Émile Diaz, dit Milou est l'un des derniers survivants de la French Connection, le plus gros réseau de drogue à la tête du trafic d'héroïne entre la France et les Etats-Unis des années 70. D'origine corse, élevé dans une famille de bandits dans le quartier de la Belle de Mai, il s'est voué à exceller dans l'art du banditisme. Vols, braquages, trafics maritimes, puis la conquête de la morphine de base en Turquie qu'il transporte jusqu'aux laboratoires des chimistes, chargés d'en faire de l'héroïne. Aujourd'hui âgé de 80 ans, Émile se raconte et narre les souvenirs d'une vie de voyou empruntes de mythes et de réalités peu connues.
Son livre "Truand" est disponible
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
Podcast : bit.ly/Origines_podcast
Youtube : https://www.youtube.com/@originesmedia
Instagram : https://www.instagram.com/origines.media
Twitter : https://twitter.com/Originesmedia
TikTok : https://www.tiktok.com/@originesmedia
Son livre "Truand" est disponible
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
Podcast : bit.ly/Origines_podcast
Youtube : https://www.youtube.com/@originesmedia
Instagram : https://www.instagram.com/origines.media
Twitter : https://twitter.com/Originesmedia
TikTok : https://www.tiktok.com/@originesmedia
Category
😹
AmusantTranscription
00:00 Je me suis rentré dans la French Connection en allant chercher de la morphine base.
00:03 J'ai été 23 fois en Turquie.
00:04 Là, j'étais estimé par les vieux de la French Connection.
00:09 C'est une secte.
00:10 C'est une secte.
00:12 Par exemple, tu rencontres le Belge ou Tani, Zampa,
00:17 ou tu rencontres un vieux de la French.
00:19 Bonjour.
00:20 On est entre gens qu'on peut se parler.
00:23 Je m'appelle Emile Diaz, je suis de famille Corse.
00:30 La famille Bartholy.
00:31 On m'appelle Milou.
00:32 Pratiquement 65 ans de banditisme.
00:34 J'ai fait 17 ans de prison,
00:38 mais en tout, j'ai pris 30 ans de prison.
00:41 Je suis né dans le quartier de la Belle de Mai, à Marseille, pendant la guerre.
00:44 Et très tôt, j'ai perdu mon père et ma mère.
00:47 Ma mère avait cinq frères,
00:50 tous les cinq fichés au grand banditisme.
00:53 Donc, j'ai été élevé par des voyous.
00:55 Je ne pouvais pas devenir instituteur ou autre.
00:59 Puis on avait faim, on était malheureux.
01:01 Et donc, on a fait les voleurs de très tôt.
01:04 Et après, on a gravi les échelons, si je peux m'exprimer ainsi.
01:07 L'Algérie était encore française, le Maroc aussi, la Tunisie aussi.
01:11 On m'a mis sur les bateaux pour le trafic.
01:13 Par exemple, j'allais à Dakar, au Sénégal,
01:16 et il y avait des bordels.
01:18 Et je ramenais l'argent en France.
01:22 Donc, j'avais mon pourcentage.
01:24 J'ai commencé à trafiquer comme ça.
01:25 Après, j'ai fait l'opium, bien sûr, comme tout le monde.
01:28 Et donc, après, j'ai fait les braquages.
01:31 C'était toujours l'envie, l'opportunité, l'argent, l'adrénaline aussi.
01:37 On aimait ça, voilà.
01:40 J'avais 16 ou 17 ans quand j'ai commencé à vraiment m'assumer en tant que voyou.
01:48 Je garde toujours ma mentalité, je garde toujours mon esprit voyou.
01:51 Je serai jusqu'à ma mort un voyou, je te le dis de suite.
01:54 Pour moi, un voyou, déjà, c'est un anarchiste.
01:59 C'est un type qui a refusé de se plier à une société, disons, réglementée.
02:06 Ces règles à lui, il y a un mot pour les définir, ça s'appelle la mentalité.
02:10 Les voyous de mon époque, je ne parle pas des voyous d'aujourd'hui,
02:15 ils avaient ce qu'on appelle de la mentalité.
02:17 S'ils n'avaient pas ça, ils étaient ou morts dans des règlements de comptes,
02:23 ils avaient fait des fautes de mentalité grave,
02:26 parce qu'il fallait quand même que ce soit grave.
02:28 Ou alors ils étaient tricards.
02:30 Tricards, c'est-à-dire on leur interdisait le territoire.
02:33 Ils allaient dans les Alpes ou ailleurs, on ne voulait plus en entendre parler.
02:38 Mais s'ils étaient à Marseille, on les avertissait, on disait voilà,
02:41 on t'interdit Marseille, on t'interdit les Bouches du Rhône.
02:45 Et quand un corse il fait le voyou, il fait le voyou.
02:47 Il fait ou le proxo, ou il monte des parties clandestines de jeu,
02:51 et il fait la drogue, voilà.
02:54 Ou alors il fait les trois en même temps.
02:55 Marseille c'est une ville qui bougeait.
02:57 Et quand il est arrivé avec la French Connection,
03:00 là ça a été la cerise sur le gâteau.
03:03 Là c'était vraiment la ville,
03:06 où dans le monde entier on ne parlait que de ça.
03:10 Mais la French Connection c'est une communauté,
03:14 principalement corse, avec quelques italiens,
03:20 qu'on est, comme on dit dans notre milieu,
03:23 entre gens qu'on peut se parler.
03:25 Par exemple tu rencontres le Belge, ou Tani, Zampa,
03:29 ou tu rencontres un vieux de la French, bonjour.
03:34 On est entre gens qu'on peut se parler.
03:36 Il y a eu un approvisionnement énorme,
03:41 jamais égalé en Turquie,
03:44 qui centralisait toute la morphine base,
03:47 des autres pays, la Syrie, le Liban, l'Iran, l'Afghanistan.
03:52 C'était tout centralisé en Turquie.
03:54 Donc cette marchandise a été transformée en héroïne.
03:58 C'était de l'héroïne après.
04:00 Il y a eu les chimistes.
04:02 Les chimistes c'est quelque chose de merveilleux pour le trafic.
04:08 C'était la clé de voûte de la French Connection, du trafic.
04:12 Et puis il y avait les acheteurs américains,
04:15 qui sont venus solliciter les Français,
04:18 dans les années 60.
04:21 Et là il y avait un coefficient 14 ou 15 fois plus cher.
04:27 Donc il y avait cet alignement des trois planètes,
04:29 et là la French Connection a éclos.
04:33 Toute seule.
04:34 C'est le loto.
04:36 C'est la loterie.
04:37 Et donc tout le monde s'est engouffré là-dedans.
04:39 Je me suis rentré dans la French Connection
04:42 en allant chercher de la morphine base.
04:45 Et j'ai dû ramener peut-être 5-6 tonnes.
04:48 Là j'étais estimé par les vieux de la French Connection.
04:53 Parce que j'ai été 23 fois en Turquie.
04:55 Le monde dommage c'était de discuter avec le Turc,
04:57 le prix, la qualité, le timing.
05:00 Il fallait me livrer un tel jour pour que je puisse la donner tel jour.
05:03 Bon, tout trafiquant connaît ça.
05:06 Mais il y avait aussi le passage.
05:08 Le passage c'était Istanbul, Marseille.
05:11 Et donc je calculais comment je pouvais faire.
05:14 Où les voitures ?
05:16 Il faut savoir qu'en Turquie il n'y avait qu'une marque de voiture.
05:19 C'était l'Anadol.
05:20 Et j'ai même eu des sénateurs turcs, deux,
05:25 qui m'ont mené dans la marchandise dans les Anadols.
05:28 J'ai eu aussi, la Turquie a deux bateaux.
05:32 Comme aujourd'hui les Costa Croisière, tout ça là.
05:35 Avec le truc de l'époque.
05:37 Un il s'appelle l'Ac de Nice, l'autre il s'appelait le Cara de Nice.
05:40 Donc j'avais le commandant du bateau qui me menait la marchandise jusqu'à Naples.
05:46 Parce qu'il faisait plein de ports en Méditerranée.
05:49 Il faisait Marseille aussi.
05:51 Mais il faisait Naples, Marseille, il faisait le Piret, Athènes, il faisait Barcelone, enfin.
05:57 Mais moi Naples, c'était mon jardin.
05:59 Autant à Marseille j'avais un risque à prendre, autant à Naples j'avais aucun risque.
06:04 Pourquoi ? Parce que j'avais envoyé des jeunes, des gens, des amis à moi,
06:08 des bons amis à moi, qui étaient condamnés à mort ici,
06:11 parce qu'ils avaient fait des braquages, ils avaient laissé une empreinte,
06:14 ou ils étaient balancés par un autre.
06:16 Je les avais envoyés en Italie parce que l'Italie avait supprimé la peine de mort.
06:20 Donc quand on partait en Italie, on ne pouvait pas être estradé.
06:24 Donc moi connaissant des gens italiens, des camorristes ou des mafiosi,
06:31 je les envoyais recueillir, que les gens les recueillent.
06:34 Et moi en Naples, quand je débarquais les marchandises,
06:36 ces gens me protégeaient, ils avaient ce qu'il fallait sur eux,
06:41 et la marchandise, on le débarquait tranquille.
06:43 Après je montais dans le nord de l'Italie, je la fixais,
06:48 et après j'avais un couple, un gentil couple,
06:52 qui avait besoin d'argent pour s'installer, des jeunes mariés,
06:57 avec une matriculation, ou suisse, ou monégasque.
07:01 Ils disaient "matriculation, on n'arrête pas ça".
07:05 Les flics disaient "Monaco, ils ont trafiqué la drogue".
07:10 Italie, France.
07:11 Et là alors c'était du beurre, après ils me laissaient la voiture à un endroit,
07:14 et moi je la prenais, je la rentrais au labo.
07:17 J'avais plusieurs procédés, il y avait des cartes de touristes.
07:19 Là alors c'était du beurre aussi, ça rentrait à coup de 300 kilos.
07:23 J'ai toujours eu un esprit inventif pour faire arriver cette marchandise.
07:30 Et j'ai jamais eu un kilo d'arrêté. Jamais.
07:34 Et voilà, j'avais ma part, c'était bien.
07:38 Le kilo de morphine base valait 1000 euros, le chiviste valait 500 euros,
07:42 donc le kilo d'héroïne revenait à 1500 euros.
07:46 Il était vendu 13 000 ou 14 000 euros, 10 fois plus cher aux Etats-Unis.
07:53 Cette marchandise était toujours au sommet, sinon les Américains l'ont renvoyée.
07:57 Et c'est pour ça que l'héroïne marseillaise, c'était la meilleure héroïne du monde.
08:02 Il n'y a jamais eu l'équivalent et il n'y en aura jamais.
08:05 Le monde entier, on ne parlait que de ça.
08:07 Il y avait des congrès en Amérique où on parlait de Marseille.
08:11 D'ailleurs les Américains sont venus ici, Nixon,
08:14 il a envoyé des gens de la DEA, du FBI, des trucs pour arrêter tout ça.
08:21 Nous resserrons tous les jours davantage notre coopération
08:24 entre la police des Etats-Unis et la police française
08:29 et une saisie spectaculaire de morphine base a été faite.
08:33 450 kilos, c'est là un grand succès.
08:36 Ça nous a fait rigoler parce qu'on les voyait arriver avec leurs gros sabots de l'Oring.
08:41 Il y avait beaucoup de gens à Marseille qui travaillaient honnêtement,
08:46 qui avaient leurs activités, leur quotidien tout ça et tout,
08:50 mais qui étaient associés avec la French Connection.
08:54 On n'est pas que des voyous, on ne peut pas faire les choses que nous,
08:59 que entre nous.
09:01 On est obligés d'avoir des comparses, des boîtes aux lettres.
09:05 Par exemple, il y avait des camionneurs qui travaillaient à fosse sur mer
09:08 dans les entreprises de la chimie.
09:11 Ils partaient avec leur camion, ils s'envoyaient dans un fossé exprès,
09:16 un faux accident, et il y avait des mecs qui prenaient les bonbonnes d'anhydride acétique.
09:20 Lui il a eu l'accident, l'anhydride est parti dans le champ, c'est pas vrai.
09:26 Et lui il touchait de l'argent.
09:28 Il y avait le chauffeur de taxi, alors lui il se mettait à la gare Saint-Charles,
09:32 ou à l'aéroport de Barignanes, et il disait
09:36 "J'habite à l'eau, pour une dernière course,
09:39 s'il y en a un qui n'habite pas loin, je le mène."
09:42 Donc il prenait une famille, avec la femme, le mari, les enfants,
09:47 je ne sais pas quoi, le client quoi.
09:49 Il montait le client à l'eau, tout ça,
09:53 pour pas tomber sur un barrage.
09:56 On n'arrête pas un taxi avec des clients.
10:00 Mais il avait 200 loquis dans la main.
10:03 La French Connection faisait partie du paysage,
10:06 tout le monde y trouvait son compte.
10:08 Au départ on veut sortir de sa condition, c'est vrai.
10:14 On se dit "Moi je peux pas me payer une 4L,
10:18 si je fais ça je vais me payer la Porsche,
10:20 et quand le cendrier sera plein de Porsche,
10:23 je change et je prends une autre Porsche."
10:25 Voilà, on est aveuglé par le matérialisme,
10:30 la consommation, le consumérisme.
10:33 Et on se dit "On passe de Karim Abdiela,
10:37 on est riche d'un coup."
10:39 Au départ il y a ça.
10:41 Mais après une fois qu'on a l'argent,
10:44 on peut s'arrêter.
10:45 On peut dire "Maintenant j'ai atteint mon but."
10:48 Et bien on ne s'arrête pas.
10:49 On est encore plus motivé.
10:51 On ne réfléchit pas à se dire
10:54 "J'étais malheureux, maintenant je suis riche,
10:57 donc j'arrête et je vais acheter une belle maison,
11:02 et le dimanche j'irai à la messe,
11:04 ou j'irai jouer au baby-foot, je sais pas."
11:08 Non, on se dit "Je suis voyou, je reste voyou,
11:10 je continue à être voyou,
11:12 et je suis bien dans le jus, dans l'esprit voyou.
11:16 Je ne rencontre que des voyous,
11:18 je ne parle qu'avec des femmes voyous,
11:20 des hommes voyous."
11:21 C'est une secte.
11:24 C'est une secte.
11:25 Et on est là, on ne se rend même pas compte
11:29 qu'il y a un monde extérieur.
11:31 On vivait comme ça, on vivait comme des seigneurs.
11:33 On n'avait pas de chose de dire
11:38 "Oh, il faut qu'on s'arrête parce qu'on risque la prison,
11:41 et parce que nos familles devraient être malheureuses."
11:44 Et tout, non, non.
11:45 Ce train de vie était fabuleux.
11:48 Tu te prives de rien, tu es là,
11:50 tu rentres chez un bijoutier, tu achètes deux montres.
11:52 Moi j'avais des manteaux Vigonia.
11:54 On payait à l'époque 5 millions le manteau.
11:56 Il y avait Chirac et moi qui avions le même manteau,
11:58 voilà, c'est tout.
11:59 Tu as une petite fiancée, là ça coûtait des fortunes ça.
12:02 Tu vois ?
12:03 En vieillissant, tu prends les filles de plus en plus jeunes,
12:07 de 18, 19 ans.
12:09 Ces filles, elles sont aveuglées par le train de vie.
12:13 Elles n'ont jamais connu ça.
12:15 Tu loues un bateau, tu les mènes en Corse,
12:18 dans les calanques, elles sont émerveillées ces pauvres filles.
12:22 Et toi, ces pauvres filles, entre guillemets,
12:25 parce qu'elles ont trouvé leur compte, tu vois.
12:27 Tu rentres dans un magasin d'habits,
12:29 par exemple les chaussures, tout ça.
12:32 J'étais là, la fille essayait les chaussures.
12:36 Elle me disait "Ils le vendent ?
12:37 Qu'est-ce qu'ils en parlent s'ils sont bien ?"
12:39 La vendeuse disait "Ecoutez votre papa,
12:42 il vous a dit qu'il était bien."
12:44 Je jetais l'argent par les fenêtres,
12:45 parce que l'argent, il faut savoir que l'argent
12:48 est aussi dangereux que la drogue.
12:50 Si on t'arrête avec un million de dollars,
12:52 parce que c'est 2 dollars.
12:54 C'est jamais des francs, c'est toujours des dollars.
12:57 Tant qu'ils ne sont pas changés, c'est 2 dollars.
12:59 Et on ne te paye qu'un dollar.
13:01 Et des fois, ces mordids américains,
13:03 ils te payent au lieu de 20 dollars.
13:06 Alors là, je te prie de croire que les disputes
13:09 que j'ai eues avec eux, j'ai dit
13:10 "La prochaine fois que tu me payes un billet de 20 dollars,
13:12 moi je t'envoie de la marchandise,
13:14 je t'envoie du lactose."
13:15 Voilà, tu as compris ?
13:17 C'est des quantités, des gros volumes.
13:20 On avait des marins américains
13:21 qui nous ramenaient cet argent.
13:23 Il y avait un port, c'était Villefranche,
13:25 où il y avait une base américaine.
13:27 Et le porte-avions, tu pouvais aller le visiter.
13:30 Comme les citoyens normaux, les gens, les enfants,
13:33 tu te mettais au milieu,
13:34 et le marin américain te filait des paquets d'argent.
13:37 Et toi, avec la vedette qui t'a ramené à Villefranche,
13:40 tu pouvais ramener les dollars.
13:42 Quand on est en plein dedans,
13:44 et qu'on vit l'instant présent,
13:47 et qu'on ne pense pas ni à la mort, ni à la prison,
13:51 on a des instants de bonheur,
13:53 si on peut appeler ça du bonheur.
13:55 Mais c'est pas le bonheur.
13:57 C'est pas vrai.
13:58 On ne peut pas dire qu'on a été heureux.
14:02 Parce qu'il y a toujours cette peur,
14:04 dans le fond, dans l'arrière-plan.
14:06 Cette peur, parce qu'on est toujours sur ses gardes.
14:10 La peur de la police, la peur des flics,
14:13 la peur des indics.
14:15 Quand on te présente un mec,
14:16 tu ne sais pas si c'est un indic ou si c'est un...
14:19 Tu as peur, tu le testes psychologiquement.
14:23 Il y en a un, un ami à toi, qui te dit
14:25 "Attention, je le sens pas."
14:27 Toi, tu le testes encore plus.
14:30 Tu deviens un inquisiteur,
14:34 quelqu'un qui vit avec la pression.
14:39 On avait de l'argent, mais c'était de lourd.
14:43 On le jetait.
14:45 Parce que je te l'ai dit, si on t'arrête avec de l'argent,
14:48 c'est comme si on t'arrêtait avec de la drogue.
14:51 C'est pareil.
14:52 Le seul moment de bonheur, c'était quand j'avais réussi
14:54 ce que j'avais entrepris.
14:55 C'est des instants de bonheur dont je te parlais tout à l'heure.
14:58 J'avais réussi ce que j'avais entrepris,
15:01 donc j'avais cet instant de bonheur,
15:03 mais ce n'était pas pour l'argent.
15:05 C'était d'avoir éludé, sauté, réussi toutes les difficultés.
15:10 Et je me retrouvais avec cet argent, avec mes amis,
15:14 et avec la sécurité.
15:16 C'est fini, j'avais plus l'angoisse d'être arrêté de la police,
15:22 ou d'un choc d'une chauve-strape d'un voyou concurrent.
15:26 Et tu vis avec cette angoisse de l'arrestation.
15:30 Et quand on t'arrête, tu te dis "ouf, au moins c'est fini,
15:34 je vais pouvoir me défendre, je vais pouvoir argumenter,
15:37 je vais pouvoir savoir ce qu'on me veut exactement,
15:40 je vais pouvoir savoir ce qu'ils ont contre moi".
15:43 Parce que bon, il y a trop de choses, tu fais trop de choses,
15:46 tu ne sais pas ce qu'ils ont contre toi.
15:48 Tant que t'arrêtes pour un vol de voiture que tu as fait il y a deux ans.
15:52 On m'a arrêté le 28 août.
15:53 J'étais aux Îles du Levant, j'avais une maison.
15:56 On vivait nu, tout nu.
15:58 Et donc, je sens quelque chose.
16:00 Mais il pleut à torrent.
16:04 Donc je ne peux pas monter au village chercher le journal.
16:08 Mais sur le journal, ils avaient déjà arrêté tout le monde.
16:10 Il y avait 30 personnes en Sicile et 30 personnes en France.
16:13 Moi donc, j'aurais pu me sauver là.
16:15 Là, il ne me retrouve plus, je te le dis.
16:18 Deux jours après, quand il ne pleut plus,
16:22 le matin, 6 heures, je relève la tête
16:25 et je me vois des mecs habillés.
16:26 Je croyais que c'était des gens qui venaient pour me tuer.
16:28 Moi, qu'est-ce que je fais ?
16:29 Je pars en courant dans la colline.
16:31 Il y en a un qui me fait le rubis.
16:32 Il me dit "Milou, ne bouge pas, ne bouge pas, c'est la police".
16:36 Ah, je dis "c'est la police, je suis content".
16:38 Je dis "Je suis innocent, tu commences", il me dit.
16:41 "Tu commences par là".
16:43 Je n'ai rien fait, donc si c'est la police, enfin, c'est bien.
16:47 Ils m'ont fait habillé, ils m'ont pris le bateau,
16:50 l'oiseau des îles, là.
16:52 Ils m'ont mené au lavandou.
16:53 Là, ils étaient 8 ou 7 ou 8,
16:55 et ils m'ont mené en garde à vue.
16:58 J'ai fait 4 jours de garde à vue,
17:01 et ils m'ont dit "On t'interdit de parler,
17:03 on ne va te poser qu'une question,
17:05 nom, prénom, âge, tout ça et tout,
17:07 mais tu ne parles pas".
17:09 Pourquoi ? Je lui dis "Je suis innocent, je ne parle pas".
17:12 Il me dit "Justement, c'est pour ça qu'on t'interdit de parler,
17:14 parce que si on te posait des questions, tu vas nous embrouiller,
17:17 on sait qui tu es.
17:19 Depuis l'âge de 14 ans, on te connaît.
17:21 Donc, ne parle pas, tu parleras au juge".
17:25 Donc j'ai eu affaire à ce monsieur, le juge Michel.
17:29 Lui, j'ai dit "Qu'est-ce que je fais là, monsieur le juge ?"
17:31 Il m'a dit "Ne faites rien, vous allez prendre 15 ans".
17:35 J'ai dit "Pourquoi 15 ans ? Qu'est-ce que c'est ce chiffre ?
17:37 C'est vous qui me jugez ?
17:39 Vous êtes juge d'instruction ?
17:42 Vous n'êtes pas juge président de chambre, vous ?"
17:45 Chaque fois que je lui ouvre la bouche, il me disait "15 ans".
17:47 Je passe en tribunal, je prends 15 ans.
17:49 D'ailleurs, ils nous font passer en correctionnel,
17:52 pour nous condamner même sans preuve.
17:55 Tu vois ? Parce que si on est condamné,
17:56 si on est passé aux assises par le peuple français,
17:59 on est tous acquittés.
18:01 Moi, il n'y a pas un gramme, il n'y a rien.
18:02 Moi, je parle au juge, au juré.
18:04 Crois-moi, au bout de 4-5 jours, le juré...
18:09 Je te le fais pleurer la femme, je te le dis, ça va quoi.
18:13 Entre temps, il se fait tuer ce mec.
18:15 L'immeuble du Corbusier, dans le 6e arrondissement de Marseille.
18:18 Il est 13h.
18:19 En bas, la contre-allée du boulevard Michelet.
18:22 Un motard coiffé d'un casque blanc s'arrête à un feu rouge.
18:24 Il est rejoint par une autre moto sur laquelle sont assis deux jeunes gens.
18:28 Trois coups de feu retentissent.
18:30 Le juge d'instruction, Pierre Michel,
18:32 est atteint de trois balles de 11-43,
18:34 dont deux à la tête et une dans le thorax.
18:37 La mort est instantanée.
18:38 C'était soi-disant moi qui avais été susceptible
18:42 d'abandonner l'ordre de faire tuer ce mec.
18:44 Alors que j'ai rien à voir, moi.
18:46 Il me pesait pas sur l'estomac, je m'en fous de lui.
18:49 Un juge, il peut pas te dire "Bonjour monsieur,
18:51 je vous donne le tapis rouge, vous voulez du chocolat ?"
18:53 Non. C'est un juge.
18:55 Il t'insulte et tout. Merci.
18:57 Il était pas condamné par le milieu, le juge Michel.
19:00 Il était haï par le milieu.
19:02 Mais on y avait pas mis un contrat dessus, il était pas condamné.
19:06 Il aurait pu finir procureur à Marseille ou à Paris.
19:10 Et puis c'était fini, quoi.
19:11 Il y a eu d'autres juges d'instruction
19:15 qui étaient dix fois plus durs que le juge Michel,
19:17 qui étaient même de mauvaise foi, qui étaient menteurs.
19:21 Mais ils sont vivants, ils sont morts de leur belle mort.
19:25 Moi je peux comprendre qu'il y ait des gens qui ont une sorte de fantasme
19:32 parce qu'ils savent pas, ils ont pas les tenants, les aboutissants.
19:38 Ils savent pas ce qu'on vit, ils savent pas ce qu'on fait.
19:41 Ils savent pas qu'est-ce qu'on a fait.
19:43 Ils voient que la surface, ils voient que l'attitude.
19:49 Mais ils savent pas ce que le grand Lédé l'a fait.
19:52 Ils savent pas ce que moi j'ai fait, ils savent pas ce que Tani Zampa l'a fait.
19:55 Tani il a fait des choses qu'il fallait pas faire.
19:59 Zampa c'était un mec d'origine italienne
20:04 qui était dans un clan où il n'y avait que des Italiens,
20:09 français, qui étaient très puissants.
20:14 Mais il avait un problème psychologique ce mec.
20:17 Il était mal dans sa peau et il a fait beaucoup d'erreurs.
20:20 Mais il avait cette espèce de...
20:22 Il avait la faculté que quand il était dehors, quand il était pas en prison,
20:25 parce qu'il a pas beaucoup fait de prison, il a fait 11 ans ou 12 ans, c'est tout.
20:30 Bon, mais quand il était pas en prison, il était brillant.
20:34 Il fallait voir, il était beau, il s'impresse,
20:38 il se faisait présenter les artistes comme Alain Delon, tout ça.
20:43 Les gens, même les petits voyous, même les voyous,
20:45 même les gens, les voyous que je connaissais, même des amis à moi.
20:49 Il a le grand par-ci, Zampa par-là.
20:52 Mais si tu grattes le vernis,
20:55 je te le dis, zéro.
20:58 C'était que de la parade.
21:01 Il avait cette faculté de réunir des gens
21:05 et de les envoyer au charbon et de prendre une part.
21:08 Mais quand il fallait aller à la guerre,
21:12 quand il fallait aller au braquage, quand il fallait aller...
21:15 Il était bidon.
21:17 Moi, je le connaissais d'enfance.
21:19 C'était un mackereau au départ.
21:22 Il faisait le mack.
21:23 Je le rencontrais souvent.
21:24 Il savait qu'on avait partagé des sourds,
21:27 c'est-à-dire que dans une part, on était 11.
21:31 Et lui, il était...
21:32 Mais il savait que je ne l'aimais pas.
21:34 D'ailleurs, il me l'a dit.
21:35 Il me l'a dit plusieurs fois.
21:37 "Toi, tu ne m'aimes pas, tu sais."
21:41 J'ai dit, "Moi, je ne te déteste pas."
21:43 Il y avait des gros différends.
21:44 Ça s'est résolu de la meilleure des façons.
21:49 Disons, éliminer Zampa
21:54 et les 80 ou 120 soldats qu'il avait avec lui.
22:00 De toute façon, ça ne pouvait finir que comme ça.
22:02 Tu ne peux pas raisonnablement faire ce que j'ai fait moi toute une vie
22:07 sans avoir des problèmes.
22:09 Et comme je suis toujours vivant,
22:12 c'est comme on dit chez nous,
22:14 "Garde-toi, je me garde."
22:16 Si tu as un problème avec quelqu'un
22:18 qui est de ta condition,
22:20 qui est aussi capable que toi,
22:22 qui est peut-être même plus dur que toi,
22:25 il faut aller au bout des choses
22:27 parce que sinon, tu vas finir par te faire tuer.
22:31 Tu sais que lui, il ne passera pas.
22:33 Donc toi, il faut que tu prennes les devants.
22:36 Je te le redis et je te le redis,
22:38 je ne peux pas moi faire le voyou pendant tant d'années
22:42 et ne pas avoir eu des problèmes.
22:44 Lui, il y avait des guerres.
22:47 Les guerres, c'était entre clans.
22:49 Et quand un des deux clans gagnait la guerre,
22:52 on avait trois ou quatre années de repos.
22:54 Ou alors il y avait un mec qui tuait un autre mec,
22:56 mais rarement.
22:58 Ce n'était pas comme aujourd'hui.
22:59 Ce n'était pas le feu.
23:02 Non.
23:04 On passait sur beaucoup de choses.
23:06 Avant de tuer un mec, on faisait "Oh là là".
23:08 Mais quand il y avait la guerre, non.
23:10 La guerre, on ne passait rien.
23:12 Quand moi, par exemple, j'étais dans un clan,
23:15 je rencontrais un des clans inverse,
23:17 même que je ne le connaissais pas,
23:18 il fallait le tuer.
23:19 C'était un ennemi.
23:20 Et puis, ce n'était pas la même façon de tuer.
23:23 Ce n'étaient pas les mêmes règlements de compte.
23:26 Par exemple, si on était dans une voiture,
23:30 on attendait le mec à 6 heures du matin
23:32 pour qu'il sorte.
23:34 S'il accompagnait ses enfants à l'école,
23:36 on repartait.
23:37 Parce qu'on savait que si le petit à côté,
23:41 ou la femme, il était traumatisé,
23:44 puis il risquait de prendre une balle perdue,
23:46 parce qu'on ne sait jamais comment ça finit.
23:49 Tant le mec il décarpille, bon, tu le tues.
23:51 Et après, tu le vois, il bouge encore,
23:53 tu le tues, et tant tu tues le mec à côté.
23:56 Et tu ne tues pas les innocents.
23:57 D'ailleurs, ça n'est jamais arrivé.
23:59 Abba connaissait ça, elle sait.
24:00 Jamais.
24:02 Même dans le Nord, même jamais.
24:04 Même à Paris, jamais.
24:05 Ici, aujourd'hui, moi j'ai vu des petits de Renzai
24:07 se faire tuer.
24:09 Ici, en plus, il y a ce qu'on appelle le mode opératoire.
24:13 Moi, quand je vois un règlement de compte,
24:15 il y en a très peu, comme je te cite,
24:19 de mon milieu à moi.
24:21 Si je vois des pistolets, des calibres,
24:24 des automatiques, des barillets, des pistolets,
24:28 des quinze coups par exemple,
24:30 eh bien, je sais à peu près d'où ça vient.
24:34 Le mode opératoire.
24:36 Mais quand je vois les kalachnikovs,
24:38 un voyou, il n'a jamais employé une kalachnikov.
24:40 Ça n'existe pas la kalachnikov.
24:42 C'est une arme destructrice, c'est une arme...
24:46 Tu ne la tiens pas.
24:47 Alors, ils ont des bras comme ça, ils ont 18 ans,
24:50 et ils ont des kalachnikovs dans la main.
24:52 Et quand ils allument,
24:54 ça part "brrrrriiiing".
24:55 D'ailleurs, ça leur plaît,
24:56 ils se prennent tous pour Scarface.
24:58 Bon, "brrraaak", tu vois ?
25:00 Et donc, il y a quelqu'un qui passe et il meurt.
25:04 C'est un truc de fou !
25:05 Moi, je dis qu'aujourd'hui,
25:08 les jeunes qui, malheureusement,
25:12 n'ont pas assez de recul, d'intelligence,
25:17 d'analyse, de voir les choses comme elles sont,
25:21 d'avoir au moins un gramme d'équilibre,
25:25 de se dire "attention".
25:27 Voilà, ils n'ont pas de méfiance.
25:29 Et quand ils voient un mec qui a réussi
25:32 dans le grand banditisme,
25:34 ils se disent "moi aussi, je peux devenir comme lui".
25:39 Et c'est très dangereux,
25:40 parce qu'ils ne savent pas le chemin
25:42 qu'il y a entre cette personne et eux.
25:44 Après la French Connection,
25:46 il y a eu ce qu'on appelle le voyou à l'américain,
25:48 à l'italien, à l'italo-américain.
25:50 Et bizarrement, ça s'est un peu,
25:53 disons, délité dans la mesure où
25:57 on a accepté des choses qu'on n'aurait pas acceptées à l'époque.
26:00 Il faut savoir qu'à l'époque, c'était dur, dur, dur.
26:04 Par exemple, l'homosexuel,
26:06 c'était interdit de faire le voyou.
26:09 Ils n'avaient pas compris qu'un mec qui est homosexuel,
26:12 il est aussi voyou qu'un mec hétérosexuel.
26:16 Les vrais voyous, les vieux voyous,
26:18 ils disaient "oui, on le respecte",
26:20 "oui, on lui dit bonjour",
26:21 mais il ne fera jamais le voyou.
26:23 Il ne mettra jamais les pieds dans le bar que je fréquente.
26:27 Et bizarrement, après, les voyous intelligents,
26:31 ils ont dit "mais c'est ridicule,
26:33 qu'est-ce que c'est ce truc de paysan, de berger, de rétrograde ?"
26:38 Et ils ont accepté, disons,
26:41 je parle d'homosexuel, donc moi je peux parler,
26:44 par exemple, un escroc,
26:46 un type qui faisait des chèques,
26:48 ce n'était pas un voyou.
26:50 Un mec, un proxénéata, ce n'était pas un voyou.
26:54 On prenait l'argent des mecs,
26:55 nous on faisait le mec sur des mecs.
26:57 On est passé du voyou,
27:01 vraiment, le mec, il ne passait sur rien.
27:04 Et après on acceptait petit à petit des trucs,
27:07 les macros sont venus, les escrocs sont venus,
27:09 les homosexuels sont venus.
27:10 Et à mesure que ça se délite, ça part,
27:14 et les jeunes d'aujourd'hui, ils ne regardent que ces gens-là.
27:20 D'ailleurs, ils ne regardent que l'argent.
27:21 Si tu es riche et que tu as balancé ta mère,
27:25 et bien eux ils disent que tu es mort de merde.
27:29 Intrinsèquement, ces gens,
27:31 ce ne sont pas des gens que je qualifierais de voyous.
27:36 Ils n'ont plus de morale, ils n'ont plus de prof,
27:39 ils n'ont plus d'éducateur, ils n'ont plus rien.
27:41 C'est tous des ennemis,
27:43 puisque le vide, c'est l'ennemi.
27:46 Alors moi, quand j'ai rencontré les jeunes à la Belle de Mer,
27:49 je leur ai dit "moi je vous respecte,
27:51 et je ne vous demande qu'une chose,
27:53 si vous faites les voyous, faites les voyous,
27:58 mais ne faites pas n'importe quoi.
28:00 Si vous faites n'importe quoi, vous n'êtes pas des voyous,
28:04 vous êtes des crapules.
28:06 Et tu sais ce que c'est qu'un voyou ?
28:09 C'est le contraire d'une crapule.
28:11 Moi dans ce milieu, je ne mettrai jamais plus les pieds.
28:15 Je mettrai les pieds que si le milieu redevient mon milieu.
28:19 Et aujourd'hui ce n'est pas mon milieu.
28:21 Aujourd'hui je vis une vie paisible,
28:25 je garde un certain entourage qui me respecte,
28:31 qui m'aime,
28:32 et avec le recul je m'aperçois que si demain je renais,
28:37 peut-être que je recommencerai.
28:40 Je n'ai aucun regret.
28:41 C'est bête à dire, mais c'est le fond de ma pensée,
28:44 donc je ne suis pas menteur, je dis que je n'ai aucun regret.