Consommation : "le vrai choc date d'il y a un an" selon le patron de Système U

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00:00 Bonjour à tous, bienvenue sur le site de Capital.
00:07 Nous sommes à la REF 2023 à Paris en présence de Dominique Schellcher,
00:11 le PDG de System U, qui va nous parler de cette rentrée sous le signe de l'inflation.
00:16 C'est une rentrée assez inédite.
00:18 Vous l'avez souligné en conférence tout à l'heure,
00:21 une inflation qui dépasse en deux ans les 21%.
00:26 C'est un choc pour les consommateurs.
00:27 Qu'est ce que ça change dans leur façon de consommer aujourd'hui?
00:31 Bonjour à tous.
00:34 Le comportement vraiment des consommateurs change en profondeur depuis maintenant un an,
00:38 puisque en fait, on est à 21% sur deux ans.
00:41 Mais le vrai choc, le vrai changement, il date pour moi d'il y a un an.
00:45 Et donc, on est passé de différents arbitrages.
00:50 J'achète moins de produits non essentiels, donc moins de bazar, moins de textiles,
00:55 à des produits frais qu'on achète moins, donc la boucherie, la poissonnerie,
00:59 le fromage à la coupe. Pourquoi? Parce que ce sont des produits chers dans le panier.
01:03 Puis, il y a une nouvelle étape qui a été on achète moins de grandes marques
01:05 pour plus de produits de marques distributeurs qui sont d'excellents rapports qualité prix
01:10 pour nos clients et on le sait avec notre marque U.
01:14 Et je dirais maintenant l'étape encore suivante pour un certain nombre de clients,
01:18 c'est d'être passé à la restriction.
01:21 Il y a, j'entendais ce chiffre de l'OPSOCO qu'on connaît tous,
01:25 qui disait 14% des Français ne mangent même pas à leur faim.
01:29 Donc, on en est là. Donc, il y a vraiment un vrai sujet et de vraies évolutions
01:34 du comportement des clients ne mangent pas à leur faim.
01:38 Et j'ai vu également le même chiffre de 15% des Français qui sautent un repas
01:42 pour des raisons économiques. Ça veut dire que ces clients là viennent moins acheter.
01:47 Qu'est ce qu'on achète moins? Vous l'avez dit des produits frais.
01:49 C'est une question de prix ou c'est une question de visibilité du prix?
01:52 Parce qu'on a un affichage au kilo sur ces rayons de frais libres service essentiellement.
01:57 Mais là, pour répondre à votre question, c'est tout simple.
01:59 Nous, on voit régulièrement des clients qui vont à la boucherie, par exemple,
02:03 qui se font servir tel ou tel produit et qui, quand elles reçoivent le paquet,
02:08 se rendent compte que ce n'est pas à leur portée.
02:10 Donc, c'est véritablement un problème de budget global dans le panier d'achat.
02:14 Et donc, on élimine ces produits. Donc, concrètement, souvent,
02:17 ce petit sachet de boucherie, on retrouve ailleurs dans le magasin.
02:21 Donc, c'est du gaspillage, c'est des produits perdus.
02:22 Ça peut même être du gaspillage et des produits perdus.
02:25 Donc, non, non, on est face à des à une évolution en profondeur.
02:29 Et comme je l'expliquais dans le débat qu'on vient de passer là,
02:33 il y a une deuxième dimension qui se rajoute à ça.
02:35 Il y a comment je fais pour remplir le frigo?
02:39 Mais il y a une autre question à laquelle il faut répondre.
02:41 C'est comment je fais pour sauver la planète avec tout ce qu'on voit?
02:44 Même parfois, on a certains clients qui étaient en vacances en Grèce ou là,
02:48 par exemple, au baléar et qui ont été confrontés à des conséquences
02:53 du dérèglement climatique et qui donc et qui donc cherchent des solutions.
02:58 Et l'alimentaire, en fait, est une solution facile pour arbitrer quelque chose.
03:02 Mais justement, on a souvent eu dans les enquêtes consommateurs des intentions
03:06 de faire un peu plus attention, acheter plus de bio, plus de produits de proximité,
03:11 plus de produits dans des packagings durables, etc.
03:14 Et finalement, les intentions se traduisent rarement dans les faits et dans les chiffres.
03:19 Est ce que ça, vous le voyez vraiment évoluer?
03:22 Les clients les plus contraints dont on vient de parler,
03:25 ceux qui souffrent le plus de l'inflation, évidemment, eux sont en difficulté.
03:29 Eux pensent d'abord à se nourrir et donc sont moins dans ces sujets là.
03:33 Mais je dirais la proportion, sans doute de gens qui sont quand même plus attentifs
03:37 à cette planète qui se dérègle, a quand même progressé.
03:41 Alors, c'est peut être.
03:42 On aimerait tous que ce soit plus spectaculaire dans les mouvements de comportement.
03:46 Ce n'est peut être pas forcément le cas, mais on sent dans la discussion que voilà,
03:51 il y a des gens qui veulent davantage bouger les lignes.
03:54 Et encore une fois, je prends toujours cet exemple du comment dire de l'occasion,
03:58 ce marché de l'occasion globale.
04:00 Nous, on le voit bien puisque nos rayons textiles souffrent.
04:02 C'est bien la preuve que les gens achètent moins de vêtements neufs
04:06 et trouvent des solutions différentes sur les sites, sur les marchés, sur les marchés opus, etc.
04:12 Vous testez des choses sur l'occasion, justement ?
04:14 Oui, on a testé des choses, mais dans notre activité, par exemple, le textile d'occasion,
04:20 ce n'est pas simple de le faire vivre.
04:22 Donc, on fait des tests.
04:23 On a des boutiques, eu occasion dans un certain nombre d'hypermarchés.
04:27 On en tire les leçons, on avance, on progresse.
04:30 Mais voilà, c'est des choses qui ne se bouleversent pas du jour au lendemain.
04:34 On a parlé aussi pénurie, rareté.
04:37 On a parlé l'an dernier des problèmes de la moutarde.
04:39 Vous avez parlé tout à l'heure d'une pénurie qui s'annonce sur le jus d'orange.
04:42 Est-ce que le fait juste d'en parler ne va pas au contraire créer presque
04:46 une course dans les magasins pour aller stocker du jus d'orange et empirer la pénurie ?
04:52 Est-ce que quand on en annonce, finalement, ça ne les réalise pas ?
04:54 Non, parce que voilà, moi, je crois aux vertus de la pédagogie.
04:59 Moi, je crois qu'il faut expliquer aux gens ce qui se passe.
05:02 Et je préfère prendre les devants pour que les gens comprennent
05:05 quand ils verront l'étiquette de leur jus d'orange habituel qui a pris,
05:09 je ne sais pas, 20 ou 30 %, qu'ils en disent "Ah oui, j'en ai entendu parler.
05:13 Il y a moins d'oranges disponibles.
05:15 Il y a moins de jus d'orange du coup, donc c'est un peu plus cher."
05:17 Plutôt que de se retrouver devant l'étiquette et de dire "Mais c'est quoi ?
05:20 Qu'est-ce qui se passe ?"
05:22 Ça a encore trop augmenté de ne pas comprendre.
05:24 Voilà, moi, je suis pour les vertus de la pédagogie.
05:27 Je crois qu'il y a des phénomènes complexes économiques qui se passent actuellement.
05:30 Et c'est ce que fait Capital d'ailleurs.
05:34 Nous aussi, les commerçants qui sont en contact avec tous ces gens, il faut expliquer.
05:38 Alors puisque Capital le fait, qu'est-ce qui se passe sur l'orange ?
05:41 Il y a une mauvaise récolte en Floride.
05:43 Et jusqu'où, du coup, vont basculer les hausses ?
05:47 Est-ce que vous pouvez en refuser, vous, en tant que distributeur ?
05:51 Est-ce que vous allez tout passer aux consommateurs ?
05:54 Qu'est-ce qui se passe concrètement ?
05:55 Il se passe qu'effectivement, il y a eu des aléas climatiques en Floride,
06:00 mais aussi plus au sud, dans le continent américain,
06:02 qui sont les grands pays producteurs d'orange.
06:05 Et donc, il y a actuellement moins d'orange disponible.
06:07 Donc, les vendeurs, c'est très simple.
06:09 Ils vous disent, voilà, moi, j'en ai peu, j'en ai pas beaucoup.
06:12 Mon prix, c'est ça. Si vous en voulez, c'est à ce prix-là.
06:15 Donc là, on n'aura même pas tellement l'occasion de discuter.
06:20 Et du coup, vu l'ampleur que c'est en train de prendre,
06:23 je n'exclus pas que telle ou telle référence puisse à un moment
06:26 disparaître provisoirement des rayons pour se reconcentrer sur l'essentiel.
06:31 Ce n'est pas exclu. On n'en est pas là,
06:33 mais on est en train de regarder ce sujet de très, très près.
06:36 Donc, on avait plus de moutarde.
06:38 Un rayon entier avait disparu pendant quelques mois.
06:41 Là, on ne va plus avoir de jus d'orange ou c'est des références
06:44 qui, ponctuellement, vont disparaître.
06:45 Est-ce qu'on a progressé dans la gestion de la pénurie ?
06:49 Ce n'est pas simple de progresser dans la gestion de la pénurie
06:51 parce qu'en fait, on va d'une matière à l'autre en fonction des aléas climatiques.
06:56 La graine de moutarde, c'était des difficultés météorologiques,
06:59 cette fois au Canada, qui est le pays producteur de graines de moutarde.
07:04 La production était extrêmement faible,
07:06 donc les producteurs européens n'ont pas pu acheter de graines de moutarde.
07:10 Là, ça va de nouveau mieux. On récupère les quantités.
07:13 Donc, comment gérer ça ?
07:15 La meilleure façon, c'est d'avoir des contrats sur la durée
07:19 avec un certain nombre de fournisseurs auprès de qui on va être fidèle.
07:23 Et j'ai actuellement des discussions de ce type-là avec certains fournisseurs
07:27 qui me disent "moi, j'aurai plus de marchandises pour tout le monde,
07:31 j'ai envie de travailler avec eux parce qu'on s'entend bien,
07:34 sinon un contrat qui va vous garantir l'approvisionnement".
07:37 Donc, anticiper, solutionner, c'est ce type de raisonnement-là,
07:41 mais c'est un travail immense de fourmis.
07:43 Et parfois, d'un seul coup, on a réglé un problème, un deuxième problème,
07:48 et d'un seul coup, il en surgit un troisième que, lui, on n'avait pas anticipé.
07:52 Donc, voilà, c'est vraiment un travail en profondeur, de détail et de fourmis.
07:57 Et une gestion de multi-crises, finalement, vous allez enchaîner les crises.
07:59 Exactement, on va de crise en crise.
08:01 Vous avez tout à l'heure employé une expression qui m'a marquée.
08:04 Vous avez dit "on avait une gestion de la rareté,
08:07 et maintenant, après-guerre, on va travailler différemment".
08:11 Après-guerre, c'est une expression qui, pour moi,
08:13 me ramène à la seconde guerre mondiale.
08:16 Finalement, aujourd'hui, vous parlez d'après-guerre pour la guerre de l'Ukraine,
08:21 comme si c'était déjà un fait.
08:25 Alors, en l'occurrence, j'ai parlé d'après-guerre,
08:27 mais je situe ça autour du Covid, autour de la guerre en Ukraine.
08:34 Je sens qu'il y a eu un moment de bascule pendant ces années-là,
08:36 et qu'en fait, il y a un avant et un après.
08:39 C'est dans ce sens-là qu'il faut prendre,
08:41 alors pas forcément après-guerre, c'est après cette période-là.
08:44 On sent qu'on passe d'un système économique à un autre,
08:49 qu'on doit, encore une fois, raisonner différemment,
08:51 faire preuve de créativité pour trouver des solutions,
08:54 continuer à avoir un approvisionnement de qualité,
08:57 peut-être même faire des choix avec un certain nombre d'industriels,
09:00 parce qu'ils ne répondent plus, peut-être, aussi à nos attentes,
09:05 à ce qu'on attend d'eux.
09:07 Voilà, donc on est en plein bouleversement, en pleine réflexion,
09:10 et on commence à mettre en œuvre un certain nombre de choses.
09:13 Justement, ce travail avec les industriels, est-ce que ça se complique ?
09:18 On a Bruno Le Maire qui va les réunir la semaine prochaine pour essayer...
09:20 Non, non, nous-mêmes, c'est cette semaine.
09:22 Cette semaine, pardon.
09:24 Est-ce que, pour l'instant, les baisses attendues n'ont pas eu lieu ?
09:28 Est-ce que vous confirmez ça ?
09:30 Et est-ce qu'on peut en attendre pour les consommateurs ?
09:32 Ou est-ce qu'on va garder un plateau haut,
09:35 et que c'est déjà le mieux qu'on puisse proposer aujourd'hui ?
09:37 Ce qu'il faut dire lucidement aux consommateurs,
09:39 c'est que les prix dans l'alimentaire ne reviendront pas
09:43 globalement aux prix d'avant la guerre en Ukraine.
09:46 On reprend encore l'exemple d'avant la guerre.
09:48 On ne reviendra pas.
09:51 Alors, on sait que le pic de l'inflation alimentaire a été atteint,
09:56 probablement avant l'été, que ça augmente moins actuellement.
09:59 Donc je pense que cette inflation va se réduire,
10:02 mais elle est encore là, et tous les produits ne vont pas rebaisser.
10:06 Et ce qui s'est peut-être passé et qui n'est pas arrivé,
10:10 on a cru au printemps qu'on réouvrirait des négociations commerciales,
10:14 et en fait les industriels n'en ont pas voulu.
10:16 Voilà ce qui s'est passé hors en France,
10:18 avec la loi sous laquelle nous travaillons.
10:22 Tant qu'on ne réouvre pas les discussions,
10:24 le contrat est qu'on applique le prix qu'on a négocié à la dernière négociation.
10:28 Donc on n'a pas réouvert les négo, il y a eu quelques petits gestes de certains,
10:32 il y a eu un peu de promotion, mais pas suffisamment massivement
10:35 pour que ça se voit en rayon.
10:37 Donc oui, il faut en rediscuter cette semaine.
10:39 C'est vous qui êtes en première ligne avec le consommateur,
10:41 mais finalement aujourd'hui les profits, est-ce qu'ils sont chez vous
10:44 ou est-ce qu'ils sont chez les industriels ?
10:46 Est-ce qu'il y a vraiment des gens qui exagèrent sur les prix,
10:49 qui n'ont pas baissé alors qu'ils auraient pu ?
10:50 Est-ce que chez qui il faut aller chercher ces quelques centimes ou dizaines de centimes ?
10:54 Ça ce sont des journalistes comme vous qui vont l'analyser en détail l'année prochaine
10:58 pour avoir le bilan par exemple de l'année 2023.
11:01 Mais d'ores et déjà, par exemple moi j'ai une étude économique en tête
11:04 qui est celle du FMI qui disait il y a avant l'été,
11:08 la moitié de l'inflation actuelle est due à la spéculation des entreprises
11:15 au marge des entreprises.
11:16 Voilà la réalité.
11:17 Et en fait c'est pas forcément nouveau,
11:18 c'est un phénomène économique classique en période d'inflation.
11:21 La première année, tout le monde s'adapte, fait au mieux.
11:24 Et la deuxième année, il y a un peu de certains acteurs qui peuvent en profiter.
11:29 Moi je trouve que la charge de l'inflation est lourde pour le consommateur.
11:34 Je pense que, et le ministre de l'économie l'a encore dit dans son intervention ce matin,
11:38 les distributeurs ont plutôt joué le jeu de faire des efforts,
11:42 le panier anti-inflation, beaucoup de promos etc.
11:45 et on continuera à le faire, peut-être qu'il faut en faire encore plus.
11:49 Je trouve que le maillon des industriels n'a pas assez pris sa part à cette inflation.
11:55 Voilà ma position.
11:56 Et quand je dis industriel, faisons bien la distinction entre les grandes multinationales,
12:00 c'est à elles que je pense.
12:01 Plus évidemment qu'aux PME et aux ETI françaises,
12:04 pour qui c'est parfois plus difficile actuellement et qu'il faut préserver.
12:09 C'est même plus que difficile, on a vu la multiplication des faillites
12:12 dans le tissu des PME et TPE.
12:15 Un fabricant de confiture cet été, Lucien Georgelin et d'autres.
12:21 Est-ce qu'il y a des moyens qui sont à votre disposition ou à celles du ministre de l'économie
12:25 pour les aider et pour éviter que ce tissu de PME ne disparaisse à la faveur de cette crise de l'inflation ?
12:32 Il faut être vigilant à l'écoute de ces PME.
12:36 Pendant la crise Covid, par exemple chez System U, on a fait beaucoup de gestes.
12:40 On a payé content les PME qui nous le demandaient.
12:43 On a beaucoup développé les volumes de ces produits parce que les clients le voulaient.
12:49 Donc il va falloir être attentif et si demain des PME viennent nous voir en disant
12:53 "voilà j'ai une impasse de trésorerie, est-ce que vous pouvez nous aider ?"
12:57 on se remobilisera chez System U.
12:59 Donc il y a des petits gestes qu'on peut faire.
13:01 Après il y a l'État sans doute, mais là il faudrait interroger le ministre de l'économie quand il vient demain.
13:06 Merci beaucoup pour votre temps, cette interview.
13:10 Et bonne rentrée dans la distribution.
13:13 A vous aussi.

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