• il y a 2 ans
Nous recevons Fabienne Lassalle, directrice générale adjointe de SOS Méditerranée, afin d'évoquer la situation des migrants qui fuient l’Afrique pour rejoindre l’Europe durant cette période estivale alors que les naufrages se multiplient. 

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Transcription
00:00 Bonjour Fabienne Lassalle, merci d'être sur le plateau de Télé Matin.
00:03 On va évoquer ensemble la situation des migrants qui fuient l'Afrique pour rejoindre l'Europe.
00:07 Les naufrages se multiplient ces derniers jours, ces dernières semaines.
00:11 Dans la nuit de lundi à mardi, ce sont 11 personnes, toutes originaires de l'Afrique subsaharienne, qui ont perdu la vie.
00:16 44 sont encore portés disparus.
00:20 Est-ce que ça veut dire qu'en ce moment, il y a plus d'embarcations qui prennent la mer pour tenter cette traversée ?
00:26 Alors oui, il y a plus d'embarcations qui prennent la mer, mais ça c'est un fait qu'on a l'habitude,
00:32 parce qu'effectivement, le facteur principal c'est la météo.
00:36 Donc dès que la météo le permet, des embarcations sont mises à l'eau et il y a des traversées.
00:42 Donc oui, traditionnellement, l'été, il y a plus de traversées et plus de naufrages.
00:47 Et donc plus de naufrages aussi.
00:48 Est-ce qu'on a une idée du nombre de personnes qui ont perdu la vie depuis le début de l'année en essayant de traverser la Méditerranée ?
00:54 Alors, cette année est particulièrement catastrophique.
00:57 On a eu une explosion du nombre de naufrages et de décès en mer Méditerranée.
01:03 Nous en sommes déjà sur la seule Méditerranée centrale,
01:07 Le point de la Tunisie.
01:09 Voilà, et de la Libye, la route que vous évoquez à l'instant.
01:13 On nous en sommes déjà à plus de 1800 morts cette année.
01:16 Sur toute l'année 2022, on était à 1400, ce qui était déjà terrible comme chiffre,
01:21 on en est déjà à plus de 1800, ce qui est des chiffres que l'on n'avait pas vus depuis 2017-2016,
01:27 des années qui avaient été absolument terribles en termes de naufrages.
01:29 Donc une explosion du nombre de décès cette année.
01:32 Et alors, comment on explique cette explosion de naufrages ?
01:35 Effectivement, on a un grand nombre de départs de la Tunisie.
01:40 On était principalement avant sur la Libye.
01:43 Là, il y a une explosion des départs depuis la Tunisie, et ça, c'est depuis le début de l'année.
01:47 Et c'est depuis le moment où il y a eu des annonces qui ont montré que ces populations
01:53 en situation de migration en Tunisie n'étaient plus les bienvenues,
01:57 et très très mal accueillies, et donc qui ont cherché à fuir.
02:01 Est-ce qu'on a aussi des passeurs qui poussent davantage les migrants à prendre la mer,
02:05 quelles que soient les conditions, des bateaux plus vétustes par exemple ?
02:08 Alors, effectivement, il y a ça.
02:10 Il y a effectivement un changement dans le type d'embarcation qui sont utilisés.
02:14 On voit au départ de la Tunisie apparaître ces bateaux en métal rafistolés
02:19 qui sont totalement inaptes à la navigation et qui provoquent effectivement
02:24 un plus grand nombre de naufrages.
02:26 Donc oui, on a un changement dans le processus utilisé,
02:30 mettant toujours plus en danger ces personnes qui ont besoin et qui cherchent à traverser.
02:35 Quelle est la situation en mer aujourd'hui pour les ONG comme la vôtre
02:39 qui interviennent sur le terrain, qui coordonnent et qui fait quoi ?
02:43 Il y a les gardes-côtes aussi, je suppose, qui interviennent.
02:45 Alors, soyons bien clairs, c'est une obligation légale et morale, bien évidemment,
02:49 que de secourir toute embarcation en détresse.
02:52 Or, malgré l'explosion du nombre de traversées, on est face à un manque crucial de moyens en mer.
02:59 Il n'y a par exemple plus de bateaux des forces européennes actuellement en Méditerranée,
03:03 de Frontex, il n'y a que des avions.
03:05 Donc ce sont les gardes-côtes avec sur cette zone-là les gardes-côtes italiens qui vont intervenir.
03:11 Côté Libye, nous sommes sous la responsabilité des Libyens qui n'assurent aucune coordination,
03:16 voire qui tirent sur les bateaux des ONG comme nous avons pu le subir il y a encore moins d'un mois,
03:22 des bateaux qui sont financés par l'Europe, il faut le rappeler.
03:25 Et donc, il y a un manque de coordination et un manque criant de moyens en Méditerranée.
03:31 Et les bateaux des ONG sont également entravés par de nouvelles règles.
03:34 Par exemple, à chaque opération de sauvetage qui est réalisée,
03:39 les Italiens nous envoient très très loin pour débarquer.
03:43 Du côté de Venise, du côté de Rome...
03:45 Ça c'est nouveau avec le gouvernement de Giorgia Meloni, c'est quelque chose qui a changé avec la première ministre d'extrême droite ?
03:50 Tout à fait, ce sont de nouvelles règles qui sont apparues en ce début d'année
03:54 et qui a pour conséquence une moindre présence des bateaux d'ONG
03:58 puisque lorsque nous sommes en train d'aller débarquer, nous ne sommes pas sur zone pour pouvoir se courir.
04:04 Et donc ça aussi, ce sont plus de morts.
04:06 Plus de besoins et moins de moyens pour y répondre.
04:09 Quand une embarcation coule, il se passe quoi ensuite ?
04:12 Est-ce qu'il y a une enquête ? Est-ce qu'on essaie de retrouver par exemple les familles des personnes, des corps qu'on a repêchés ?
04:18 Oui, de la part des organisations telles que la Croix-Rouge,
04:22 pour tenter effectivement de retrouver des proches, pour informer les familles.
04:27 Mais il n'y a pas d'enquête officielle qui sont faites.
04:29 Et puis, il faut bien se dire qu'on a connaissance de quelques naufrages, mais certainement pas de tous les naufrages.
04:37 Donc les chiffres sont aussi sous-estimés ?
04:39 Ils sont largement sous-estimés.
04:41 Les chiffres que je vous annonce, ce sont ceux dont on a identifié les corps et dont on est sûr de la disparition.
04:47 Mais tous les fameux disparus, les 600 disparus du naufrage de Pilos,
04:51 ils ne sont pas comptabilisés dans ces chiffres.
04:53 Donc notre Méditerranée, c'est une fausse commune.
04:56 Fabienne Nassal, il y a une image, il y a une photo qui avait beaucoup choqué,
04:59 qui avait beaucoup ému il y a quelques semaines au mois de juillet,
05:02 celle d'une mère et de sa fille, Fatih Dosso et sa fille Marie, 6 ans.
05:07 Elles étaient originaires de Côte d'Ivoire et elles sont mortes toutes les deux dans le désert.
05:11 Elles sont mortes de soif. Est-ce qu'on connaît leur histoire ? Est-ce qu'on sait ce qui s'est passé ?
05:15 On sait que ces personnes étaient...
05:17 Alors, j'ai vu des médias, nous ne sommes pas présents en Tunisie ou à terre,
05:22 même puisque nous sommes en mer, donc ces personnes ont cherché à traverser à pied,
05:26 ont tenté de traverser la Méditerranée, n'ont pas réussi, elles ont été refoulées.
05:32 Et donc, effectivement, après, elles ont été abandonnées comme cela, en plein désert.
05:38 Et vous avez raison de rappeler que c'est une femme, c'est un enfant, avec des prénoms, des vies, des visages.
05:44 Et ça, on a tendance à l'oublier, on parle de migrants, on parle de chiffres.
05:48 On oublie que derrière, ce sont des vies. Et où est notre humanité dans tout cela ?
05:52 Il y a plusieurs artistes, je pense à Gims par exemple, qui ont annulé leur concert en Tunisie,
05:57 justement, pour dénoncer ce traitement, ces traitements inhumains.
06:01 Est-ce que ça veut dire qu'il commence à y avoir une nouvelle prise de conscience,
06:05 notamment avec ces personnes qui se font refouler et déposer dans le désert, sans eau, sans nourriture ?
06:11 Je l'espère, et c'est comme ça qu'il faut le faire.
06:14 C'est en parlant de ces personnes, en leur donnant un nom et un visage, qu'on va montrer l'atrocité de ce qu'elles subissent.
06:20 Et oui, des artistes et des citoyens, comme nous en sommes la preuve,
06:25 puisque notre organisation est financée à plus de 90% par les citoyens,
06:29 savent s'émouvoir de ces situations, les politiques beaucoup moins, puisque rien n'est fait pour empêcher cela.
06:36 Mais justement, cette crise migratoire, elle n'est pas nouvelle, on en parle chaque année.
06:39 Pourquoi est-ce qu'on n'arrive pas à régler cette question ?
06:42 On n'arrive pas à régler cette question, parce que notamment l'Europe, les États européens,
06:45 n'arrivent pas à se mettre d'accord sur comment, ne serait-ce que aider les pays d'arrivée,
06:51 que sont l'Italie ou la Grèce, et sur ces personnes, comment on les accueille
06:55 et comment on les répartit dans les différents pays.
06:58 Et non, il n'y a pas d'accord là-dessus, et c'est pour ça que cette crise,
07:02 on est toujours au niveau auquel nous le rencontrons,
07:06 et que notre Méditerranée se transforme en cimetière.
07:09 On évoquait Giorgia Meloni, la première ministre d'extrême-droite en Italie.
07:12 Est-ce que son arrivée au pouvoir a aussi changé la donne dans les discussions européennes ?
07:16 Alors oui, on le voit, puisque les réponses sont toutes exclusivement sécuritaires.
07:21 Il s'agit de protéger les frontières, et à aucun moment, on voit sur les derniers échanges,
07:27 il n'est question de renforcer les moyens pour empêcher des drames.
07:31 Merci beaucoup Fabienne Lassalle d'être venue nous voir sur le plateau de Télématin.
07:35 Je rappelle donc que vous êtes la directrice adjointe de l'ONG SOS Méditerranée.
07:39 Merci à vous.

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