Jancovici _ Sommes-nous trop sur la planète - L'info du vrai - 16_11_2017

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00:04 Bienvenue à vous tous qui nous rejoignez au coeur de l'Info du Vrai ce soir.
00:07 Donc sommes-nous trop sur la planète ?
00:09 Cette question est taboue, elle met mal à l'aise car elle fait penser notamment aux dictatures
00:13 et que surtout on n'a pas vraiment la réponse.
00:15 Et pourtant en ce début de COP 23, elle vient d'être soulevée par les 15 000 scientifiques
00:19 signataires d'un nouvel appel pour sauver notre planète.
00:22 Nous allons en débattre avec nos invités.
00:24 Jean-Marc Jancovici est ingénieur consultant en énergie climat.
00:27 Fondateur de l'agence Carbone 4 et enseigné à l'école des mines.
00:30 Votre dernier livre "Dormez tranquilles jusqu'en 2100" est paru chez Odile Jacob.
00:34 Harvey Le Bras est lui historien et démographe, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales.
00:39 Rappelons ce soir deux de vos livres "Archéologie des migrations" aux éditions La Découverte
00:43 mais aussi "L'âge des migrations" paru chez Autrebanque.
00:46 Enfin nous sommes aussi en duplex de Bonne où se déroule la COP 23 avec François Gemenne,
00:51 spécialiste des questions de géopolitique et d'environnement.
00:54 Vous enseignez à Sciences Po et à l'université de Liège
00:57 et êtes l'auteur d'un atlas des migrations environnementales aux presses de Sciences Po.
01:02 Même la croix s'y met Harvey Le Bras.
01:06 Faut-il limiter la population pour sauver la planète ?
01:09 C'est une question qu'on n'osait même pas la poser
01:12 parce qu'on pense immédiatement à des mesures drastiques et quasi dictatoriales.
01:16 Alors, ils ont raison de la poser.
01:18 On l'a posé quand même très très vite. Déjà en 1960, un professeur d'écologie de Stanford, Paul Ehrlich,
01:27 recommandait de ramener la population de la planète à à peu près un milliard d'habitants.
01:32 La difficulté c'est de trouver un chiffre.
01:35 Et au même moment où Paul Ehrlich donnait un milliard comme maximum,
01:41 celui qui dirigeait le département d'agriculture à Harvard, René Reuvel,
01:46 donnait 50 milliards parce qu'il avait une façon tout à fait différente de calculer.
01:50 C'est combien on peut produire au maximum.
01:52 Donc entre les deux, c'est très compliqué de dire, avant même de faire une répartition,
01:56 de dire même globalement combien il faut d'habitants.
02:01 Un autre démographe américain de l'université Rockefeller, Joel Cohen,
02:06 a consacré un livre à toutes les estimations scientifiques du maximum soutenable de population.
02:13 Il en a recensé 70.
02:16 Ça commence au fin du 17ème siècle et ça s'échelonne à peu près de 1 milliard à 50 milliards.
02:23 Ça descend un peu au-dessus de 1 milliard avec le commandant Cousteau qui était à 600 millions.
02:28 Il y a quand même une forme de petit jeu, mais en même temps,
02:31 on a 15 000 scientifiques qui nous disent "écoutez, c'est une question qui mérite d'être posée et elle est sérieuse".
02:35 On a envie de vous dire très simplement, Jean-Marc Jancovici,
02:39 si c'est l'homme qui pollue, sommes-nous trop ?
02:41 Et qu'est-ce qu'on peut faire éventuellement pour diminuer le nombre d'êtres humains sur Terre ?
02:44 Mais voyez, rien que de le dire, je suis...
02:46 - Non, c'est autre chose. - Vous êtes gêné en France.
02:49 Mais si vous étiez en Angleterre, en Australie,
02:53 le "zero population growth" est très populaire depuis très longtemps.
02:56 Mais la France a un passé ce qu'on appelle populationniste.
02:59 On a toujours pensé qu'on manquait d'habitants, qu'on manquait de population,
03:04 et ce depuis la fin du 19ème siècle.
03:06 Mais dans les autres pays, ça a plutôt été l'inverse.
03:09 Les Anglais ont été "malthusiens" comme on dit, dès le 19ème siècle.
03:13 - Ça veut dire quoi, quand on dit "ils sont malthusiens" ?
03:16 - Ça veut dire que... alors, c'est pas du tout la théorie de Malthus, quand on dit Malthus.
03:20 Mais quand on dit "ils sont malthusiens", ça veut dire qu'ils veulent qu'on stoppe la croissance de la population,
03:26 qu'on arrive au "zero population growth".
03:28 - Alors, Jean-Marc Jancovici, une question ?
03:31 - Évidemment, c'est une question. Mais c'est une question qui a peu de clients.
03:34 Parce qu'il n'y a pas de patron de la planète, donc c'est nécessairement un objet d'interrogation.
03:40 C'est légitime de se poser la question.
03:42 Maintenant, une fois qu'on a la réponse, il n'y a pas une personne bien individualisée qui sait en faire quelque chose.
03:47 Parce que les États sont souverains, et parce qu'en plus, on touche là à des choses qui ne sont pas du tout purement rationnelles.
03:53 - Oui, à l'intimité, les questions religieuses qui parcourent la planète sont aussi très importantes.
03:58 - Si on prend le point de vue de l'objet d'étude, très analytique,
04:03 il y a, en ce qui concerne toutes les espèces vivantes, soit dit en passant, une notion de capacité de charge.
04:08 C'est-à-dire que vous êtes sur une planète, je prends la planète, elle fait 13 000 km de diamètre,
04:12 je pourrais prendre un pays, il a une superficie donnée,
04:14 et vous regardez combien vous pouvez mettre de gens dessus,
04:17 et évidemment, vous avez des conditions limites.
04:19 Ça dépend ce qu'ils mangent. Plus vous mangez de viande, plus vous avez besoin de surface agricole.
04:22 Ça dépend de ce que vous avez envie de laisser à la forêt et aux petits oiseaux.
04:26 Et ça dépend combien de temps vous avez envie de durer.
04:28 Parce que vous pouvez très bien vous dire, l'expérience, ça va bien, si elle dure 50 ans, je m'en fiche.
04:32 Mais vous pouvez aussi vouloir dire, j'ai envie que ça dure 3 siècles.
04:35 Et à ce moment, les conditions aux limites ne sont pas les mêmes.
04:37 Donc, je rejoins ce qui vient d'être dit, se mettre d'accord sur un chiffre,
04:40 c'est un débat presque sans fin.
04:44 Parce qu'on ne va jamais avoir la même acceptation des conditions aux limites qui vont derrière.
04:48 – Et si je vous dis, il faudra bien qu'on se mette d'accord à un moment ou à un autre, non ?
04:51 – Alors, là où je vous rejoins sur cette façon de voir les choses un peu fataliste,
04:55 c'est que ce qui est sûr, c'est qu'à partir du moment où vous dépassez la capacité de charge,
04:59 compte tenu du niveau de vie et compte tenu des ressources de l'environnement,
05:03 à un moment, le système se régule.
05:05 Et alors, quand le système se régule, là, ça se fait en général d'une façon
05:08 qui n'est pas très sympathique pour la population,
05:10 parce que les 3 grands modes de régulation de la population,
05:12 c'est la famine, la maladie et la guerre.
05:14 Donc, le débat, là où il devient vraiment intéressant,
05:17 c'est qu'est-ce qui est le plus désagréable si on est fermement convaincu
05:20 qu'on a dépassé cette fameuse capacité de charge,
05:22 c'est est-ce qu'on s'impose des mesures dont certaines ne sont quand même pas affreuses ?
05:27 La contraception, par exemple, ce n'est pas quelque chose qui est totalement affreux.
05:30 Est-ce qu'on discute des mesures de prévention, entre guillemets,
05:35 ou bien on se dit "advienne que pourra, pour le moment,
05:38 on a envie de jouer de la vie telle qu'elle se présente et on verra bien plus tard".
05:41 François Gemmene, merci beaucoup d'être avec nous.
05:43 Je rappelle que vous êtes en direct de Bonn, puisque vous participez à la COP23.
05:47 On en parle de cette question de la régulation de la population à Bonn ?
05:50 Pas du tout, c'est un tabou, c'est inacceptable pour les pays en développement.
05:56 Bien entendu, les pays en développement voient cette question
05:59 comme une manière pour les pays industrialisés de faire peser sur eux la charge de l'effort,
06:03 puisque aujourd'hui 70% des émissions de gaz à effet de serre
06:06 sont émises par uniquement un milliard d'habitants.
06:09 Pour les pays en développement, c'est une question qu'il n'est pas possible de poser,
06:13 parce qu'ils le verraient comme quelque chose que le Nord veut leur imposer
06:17 pour se dédouaner de ses responsabilités.
06:19 Et c'est vrai qu'effectivement, faire peser la responsabilité du changement climatique
06:23 sur la croissance démographique a ses limites,
06:26 puisque aujourd'hui le continent qui a la plus forte croissance démographique, l'Afrique,
06:29 est aussi le continent qui a la plus faible croissance de ses émissions de gaz à effet de serre.
06:33 Les seuls qui en ont parlé il y a quelques années, c'était la délégation chinoise
06:38 qui essayait d'utiliser sa politique de l'enfant unique comme une politique climatique,
06:42 en disant "regardez, moi j'ai déjà fait l'effort dans le passé, j'ai limité ma démographie,
06:46 et donc vous devez me demander maintenant moins d'effort,
06:49 parce que j'ai déjà produit cet effort dans le passé,
06:51 et à part les chinois, personne ne veut véritablement en parler,
06:54 parce que de surcroît se pose aussi la question politique,
06:57 quand bien même on se mettrait d'accord sur un chiffre,
06:59 la question c'est comment faire concrètement ?
07:01 Comment est-ce que vous limitez les naissances ?
07:04 On l'a dit, les trois moyens de régulation de la population,
07:07 c'est la famine, ou la guerre, ou les maladies,
07:12 et personne évidemment ne veut cela.
07:15 Donc il y a aussi un véritable problème politique,
07:17 quand bien même on pourrait discuter de ces questions dans les négociations,
07:20 ce qui n'est pas le cas pour le moment.
07:21 La seule chose dont on peut discuter,
07:23 c'est de la distribution géographique de cette population,
07:26 en d'autres termes, où les gens pourront-ils habiter demain,
07:29 et quelles seront les zones du monde qui resteront habitables,
07:31 et où est-ce qu'on va placer les gens ?
07:33 - Vous avez revu le bras ?
07:35 - Oui, il faut aussi, je crois, au fond,
07:37 les 15 000 scientifiques sont des biologistes,
07:39 et pas des spécialistes de sciences sociales,
07:41 et donc ils ont un peu tendance à traiter les humains
07:45 comme s'il s'agissait au fond d'animaux ou d'insectes.
07:48 Or, les choses sont très différentes,
07:51 d'abord parce qu'elles sont très différentes entre les pays.
07:54 En fait, dans la grande majorité des pays,
07:59 la fécondité est devenue très modérée,
08:01 et même souvent au-dessous de 2 enfants par femme,
08:04 mettons le cas dans des pays comme le Brésil, comme la Chine,
08:07 et au fond c'est en train de devenir la règle sur la planète.
08:10 Donc il faut spécifier le problème,
08:12 et ce n'est pas un énorme problème,
08:14 c'est-à-dire qu'il y a deux pôles qui sont assez limités,
08:17 c'est l'Afrique intertropicale et la zone nord de l'Inde,
08:21 nord du Pakistan, Afghanistan.
08:23 Donc ce qui serait sérieux, c'est de dire,
08:26 si on veut vraiment limiter la population,
08:29 restreindre l'accroissement démographique,
08:32 on va avoir une politique spécifique,
08:34 ce n'est pas énormément de monde actuellement le Sahel,
08:37 c'est un peu moins de 100 millions d'habitants sur plus de 7 milliards,
08:42 donc là-dedans, je trouve qu'il y a un certain manque de sérieux
08:45 de faire un raisonnement général sur la croissance démographique
08:48 et de ne pas voir les cas particuliers qui se posent.
08:51 Alors, sur ce qu'on peut appeler l'alerte démographique,
08:54 on reviendra avec un reportage dans quelques instants,
08:56 si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit François Gemmene,
08:58 finalement, actuellement à Bonne, on ne parle en gros que de CO2.
09:01 On parle de CO2 et on parle surtout de plus en plus
09:06 des dommages liés au changement climatique
09:08 et de la manière dont on va financer les solutions d'adaptation,
09:11 et évidemment la question de la migration s'intègre
09:14 dans ce débat sur les conséquences du changement climatique.
09:17 On a raison de parler de CO2 ?
09:20 Dans une réunion annuelle qui vise à parler de changement climatique,
09:24 c'est difficile de ne pas en parler.
09:26 Cela étant, il faut bien voir que dans une manifestation
09:29 telle que la COP, alors moi je n'y suis pas cette année,
09:32 mais enfin j'imagine que les ordres de grandeur sont toujours les mêmes,
09:34 il y a quelques milliers de personnes qui sont chacune investie en général
09:39 de discuter d'un petit bout détaché de la question
09:42 avec une mise en cohérence globale
09:44 qu'au moment de la discussion, à peu près personne n'est capable de faire.
09:47 Donc si vous essayez à un instant T de dire à quoi se résume la discussion
09:51 en ce moment, à part vous dire à quelques milliers de personnes
09:54 qui discutent les unes avec les autres en groupe de n'importe quoi
09:56 qui va de 2 à 100 personnes, à rien d'autre.
09:58 Et par ailleurs, dans ce genre d'enceinte,
10:02 c'est très compliqué d'interpréter les résultats en sortie,
10:05 parce que je rappelle que ça produit des accords qui sont non contraignants,
10:08 il n'y a pas de gendarmes pour vérifier que vous êtes bien en train de faire,
10:11 il n'y a personne pour vous coller une amende
10:13 si vous ne faites pas ce que vous avez dit que vous feriez.
10:15 J'imagine qu'on en parlera tout à l'heure.
10:17 Donc c'est un endroit qui en gros éveille l'intérêt.
10:21 Et dire beaucoup plus que ça, surtout à chaud,
10:26 malheureusement c'est très difficile.
10:28 Alors vous ne le savez peut-être pas, mais ce sont les îles Fidji
10:30 qui co-organisent la COP23 pour limiter la facture carbone.
10:34 Tout cela se passe à Bonn, en Allemagne.
10:37 Les représentants de Donald Trump, eux, ont fait le déplacement
10:39 pour vanter les mérites du charbon et du pétrole.
10:42 Bref, tant pis pour les îles Fidji menacées de disparition.
10:45 François-Xavier Rigaud.
10:47 Cérémonie d'ouverture de la COP23 à Bonn, en Allemagne.
10:56 Sous la présidence des îles Fidji, menacées de disparition par la montée des eaux.
11:02 Le besoin d'agir urgentement est évident.
11:07 Notre monde est en détresse face aux phénomènes météorologiques extrêmes
11:11 causés par le changement climatique.
11:13 Ouragans destructeurs, incendies, inondations, sécheresses, fondes des glaces.
11:19 En marge de cette COP23, la délégation américaine envoyée par Donald Trump
11:25 a organisé une conférence pour vanter les mérites des énergies fossiles
11:28 dans la lutte contre le réchauffement climatique.
11:31 Donald Trump veut utiliser toutes les ressources dont dispose notre pays
11:35 pour créer des emplois aux Etats-Unis
11:38 et permettre à nos entreprises d'être plus compétitives.
11:41 Le président veut également que nos ressources en énergie
11:44 puissent aider nos alliés et partenaires en matière de sécurité énergétique.
11:49 Il existe aujourd'hui des technologies qui peuvent permettre de réduire drastiquement
11:53 les émissions liées à la production de charbon et autres énergies fossiles.
11:58 Washington persiste dans son choix de tourner le dos à l'accord de Paris
12:02 sur le réchauffement climatique.
12:05 Mais la conférence américaine a rapidement viré au fiasco
12:08 pour les membres de la délégation Trump.
12:11 A la surprise générale, deux gouverneurs démocrates américains
12:14 ont fait irruption dans la salle pour dénoncer les choix
12:17 de l'administration américaine en matière énergétique.
12:20 C'est un spectacle ridicule.
12:24 Le monde ne vous regarde pas.
12:26 Le monde ne prêtera pas attention à quelqu'un qui affirme
12:29 que le changement climatique est une farce.
12:32 Donald Trump essaie de vous vendre des vieilles technologies
12:37 d'un monde passé, d'un monde révolu, avec des arguments scientifiques erronés.
12:42 C'est absolument évident que Trump rejette l'économie du futur.
12:49 Pire encore, quelques minutes plus tard,
12:54 des dizaines d'activistes ont interrompu la conférence.
12:58 Ils ont entonné un chant contre la production de charbon.
13:02 Je suis ici parce que, étant jeune,
13:18 j'ai peur de la menace du changement climatique.
13:21 Je suis en colère que des personnes comme Donald Trump
13:24 mettent nos vies, nos futurs en danger.
13:27 Les États-Unis devraient respecter la liberté et la justice pour tous.
13:31 Le vrai rêve américain, pas le rêve de quelques milliardaires
13:34 et des 1% les plus riches du pays.
13:37 Si l'administration Trump rejette les accords de Paris,
13:42 des États, des villes, des entreprises américaines
13:45 ont décidé de s'engager à respecter ces accords
13:48 en réduisant leurs émissions,
13:51 et en développant les énergies renouvelables.
13:54 Le peuple américain, lui, est engagé dans ses objectifs
14:00 et Washington ne peut rien faire pour nous arrêter.
14:03 De nombreuses villes et États ont même déjà pris des engagements en concret
14:07 en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
14:10 43 villes se sont déjà engagées à passer à 100% d'énergies renouvelables
14:14 et cet été, ils ont décidé de faire un accord
14:17 avec les 1200 plus grandes villes des États-Unis.
14:20 Ils se sont, eux aussi, engagés dans le même sens.
14:23 Sous l'impulsion de Donald Trump,
14:26 de très nombreuses mines de charbon rouvèrent sur le sol américain.
14:29 Et pour la première fois depuis 1975,
14:32 les États-Unis sont à nouveau les premiers producteurs de pétrole.
14:35 Le pays a une capacité à produire plus de 100% de l'énergie renouvelable
14:41 et plus de 1,5 milliards d'hommes.
14:44 [Musique]
14:47 Pour la première fois depuis 1975,
14:50 les États-Unis sont à nouveau les premiers producteurs de pétrole au monde.
14:53 Cette notion devrait nous interpeller.
14:56 Comment vit-on, François Gemmene, depuis Bonne,
14:59 dans cette COP 23, le vrai bras d'honneur de la délégation américaine
15:02 et du président Trump ?
15:05 C'est certain que c'est une débandade complète ici à Bonne
15:08 pour la délégation américaine parce qu'en réalité, il y a deux délégations.
15:11 Il y a la délégation officielle de Donald Trump
15:14 qui multiplie les provocations. On a vu dans le reportage
15:17 cette promotion des énergies fossiles. C'est comme si vous alliez
15:20 à un congrès contre le cancer faire la promotion du tabac
15:23 dans la lutte contre le cancer. C'est une pure provocation.
15:26 Et puis il y a la délégation de la société civile, des autorités locales,
15:29 des gouverneurs des États qui, eux, proclament que les États-Unis sont toujours
15:32 dans l'accord de Paris et vont parvenir à atteindre les objectifs
15:35 malgré le retrait du gouvernement fédéral américain.
15:38 Et donc on a une délégation contre l'autre. Il y a par exemple
15:41 un pavillon officiel des États-Unis et puis un pavillon
15:44 non officiel qui est ici à quelques enclabures juste derrière
15:47 le centre de presse international.
15:50 Le problème, je dirais, dans la négociation, c'est que les États-Unis
15:53 en réalité ne sont pas isolés du tout. Ce qui
15:56 se passe pour le moment dans la négociation est assez dramatique
15:59 puisqu'il ne se passe rien au niveau macro. C'est comme si on avait
16:02 une multitude, une myriade de petites initiatives et de petits accords
16:05 mais dans la négociation globale, il ne se passe
16:08 quasiment rien, comme si l'accord de Paris était un point
16:11 d'arrivée plutôt qu'une ligne de départ. Et donc par exemple
16:14 les États refusent de revoir à la hausse
16:17 leurs engagements avant 2020. Or c'est pourtant une condition
16:20 sine qua nonne si l'on veut atteindre les objectifs
16:23 de l'accord de Paris. Et donc quelque part, la COP 23 est en train
16:26 d'enterrer définitivement l'objectif des deux degrés.
16:29 Et là c'est véritablement dramatique. - Alors je trouve que vous faites un très bon correspondant
16:32 à la bonne. Néanmoins, je reviens un tout petit peu
16:35 sur les États-Unis. Est-ce que ça veut dire
16:38 d'une certaine façon que par rapport aux objectifs annoncés
16:41 on peut faire sans l'État américain mais avec
16:44 l'ensemble des grandes villes et des bonnes volontés pour obtenir
16:47 ces résultats ? Est-ce que c'est raisonnable de l'imaginer ?
16:50 Faire sans Donald Trump et sans Washington d'une certaine façon
16:53 mais avec toutes les bonnes volontés qui se font entendre
16:56 et qui se mettent en pratique dès aujourd'hui aux États-Unis ?
16:59 - Je voudrais y croire.
17:02 Et il est certain qu'il y a plein de choses qui se passent dans la société
17:05 siloé-américaine, plein de villes, plein d'États
17:08 qui aujourd'hui ont décidé de réduire effectivement leurs émissions.
17:11 Mais le gouvernement fédéral conserve des leviers
17:14 très très importants, à la fois par exemple sur le financement
17:17 des fonds pour le climat, sur le financement de la recherche.
17:20 On voit bien que les fonds alloués à la recherche sur le climat sont en train
17:23 d'être sabordés aux États-Unis. Le gouvernement
17:26 peut également réinvestir dans le pétrole, dans le charbon.
17:29 C'est ce qui est en train de se passer. Et puis bien entendu, il y a le poids
17:32 diplomatique des États-Unis. On sait aujourd'hui
17:35 que tout le monde doit appuyer sur l'accélérateur et il semble très difficile
17:38 de demander aux autres délégations d'appuyer sur l'accélérateur
17:41 si les États-Unis font marche arrière. Tout le monde est en train de dire
17:44 au fond pourquoi devrions-nous revoir la hausse de nos engagements
17:47 si les États-Unis, eux, ne font rien et se placent dans la position
17:50 du passager clandestin. - Oui, en fait, ils se retournent
17:53 dans une situation où ils découragent toutes les bonnes volontés.
17:56 Qu'est-ce que vous pensez de ce qui se passe là-bas, notamment avec
17:59 cette délégation américaine ? - J'ai toujours pensé qu'on accordait
18:02 plus d'importance à l'État fédéral américain qu'il n'en méritait vraiment.
18:05 Les Français qui sont habitués à un pays où l'exécutif est très fort,
18:08 puisque chez nous c'est le gouvernement qui a l'ordre du jour du Parlement,
18:11 c'est le gouvernement qui fait les projets de loi, etc., ne comprennent pas
18:14 qu'aux États-Unis, ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe.
18:17 - C'est beaucoup plus décentralisé qu'on ne le pense. - C'est autonome.
18:20 Le président décide de son propre ordre du jour. Il n'y a pas la notion de décret.
18:23 Les lois comportent leurs propres décrets dont les textes ont 1000 pages, etc.
18:26 C'est la raison pour laquelle Obama, en 8 ans, a réussi à faire voter
18:29 une loi forte. Parce que faire voter une loi forte aux États-Unis,
18:32 c'est un chemin de croix absolument extraordinaire.
18:35 Donc, en fait, Trump a l'importance qu'on lui donne, quelque part.
18:38 Quand on regarde, par ailleurs, les sous-jacents aux États-Unis
18:41 qui expliquent ce qui se passe dans l'économie américaine,
18:44 en fait, ce que dit ou ne dit pas le président n'a pas beaucoup d'importance.
18:47 La raison pour laquelle les opérateurs de Shell Oil et Shell Gas
18:52 ont foré des trous partout ne doit pas grand-chose à ce que Obama a fait
18:56 et ne devra pas grand-chose à ce que Trump fait.
18:59 C'est un système qui a sa propre logique, qui est arrivé par ailleurs.
19:02 - Vous voulez dire que n'importe qui peut creuser où il le veut ?
19:07 - Oui, parce que le droit minier aux États-Unis, c'est que si vous êtes
19:11 propriétaire du sol, vous êtes propriétaire du sous-sol.
19:13 - D'accord. - Donc, M. Calvi a une parcelle de terre aux États-Unis.
19:16 Demain matin, vous pouvez dire à un foreur, viens donc chez moi,
19:18 creusez un trou et on va regarder s'il y a quelque chose.
19:20 Et s'il y a quelque chose, on se partage le résultat.
19:22 Vous n'avez pas besoin de l'autorisation de l'État pour ça.
19:24 - Vous me donnez des idées.
19:26 - C'est inhabituel. Enfin, nulle part ailleurs dans le monde,
19:28 ça se passe comme ça. - Oui, oui.
19:30 - Ça dit quelque chose de la civilisation américaine.
19:32 - Par ailleurs, il faut savoir que les opérateurs de pétrole de schiste
19:36 aux États-Unis, depuis que cette industrie existe,
19:38 ils n'ont pas gagné un dollar. Ils ont perdu, en cumulé,
19:41 quelques centaines de milliards de dollars.
19:43 - On nous a expliqué par A+B que ça avait relancé l'économie américaine.
19:48 - Je ne sais pas qui est on, mais en tout cas, la chose que je peux vous dire,
19:50 il y avait un article dans le Financial Times, il n'y a pas longtemps,
19:52 pour citer un de vos confrères, qui donnait ce qu'on appelle les cash flows,
19:56 les pertes en cash flows, depuis le début de cette industrie.
19:59 Et ils ont perdu quelques centaines de milliards de dollars.
20:01 Donc, d'aller creuser un peu ce qui se passe aux États-Unis
20:04 est quelque chose qui montre une complexité bien supérieure à
20:09 Trump a dit, donc il va se passer ça, ou Obama avait dit,
20:11 et donc il va se passer l'inverse. Ce qui est sûr, par contre,
20:14 c'est qu'aux États-Unis, l'action se passe à l'étage en dessous.
20:16 Donc, les gens avec qui il faut vraiment discuter aux États-Unis,
20:18 si on a envie que ça bouge, c'est les entreprises et les États.
20:21 Ce que vient de dire François Gemmene, c'est exactement ça.
20:24 - Alors, avant de découvrir le deuxième reportage de cette émission,
20:26 je voulais me livrer à un petit jeu. Est-ce que vous vous souvenez,
20:28 quand vous étiez à l'école communale, ou dite primaire,
20:31 le chiffre de population mondiale que l'on vous apprenait, Hervé Le Bras ?
20:36 - Écoutez, vous devriez le savoir, mais on était du côté de 2 milliards,
20:39 2 milliards et demi. - Vous ?
20:41 - Moi, j'ai 20 ans de plus, donc on devait être à 3.
20:44 - Oui, moi, je crois qu'on était à 4 déjà pour moi.
20:47 François Gemmene, vous ?
20:49 - Je savais bien que j'allais... Moi, je suis un peu plus jeune,
20:51 donc on était à 6 quand j'étais au lycée.
20:54 - 6 milliards quand vous étiez au lycée. En 25 ans, en tout cas,
20:56 la population mondiale a augmenté de 2 milliards.
20:59 Et ce n'est pas terminé. L'une des recommandations avancées,
21:01 nous l'évoquions il y a quelques instants par ces 15 000 scientifiques,
21:04 consiste à limiter la population pour préserver l'environnement.
21:07 Ça paraît logique et en même temps, ça fait peur.
21:09 Dossier préparé par Antoine Magnan et Basile Bonne.
21:12 - 25 ans après, les scientifiques du monde entier montent au créneau.
21:19 25 ans après, le sommet de la terre de Rio,
21:22 en marge duquel 1 700 scientifiques signaient un premier avertissement à l'humanité.
21:28 Cette année, ils sont cette fois 15 000, de 184 pays différents
21:33 à mettre de nouveau en garde.
21:35 Rien ne s'est amélioré et pire encore,
21:38 les problèmes se sont considérablement aggravés.
21:41 Cet appel, relayé par le quotidien Le Monde,
21:44 pointe la question de la surpopulation humaine.
21:47 - La croissance démographique rapide et continue
21:50 est l'un des principaux facteurs des menaces environnementales.
21:53 - Une progression vertigineuse.
21:57 Depuis 1992, la population mondiale a augmenté de 2 milliards d'habitants.
22:02 Et ce n'est pas fini. Elle dépassera les 10 milliards avant la fin du siècle.
22:07 Franck Courchamp est l'un des premiers signataires de l'appel.
22:11 Comme les autres scientifiques, il pointe le problème de la démographie.
22:15 - Ce problème de population humaine, c'est la base de tous les autres problèmes.
22:20 On est trop nombreux et chacun, on consomme trop.
22:23 - Une surpopulation qui amènera un problème de gestion des ressources.
22:27 C'est ce qui effraie les scientifiques
22:29 qui demandent à diminuer notre consommation.
22:32 Parmi les exemples relayés dans l'appel,
22:35 ce graphique qui lit l'augmentation de la population humaine
22:39 avec celle des animaux ruminants.
22:42 - Avec cette croissance de l'humanité,
22:44 on voit une croissance en parallèle des animaux d'élevage.
22:47 On a de plus en plus d'animaux d'élevage,
22:49 souvent en plus dans des conditions industrielles
22:51 qui, éthiquement, ne sont pas satisfaisantes.
22:53 Et ça, sur l'environnement, ça a vraiment un poids qui est très important.
22:56 Tout simplement, pour faire un kilo de bœuf,
22:59 il faut d'abord avoir nourri le bœuf avec beaucoup de céréales,
23:02 des céréales que les humains ne vont pas manger.
23:04 Il faut avoir utilisé énormément d'eau pour les céréales et pour le bœuf.
23:07 Et c'est de l'eau aussi qui, du coup, n'est plus disponible.
23:10 - La surpopulation menace l'environnement.
23:12 Mais une autre problématique inquiète les scientifiques,
23:15 les effets du dérèglement climatique
23:18 qui alimente cette croissance démographique
23:20 dans des zones plus difficilement habitables
23:23 ou touchées par des phénomènes naturels extrêmes.
23:26 Les populations s'enfuient.
23:28 Ces réfugiés climatiques sont aujourd'hui au nombre de 20 millions par an.
23:32 - On va avoir systématiquement des gens
23:36 qui ne vont plus avoir assez de ressources sur place
23:38 et qui vont devoir partir pour fuir un climat
23:40 qui n'est plus du tout favorable.
23:42 Avec les années qui viennent et les décennies qui viennent,
23:45 cette situation va empirer et que les réfugiés climatiques
23:48 vont être vraiment de plus en plus nombreux.
23:51 D'ailleurs, la semaine dernière,
23:53 le Premier ministre de Nouvelle-Zélande
23:55 a créé un nouveau visa, un visa de réfugiés climatiques,
23:58 ce qui montre bien que c'est une situation
24:00 qui est non pas une projection dans le futur,
24:03 mais qui est déjà actuelle.
24:05 - Un nouveau visa à destination des habitants des îles du Pacifique,
24:08 menacés par la montée des eaux,
24:10 comme ici dans les îles Marshall,
24:12 où les hypothèses les plus pessimistes
24:14 prévoient une augmentation du niveau de la mer
24:17 de plus de 100 cm d'ici la fin du siècle.
24:20 Une montée des eaux qui entraînerait l'exode
24:23 de l'intégralité de la population.
24:26 - Alors, la Nouvelle-Zélande crée un statut de réfugié climatique.
24:30 Tout à l'heure, vous pondériez cette inquiétude
24:33 des spécialistes sur la question démographique.
24:36 Il faut que vous nous expliquiez pourquoi, Hervé Lebras.
24:39 - D'abord... - Ça va contre l'entendement spontané,
24:42 si je puis dire. - Oui, mais...
24:44 - Si on est 10 milliards, comment on fait
24:46 pour se partager cette planète,
24:48 pour maintenir un certain nombre de conditions de vie
24:51 qui ont fait une partie de notre civilisation ?
24:54 Il y a toutes sortes de questions comme ça.
24:56 Les guerres de la faim, de l'accès à l'eau
24:59 peuvent tout à fait exister du jour au lendemain,
25:02 en plus de la question climatique qui est en train de créer des réfugiés.
25:05 Ce sont des images qui peuvent paraître effrayantes
25:07 et qui sont liées au nombre d'individus.
25:09 - C'est lié au nombre d'individus,
25:11 mais ce que j'ai dit tout à l'heure,
25:13 il faut regarder large région par large région.
25:15 - Alors, allons-y. - Effectivement,
25:17 si vous prenez par exemple
25:19 l'ensemble de l'Amérique du Sud,
25:21 la croissance démographique est pratiquement terminée.
25:24 Les prévisions à l'horizon 2050
25:28 montrent une très légère augmentation de la population.
25:31 Si vous prenez la Chine, c'est exactement la même chose.
25:34 Donc il reste ce qu'on pourrait appeler des "hotspots".
25:37 Et ces hotspots, effectivement, sont...
25:39 - Des points chauds. - Des points chauds.
25:41 Ils sont très dangereux, parce qu'effectivement,
25:43 c'est comme par hasard là que se produisent
25:45 les plus gros troubles actuellement.
25:47 C'est... Ben oui, c'est Afghanistan,
25:49 Pakistan du Nord, d'un côté.
25:52 Nord de l'Inde aussi, en partie.
25:54 Et puis c'est de l'autre côté, le Sahel,
25:57 et puis une partie de l'Afrique tropicale.
25:59 C'est là qu'on a les plus grandes guerres,
26:01 c'est là qu'on a les plus grands troubles,
26:03 c'est là qu'on a les maladies qui surgissent
26:05 et qui sont difficiles à régler.
26:07 Donc il y a quelque part une sorte de vérité, bien sûr,
26:10 dans ce qui a été dit sur le risque de surpopulation,
26:13 cette vérité est devenue locale.
26:15 Simplement, elle est locale pour l'instant,
26:17 mais quand vous pensez qu'au Niger,
26:19 vous avez actuellement 20 millions d'habitants
26:21 et qu'on en prévoit, l'hypothèse moyenne,
26:23 70 millions dans 35 ans, 2050,
26:26 ça va faire du dégât autour.
26:28 C'est-à-dire que ça va faire du dégât dans des pays
26:30 qui, au contraire, commençaient à maîtriser
26:32 leur fécondité et leur croissance.
26:34 - On a quand même envie de vous dire que le local
26:36 n'existe plus dans la société mondialisée.
26:38 - Le local existe... - C'est faux ?
26:40 - C'est faux. Le local existe... Prenez par exemple
26:42 les réfugiés, qui sont beaucoup agités.
26:44 Est-ce que vous croyez que les réfugiés du Darfour
26:46 arrivent en Europe ?
26:48 - Non. - Les réfugiés de Somalie,
26:50 les Santas, etc. Donc les problèmes restent
26:52 quand même très largement locaux
26:54 dans la mesure où c'est des populations
26:56 très pauvres qui sont frappées. Bien sûr,
26:58 dès qu'on entre dans un domaine,
27:00 et ça a été plutôt le cas de la Syrie,
27:02 où d'abord c'est encore plus grave que ce qui se passe
27:04 en Somalie et au Darfour, mais aussi
27:06 où les populations sont beaucoup plus éduquées,
27:08 à ce moment-là, elles ont les moyens d'aller
27:10 plus loin. Donc là, on entre
27:12 dans un autre problème. La Syrie n'avait pas
27:14 un problème démographique
27:16 majeur. Elle avait un problème politique
27:18 majeur. - François Gemmene, si j'ai bien
27:20 compris votre première intervention au début d'émission,
27:22 il est clair que cette question démographique,
27:24 on jette un voile dessus
27:26 dans le cadre de la conférence de Bonn et de la COP23 ?
27:28 - Je dirais que,
27:32 effectivement, ce qui pose question
27:34 à la COP23, ce n'est pas tant le nombre absolu
27:36 de personnes qui habitent sur la planète,
27:38 mais ce sont les endroits où elles vivent.
27:40 Et le problème, et je suis assez d'accord avec cette nécessité
27:42 de l'approche locale ou régionale,
27:44 le problème, c'est que le nombre de personnes qui habitent
27:46 dans des zones à risque ne cesse
27:48 d'augmenter. Et que donc,
27:50 toutes ces personnes deviennent potentiellement des gens
27:52 qui risquent de se déplacer à l'avenir
27:54 et qui d'ailleurs se déplacent déjà aujourd'hui.
27:56 Ce qu'il faut bien voir, c'est qu'on parle toujours
27:58 des réfugiés climatiques comme quelque chose
28:00 qui risquerait de se produire dans le futur.
28:02 C'est déjà une réalité aujourd'hui.
28:04 Et par exemple, une partie des migrants
28:06 africains qui arrivent dans l'Europe pour le moment
28:08 et que nous appelons "migrants économiques"
28:10 sont aussi des migrants environnementaux.
28:12 Simplement parce que la moitié
28:14 de la population africaine environ
28:16 dépend directement de l'agriculture
28:18 de subsistance comme principale source
28:20 de revenus. Et ce qu'on voit dans nos recherches,
28:22 c'est qu'on a des parcours migratoires
28:24 de plus en plus étalés, de plus en plus morcelés,
28:26 où d'abord les gens vont quitter
28:28 la campagne et envoyer un jeune fils
28:30 parce que l'agriculture ne permet plus à la famille
28:32 de se nourrir. Il va aller chercher du travail
28:34 en ville, ne va pas toujours y arriver.
28:36 Il va parfois tomber dans les filets
28:38 de réseaux de passeurs qui vont l'emmener au Niger
28:40 ou au Mali. Et puis finalement, il va échouer
28:42 en Libye. Et donc, cette idée de
28:44 distinguer l'économie de l'environnement, en réalité
28:46 en tout cas sur le continent africain,
28:48 n'a pas tellement de sens parce que l'environnement,
28:50 c'est l'économie d'une grande partie
28:52 de la population. Les ressources de la population
28:54 dépendent directement
28:56 des conditions environnementales. Et donc, il ne faut pas
28:58 seulement voir cette question des réfugiés climatiques
29:00 comme quelque chose de futur ou quelque chose
29:02 de limité aux petits états insulaires.
29:04 C'est déjà une réalité aujourd'hui, notamment
29:06 en Afrique subsaharienne, en Asie
29:08 du Sud et du Sud-Est, et bien sûr,
29:10 dans les petits états insulaires, c'est-à-dire
29:12 les hot spots, les points chauds dont nous parlions tout à l'heure.
29:14 - La question de l'accès à l'eau,
29:16 à l'eau potable, est une question
29:18 cruciale. - Oui.
29:20 Alors, enfin, l'eau potable et surtout
29:22 l'eau pour l'agriculture. En fait,
29:24 l'essentiel du prélèvement d'eau qu'on fait dans une société
29:26 et même dans une société comme la nôtre,
29:28 ça concerne l'agriculture.
29:30 Et quand vous n'avez pas assez d'eau chez vous,
29:32 si vous avez de quoi payer,
29:34 importer des denrées agricoles
29:36 de chez les autres, et quand vous n'avez plus cet argent-là,
29:38 vous avez des problèmes. C'est, soit dit en passant,
29:40 ce qui s'est passé au Maghreb en 2011,
29:42 où vous avez...
29:44 Le Maghreb est un endroit qui, dans le cadre
29:46 des projections climatiques, va s'assécher.
29:48 C'est déjà à l'œuvre.
29:50 Et quand ça s'assèche, ça pousse
29:52 un peu moins bien, toute chose égale par ailleurs,
29:54 et donc vous avez besoin d'un peu plus d'importation de nourriture
29:56 si vous arrivez à vous les payer. - C'est ce qu'on a appelé
29:58 les émeutes de la faim. - Alors, ça a été
30:00 les émeutes de la faim, parce que les recettes
30:02 à l'exportation ont baissé, il y avait moins de touristes,
30:04 et on était dans la suite de la crise de 2009.
30:06 L'alimentation a fortement augmenté,
30:08 notamment suite à une sécheresse
30:10 remarquable qu'il y a eu en Russie
30:12 en 2010. Ça a supprimé les exportations russes
30:14 cette année-là. Le marché des céréales
30:16 est très sensible à des petites variations
30:18 de la production disponible à l'exportation.
30:20 Les prises se sont envolées, et on a eu
30:22 des émeutes de la faim. Donc ça existe déjà,
30:24 ces problèmes-là. - Et on s'est retrouvé avec une révolution
30:26 en Tunisie et une révolution en Égypte.
30:28 - Oui, et pas au Maroc, où les problèmes
30:30 d'importation et d'alimentation sont
30:32 beaucoup moins cruciaux, et pas en Algérie,
30:34 qui pouvait payer ses importations avec ses exportations
30:36 d'hydrocarbures. - Vous vous rendez compte des conséquences
30:38 que vous êtes déjà en train d'évoquer ? - Oui, je suis en train de dire que le problème
30:40 est déjà à nos portes, et les déterminants
30:42 du problème font qu'il n'a aucune raison de ne pas
30:44 en pirer. Aucune.
30:46 Parce qu'il y a de plus en plus de monde,
30:48 parce que ça va s'assécher, parce que l'Algérie va perdre
30:50 progressivement ses recettes à l'exportation, parce qu'elle a
30:52 passé son pic de production de pétrole
30:54 et de gaz. - Le pic de production algérien est passé ?
30:56 - Oui, oui.
30:58 Donc c'est quelque chose, si vous agrégez
31:00 les deux, oui, il est passé.
31:02 Donc les déterminants à l'œuvre n'ont
31:04 aucune raison de nous amener vers un problème
31:06 plus simple à résoudre.
31:08 Et l'eau est intimement liée, quelque part,
31:10 à la question du climat. Vous avez de l'eau s'il pleut.
31:12 Donc la question de l'accès
31:14 à l'eau et la question du changement climatique
31:16 sont des sujets qui sont extrêmement imbriqués.
31:18 - Bon, ça veut dire que de toute façon, vous nous annoncez
31:20 des phénomènes de migration importants qui viendront vers l'Europe ?
31:22 - Alors, ce que je suis en train de dire, par ailleurs,
31:24 pour rebondir sur ce qui a été dit tout à l'heure,
31:26 c'est que... J'avais su si on disait
31:28 "le bras" ou "le braze", du reste ? - On dit "le braze".
31:30 - Le braze, pardon. Alors, excusez-moi.
31:32 - Dans la version moderne.
31:34 Dans la version bretonne.
31:36 - Ah, alors là, on est sérieux.
31:38 C'est que
31:40 vous ne pouvez pas juger du résultat de l'expérience
31:42 avant qu'elle soit terminée. - Oui. - Or, une partie
31:44 des conséquences du fait qu'on soit
31:46 aujourd'hui quelques milliards sur Terre,
31:48 vous allez le voir avec des effets différés.
31:50 L'éclosion climatique est un parfait exemple.
31:52 Il faut quand même savoir, je le répète,
31:54 je l'ai déjà dit sur ce plateau, le temps de résidence
31:56 du surplus de CO2 qu'on met dans l'air aujourd'hui,
31:58 c'est des milliers d'années.
32:00 Donc, il y a un effet totalement irréversible
32:02 dans cette affaire, et des effets qui vont être
32:04 pour une large partie différés.
32:06 Donc, savoir si aujourd'hui on peut dire qu'on est trop nombreux,
32:08 malheureusement, il faut attendre le résultat de l'expérience.
32:10 Vous le saurez à la fin, si on avait été trop nombreux.
32:12 Donc, c'est juste pour dire...
32:14 - Là, vous décrivez une partie de poker.
32:16 - Exactement. C'est-à-dire que je suis en train de dire
32:18 que nous n'avons pas, et nous ne serons jamais en mesure
32:20 d'avoir en temps réel
32:22 la totalité des éléments
32:24 qui permettent de dire
32:26 "Ah là, à 6,75 milliards,
32:28 on vient de passer le seuil." Je ne les aurai jamais.
32:30 - Tout le monde commence à dire "c'est trop tard".
32:32 - Alors, pour éviter une partie des ennuis...
32:34 - Et c'est totalement, pardonnez-moi,
32:36 désespérant,
32:38 je vois très bien l'idée,
32:40 mais désespérant, contre-productif,
32:42 et je pense que ça contribue très largement
32:44 à baisser les bras.
32:46 - C'est trop tard, ça dépend ce qu'on appelle
32:48 "trop tard". Si la question est
32:50 "c'est trop tard pour garder une espèce humaine",
32:52 là, je vais vous dire "non, non, c'est pas trop tard,
32:54 l'espèce humaine va passer à travers le problème,
32:56 j'ai aucun..." Si on dit
32:58 "c'est trop tard pour que chaque représentant
33:00 de l'espèce humaine passe totalement indemne
33:02 à travers le problème", là, je vous dis "oui, ça, c'est déjà le cas".
33:04 Et après, la question, c'est
33:06 "qu'est-ce qu'on est prêt à faire aujourd'hui
33:08 comme effort supplémentaire
33:10 pour éviter un supplément
33:12 de problème demain ?"
33:14 Et c'est difficile quand vous n'avez pas
33:16 une appréciation très fine de ce à quoi
33:18 peut ressembler le supplément de problème.
33:20 C'est tout le sujet dans cette affaire de changement climatique.
33:22 Ce qui cause le problème, c'est ce qui nous rend la vie si douce aujourd'hui.
33:24 Et la conséquence du problème
33:26 n'est pas facile à illustrer,
33:28 pas facile à incarner,
33:30 pas facile à attribuer à celui qui va causer
33:32 le trouble. Enfin, voilà, c'est un problème compliqué
33:34 à résoudre. - Hervé Lebras ? - Oui,
33:36 je serais plus optimiste, parce qu'au fond,
33:38 en 1798,
33:40 quand Malthus publie son livre,
33:42 il pense qu'il y a beaucoup... c'est déjà un énorme
33:44 problème, il y a trop d'habitants en Angleterre,
33:46 ils sont à peu près 10 millions. Ce que
33:48 oublie Malthus, c'est qu'il va y avoir
33:50 des progrès, des progrès scientifiques. - Il y a des famines
33:52 de patates dans les progrès ? - Il y a
33:54 quelques famines, il va y avoir un progrès.
33:56 - Ça va permettre de peupler les Etats-Unis ? - Non, il y a un...
33:58 - Il va y avoir des famines ? - Non, c'est plus tard.
34:00 Il y a un problème, non, il y a un problème,
34:02 il y a un développement majeur
34:04 qui arrive au début du 19ème siècle,
34:06 c'est la découverte des engrais minéraux.
34:08 À l'époque, Malthus raisonne
34:10 comme si les seuls engrais étaient d'origine
34:12 animale, et dans ce cas-là, il a
34:14 raison, mais de ce point de vue-là, il est
34:16 retardataire, et il ne pouvait pas voir venir
34:18 le coup, mais ça change absolument tout, au point que
34:20 d'ailleurs, dans sa correspondance
34:22 avec Engels, Marx estime
34:24 qu'on pourra multiplier les rendements
34:26 agricoles par 10 000. Là, Engels
34:28 le calme un tout petit peu quand même.
34:30 Mais ce que je veux dire, c'est que
34:32 il me semble, le problème qui est par derrière,
34:34 d'abord, on peut croire qu'il y aura
34:36 du progrès scientifique dans les années à venir,
34:38 et surtout, il y a une chose dont on a quand même assez
34:40 peu parlé aujourd'hui,
34:42 c'est que la majorité de la
34:44 question vient de l'inégalité
34:46 des consommations sur la Terre,
34:48 et au fond, plus généralement,
34:50 la question de l'inégalité,
34:52 je pense, s'il y a une
34:54 médecine à appliquer
34:56 au monde, c'est de lutter contre
34:58 les questions d'inégalité,
35:00 contre l'augmentation des inégalités
35:02 dans la plupart des pays. La France
35:04 est un des pays, on le sent moins, elle est un des pays
35:06 où les inégalités augmentent,
35:08 on peut dire, le plus lentement. Mais quand vous
35:10 voyez aux Etats-Unis ou
35:12 en Angleterre,
35:14 ce sont les plus riches qui, de loin,
35:16 consomment le plus. Vous devez avoir des chiffres
35:18 meilleurs que moi sur les empreintes écologiques,
35:20 mais on parlait du Niger, l'empreinte écologique
35:22 d'un habitant du Niger est très faible,
35:24 comparé à l'empreinte
35:26 écologique d'un habitant
35:28 de la France, ou surtout des Etats-Unis.
35:30 Donc là-dedans, il me semble
35:32 que, bien sûr, il y a des problèmes qui sont des problèmes
35:34 physiques, qui sont des problèmes
35:36 techniques, mais il y a aussi des problèmes
35:38 qui sont des problèmes sociaux, c'est comment
35:40 faire que les sociétés soient
35:42 plus justes, parce que sinon, la course
35:44 à la richesse va augmenter
35:46 dans tous les pays, et c'est ce que disait François
35:48 Jemen tout à l'heure, c'est
35:50 les pays les plus pauvres ne voient pas pourquoi on leur
35:52 empêcherait de devenir aussi riches que les autres.
35:54 - Bien sûr. François Jemen, alors, est-ce que ces
35:56 questions à la fois de partage, de politique
35:58 et aussi de progrès
36:00 scientifique, qui viennent d'être abordées
36:02 notamment par Hervé Lebras, sont débattues
36:04 en ce moment à la COP 23 ?
36:06 - Bien sûr, il y a les questions, évidemment, de
36:10 progrès scientifique et de progrès technologique,
36:12 mais je crois qu'essentiellement
36:14 c'est une question politique en réalité. C'est vrai
36:16 qu'à la COP 23, ici, on a un peu un
36:18 sentiment d'inertie globale,
36:20 et donc on voit tous les indicateurs
36:22 qui passent au rouge, et c'est comme si nous étions
36:24 un peu collectivement paralysés. Alors, bien sûr,
36:26 il y a plein de petites initiatives,
36:28 de projets qui se montent,
36:30 mais c'est vrai que globalement, la négociation
36:32 semble complètement atone, semble
36:34 complètement amorphe, et je crois
36:36 que c'est parce qu'elle n'est pas encore suffisamment
36:38 politique. C'est-à-dire qu'on considère
36:40 encore la question du
36:42 climat, et plus globalement la question de l'environnement,
36:44 comme une question à part déliée
36:46 des grands choix collectifs, alors qu'il faut
36:48 bien se rendre compte qu'aujourd'hui, tous les grands
36:50 enjeux du XXIe siècle, que ce soit
36:52 la gestion des migrations, la question de l'agriculture
36:54 et de l'alimentation, les grandes questions
36:56 de santé publique, de sécurité
36:58 et même de terrorisme, vont être
37:00 affectées par la question du climat,
37:02 et donc je crois, on parlait de ce qui peut nous
37:04 donner espoir et ce qui peut nous remotiver,
37:06 je crois qu'aujourd'hui, l'impératif,
37:08 c'est de repolitiser ces questions et de se rendre
37:10 compte que la plupart de nos grands choix
37:12 collectifs du XXIe siècle
37:14 seront affectés par la question
37:16 du climat, et donc il faut poser
37:18 ces choix collectifs à l'aune de la question
37:20 climatique, et ça, on ne le fait pas encore, on considère
37:22 toujours le climat et l'environnement dans
37:24 une sorte de boîte à part, un peu
37:26 technocratique, et séparer des choix collectifs.
37:28 - Est-ce qu'on interroge Mme Merkel
37:30 sur la façon dont elle a lancé, notamment,
37:32 les énergies carbonées, en
37:34 décidant de se passer du nucléaire dans son
37:36 pays ?
37:38 - Alors ça a été une grosse question,
37:40 évidemment, ici à la COP 23,
37:42 c'était la politique énergétique de l'Allemagne,
37:44 on sent que l'Allemagne a aujourd'hui
37:46 un peu de mal à atteindre ses propres
37:48 objectifs, et c'est sympa que ça affaiblit
37:50 la position de leadership allemande,
37:52 notamment au sein de l'Union Européenne,
37:54 il y a eu des campagnes
37:56 d'activistes, de Greenpeace notamment, qui ont
37:58 réclamé la fin immédiate
38:00 des mines à charbon de l'Allemagne,
38:02 Angela Merkel a reconnu à demi-mot que ça
38:04 devrait forcément arriver, et que
38:06 la question des mines de charbon n'était
38:08 pas soutenable dans le long terme, mais on sent
38:10 aujourd'hui que l'Allemagne a effectivement encore un peu de mal
38:12 sur sa politique énergétique, notamment
38:14 en raison de la fermeture accélérée
38:16 des centrales nucléaires,
38:18 après la catastrophe de Fukushima, et quelque part,
38:20 aux défauts d'anticipation vers les énergies
38:22 renouvelables. - C'est pas très facile de donner des
38:24 leçons de morale à Donald Trump quand on relance
38:26 soi-même, en étant la première puissance industrielle
38:28 européenne, son
38:30 énergie carbonée, non ?
38:32 - Oui, il y a...
38:34 On voit bien l'enchaînement des causes,
38:36 la fermeture rapide,
38:38 ça a été dit, des usines
38:40 des centrales nucléaires, donc
38:42 il faut trouver un produit de substitution,
38:44 le développement des énergies renouvelables,
38:46 qui est assez rapide en Allemagne,
38:48 mais pas assez pour compenser,
38:50 donc on passe au charbon, en plus de ça,
38:52 il y a une vieille habitude du charbon
38:54 dans les pays à partir
38:56 de l'Allemagne, la Pologne
38:58 est bien pire que l'Allemagne
39:00 de ce point de vue-là, et s'autorise de l'exemple
39:02 allemand d'ailleurs.
39:04 - Un dernier mot ? - Oui, en fait, il faut
39:06 se rappeler que l'énergie,
39:08 c'est pas un truc qu'on
39:10 achète comme on achète
39:12 une paire de chaussettes, etc.
39:14 C'est en physique la marque de la transformation.
39:16 Donc en fait, l'énergie, c'est ce qui
39:18 permet d'organiser un système de transformation
39:20 que parfois, on appelle système économique.
39:22 Et c'est la raison
39:24 pour laquelle la production
39:26 économique mesurée avec l'indicateur classique
39:28 qu'on appelle le PIB, est au
39:30 premier ordre, je dis bien au premier ordre, proportionnel
39:32 à la quantité d'énergie que vous rentrez dans un pays,
39:34 parce que c'est ça qui permet de faire tourner toutes les machines,
39:36 d'avancer tous les camions, etc.
39:38 Donc en fait, et c'est là que je rebondis sur ce qu'a
39:40 dit François Gemmène, résoudre le problème
39:42 du changement climatique, dans un monde qui dépend
39:44 à 80% des énergies fossiles.
39:46 En même temps que vous voulez
39:48 augmenter la taille de l'économie,
39:50 on est dans la quadrature du cercle.
39:52 C'est impossible. C'est à peu de choses près.
39:54 Vous êtes en train de me dire que par exemple,
39:56 si demain on n'a plus de pétrole, la France perd quoi ?
39:58 90% de sa richesse nationale ?
40:00 Si demain on n'a plus de pétrole, vous n'avez plus
40:02 de nourriture à cheminer dans les villes, parce que ça arrive par camion.
40:04 Vous n'avez plus d'engrais.
40:06 Vous n'avez plus d'engrais, enfin c'est du gaz,
40:08 ça surtout. Vous n'avez plus de tracteurs,
40:10 et vous n'avez pas les gens pour
40:12 passer la binette en quantité dans les champs, etc.
40:14 Donc vous avez le pays qui s'effondre.
40:16 Dernier reportage de cette émission, c'est un nouveau terme.
40:18 Mélan, méditerranée et
40:20 hurricane, ouragan en anglais.
40:22 On parle maintenant de médicane,
40:24 la coulée de boue dramatique que vient de connaître la Grèce.
40:26 On serait probablement un exemple.
40:28 Explication avec Sébastien Pouquet.
40:30 Un torrent de boue traverse
40:37 des quartiers habités,
40:39 emporte les voitures, et par sa force
40:41 dévastatrice,
40:43 des cars,
40:45 ou des camions.
40:47 Hier en Grèce,
40:49 à Nea Paramos et Mandra,
40:51 en grande banlieue d'Athènes,
40:53 sur la côte, des milliers
40:55 d'habitations ont été inondées en quelques
40:57 secondes. Les eaux,
40:59 après des pluies diluviennes, ont surpris
41:01 et fait 14 victimes.
41:03 Les ambulances,
41:05 services de secours et pelleteuses étaient
41:07 à pied d'oeuvre. Dans les rues recouvertes
41:09 d'une épaisse couche de boue,
41:11 les habitants peinent à se déplacer,
41:13 découvrent l'ampleur des dégâts,
41:15 et témoignent de la violence de cet épisode
41:17 météo.
41:19 C'est venu comme
41:21 un tsunami. Oui, comme un tsunami,
41:23 pas comme une rivière.
41:25 Tout n'est que destruction, un désastre
41:27 biblique. Le phénomène
41:29 météo qu'a connu la Grèce est
41:31 un médicane, un néologisme,
41:33 "medi" pour "méditerranée",
41:35 "cane" pour "hurricane",
41:37 "ouragan" en anglais.
41:39 Le voici sur la carte, il s'agit
41:41 d'une dépression subtropicale qui se
41:43 forme en mer Méditerranée, lorsqu'elle
41:45 est plus chaude que l'air. Une dépression
41:47 à coeur chaud, un peu comme un cyclone,
41:49 mais moins puissant. Ici, on voit
41:51 la force des vents, et en particulier
41:53 les rafales, qui s'organisent de façon
41:55 très symétrique autour d'un oeil.
41:57 Ces vents peuvent être
41:59 tempétueux autour de cet oeil, avec des
42:01 rafales qui dépassent les 100, voire
42:03 150 km/h.
42:05 Des vents violents, des pluies torrentielles
42:07 qui causent des inondations
42:09 impressionnantes comme en Grèce,
42:11 et des vagues
42:13 qui peuvent aller en pleine mer
42:15 jusqu'à 8 mètres de haut,
42:17 causant sur le littoral une hausse du niveau
42:19 de la mer comme ici à Cannes en 2010.
42:21 La France
42:23 a connu un autre événement de ce type
42:25 toujours à Cannes, en 2011.
42:27 Ces deux médicanes
42:29 n'ont fait aucune victime,
42:31 mais il se pourrait bien que ce phénomène
42:33 de météo, autrement appelé
42:35 cyclone tropical de Méditerranée,
42:37 soit de plus en plus fréquent
42:39 avec le réchauffement climatique.
42:41 - On se demande si on n'est pas en train de découvrir
42:45 nos propres ouragans, mais version
42:47 méditerranée. Je vous vois sourire.
42:49 - Un ouragan, c'est 100 km/h, c'est quand même
42:51 pas un ouragan. Et là, il y avait la
42:53 pression au centre de la dépression,
42:55 on était à 990 hectopascales.
42:57 Un ouragan, c'est 900...
42:59 Dans les très violents,
43:01 c'est 920, 930, 940. On n'est pas en train
43:03 de parler de la même chose. Par contre,
43:05 ça, ça fait penser aux épisodes Seydenhol,
43:07 quand il y a des grandes quantités de pluie qui tombent
43:09 sur les reliefs. Et ça, c'est un phénomène
43:11 qu'on connaît déjà, mais dont un certain nombre
43:13 de gens pensent qu'il pourrait
43:15 s'intensifier dans le cadre d'un climat
43:17 qui se réchauffe, parce que la différence de température
43:19 mer-terre
43:21 peut augmenter
43:23 à la faveur du réchauffement
43:25 et c'est un moteur, on va dire,
43:27 de ce genre d'événement.
43:29 - On voit aussi que c'est lié à ce qu'on appelle
43:31 l'artificialisation des sols.
43:33 C'est-à-dire que
43:35 le mode d'écoulement des eaux
43:37 en cas de pluie très violente
43:39 est bloqué parce que
43:41 les anciennes rivières
43:43 ont été
43:45 ou bien bétonnées
43:47 ou bien transformées en petits égouts.
43:49 Et donc, l'eau dévale.
43:51 L'eau n'est non seulement plus absorbée
43:53 par la terre, mais
43:55 elle ne rencontre plus de moyens
43:57 de s'échapper. D'ailleurs, on voit très bien
43:59 sur les images que c'est typiquement
44:01 un problème urbain.
44:03 - Si la terre est très sèche,
44:05 comme après l'été qu'on vient de connaître où il y a très peu plu,
44:07 là, du coup, la terre elle-même est raisonnablement
44:09 imperméable et n'absorbe pas les précipitations.
44:11 - En scientifique,
44:13 le terme de "Medicaine" qui essaie de nous faire
44:15 comprendre quelque chose, vous trouvez ça raisonnable
44:17 ou vous pensez
44:19 que c'est une facilité excessive de langage
44:21 pour traduire des phénomènes météo qui existent
44:23 de fait ?
44:25 - Je ne pense pas que c'est une facilité de langage,
44:27 mais que ce n'est pas catastrophique comme facilité de langage.
44:29 Ça illustre bien le fait que c'est un phénomène extrême
44:31 et que c'est propre à la Méditerranée.
44:33 Cela étant, encore une fois, ça n'a pas la force
44:35 des vents d'un dragon.
44:37 - Si on s'en prend plusieurs sur la tête,
44:39 on est peut-être aussi forcés à la réflexion.
44:41 Je ne sais pas. Sur les questions dont on débat ce soir
44:43 ou dont on ne débat pas en partie
44:45 à la COP23, non ?
44:47 - C'est une bonne question.
44:49 Il se trouve que, commençant à avoir quelques cheveux blancs,
44:51 je me rappelle que les tempêtes de 99
44:53 avaient fait naître un grand débat
44:55 sur est-ce que c'est le réchauffement climatique ou est-ce que ce n'est pas le réchauffement climatique.
44:57 Et puis après, le soufflé
44:59 est raisonnablement retombé.
45:01 Pendant longtemps, il y a eu un certain nombre
45:03 d'autres phénomènes extrêmes.
45:05 La question ne revenait pas vraiment
45:07 sur les écrans radars.
45:09 Je ne sais pas répondre à la question qui est
45:11 est-ce que ce genre de choses fait réfléchir ?
45:13 Je ne suis pas complètement sûr que la réponse soit oui.
45:15 - François Gemmene, je me tourne à nouveau vers vous
45:17 parce que j'imagine que les médicaines n'ont pas atteint la bonne ville de Bonne.
45:19 Je vous sens quand même,
45:21 depuis le début de l'émission, assez pessimiste
45:23 sur la façon dont ça
45:25 travaille en ce moment à Bonne,
45:27 sur cette COP 23.
45:29 En vous écoutant tout à l'heure, je me disais
45:31 on a l'impression qu'en fait
45:33 ils ne travaillent pas ou s'ils travaillent,
45:35 ils ne vont pas donner une issue à ce travail qui est en train de se faire.
45:37 Et d'une certaine façon,
45:39 est-ce qu'ils ne sont pas en train d'enterrer
45:41 notre COP 21 ?
45:43 - D'une certaine manière, si.
45:49 On a effectivement l'impression, malheureusement,
45:51 que les COP sont un peu entrés en léthargie
45:53 depuis la COP 21 et que beaucoup de gouvernements
45:55 considèrent un peu qu'ils ont fait leur part du travail,
45:57 qu'ils peuvent rayer
45:59 la question climatique de leur liste
46:01 des choses à faire et que maintenant c'est à la société civile
46:03 de prendre le relais.
46:05 Et donc ça donne des négociations politiques
46:07 qui donnent l'impression d'être un peu vidées de leurs substances.
46:09 Ce qu'il faut bien comprendre,
46:11 c'est que l'accord de Paris, c'est pas la ligne d'arrivée,
46:13 c'est le point de départ.
46:15 C'est un accord dont on pourra penser
46:17 du bon ou du moins bon, mais en tout cas,
46:19 c'est le meilleur que pouvait produire la diplomatie
46:21 et le drame, c'est qu'il arrive 21 ans trop tard.
46:23 En réalité, l'accord de Paris, c'est le cadre
46:25 dans lequel doit se penser l'action internationale.
46:27 C'est l'accord qu'on aurait dû avoir à la COP 1
46:29 et pas à la COP 21.
46:31 Et donc, en réalité, c'est maintenant que tout commence
46:33 et beaucoup de gouvernements considèrent que c'est déjà fini.
46:35 C'est à mon avis ça, le vrai problème
46:37 des COP pour le moment. Il faut d'urgence
46:39 les remettre en mouvement
46:41 et d'une certaine manière les repolitiser aussi.
46:43 - Alors, on a deux petites minutes
46:45 pour conclure en plateau. La question, c'est
46:47 quelle est la prochaine étape ? Qu'est-ce qui se passe ?
46:49 Est-ce qu'on peut avoir une COP 23
46:51 qui échoue réellement et en quoi
46:53 ça aggrave la situation
46:55 dont on nous dit en ce moment à la lune
46:57 de la presse et avec des appels de scientifiques
46:59 quasiment qu'il est déjà pratiquement trop tard ?
47:01 - Le gros enjeu
47:05 de cette COP 23, c'était de voir
47:07 si les gouvernements allaient être d'accord
47:09 de revoir à la hausse significativement
47:11 les engagements pris à Paris
47:13 avant 2020. Comme je l'ai dit, c'est la condition
47:15 sine qua non si on veut se donner une chance
47:17 d'atteindre l'objectif des 2 degrés.
47:19 Nous sommes aujourd'hui jeudi soir, il reste
47:21 un jour de négociation et pour le moment
47:23 les gouvernements ne sont pas d'accord de revoir à la hausse
47:25 ces objectifs. Cela veut dire effectivement
47:27 qu'on peut enterrer l'objectif
47:29 de l'accord de Paris et ça, c'est une
47:31 tragédie.
47:33 - On a compris qu'on pouvait
47:35 être trop éventuellement sur la planète mais que de toute façon
47:37 il allait falloir sauver cette humanité.
47:39 Comment on s'y prend, Hervé Lebras ?
47:41 - Je prends d'abord
47:43 de ne pas trop charger
47:45 la question démographique. C'est un moyen
47:47 d'échapper aux autres questions
47:49 qu'on a soulevées durant...
47:51 - On sait que c'est une échappatoire.
47:53 - C'est une échappatoire. - Tu as la fois une donnée, l'objectif...
47:55 - On sait très clairement et on l'a dit
47:57 qu'on ne peut pas régler cette question
47:59 par des politiques
48:01 autoritaires. C'est des questions
48:03 qui vont toucher jusqu'à la liberté
48:05 des couples d'avoir des enfants.
48:07 - Donc vous nous dites que ce n'est pas réaliste de vouloir réguler...
48:09 - C'est un moyen d'échapper aux...
48:11 - ... la population. - C'est un moyen d'échapper aux questions
48:13 de composition de la consommation,
48:15 notamment, il y a eu une allusion à cela,
48:17 de la consommation de viande, qui est
48:19 une grosse mangeuse, si l'on peut dire,
48:21 de calories végétales,
48:23 et puis aussi
48:25 aux questions
48:27 d'inégalité
48:29 qui sont l'une des sources
48:31 les plus importantes
48:33 de la montée de la consommation.
48:35 Donc quelque part, je me méfie
48:37 toujours de ces grands
48:39 appels sur la démographie parce que
48:41 non seulement ils évitent
48:43 ces sujets plus lourds,
48:45 et puis aussi, comme je l'ai dit au début,
48:47 ils ne regardent pas dans
48:49 le détail ce qui se passe en démographie.
48:51 - Chacun doit prendre sa part d'effort.
48:53 - Oui, c'est ça le fond du problème.
48:55 En fait, le diable est dans les détails dans cette histoire.
48:57 C'est-à-dire que je suis le président
48:59 d'une démocratie, donc élu,
49:01 je vous rappelle que je suis l'exécuteur testamentaire de mes électeurs,
49:03 c'est comme ça que ça marche. - Et qu'ils peuvent décider
49:05 de ne pas me reconduire. - Ils peuvent décider de ne pas me reconduire,
49:07 etc., et de me faire baisser dans les sondages
49:09 et les codes de popularité.
49:11 Et une fois que j'ai dit qu'on allait baisser les émissions
49:13 d'un pays, ça veut dire que ça va se traduire dans des
49:15 mesures concrètes, dans ce que les gens mangent, la manière
49:17 dont ils se déplacent, la manière dont ils habitent
49:19 et ce qu'ils ont le droit d'acheter au magasin, enfin le droit,
49:21 ce qu'ils peuvent acheter au magasin.
49:23 Parce que les industriels doivent bien le fabriquer.
49:25 Et donc là où ça commence à devenir compliqué,
49:27 c'est qu'on va désagréger
49:29 ce débat à l'échelle d'un pays,
49:31 chacun va dire que c'est l'autre qui doit porter l'effort en premier.
49:33 Enfin, bref, c'est là que ça devient compliqué,
49:35 que ça demande beaucoup de force, de constance
49:37 et de compréhension du problème à traiter.
49:39 Et malheureusement, le pessimisme
49:41 a la cope, et pour partie
49:43 le reflet du pessimisme qu'on peut
49:45 de temps en temps avoir sur les
49:47 quelques éléments que je viens d'évoquer.
49:49 - Merci beaucoup Jean-Marc Jancovici, Hervé Lebras et
49:51 François Gemmene, excellents correspondants
49:53 depuis Bonn. Rediffusion
49:55 de notre débat aux alentours
49:57 de 22h30 comme chaque soir sur CNews.
49:59 L'info du vrai continue à 20h30,
50:01 à 20h20 très exactement.
50:03 La culture, nous recevons ce soir Guillaume Gallienne
50:05 de la comédie française pour son dernier film
50:07 avec Adeline Vermi de la comédie française.
50:09 Émotions et tensions dans ce film
50:11 nouveau intitulé
50:13 "Mariline". Mais tout de suite, 20h,
50:15 l'événement.
50:17 *musique*

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