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00:00 Dans son nouveau livre, la sociologue Nathalie Hennig pose la question, le wokisme serait-il totalitaire ?
00:06 Pour en débattre, Maboula Soumaoro est avec nous en duplex.
00:10 C'est l'auteur du livre « Le triangle et l'hexagone, réflexion sur une identité noire ».
00:15 Elle enseigne la civilisation afro-américaine à l'université de Tours.
00:19 Elle est actuellement professeure invitée à la Columbia University de New York et à Bennington College,
00:24 où elle se trouve actuellement dans le Vermont.
00:26 Nathalie Hennig, vous reprochez au wokisme d'assigner les individus à des communautés d'appartenance
00:32 définies par les discriminations subies.
00:35 Non seulement cette identité les enferme dans un statut de victime,
00:39 mais elle doit impérativement se définir contre l'oppresseur.
00:42 Les blancs quand on est noir, les hommes quand on est une femme,
00:45 les hétérosexuels quand on est homosexuel, les féministes blanches quand on est une féministe noire, etc.
00:52 C'est cet identitarisme qui constitue pour vous un premier pas vers une forme de totalitarisme ?
00:59 En tout cas, c'est déjà un premier pas vers une forme de communautarisme, voire de séparatisme au niveau politique,
01:06 ce qui est un petit problème quand même.
01:07 Mais ce qui est troublant, c'est de voir que ce sont des causes qui au départ sont des causes parfaitement légitimes,
01:12 des causes de lutte contre les injustices, contre les discriminations,
01:15 qui sont des causes parfaitement progressistes et que nous sommes d'ailleurs très nombreux à avoir endossé.
01:20 Ça fait très longtemps qu'on est féministes, qu'on est antiracistes, etc.
01:24 Mais depuis quelques années et sous l'influence du courant américain,
01:29 elles sont devenues des causes totalement systématisées et totalement enfermantes, si on peut dire,
01:37 puisque les individus sont systématiquement considérés comme appartenant à ces communautés,
01:43 considérés comme victimisés, discriminés,
01:46 que ce soit en raison du sexe, en raison de l'orientation sexuelle, en raison de la couleur de peau, en raison du handicap, etc.
01:55 Et il y a une forme de systématisation de cette assignation des individus à des communautés obligées, si on peut dire,
02:03 qui est très contradictoire avec la conception française républicaine de la citoyenneté,
02:08 qui ne reconnaît pas de droit à des communautés,
02:11 mais simplement à des individus en tant qu'ils sont des citoyens, membres de la collectivité nationale.
02:16 Donc il y a à la fois un problème politique général sur la conception qu'on a de ce qui nous donne des droits,
02:23 et puis il y a aussi un problème de monopolisation, de focalisation des discours sur ces questions-là,
02:29 qui deviennent envahissantes, notamment à l'université,
02:32 où on est vraiment dans une situation où les études de genre, les études de race, etc.,
02:40 sont devenues extrêmement présentes, au détriment d'autres types de travaux,
02:46 qui, à mon avis, sont d'un point de vue scientifique beaucoup plus porteurs.
02:50 – Maboula Soumaoro, comment réagissez-vous ?
02:56 – Je ne sais pas trop.
02:58 Le titre lui-même, on va utiliser le terme "wokisme",
03:01 puisqu'il apparaît apparemment dans le titre de l'ouvrage dont nous discutons,
03:07 mais je ne sais pas ce qu'est le wokisme.
03:09 Et là, pour répondre en tant que chercheuse,
03:12 j'aimerais bien qu'on puisse définir l'objet d'étude avant de pouvoir le disséquer, le critiquer.
03:18 Donc voilà, le terme "wokisme" n'est pas du tout un terme que j'utilise dans ma recherche,
03:22 qui pourtant porte, depuis plusieurs décennies maintenant,
03:26 sur toutes les thématiques qui ont été mentionnées par Madame.
03:29 Et au niveau de l'invasion de ce qui serait le wokisme au sein de l'université française,
03:36 j'aimerais également qu'on puisse en discuter plus largement,
03:39 puisque, enseignant moi-même au sein de l'université,
03:42 j'aimerais bien savoir dans quels établissements,
03:46 je ne sais pas, les TD, les cours magistraux, les masters et les doctorats,
03:50 qui sont "fléchés", comme on dit dans le jargon universitaire,
03:53 c'est-à-dire qui portent spécifiquement sur les disciplines qui ont été mentionnées.
03:58 J'aimerais bien savoir où cela a lieu, puisque je ne suis pas au courant.
04:02 – Je vous suggère d'aller voir sur le site que nous avons créé,
04:06 le site de l'Observatoire des idéologies identitaires,
04:08 où nous recensons chaque semaine tous les appels à communication,
04:13 les thèses, les enseignements, les séminaires, etc.,
04:17 qui sont à thème wok, c'est-à-dire les thèmes qu'on appelle les "studies" aux États-Unis,
04:24 donc les "gender studies", les "racial studies", etc.
04:27 Et on en a des dizaines et des dizaines et des dizaines.
04:30 Donc il suffit de se renseigner et on voit que…
04:33 – Non, je pense Madame, je ne sais pas si vous enseignez,
04:37 je sais que vous êtes directrice de recherche au CNRS,
04:39 et je ne sais pas si vous enseignez au sein de l'université.
04:41 – Je me renseigne, je vais me renseigner.
04:43 – D'accord, mais moi j'y enseigne, et ce qui serait peut-être plus honnête
04:46 vis-à-vis des téléspectateurs et des téléspectatrices,
04:49 c'est d'expliciter comment fonctionne l'université.
04:52 Donc quand vous parlez de colloques et de communication,
04:55 quand vous parlez de séminaires, vous parlez de la recherche au sein de l'université.
05:00 Sauf qu'au sein de l'université française,
05:02 la plupart des étudiants et des étudiantes ne sont pas des chercheurs.
05:05 On parle vraiment de la vaste majorité des étudiants et des étudiantes
05:09 qui vont entamer une licence, peut-être aller jusqu'au master.
05:12 Donc quand vous parlez des communications qui sont consacrées aux études de genre,
05:18 aux études autour des sexualités, aux études autour de la race,
05:23 et encore, ces activités de recherche n'ont pas encore pénétré le, on va dire,
05:31 ce qui constitue le cœur des enseignements
05:35 qui sont dispensés aux étudiants et aux étudiantes de l'université.
05:38 C'est-à-dire qu'il n'y a pas de master sur la question raciale dans les universités françaises.
05:43 Il y a très peu de master, je pense que mon collègue,
05:46 un de mes collègues m'avait fait part du fait qu'il n'y a que deux master
05:51 consacrés à la question du genre dans l'université française.
05:54 Donc voilà, c'est pour ça que je pense qu'il faudrait vraiment
05:57 redéfinir les termes du débat, redéfinir l'objet d'études,
06:01 parce que le wokisme, on peut y revenir, ça n'existe pas scientifiquement.
06:05 Et ensuite, parler de l'université comme elle fonctionne exactement.
06:11 Il n'y a pas, et je le déplore, je suis la première à le déplorer,
06:15 il n'y a pas de département ou plusieurs départements
06:19 ou un nombre important de départements
06:20 qui sont consacrés aux thématiques qui viennent d'être énumérées.
06:25 Je vous donne juste un exemple.
06:27 L'an dernier, à l'Institut de Sciences Politiques,
06:31 le seul enseignement de théorie de l'évolution,
06:34 donc la théorie darwinienne à fondement biologique,
06:37 a été supprimé, alors qu'il y avait au même moment
06:40 80 enseignements d'études de genre.
06:42 Voilà, c'était juste un exemple parmi d'autres.
06:44 Oui, mais dans les diplômes, moi je vous parle des diplômes,
06:47 des intitulés, des départements et des personnes qui sont titularisés
06:51 sur la base des recherches que vous évoquiez.
06:53 Ça n'existe pas, c'est ça le fait.
06:54 Alors ça, c'est en effet ce que disent tous les partisans de ce type d'études,
06:59 c'est que ça n'existe pas.
07:00 Alors, je suis d'accord avec vous que le terme "wokisme"
07:03 est un terme qui a été utilisé par la droite américaine
07:05 pour stigmatiser ce qu'on appelle le mouvement qui a été assumé
07:10 par ceux qui le portent aux États-Unis comme le mouvement "woke".
07:12 Donc, on est passé du mot "woke" qui est revendiqué
07:16 par ceux qui estiment qu'il faut tout réinterpréter
07:20 en termes de race, de sexe, etc.
07:22 Et le terme "wokisme" a été utilisé pour stigmatiser.
07:25 Et quand il est passé en France, c'est vrai que le mot "wokisme"
07:28 est un mot utilisé plutôt par les adversaires du wokisme.
07:31 Est-ce que ça veut dire pour autant que le wokisme n'existerait pas ?
07:35 C'est la stratégie du déni qu'utilisent systématiquement
07:38 ceux qui sont ciblés par leurs adversaires pour dire
07:42 "mais non, tout ça n'existe pas".
07:44 On n'a pas forcément un parrainage.
07:45 - Mais pouvez-vous nous parler, alors là peut-être que je vais m'exprimer
07:48 en tant que spécialiste des États-Unis, le wokisme même aux États-Unis.
07:52 Alors, il y a deux façons de présenter le débat.
07:55 Soit vous parlez du débat public, ce qui se passe
07:58 dans les prises de parole publiques, dans les politiques publiques qui sont menées.
08:01 Soit vous parlez du débat universitaire.
08:03 Et pour l'instant, je ne sais pas de quel débat vous parlez.
08:05 - Je pense que je parle de deux.
08:08 - Alors aux États-Unis, je finirai mon raisonnement,
08:10 aux États-Unis non plus, le wokisme, il n'y a pas de "wok studies" aux États-Unis.
08:15 Et donc, ce que vous semblez identifier comme l'émergence du wokisme,
08:19 qui serait quelque chose de très récent, est en vérité, je ne sais pas moi,
08:23 juste la continuité de mouvements qui ont été menés par différents groupes
08:28 aux États-Unis bien avant les années 2010, puisque généralement en France,
08:32 on s'intéresse aux années 2010, il y a "Black Lives Matter" ou des choses comme ça,
08:36 ce qui est absolument faux.
08:38 Enfin, je veux dire les "women studies", que ce soit les "indigenous studies",
08:42 que ce soit, je ne sais pas moi, les "black studies", "Africana studies",
08:46 elles ont une longue histoire, une longue histoire qui s'inscrit
08:49 dans l'histoire encore plus longue de la nation états-unienne.
08:53 Absolument, vous avez parfaitement raison, simplement en France,
08:56 on est encore dans une division des disciplines au sens où on enseigne l'histoire,
09:02 l'anthropologie, la philosophie, etc.
09:05 Et la question de l'introduction d'un découpage par "studies",
09:09 c'est-à-dire par objets d'études liés à des communautés discriminées,
09:15 est très récente et une importation typiquement américaine.
09:20 Mais il n'y a pas que l'université, il y a aussi...
09:22 Mais qu'est-ce que c'est que les "studies" ?
09:23 Je voudrais bien continuer.
09:24 Il y a aussi le monde culturel, qui est totalement touché par ce phénomène.
09:29 Il y a le monde des grandes entreprises qui font systématiquement
09:34 des formations de sensibilisation à l'inclusivité, etc.,
09:40 portées par des groupes militants qui, en général, font de très bons bénéfices
09:46 avec ces formations obligatoires.
09:48 Il y a toutes sortes de lieux, notamment aussi la politique et les médias,
09:54 qui sont maintenant touchés par ce phénomène-là.
09:57 Et c'est un phénomène que j'estime dangereux.
10:01 Et donc, j'ai parlé d'une forme de totalitarisme d'atmosphère.
10:04 Ce n'est évidemment pas un régime totalitaire,
10:06 mais c'est une atmosphère, c'est une mentalité totalitaire.
10:09 D'abord parce qu'encore une fois, il enferme les personnes
10:12 dans des communautés obligées.
10:14 Par exemple, il m'obligerait à me définir et à me présenter comme femme
10:18 en toutes circonstances, ce que je récuse,
10:20 parce qu'il y a des contextes où ça n'est pas pertinent.
10:23 C'est un totalitarisme d'atmosphère aussi parce qu'il met systématiquement
10:28 l'idéologie avant la science.
10:31 La recherche aurait comme objectif de faire triompher des positions politiques,
10:38 et c'est ce que j'appelle la militantisation de la recherche
10:41 et qui est une vraie catastrophe pour l'université.
10:44 C'est aussi un totalitarisme d'atmosphère parce qu'il pratique systématiquement
10:49 ce qu'on appelle la "cancel culture", ça aussi ça vient des États-Unis,
10:52 c'est-à-dire l'idée qu'il serait légitime de censurer des gens
10:55 qui ne pensent pas comme nous, et que l'on peut tout simplement
10:59 faire annuler des conférences, interdire des manifestations,
11:04 simplement parce qu'on estime que la personne en question
11:07 ne tient pas le bon discours.
11:08 Il y a une culture de la censure qui ressemble terriblement
11:12 à ce qui s'est passé dans les régimes totalitaires,
11:15 il y a un amour pour l'idéologie et un désintérêt pour la scientificité
11:20 et la rationalité qui ressemblent encore aux régimes totalitaires,
11:24 et s'y ajoute cette forme tout à fait nouvelle et assez spécifique
11:30 qu'elle on n'avait pas connue dans les régimes totalitaires,
11:33 à savoir cet identitarisme qui prétend enfermer les gens
11:37 dans des catégories auxquelles ils ne peuvent rien,
11:39 on est dans un certain sexe, on est avec une couleur de peau,
11:42 on n'y peut rien, et c'est cet enfermement dans ces catégories
11:46 qui divise le monde systématiquement en victimes et en coupables,
11:51 en discriminés et en discriminants, en dominés et en dominants,
11:54 c'est cette vision du monde binaire, culpabilisante et victimisante
11:59 que je trouve extrêmement dangereuse.
12:02 Maboulassou Mahoro.
12:04 Je ne sais pas sur quoi rebondir, parce que je pense qu'on ne va pas
12:08 réussir à obtenir une définition précise de cet objet d'étude
12:12 dont nous sommes censés débattre.
12:15 Il suffit de lire mon livre.
12:16 Ou cette chose, non, j'aurai pas le temps, vraiment j'ai pas le temps.
12:21 Il y a trop de choses justement qui sont pointues,
12:24 qui font partie de la recherche actuelle,
12:26 qui sont menées par des chercheurs et des chercheuses de qualité
12:29 sur toutes les thématiques individuelles que vous avez menées.
12:33 Voilà, c'est les livres sur lesquels je vais porter
12:36 mon attention de scientifique en priorité.
12:39 Mais je pense que pour passer au niveau de cette définition
12:43 qui est très, très floue, et là je parle de chercheuse à chercheuse,
12:47 je me dis que ce qui me dérange, c'est la, comment dire,
12:52 la non, enfin peut-être une vision assez idéaliste,
12:56 tout à fait louable même peut-être, assez idéaliste,
12:59 mais assez naïve de la, comment dire, de cette scientificité
13:04 qui serait complètement à travers l'histoire de l'humanité,
13:08 complètement dénuée d'idéologie, et que seuls les groupes,
13:12 les personnes, les chercheurs, les chercheuses qui critiquent
13:16 et qui apportent une critique qui peut être constructive,
13:19 sont les personnes qui deviennent visibles.
13:22 C'est-à-dire que le militantisme ne viendrait que des personnes
13:25 qui seraient mécontentes.
13:27 Alors que le militantisme tel qu'il s'est déployé
13:31 dans l'histoire des sciences et de la rationalité,
13:34 c'est de ça dont on parle en vérité.
13:37 Se dire que oui, la science est complètement froide
13:40 et complètement à distance de la société,
13:43 c'est oublier, je ne sais pas moi, l'anthropologie du 19e siècle
13:47 et la catégorisation raciale.
13:49 - Ce n'est pas du tout ce que je dis.
13:51 Je dis qu'il y a une visée de scientificité.
13:53 - Ce n'est pas vous qui dites, c'est moi qui parle là.
13:56 Ce n'est pas vous qui dites.
13:57 - Oui mais vous me faites dire des choses dont je n'ai pas dit.
13:58 - Non, je ne vous fais rien dire, je suis juste en train de parler.
14:01 Donc ce sentiment ou cette vision de la science
14:05 qui serait des parties d'idéologie,
14:08 qui serait complètement dépassionnée et rationnelle,
14:11 ça c'est vraiment une contradiction avec l'histoire des savoirs,
14:16 la hiérarchisation des savoirs, qui va de pair,
14:19 mais là ça sera vraiment très bref,
14:20 avec la hiérarchisation des communautés, des corps, des sexes et des genres.
14:25 Enfin c'est de ça dont on parle en vérité.
14:27 Que l'on utilise le label très flou,
14:30 "Woke" en se disant que c'est le nouveau mot.
14:32 C'est très intéressant comme manœuvre,
14:34 parce que le terme même "Woke",
14:37 c'est un mot qui n'est pas traduit.
14:39 Nous sommes dans le pays qui associe l'identité nationale
14:43 avec l'identité linguistique, c'est-à-dire la langue française.
14:46 Et il est intéressant de voir qu'il y a certains mots
14:48 qui échappent à la traduction "Woke"
14:50 et à traverser l'Atlantique.
14:53 Et partie des États-Unis est arrivée en France
14:54 et on parle de quelque chose,
14:56 et je parle cette fois en tant que traductrice,
14:58 qui n'a tout simplement aucun sens scientifique.
15:02 C'est-à-dire que vous-même en tant que sociologue,
15:04 quand vous entendez parler des choses liées à la race, au genre,
15:09 aux questions de classe,
15:11 quelle est votre formation et votre connaissance
15:16 des thématiques qui sont mises en avant aujourd'hui
15:21 et qui peut-être sont débattues davantage qu'auparavant,
15:24 puisque les personnes qui en débattent
15:26 ont peut-être un peu plus de poids,
15:29 un peu plus de...
15:32 Je ne sais pas, on est plus en capacité aujourd'hui
15:35 d'écouter ces personnes-là et de lire ces travaux-là.
15:39 Et justement, j'aimerais bien qu'on parle un peu plus de classe,
15:42 voyez-vous, plutôt que de parler systématiquement de race et de sexe.
15:44 Mais pourquoi ça serait l'un ou l'autre ?
15:46 J'aimerais bien continuer.
15:47 Et par ailleurs, sur la question de la scientificité,
15:50 ne me faites pas dire que je crois de façon naïve
15:53 dans une scientificité absolue.
15:55 La scientificité, c'est une visée.
15:57 C'est une visée d'objectivité et de rationalité.
16:00 Or, cette visée, on la voit très, très peu dans les courants actuels
16:03 qui, par exemple, nient la dimension biologique de la différence du sexe.
16:07 Le wokeisme aboutit à ce déni absolument délirant
16:11 de la dimension biologique avec l'idée que tout serait socialement construit.
16:15 On a toutes sortes d'exemples que je donne,
16:17 notamment dans mon livre, de ces délires,
16:21 auxquels aboutissent une vision totalement idéologisée du monde.
16:25 Et là, je pense vraiment que la question de la rationalité
16:29 mérite d'être défendue plutôt que d'être systématiquement niée
16:33 au motif que les sciences n'auraient pas toujours été
16:36 des exemples parfaits d'objectivité.
16:38 C'est extrêmement violent, ce que vous venez de dire
16:40 concernant les constructions de genre,
16:43 puisque vous parlez des études qui sont liées au genre.
16:46 Et les études et tout le travail de recherche
16:49 qui a été mené sur la place qu'occupent les constructions sociales
16:54 dans les catégories, on va dire, les catégorisations de genre.
16:58 Ce que je trouve violent, c'est que vous parlez,
17:00 c'est un discours qui va à l'encontre des expériences humaines.
17:05 La seule question qui nous intéresse,
17:07 si on prend en compte de manière vraiment, tout simplement,
17:11 même gentille et empathique, pas scientifique,
17:14 les personnes qui sont trans, par exemple.
17:17 Les personnes trans, c'est-à-dire que les personnes nées d'un sexe biologique,
17:22 je vous l'accorde, et qui ne se sentent pas en accord
17:26 avec cette identité biologique.
17:28 Que faites-vous de ces personnes au-delà du discours sur
17:33 "ça n'existe pas, telle catégorie n'existe pas,
17:36 les constructions n'existent pas".
17:37 Vous savez, j'espère, que vous savez qu'il existe des personnes
17:42 qui se définissent comme trans, qui se ressentent comme trans
17:45 et qui se vivent comme trans.
17:48 Qu'est-ce qu'on fait de ça ?
17:50 Il n'y a aucun problème, tant que ce sont des majeurs
17:52 qui choisissent de faire une transition de genre,
17:56 c'est leur problème et ça ne pose pas de problème.
17:58 Ça pourrait ne pas être un problème.
18:00 Le problème aujourd'hui, ce n'est pas pour les mineurs,
18:03 ce pose pour les enfants.
18:04 Disserter sur cela, alors que des personnes,
18:06 c'est pour ça que j'essayais vraiment de faire la différence
18:08 avec le discours et l'expérience.
18:11 Et si ces personnes-là, ou d'autres personnes d'ailleurs,
18:13 qui peuvent ne pas être trans, s'intéressent aux fonctions sociales
18:18 et aux fonctions politiques des constructions de genre,
18:21 en quoi cela devrait-il être un problème de faire de la recherche
18:27 ou d'essayer d'explorer les variantes de l'expérience humaine ?
18:32 C'est ce que font les chercheurs.
18:34 Si je peux m'en mêler, Maboula Soumaoro,
18:37 en ce qui concerne la question trans,
18:39 dont on commence à beaucoup parler en France également,
18:42 ce qui a perturbé les Français, en tout cas,
18:45 c'est que tant qu'on voulait être une trans femme
18:48 et qu'on se faisait opérer, qu'on devenait une femme,
18:51 il n'y avait pas de problème, tout le monde reconnaissait,
18:53 c'était écrit sur l'état civil,
18:54 vous êtes madame alors que vous étiez monsieur jusqu'à présent.
18:57 Et ça ne posait aucun problème.
18:58 Là où ça commence à poser des problèmes,
19:00 c'est parce que la juridiction européenne est comme ça aujourd'hui,
19:03 c'est que vous pouvez demander à être une femme sur votre état civil
19:06 sans changer de sexe.
19:08 Et qu'à partir de ce moment-là, vous vous revendiquez en tant que femme,
19:11 vous voulez qu'on vous considère comme une femme,
19:13 et d'ailleurs l'état civil vous reconnaît comme une femme,
19:16 mais vous pouvez aussi avoir un enfant et vouloir en être la mère,
19:20 par exemple, alors que vous en êtes biologiquement le père,
19:23 mais vous voulez en être la mère.
19:24 Et ça, ça a beaucoup compliqué les choses.
19:27 Et là, tout à coup, y compris pour les femmes qui se sont dit,
19:30 mais à ce moment-là, ce sont des hommes qui veulent nous faire croire
19:34 qu'ils sont des femmes alors qu'ils n'en sont pas.
19:36 Je ne sais pas si j'ai bien résumé le problème,
19:39 mais vous comprenez que ça le change un peu.
19:41 Ce n'est plus seulement une question d'empathie et de gentillesse.
19:44 C'est qu'à un moment, il y a quelqu'un qui dit,
19:46 je suis une femme, considérez-moi comme une femme,
19:48 laissez-moi entrer dans les toilettes des femmes.
19:50 Ça a l'air d'être ridicule comme ça, de le réduire à cette...
19:53 Mais alors que les femmes disent, non, attendez, être une femme, c'est dur.
19:59 Vous n'allez pas me faire croire qu'il suffit comme ça
20:03 de décider qu'on est une femme pour être une femme.
20:05 C'est comme si je vous disais, ma boula sous mauro,
20:08 je suis une lesbienne noire.
20:09 Et vous me diriez, j'ai des doutes.
20:11 Le problème, c'est que ça rend très difficile.
20:14 C'est une question pour moi ou c'était une question pour madame ?
20:17 Pardon, je n'ai pas entendu.
20:18 C'est une question pour moi ou c'était une question pour madame ?
20:21 Oui, parfaitement, c'est une question pour vous.
20:24 C'est pour reposer la question trans, par exemple,
20:27 mais pas seulement celle-là.
20:29 Il y en a plein d'autres, effectivement, derrière.
20:30 Il est intéressant de faire, et si on se...
20:33 Vraiment, là, on se téléporte une nouvelle fois
20:35 au niveau de la recherche et donc de la pensée,
20:37 c'est quels sont les enjeux autour de ces identités-là ?
20:41 Pourquoi toutes les configurations que vous venez d'exposer, Frédéric,
20:46 pourquoi posent-elles problème ?
20:48 On pourrait aussi se dire,
20:50 si par exemple une personne trans se rend dans les toilettes
20:53 de tel ou tel genre,
20:55 quel est ce tsunami que cela déclenche ?
20:59 Quel est l'enjeu ?
21:00 Pourquoi est-il si important pour un certain groupe
21:03 de s'agripper à une identité qui serait fixe
21:06 et qui se voit comme menacée par une autre ?
21:09 C'est ça que fait la pensée.
21:10 C'est ça que font les chercheurs et les chercheuses.
21:13 J'aimerais bien vous répondre sur ce point.
21:15 Moi, je parle à Frédéric.
21:16 Non, mais je respecte tout à fait le vécu des trans,
21:21 mais je n'accepte pas que l'on m'impose de modifier ma perception.
21:26 Si je perçois quelqu'un comme un homme,
21:27 je n'accepte pas qu'on m'oblige à lui dire "Madame", c'est tout.
21:31 Et ça, c'est le problème du totalitarisme
21:34 sous-jacent à ces mouvements-là.
21:37 C'est qu'ils prétendent imposer aux autres
21:40 une perception qui est totalement problématique
21:43 par rapport à la réalité de ce que nous voyons.
21:45 Et ça, pour moi, c'est totalement inacceptable.
21:48 De même que je n'accepte pas qu'on m'impose l'écriture inclusive,
21:51 qui est encore une fois une réduction des personnes
21:55 à un sexe ou un genre systématique,
21:59 une systématisation de la différence des sexes,
22:02 dans quel que soit le contexte,
22:04 je n'ai aucune envie que des gens m'imposent
22:06 de casser ce qui fait notre monde commun,
22:08 à savoir notre langue commune.
22:10 Voilà, ça fait partie des choses qui, pour moi,
22:13 politiquement, sont très problématiques.
22:15 Je comprends tout à fait ce que vous êtes en train de dire
22:17 et je pense que cela soulève la question du confort.
22:19 Et je comprends tout à fait que vous ne soyez rétive
22:22 au fait que votre confort soit perturbé.
22:25 Ce que je dis, c'est que les personnes qui ne bénéficient pas
22:29 du même confort peuvent vous retourner,
22:31 je veux dire la même rhétorique, c'est-à-dire que
22:33 elles n'ont pas envie, ces personnes-là n'ont pas envie
22:36 que vous leur imposiez votre perception du monde.
22:39 Mais ce n'est pas ma perception du monde,
22:41 c'est un monde commun, c'est un langage commun,
22:44 ce sont des traditions, ce sont des structurations de la société,
22:48 ce n'est pas ma perception du monde.
22:49 Exactement, et nous sommes d'accord.
22:50 Sauf que les personnes qui sont contre
22:53 ou qui ne bénéficient pas de la même façon
22:57 des bienfaits de cette structure commune,
22:59 la questionne, c'est tout, elle la questionne.
23:02 Et la langue, elle ne bénéficie pas à tout le monde ?
23:04 La langue ne bénéficie pas à tout le monde ?
23:06 La référence à des structures communes...
23:10 Mais la langue elle-même, elle évolue,
23:12 on fait comme si la langue, elle était fixe,
23:13 mais on a quand même une académie française,
23:15 on a quand même les grandes étapes de la structuration
23:18 de la langue française qui a été fabriquée,
23:21 qui a été fabriquée de toute pièce,
23:23 et à partir ou au détriment de plusieurs patois,
23:29 je ne sais pas, dialectes, parler qui existait dans la France.
23:31 C'est une fabrication,
23:32 tout comme la France en tant que projet politique...
23:34 Il n'y a que dans les régimes totalitaires
23:35 qu'on a essayé de modifier autoritairement la langue,
23:37 ça s'est passé sous la terreur en France,
23:39 ça s'est passé sous le nazisme en Allemagne,
23:42 ça s'est passé sous le salinisme,
23:45 la modification autoritaire de la langue
23:48 fait partie de la mentalité totalitaire,
23:51 et on le voit aujourd'hui avec...
23:52 Alors que faites-vous de la Troisième République
23:54 et de cette mise en commun,
23:56 cette fabrication de la citoyenneté française
23:59 à travers l'éducation nationale
24:01 et notamment par le biais linguistique ?
24:03 Le biais linguistique, c'était simplement
24:06 le fait de donner à tous les enfants
24:08 la possibilité d'accéder au français.
24:12 Mais le français n'était pas la seule langue ?
24:14 Non.
24:15 Le français n'est toujours pas la seule langue de France.
24:18 Donc est-ce que cela était totalitaire ?
24:20 Ce n'était pas totalitaire,
24:21 c'était leur donner quelque chose de plus.
24:24 C'était l'accès à une autre langue
24:26 que leur langue maternelle.
24:27 Au fond, si je peux résumer,
24:29 ce qui vous différencie toutes les deux,
24:31 c'est que Nathalie Hennig voit dans le wokisme
24:36 un totalitarisme qui vient,
24:39 et les woks, c'est ce que vous lui répondez,
24:43 Maboulassou Mahoro,
24:44 je ne vous classe pas parmi les woks,
24:45 mais vous avez l'air de les défendre,
24:47 eux auraient tendance à dire que le totalitarisme,
24:49 c'est ce qu'il y avait avant,
24:51 du temps où c'était en gros l'histoire,
24:53 les sciences étaient le monopole
24:56 des mâles blancs hétérosexuels,
24:59 et que donc ce que vous appelez le savoir commun,
25:03 en fait, ce serait quelque chose
25:06 qu'on aurait imposé, nous, les hommes blancs,
25:10 aux femmes, aux noirs, aux homosexuels.
25:14 Ce n'est pas seulement une question d'hommes blancs
25:16 ou de femmes,
25:17 c'est des questions de structure, Frédéric,
25:18 pour être vraiment un peu plus sérieuse
25:20 et pour aller un peu plus au fond du sujet.
25:23 La critique des structures et des forces sociales
25:28 qui ont existé à travers l'histoire,
25:29 elle a toujours existé.
25:32 On parle de la France aujourd'hui, de la République,
25:34 aujourd'hui on est en 2023,
25:35 on est à la cinquième République française,
25:38 donc il y en a eu quelques-unes auparavant.
25:40 La France a plus longtemps été une monarchie
25:42 qu'une république.
25:44 Et à chaque moment de cette construction française,
25:47 évidemment qu'il y a eu des forces divergentes.
25:49 Et si en 2023, nous sommes la meilleure version
25:53 de la République,
25:54 c'est bien parce que certains droits ont été acquis
25:58 et que certaines critiques ont été entendues
26:00 et ont petit à petit pénétré la psyché nationale.
26:04 Et que cela continue, c'est bienvenu,
26:05 puisque je rappelle que quand même,
26:07 nous sommes l'une des rares nations du monde
26:10 à avoir coupé la tête d'un roi et d'une reine
26:13 pour faire place à cette République
26:15 que nous chérissons tant apparemment aujourd'hui.
26:17 Et une République qui est basée
26:20 sur une conception universaliste du monde commun
26:23 et non pas sur cette conception qui ferait
26:26 de tous nos acquis le monopole de mâles blancs dominants,
26:30 le monopole de représentants communs,
26:34 qui est vraiment une conception multiculturaliste,
26:38 qui est totalement anti-universaliste.
26:41 Et la forme de la République française,
26:43 c'est justement son universalisme.
26:45 Et c'est cet universalisme qui est systématiquement
26:47 piétiné par le monde.
26:48 En 1958, c'est là le premier article de la Ve République,
26:53 c'est ce seul article qui mentionne l'universalisme.
26:56 Donc je vous laisse et on pourra finir sur ce point.
26:59 Avant 1958, il s'est passé beaucoup de choses
27:01 dans l'histoire française et des républiques
27:03 qui ne se sont pas avérées universalistes,
27:07 je veux dire, pour un sou.
27:08 Et en 1958, on est juste en train de sortir de la question,
27:13 on s'apprête à sortir des indépendances.
27:15 On a la guerre d'Algérie qui va bientôt exploser
27:18 en 1962.
27:20 Et donc cette vision de l'universalisme,
27:22 elle est systématiquement, historiquement,
27:25 contredite par l'histoire qui s'est déroulée
27:28 en dehors de nos frontières hexagonales,
27:30 c'est-à-dire ce qu'on appelle en France
27:32 les territoires ultramarins.
27:34 Et c'est là que tout se joue.
27:35 Il n'y avait rien d'universaliste là-bas.
27:38 Et depuis 1958, on essaye en France de se dire
27:41 que oui, l'article 1 apprenait quelque chose,
27:45 je veux dire, des choses que même la révolution de 1789
27:48 n'avait pas réalisé, puisque en 1789,
27:50 les femmes n'avaient pas le droit de vote.
27:52 Donc cet universalisme, il était déjà un peu caduque.
27:56 L'universalisme, dernier mot,
27:58 l'universalisme n'est pas un fait,
28:00 c'est une visée, c'est une valeur.
28:02 Et donc on ne peut pas contredire l'universalisme
28:04 par le fait qu'il n'aurait pas été né.
28:07 Justement, on y tend, on y tend, en le critiquant.
28:10 Je finirais, on y tend vers l'universalisme.
28:15 Je suis obligé de vous interrompre,
28:16 Madame Boula Soumaoro, je vous remercie beaucoup
28:19 d'avoir participé à ce débat d'aussi loin.
28:21 Je suis obligé de donner la parole,
28:23 et c'est un plaisir bien entendu,
28:24 à Isabelle Piboulot pour le rappel des titres.