature, cette crainte patronale de se dire
20:21 si le salarié est sur son canapé et qu'il me dit qu'il travaille, peut-être fait-il semblant.
20:26 Et tout ça était imaginé à cette idée que le télétravail, c'était un droit qui était accordé au salarié
20:32 puisque ça lui permettait de personnaliser son travail, de retirer des contraintes.
20:36 Et quand même, très rapidement, on a vu que non seulement il y a eu un changement de perception de la part du patronat,
20:40 encore une fois j'emploie ce mot de manière un peu caricaturale,
20:42 et que surtout il y a eu un recours massif au télétravail de la part même des patrons.
20:46 Peut-être que ce changement de perception, il est dû au fait qu'on s'est très vite rendu compte
20:50 que le télétravail en fait maximisait le travail du salarié,
20:53 au sens où il abolissait cette distinction majeure entre le travail, entre le lieu du travail, le bureau, et le foyer.
21:01 Et si vous voulez, à partir de là, le télétravail ce n'est pas le bureau qui devient une maison,
21:05 mais c'est une maison qui devient elle-même le bureau.
21:07 Ça veut dire qu'à partir du moment où je ne fais plus la distinction spatiale
21:11 entre le canapé qui me sert à voir des séries, à manger des chips et à faire l'apéritif,
21:15 et le canapé qui me sert à travailler, eh bien je ne fais plus non plus la distinction temporelle.
21:19 Et donc ma vie, certes, ma vie professionnelle peut être sans cesse interrompue par des petits moments,
21:23 quand je suis en télétravail à la maison, je peux être distrait par quelqu'un qui est chez moi,
21:27 et on peut s'arrêter, faire une petite pause, un peu plus de pauses,
21:30 mais ça signifie aussi que les moments de convivialité sont de plus en plus interrompus, saturés par le travail,
21:35 et donc que le collectif, que le lieu de l'entreprise, rentre dans l'intime,
21:40 qu'il y a une sorte d'intériorisation de la norme.
21:42 Toujours est-il, quel que soit le fait de savoir laquelle de ces deux hypothèses est la bonne,
21:48 que le télétravail aujourd'hui s'est imposé de manière massive.
21:51 Il est désormais pratiqué par 33% des travailleurs, contre 3% en 2017,
21:56 et que, alors ça c'est juste une hypothèse, mais on a vu que jusqu'à 2019-2020,
22:01 la plupart des études qui étaient faites sur la satisfaction des Français au travail
22:03 montraient qu'environ 1 Français sur 2, voire plus, était très insatisfait dans son travail,
22:07 voire trouvait qu'il n'avait pas de sens.
22:08 Et que selon une étude de l'Institut Montaigne de février 2023,
22:14 77% des Français seraient désormais heureux de leur travail
22:18 et trouveraient qu'il y a du sens à leur travail.
22:19 Donc peut-être que c'est aussi lié à cette capacité de personnaliser son travail,
22:23 donc d'estimer que son travail rejoint le sens existentiel que chacun veut donner à sa vie.
22:28 Est-ce que tout ça est dû au stress selon vous, ces indicateurs ?
22:32 Oui, alors moi c'est ce que j'ai trouvé le plus intéressant dans l'article du Figaro,
22:35 c'était cette description de la mauvaise conscience des travailleurs en vacances.
22:39 Peut-être mauvaise conscience qu'on ressent un peu tous quand on est en vacances,
22:42 du fait que le monde du travail est devenu de plus en plus stressant.
22:46 J'évoquais d'ailleurs cette notion de mail urgent,
22:49 le rapport à la temporalité qui a changé,
22:51 et le fait ensuite, je parle peut-être de manière subjective,
22:55 mais que parfois le rapport au travail peut susciter du stress
22:58 sur des choses qui sont absolument anecdotiques
23:00 et qui vont être une sorte de grande construction mentale.
23:02 Et d'ailleurs, parmi les anecdotes qui étaient rapportées par le Figaro,
23:05 il y en avait une qui était intéressante,
23:06 c'était le nombre de jeunes qui en vacances écrivent à leurs collègues
23:09 pour s'assurer que tout va bien sans eux.
23:11 Donc là, alors que de toutes les manières,
23:13 quand on est salarié, ça ne change rien.
23:15 Donc là, c'est vraiment, si vous voulez, un rapport stressant.
23:17 Alors, je me suis demandé en préparant cette petite chronique
23:20 si le stress n'était pas devenu une sorte sinon de mal du siècle,
23:23 sans être grandiloquent, du moins une sorte de tonalité importante de l'existence moderne.
23:28 Et je renvoie en disant cela au livre de Heidegger et Trétan,
23:31 où Heidegger disait que l'existence humaine est toujours mue
23:34 par ce qu'il appelle des dispositions, des tonalités fondamentales,
23:37 pas des choses rationnelles, mais des dispositions affectives.
23:40 Et Heidegger faisait une distinction entre deux tonalités,
23:42 qui sont très proches et très différentes en même temps,
23:45 la peur et l'angoisse.
23:46 La peur, c'est très simple, c'est une tonalité d'effroi ou de crainte
23:50 par rapport à un objet précis, par rapport à un objet délimité,
23:53 c'est-à-dire une menace qui est un peu comme une flèche,
23:54 je sais d'où elle vient, je sais comment elle va m'atteindre, je sais quand, etc.
23:58 L'angoisse, nous dit Heidegger, ce n'est pas la même chose,
24:01 c'est une peur sans objet.
24:02 Quand je suis angoissé, et c'est pour ça d'ailleurs que l'angoisse a eu
24:05 toute cette postérité dans la littérature existentialiste,
24:08 quand je suis angoissé, je ressens de la peur,
24:10 mais je ne sais pas pourquoi j'ai peur,
24:12 et donc cette peur-là, parce qu'elle est sans objet,
24:14 elle me révèle l'être au monde, elle me révèle mon existence elle-même.
24:18 Et donc dans cette distinction entre l'angoisse et la peur,
24:20 quelle serait la place du stress ?
24:21 C'est ça qui est intéressant, c'est que dans la vie du salarié stressé
24:24 et dans la vie stressante qui est celle d'aujourd'hui,
24:26 ce n'est pas de la peur, parce que le stress, encore une fois,
24:28 je le disais, on peut stresser par exemple en se souvenant
24:31 qu'on a reçu un mail urgent auquel on a refusé de répondre,
24:34 ce n'est pas tellement... mais en fait, ce mail-là est anecdotique,
24:36 donc si vous voulez, ce n'est pas l'objet qui compte,
24:38 et c'est un stress qui peut venir contaminer absolument tout.
24:40 Quand on est stressé, c'est le monde entier,
24:42 tout autour de nous, qui devient stressant.
24:44 Donc ce n'est pas de la peur, mais ce n'est pas non plus de l'angoisse,
24:46 parce que l'angoisse, comme je le disais, c'est une peur sans objet.
24:48 Le stress, je dirais que c'est la peur de tous les objets,
24:52 ou c'est la peur de l'objet en tant que n'importe lequel.
24:55 Et donc peut-être que l'idée que le rapport au travail
24:58 dans la modernité, dans notre monde contemporain, est fondamentalement stressant,
25:02 ça voudrait dire que c'est un rapport qui est médié, avant toute chose,
25:06 par l'intériorisation d'une mauvaise conscience,
25:09 par le sentiment qu'on est fondamentalement en retard.
25:11 Et c'est peut-être pour ça d'ailleurs qu'on travaille en vacances,
25:13 c'est parce que le rapport moderne contemporain au travail,
25:16 c'est un rapport de retard, et où on ne peut jamais,
25:18 entre guillemets, être quitte du travail qu'on a amené.
25:21 Voilà, en tout cas j'espère que votre chronique aura permis
25:24 à ceux qui nous regardent et qui sont en vacances,
25:25 de déconnecter du travail au moins pour quelques instants.
25:28 On va marquer une pause, dans quelques instants.
25:30 On revient dans Face à l'Info, on parlera notamment des Etats-Unis,
25:34 où le nombre de divorces chez les plus de 50 ans explose.
25:37 Vous verrez pourquoi dans quelques instants.
25:39 A tout de suite.
25:40 De retour dans Face à l'Info, été, toujours avec Raphaël Stainville,
25:48 Paul Suji et Nathan Devers.
25:50 On va maintenant partir en direction des Etats-Unis,
25:53 où de plus en plus de personnes âgées
25:55 vivent seules, c'est ce que montrent les derniers chiffres
25:57 du recensement américain.
25:58 La solitude touche toute la population américaine,
26:01 mais cette évolution concerne plus fortement la génération du baby boom.
26:05 Paul Suji, comment cela se fait-il ?
26:08 Oui, effectivement Thomas, c'est un phénomène qui concerne
26:11 toute la population américaine.
26:12 Il y a de plus en plus de personnes qui vivent seules,
26:14 38 millions d'adultes, c'est-à-dire plus de 15%
26:16 de la population adulte américaine vit seule.
26:18 Mais là, on va le voir sur la courbe, c'est très bien montré,
26:21 il y a une augmentation de cette solitude
26:24 chez les plus de 65 ans, qui date vraiment d'il y a 20 ans.
26:27 Vous voyez, c'est la courbe jaune qui grimpe dans des proportions
26:31 extrêmement importantes à partir de l'an 2000,
26:33 on voit une vraie inflexion, et qui rattrape
26:36 l'expression de cette même solitude chez les 35-64 ans,
26:39 c'est-à-dire la classe d'âge d'en dessous,
26:41 qui elle, voit le nombre de personnes vivant seules
26:43 plutôt se stabiliser.
26:44 Ce qui fait qu'aujourd'hui, la population des Américains
26:47 de plus de 65 ans, c'est la classe d'âge
26:49 où la solitude est la plus forte.
26:51 Alors évidemment, il y a quelque chose de logique,
26:54 parce qu'on peut imaginer que, passé un certain âge,
26:56 le décès de l'un des conjoints fait qu'on entre
27:00 plus rapidement dans la solitude.
27:02 Mais c'est évidemment, vous l'avez bien compris,
27:04 pas la seule explication, puisque là, on voit
27:05 cette accélération très importante de la solitude
27:09 des personnes de plus de 65 ans, c'est lié à l'explosion
27:12 du taux de divorce chez les Américains seniors.
27:15 On compte trois fois plus de personnes qui vivent seules
27:19 aujourd'hui à plus de 65 ans aux États-Unis
27:22 qu'il y a 50 ou 60 ans.
27:24 Et le taux de divorce a considérablement augmenté
27:27 au-dessus de l'âge de 50 ans.
27:30 Ça, c'est vraiment un phénomène qui date des dix dernières années.
27:33 Si vous voulez, les chercheurs ont commencé à s'y intéresser
27:35 après un fait marquant de l'actualité américaine.
27:38 Souvenez-vous, c'était au début des années 2010,
27:41 c'était le divorce d'Al Gore avec sa femme.
27:43 Ils avaient plus de 40 ans de mariage.
27:45 Alors, ça a beaucoup interloqué Al Gore,
27:47 l'ancien vice-président des États-Unis.
27:49 Ça a beaucoup marqué l'opinion américaine.
27:51 Qu'est-ce que... On peut divorcer dans les premières années du couple
27:54 si ça n'a pas fonctionné, mais après 40 ans de mariage,
27:56 ça paraissait invraisemblable.
27:57 Et de fait, il faut bien le reconnaître,
27:59 même si c'était un cas qui n'était pas complètement isolé,
28:01 c'était quand même relativement peu fréquent.
28:03 Et bien donc, une chercheuse américaine qui s'appelle
28:05 Suzanne Braun, qui travaille, qui est codirectrice
28:07 du Centre national de recherche sur la famille et le mariage,
28:10 a commencé à s'intéresser à ce qu'elle a très vite appelé
28:13 le "grey divorce", le divorce gris, le divorce des personnes
28:15 qui ont des cheveux gris, c'est-à-dire le divorce sur le tard
28:18 de personnes qui, pour beaucoup d'entre elles,
28:20 ont déjà plusieurs dizaines d'années de mariage à leur actif.
28:23 Et donc, elle a bien vu que c'était l'un des phénomènes marquants
28:27 de ces 10 ou 15 dernières années aux États-Unis.
28:30 Le taux de divorce des plus de 50 ans a doublé entre 1990 et 2010.
28:34 Il continue encore d'augmenter considérablement.
28:37 Récemment, l'actualité a encore donné quelques exemples.
28:39 On a appris cette semaine que Justin Trudeau au Canada,
28:42 qui est âgé de 51 ans, a divorcé de son épouse, Bill Gates, il y a deux ans.
28:47 En plus, il y avait une considérable affaire d'héritage et de partage de fortune
28:51 qui a en plus intrigué d'autant plus l'opinion américaine.
28:53 Mais Bill Gates, qui a divorcé après quand même,
28:55 c'est pas rien, 27 ans de mariage.
28:57 Vous voyez bien, c'est un phénomène qui n'est pas simplement anecdotique,
29:01 mais qui est vraiment en train de recomposer considérablement
29:03 les formes familiales passées à un certain âge
29:05 dans la vie des foyers américains.
29:07 Alors, quels sont les facteurs qui expliquent cette tendance au "grey divorce"?
29:12 Bon, il y en a évidemment plusieurs.
29:13 La première chose, c'est que lorsque l'on divorce passé 50 ou 60 ans,
29:17 généralement, les enfants ont grandi et donc la responsabilité familiale n'est plus la même.
29:21 Alors ça, c'est pas nouveau.
29:22 C'était déjà le cas il y a un siècle et il y a 2000 ans.
29:24 Mais ce qui est là profondément nouveau, c'est l'idée qu'au fond,
29:28 le couple qui est parfois vécu sur un mode sacrificiel,
29:30 c'est-à-dire je ne suis pas forcément heureux dans mon ménage,
29:33 mais je m'économise pour avoir une stabilité familiale qui profite aux enfants,
29:36 eh bien, ça se disloque dès l'instant où les enfants quittent le foyer.
29:40 Donc le départ des enfants est un facteur aujourd'hui qui permet à beaucoup d'américains de se dire
29:44 "Bon, bah, c'est maintenant ou jamais le moment de quitter ce couple qui me rend plus heureux".
29:49 L'autre aspect aussi, c'est qu'avec le vieillissement, eh bien,
29:51 l'idée qu'on a une seconde vie qui démarre à 50 ou 60 ans ou même au moment de prendre sa retraite,
29:56 eh bien, est de plus en plus partagée dans l'opinion des mentalités américaines, voire occidentales.
30:02 On verra tout à l'heure que le phénomène existe aussi en France.
30:05 Donc, si vous voulez, l'allongement de la durée de vie fait que c'est pas non plus complètement anodin.
30:10 Maintenant, eh bien, on se dit "On peut recommencer complètement sa vie à 50 ou 60 ans".
30:15 Et par ailleurs, on voit aussi qu'il y a un phénomène de réinvestissement dans les carrières professionnelles.
30:20 Même à 50 ans, eh bien, on peut de nouveau, si vous voulez, connaître un cycle professionnel très intense
30:26 au cours duquel on se reconcentre sur sa vie à soi plutôt que sur celle de l'ensemble du couple.
30:32 Et donc, ça peut amener à prendre des décisions plutôt individualistes comme celle du divorce.
30:36 Mais par ailleurs, et surtout, mon anéistre incomplet, si je ne citais pas le grand fait majeur
30:40 qui explique aujourd'hui vraiment ce basculement, c'est le fait que les femmes sont de plus en plus autonomes,
30:45 notamment financièrement, par rapport à leur mari.
30:47 Le fait que les femmes travaillent pour la plupart aux États-Unis fait que, eh bien,
30:50 elles courent un risque moins important à se séparer de leur conjoint, y compris sur le tard.
30:54 Et donc, c'est cette individualisation des trajectoires professionnelles et financières, y compris au sein même du couple.
31:00 Par exemple, le nombre de familles américaines dans lesquelles monsieur et madame gardent un compte commun séparé
31:04 et ne partagent pas leurs finances est de plus en plus important.
31:07 Donc, c'est ce qui explique aussi cette accélération.
31:10 Et par ailleurs, évidemment, il y a un effet de discours.
31:12 On parle ici de la génération du "baby boom",
31:15 c'est-à-dire la génération qui a été bercée par les idéaux profondément individualistes des années 60 et 70.
31:20 Eh bien, il semble que cette génération, quel que soit l'âge, a été particulièrement portée à divorcer,
31:26 et donc, y compris sur le tard.
31:27 C'est l'un des effets, si vous voulez, de la mentalité des "boomers",
31:31 pour reprendre l'expression qu'on a utilisée maintenant en France depuis quelques années pour décrire cette génération singulière.
31:37 Et donc, cet effet générationnel se manifeste, y compris très tardivement, par les effets du divorce.
31:43 Alors, est-ce que concrètement, on mesure déjà les premières conséquences économiques et sociales de ce phénomène du "grey divorce" ?
31:49 Oui, il faut quand même se méfier.
31:51 J'ai eu beau avoir précisé qu'effectivement, les femmes sont un peu plus assurées quant à leur trajectoire financière,
31:56 y compris si elles prennent la décision de divorcer,
31:58 malgré tout, et il faut bien le rappeler, le divorce fragilise économiquement les personnes, et au premier chef, les femmes.
32:04 On a beaucoup plus de chances de tomber dans une situation de précarité si l'on divorce lorsque l'on est une femme que lorsque l'on est un homme.
32:10 Par ailleurs, les seniors, notamment aux États-Unis, où le système de santé a tendance, encore pour l'instant,
32:16 à ne pas encore leur garantir des protections suffisantes au cours des dernières années de leur vie,
32:20 les seniors sont plus exposés que le reste de la population au risque de tomber dans la précarité, notamment une fois qu'ils sont à la retraite.
32:26 Ce risque est aggravé, encore une fois, par ce phénomène du divorce tardif, du grey divorce.
32:30 Ça pose un certain nombre de questions aussi sur la solitude.
32:33 Le fait de ne plus être en couple, mais d'être seul lors des dernières années de sa vie,
32:37 ça fait que l'on a davantage besoin d'avoir des services à disposition pour la vie quotidienne,
32:42 notamment lorsque l'on rentre dans un début de dépendance,
32:45 et aujourd'hui, l'économie de ces services-là, à beau essayer de s'adapter à la demande qui explose,
32:50 elle n'est pas encore à la hauteur, et donc, là encore, ça crée une trop forte demande de services
32:55 par rapport à ce que l'économie américaine peut apporter à ces personnes qui vivent seules sur les dernières années de leur vie.
33:00 Et en plus de ça, et ça, on a particulièrement vu le développement de ce phénomène avec l'effet des confinements,
33:05 ça enferme des personnes dans une forme de solitude affective et relationnelle,
33:09 solitude à laquelle aujourd'hui la société américaine n'a pas encore suffisamment de réponses.
33:14 Il n'y a pas suffisamment de solidarité extra-familiale qui peut permettre de compenser le fait de divorcer, de se séparer de son conjoint.
33:21 Alors, je dis simplement un mot de la France, parce que ce qui nous intéresse, c'est de voir aussi comment est-ce que ce phénomène peut se transformer.
33:26 On a des gris divorces en France ou pas ? Des divorces gris ?
33:28 Il y en a, il y en a, il y en a un peu moins encore qu'aux États-Unis, c'est un phénomène qui est arrivé plus tardivement chez nous.
33:33 Alors, je me suis intéressé notamment aux études d'Anne Solez, une chercheuse de l'Inned qui a publié un article sur le sujet en 2021,
33:39 qui s'était intéressée au sujet à la suite du phénomène américain.
33:42 C'est vraiment un phénomène qui a commencé à être étudié d'abord aux États-Unis.
33:45 Elle s'est demandé si c'était la même chose en France. Alors oui, le divorce est de plus en plus fréquent chez les seniors en France.
33:50 Pour tout vous dire, les divorces des seniors représentaient 17% de l'ensemble des divorces en France en 1996.
33:57 Et en 2016, c'était 38%. Donc la proportion qu'ils prennent sur l'ensemble des divorces de la population a plus que doublé.
34:03 Ce qui est rigolo aussi, ou amusant en tous les cas qu'on peut noter, c'est que le divorce n'est pour le coup pas un phénomène de société au XXIe siècle en France.
34:11 Le taux de divorce en population générale a plutôt tendance à reculer, c'est-à-dire que les jeunes divorcent moins.
34:16 C'est vrai, ils se marient moins aussi. La génération des boomers était beaucoup plus souvent mariée que celle de la génération Z.
34:22 Mais les jeunes ont plutôt tendance à voir leur taux de divorce stabilisé, voire baissé, alors que celui des seniors, lui, augmente.
34:29 Ce sont donc des considérations, toutes celles que j'ai évoquées, notamment sur la fragilité des seniors, la question de la solitude à l'arrivée des années de dépendance, etc.
34:37 Des questions que très bientôt la société française va devoir avoir à affronter.
34:43 On peut aussi émettre quand même une hypothèse, c'était celle que j'évoquais tout à l'heure, l'hypothèse générationnelle, qui peut aussi être une forme d'espoir.
34:50 C'est-à-dire qu'il n'est pas impossible que les idéaux de la génération des boomers, finalement, créent un phénomène qui soit limité à cette génération-là.
34:58 Alors, il faudra encore 20, 30 ou 40 années pour le voir. Mais il n'est pas impossible que cette tendance s'annule dès l'instant où les générations qui vont vieillir
35:05 auront été baignées par d'autres considérations, encore une fois, que cette exacerbation d'individualisme dont les boomers, eux, ont été bercés pendant toutes leurs années de jeunesse.
35:13 Rendez-vous est pris d'ici 20 ou 30 ans. Paul Ségil, vous nous direz si ce phénomène a aussi touché les autres générations. On en reparlera, j'espère, dans cette émission.
35:21 Les États-Unis, on va partir maintenant en direction de la Chine avec vous, Nathan Devers, parce que vous vouliez nous parler des inondations qui ont eu lieu à Pékin ces derniers jours.
35:30 Oui, dans la série des catastrophes climatiques qui ont frappé la Terre cet été, on a beaucoup parlé, et c'était tout à fait légitime, des incendies.
35:38 Des incendies qui ont eu lieu en Grèce, qui ont eu lieu en France, qui ont eu lieu en Italie, qui ont eu lieu un peu partout, notamment autour du pourtour méditerranéen,
35:47 et qui étaient particulièrement effrayants, notamment à Rode, où on a bien vu que même les touristes étaient arrivés en pensant avoir, si vous voulez,
35:58 les vacances un peu consuméristes à la méditerranéenne et qui se sont retrouvés avec une île entièrement en feu.
36:04 Et on a peut-être un petit peu oublié de parler d'autres phénomènes climatiques tout aussi inquiétants, qui ont pu toucher d'autres régions du monde.
36:12 Et d'autant, j'insiste là-dessus, que souvent, on associe réchauffement climatique, catastrophe climatique à chaleur, chaleur extrême, chaleur caniculaire,
36:21 et notamment, avec toutes les conséquences de ces chaleurs, notamment les incendies.
36:25 Ce qui fait que parfois, on entend cet argument un peu climato-sceptique de dire "mais aujourd'hui, il fait froid",
36:30 ou "cet été-là, regardez par exemple à Paris, cet été, on a une température assez automnale, donc on pourrait se dire que c'est la preuve que le réchauffement climatique n'est pas si avéré que ça".
36:41 Mais c'est une double erreur, d'abord parce que globalement, on voit bien que ces chaleurs-là augmentent,
36:45 et deuxièmement, parce que le réchauffement climatique, il n'a pas seulement un effet d'intensification des chaleurs,
36:51 mais il a un effet d'intensification, disons, des catastrophes naturelles en général,
36:57 incluant aussi les catastrophes qu'on associe plutôt à l'imaginaire de l'hiver ou de l'automne.
37:02 Typiquement, les pluies très intenses, les tempêtes, les tornades, etc.
37:07 Alors ça, c'était un élément dont tout le monde s'en doutait, mais c'était assez difficile à prouver scientifiquement, précisément.
37:12 Ça a été prouvé en 2021, dans un article qui a été publié dans Nature, dirigé par Gevin Madakumbura,
37:19 qui s'appelle "Anthropogenic influence on extreme precipitation",
37:22 et qui montre bien que même s'il est très difficile de mesurer l'influence du réchauffement climatique dû à l'homme
37:31 sur l'augmentation des précipitations, parce que quelles bases de données on a, quelle région de la planète on prend,
37:37 ils ont réussi à faire ça avec de l'intelligence artificielle, et ils ont réussi à chiffrer cela et à établir cela.
37:42 Dans ce contexte, ce qui s'est passé en Chine illustre très bien ce que j'étais en train de vous dire.
37:48 En Chine, il y a eu au début de l'été une vraie canicule extrêmement forte,
37:52 avec des records de températures battus, notamment à Pékin, où on a dépassé les 40 degrés.
37:56 Et juste après cet épisode caniculaire très intense, il y a eu des pluies, et même plus que des pluies, il y a eu un déluge,
38:02 c'est-à-dire que c'était des pluies qui ont battu un record depuis 140 ans.
38:06 Alors tout ça est dû à un typhon, le typhon d'Auxury, qui s'est abattu sur la région de Pékin et sur une province adjacente,
38:12 j'y reviens tout à l'heure, en 40 heures, il a plu autant que normalement en un mois.
38:17 Et donc ça a eu des conséquences qu'on peut tout à fait imaginer, crue massive des rivières et des fleuves,
38:22 une trentaine de morts est à déplorer, à peu près autant de disparus, des blessés aussi,
38:28 des centaines de milliers de foyers sans zones ni électricité, on a vu des photographies absolument apocalyptiques
38:34 de villes entières qui étaient transformées, si vous voulez, en fleuves géants,
38:40 et avec des évacuations chaotiques par bateau, par hélicoptère, qu'on imagine.
38:45 Alors ce qui est assez étonnant dans ce contexte, c'est que la ville de Pékin, elle a été relativement épargnée,
38:49 alors qu'elle était au cœur de ce typhon.
38:52 Oui, c'est ça qui est assez étonnant, c'est que la ville de Pékin, donc 22 millions d'habitants,
38:56 a été relativement épargnée, donc quelques quartiers ont été inondés,
38:59 mais globalement, on n'a pas vu ces scènes apocalyptiques à Pékin.
39:03 Alors que toute la région adjacente, le "Hay Bay", ça a été un carnage dans cette région-là,
39:08 et notamment dans une ville qui s'appelle Zhuozhou, et selon le New York Times,
39:11 il y a eu de l'eau jusqu'à 23 pieds de profondeur, c'est-à-dire environ 7 mètres.
39:16 Dans cette région-là, vous avez eu un million de personnes qui a été forcée d'évacuer.
39:20 Or, entre la ville de Zhuozhou et Pékin, il y a une distance d'environ une demi-heure, 40 minutes en voiture,
39:25 c'est-à-dire 70 kilomètres.
39:27 Donc là, on se dit, à moins d'un miracle, comment se fait-il qu'un typhon
39:32 fasse la différence entre une capitale qui a une vie économique particulièrement importante
39:36 et beaucoup d'habitants, et les régions adjacentes ?
39:40 Alors en l'occurrence, ce n'est pas du tout un miracle,
39:42 ce sont les autorités chinoises qui ont décidé tout simplement de détourner cette catastrophe naturelle.
39:47 Alors comment ils ont fait ? Ils ont ouvert toutes les vannes et tous les déversoirs possibles,
39:51 notamment par rapport aux crues des fleuves,
39:54 et ce qui a permis vraiment de faire en sorte que les inondations soient ciblées,
39:58 soient orientées et soient écartées de Pékin.
40:02 Alors ça, c'est une méthode, il faut le préciser par honnêteté,
40:05 que les Chinois n'en ont pas le monopole, elle a déjà été employée dans d'autres pays.
40:08 Par exemple, en 2011, il y avait eu des inondations importantes en Louisiane,
40:12 et l'État de la Louisiane avait utilisé cette méthode-là,
40:16 mais il l'avait fait en détournant les inondations vers une région qui était très peu habitée.
40:19 Donc là, cette idée quand même de s'en prendre à une région avec des millions et des millions d'habitants,
40:25 c'est tout à fait particulier.
40:27 Alors, ça a suscité une grande colère auprès des habitants du Haïbèye.
40:32 L'article de New York Times raconte très très très bien dans le détail les modalités de cette colère.
40:37 Elle est de deux types, elle obéit à deux motifs cette colère.
40:40 Le premier, c'est évidemment ce que je vous dis, le fait d'avoir détourné cette inondation.
40:44 Et le deuxième, c'est qu'ils n'ont même pas été prévenus, les habitants.
40:47 C'est-à-dire que les autorités chinoises, qui sont expertes dans l'art de l'opacité,
40:53 dans l'art du mensonge, dans l'art, on l'a vu pendant le coronavirus,
40:57 comment ils disaient des faux chiffres sur le nombre de morts, etc.
40:59 En tout cas, ils minimisaient l'impact que ça avait sur leur pays.
41:02 On le voit dans beaucoup d'autres exemples encore plus tragiques.
41:06 Donc, ils n'avaient pas prévenu.
41:07 Et puis, les conséquences de ce détournement de catastrophes naturelles ont été plus grandes que ce qui était même prévu.
41:13 Donc, ce qui fait que vous avez eu...
41:16 C'est une région notamment où il y a beaucoup d'usines, où il y a beaucoup...
41:20 J'ai vu, il y avait des éditeurs qui témoignaient avec toutes leurs activités économiques,
41:23 toutes leurs maisons qui se retrouvent anéanties.
41:26 Ils n'ont même pas pu se préparer, alors qu'au moins, si on leur avait dit,
41:28 ils auraient pu faire leurs affaires.
41:30 Et puis, plus largement, cette colère, elle vient rejoindre...
41:34 Alors, il ne faut pas fantasmer et imaginer qu'il y a des résistances massives en Chine,
41:39 même si on peut en avoir très envie.
41:41 Mais en tout cas, elle vient rejoindre un climat politique beaucoup plus large en Chine.
41:46 Ce serait un peu caricatural d'expliquer en cinq minutes quelle est la doctrine du régime chinois.
41:50 D'ailleurs, il n'y a pas une seule doctrine.
41:51 Mais disons en tout cas que le dénominateur commun des dirigeants chinois aujourd'hui,
41:56 c'est bel et bien l'idée que le collectif prime sur l'individu
41:59 et qui justifie tous les sacrifices de l'individualité au profit du collectif.
42:03 Sacrifices qu'on a pu voir à travers plusieurs exemples.
42:05 Le crédit social, c'est une mesure, un dispositif de notation économique et morale et civique des individus.
42:12 Donc, par exemple, si vous traversez au rouge, vous allez avoir une mauvaise note.
42:15 Et si vous avez une mauvaise note, vous perdez des droits.
42:17 Des droits sociaux, par exemple, le droit de faire un emprunt,
42:20 le droit de prendre l'avion, le droit de prendre le train, etc.
42:22 Ce qui fait qu'à la fin, si vous avez une très mauvaise note dans le crédit social,
42:26 vous n'avez plus de possibilités existentielles.
42:29 Et que si vous êtes ami avec quelqu'un qui a une mauvaise note, un peu trop ami,
42:32 vous pouvez aussi avoir votre note qui te baisse.
42:33 Donc, il y a des gens qui sont vraiment devenus des parias de la société
42:36 parce qu'on considère qu'ils vont contaminer les autres.
42:38 Premier exemple.
42:39 Deuxième exemple, la crise sanitaire.
42:41 Donc, inutile de faire un dessin, on se souvient très bien des confinements atroces
42:44 imposés par le régime chinois.
42:46 Troisième exemple, Hong Kong.
42:48 On sait comment les mouvements de révolte citoyenne à Hong Kong,
42:53 qui étaient très courageux, ont été violemment réprimés par la Chine.
42:57 Quatrième exemple, qui est évidemment le pire, c'est la situation des Ouïghours,
43:01 qui sont dans des camps de concentration, dans des camps de travail,
43:04 qui subissent une politique absolument terrible,
43:07 sans aucun autre motif que le fait qu'ils soient musulmans.
43:10 Et donc, ça vient incarner tout cela.
43:13 C'est une même doctrine, une même vision de la politique
43:15 qui se décline dans plusieurs sujets.
43:17 Et puis, juste un dernier exemple de ce sacrifice de l'individu au profit du collectif.
43:19 C'était une image sidérante.
43:21 Il n'y a pas très longtemps, je ne sais pas si vous vous souvenez,
43:23 l'ancien président chinois, Hu Jintao, avait été évincé du congrès du Parti communiste.
43:28 Et ça, c'était une image absolument terrible.
43:31 Pas beaucoup de pitié non plus pour lui, mais je veux dire,
43:33 c'est une image absolument terrible parce qu'on se dit que c'est l'ancien président
43:36 qui a tout fait justement pour mettre en œuvre aussi cette logique-là,
43:40 même si lui n'était pas exactement dans la même politique aussi réprécise,
43:43 mais qui se fait lui-même, si vous voulez, évincer avec une cruauté absolue.
43:47 Et à côté de lui, il y avait Jinping qui ne le regardait même pas.
43:49 Et Hu Jintao ne comprenait pas et finissait par comprendre que c'en était fini pour lui.
43:53 Et donc, voilà, tout ça est la même déclinaison,
43:55 enfin, la déclinaison variée d'une même doctrine, entre guillemets, de sacrifice de l'individu.
44:01 Alors, le régime se justifierait en disant qu'ils ont voulu épargner la capitale Pékin.
44:06 Est-ce qu'on peut dire que cet argument obéit quand même à une certaine rationalité ?
44:10 Oui, justement, et c'est ça qui est intéressant.
44:12 Parce que précisément, et je vous ai fait la comparaison avec la Louisiane d'ailleurs pour ça,
44:15 c'est que, évidemment qu'il y a, et je ne dis pas ça pour excuser ou pour soutenir,
44:18 mais évidemment qu'il y a une rationalité politique dans ce choix de détourner une catastrophe naturelle.
44:25 Si vous voulez, quand vous avez une capitale économique, enfin, une capitale politique,
44:29 mais qui est aussi un grand foyer économique, que vous avez beaucoup plus d'habitants, etc.,
44:33 on comprend intellectuellement ce qui fait que les dirigeants chinois se soient dit
44:37 "nous allons détourner la catastrophe naturelle".
44:38 Et c'est là précisément que la chose devient intéressante,
44:41 parce qu'elle revient, elle renvoie à un grand dilemme dans la philosophie éthique contemporaine,
44:47 on pourrait dire, qui est un topos presque de cette philosophie éthique,
44:52 un dilemme qui a été théorisé par la philosophe Philippe Affout et qui s'appelle le dilemme du tramway.
44:57 Alors pour vous l'expliquer en quelques mots, imaginez que vous êtes un conducteur de tramway,
45:01 et que vous avez le choix, enfin, vous avez devant vous le rail,
45:05 vous avez le choix entre deux directions possibles.
45:07 Et vous savez que de toutes les manières, votre tramway va s'écraser dans l'une des deux directions,
45:11 et que vous allez tuer des gens.
45:13 Votre tramway est censé aller vers 5 ou 10 personnes,
45:17 et si vous ne faites rien, le tramway va foncer sur eux et il va écraser et tuer 10 personnes.
45:22 Et vous avez la possibilité de prendre l'autre direction,
45:26 et dans ce cas-là, le tramway va aller dans l'autre côté du rail, et il va tuer une personne.
45:31 Donc, vous êtes dans un dilemme très complexe, c'est que si vous ne faites rien, vous tuez 10 personnes,
45:36 mais si vous agissez, vous tuez une personne qui n'était pas censée mourir.
45:39 On reprend sur ce que vous disiez tout à l'heure sur les "drames évitables".
45:42 Alors ce dilemme un peu abstrait, parce que personne,
45:45 de facto, les conducteurs de tramway ne sont pas confrontés à ce genre de dilemme,
45:49 ce dilemme a des implications très concrètes aujourd'hui.
45:52 Il a des implications par exemple dans le cas de la voiture autonome.
45:55 C'est-à-dire que si vous êtes une voiture normale avec un vrai conducteur,
45:59 vous prenez vos choix en fonction individuellement de vos critères éthiques.
46:03 À supposer que vous soyez dans une voiture autonome, donc qui est conduite par une intelligence artificielle,
46:07 c'est la voiture qui prendrait ces choix-là, et c'est elle qui déciderait par exemple de qui elle va écraser
46:11 si elle est confrontée à une situation analogue.
46:14 C'est un dilemme qui se pose aussi dans les crashes d'avion.
46:16 Un pilote d'avion qui sait qu'il va se crasher et qu'il n'y a aucune chance,
46:20 ou qui peut essayer de tenter, mais qui sait que globalement il va se crasher,
46:23 il va évidemment essayer d'éviter de se crasher sur un immeuble habité.
46:27 S'il a la possibilité de le faire sur un champ, il va le faire d'abord pour avoir plus de chances
46:32 de faire un atterrissage d'urgence, mais même pour se dire qu'il va épargner des vies.
46:35 Et puis c'est un dilemme qui s'applique naturellement à la décision politique.
46:38 Et précisément, on l'a vu d'ailleurs pendant le coronavirus, c'était un des grands choix,
46:42 est-ce que la continuation de la vie économique doit justifier le sacrifice de personnes qui doivent décéder ?
46:51 Et on le voit de manière plus concrète et plus directe encore dans cette situation
46:55 de détourner une catastrophe naturelle.
46:58 Alors face à ce dilemme, une des grandes solutions qui peut être apportée philosophiquement,
47:02 c'est la solution utilitariste.
47:04 C'est l'idée qu'il faut maximiser le bonheur et que le bien c'est d'essayer d'apporter un maximum de bonheur à un maximum de gens.
47:08 Donc il y a deux critères, un maximum de bonheur à un maximum de gens.
47:11 Et donc typiquement la solution qu'on va adopter si on est conducteur de tramway,
47:14 c'est de faire en sorte d'aller tuer un seul individu et pas dix.
47:17 Cette solution semble être de bon sens, mais elle se heurte à deux objections.
47:21 La première, c'est comme je le disais, c'est que si vous décidez de tuer un seul individu,
47:25 vous tuez quelqu'un qui n'était pas censé mourir.
47:26 Du point de vue du déterminisme "naturel".
47:29 Là, il y avait dix personnes qui étaient dans ma route et je vise "une cible collatérale".
47:33 Ça, c'est une première objection.
47:34 La deuxième, qui est la plus importante, c'est quel est le critère de choix ?
47:38 Quel est le critère même d'un point de vue quantitatif ?
47:39 Est-ce que c'est le nombre de personnes qui doivent mourir ?
47:42 Ou est-ce que c'est, comme certains peuvent le défendre,
47:44 c'est de se dire, est-ce que ces personnes-là doivent vivre encore longtemps ?
47:47 C'est pas la même chose de tuer un bébé qui a six mois ou de tuer quelqu'un qui est en fin de vie.
47:51 Est-ce que c'est les intérêts économiques, si on a vraiment une vision extrêmement cynique, de se dire,
47:55 si j'ai le choix entre tuer quelqu'un qui n'a aucune productivité économique dans la société
47:58 ou tuer quelqu'un qui est un grand patron ?
48:00 Imaginez que vous êtes un capitaliste vraiment 100 fois nilois,
48:04 vous pouvez estimer que mieux vaut tuer quelqu'un qui n'apporte rien à la société
48:08 d'un point de vue productiviste plutôt qu'un grand patron.
48:11 Donc, ce que je veux dire, c'est que les critères font que
48:14 on va toujours prendre un choix qui ne sera jamais un choix objectif,
48:17 contrairement à cette idée qu'on pourrait mesurer quantitativement le bonheur.
48:23 Et donc, en conclusion, ce que j'aimerais dire, c'est qu'évidemment qu'une éthique politique,
48:27 elle doit se fonder sur une rationalisation.
48:29 On n'est pas dans un monde des bisounours, c'est évidemment qu'il y a toujours
48:31 un tragique qui est immanent aux politiques.
48:33 Mais qu'il y a une différence centrale entre la rationalisation et le sacrifice de l'individu.
48:38 Et on en revient à la grande question que posait Dostoevsky dans les frères Karamazov.
48:43 Imaginez que le bonheur de la société, on vous dit que vous, vous avez le choix,
48:46 il y a une société merveilleuse qui peut advenir où tout le monde est heureux,
48:48 la seule condition c'est qu'il y ait un enfant innocent qui soit torturé à jamais.
48:52 Quel choix on prend ? Et évidemment qu'à partir de là,
48:54 on passe de la rationalisation au sacrifice si on accepte de répondre oui.
48:58 Et bien voilà, ce sont sur ces mots que s'achève cette émission.
49:00 Merci à tous les trois d'avoir participé à Face à l'Info été.
49:04 Je remercie Laura Tapiro à l'édition, Laurent Capra à la réalisation.
49:08 Dans quelques instants, vous avez rendez-vous avec Barbara Clin pour l'heure des pro 2.
49:12 Quant à moi, je vous retrouve à 22h pour Soir Info.
49:15 A tout à l'heure.
49:15 ♪ ♪ ♪

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